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montre & découvre plus efficacement fa volonté, qu'il ne pourroit le faire par aucune parole.

Je laiffe à décider la queftion aux deux célébres Univerfités de ce Royaume. En attendant que j'aie une réponse décifive, je ne cefferai de croire que ce qui s'eft fait à l'égard de l'abdication du Roi Jacques étoit jufte & néceffaire d'après les principes fondamentaux de notre gouvernement, & que tous fes fucceffeurs ont été poffeffeurs légitimes du trône. (Cet article eft traduit de l'Anglois.)

DESPOTISME, f. m.

Defpotifme arbitraire; Despotisme légal. LE Defpotisme eft cette espece de gouvernement qui ne reconnoît pour

fa conftitution effentielle que la volonté abfolue du Souverain, appellé Defpote.

Ce nom nous peint toujours une chofe odieufe & contraire au droit naturel de l'humanité. Cette averfion nous eft naturellement fuggérée par la feule contemplation des défordres qu'il a produits : frappés de l'horreur qui nous faifit à la vue de ce tableau, nous fommes révoltés fur le champ contre le Defpotifme; nous le regardons comme un fléau terrible & habituel; nous le condamnons ainfi fans chercher à approfondir d'où proviennent les maux qu'il a faits; s'ils lui font propres, ou s'ils lui font étrangers; & nous ne nous fervons plus des termes de Defpote ou de Defpotifme, que pour exprimer une forte d'autorité monftrueufe, que la raifon ne peut reconnoître, & dont il faut abfolument purger la fociété. C'est ainsi que les faits, détachés de leurs caufes premieres, font pour nous une fource d'erreurs. On a raison de s'élever contre le Despotisme confidéré tel qu'il a prefque toujours été chez quelque nation; mais le Defpotisme factice & déréglé, dont nous fommes effrayés à jufte titre, & le Defpotifme naturel, tel qu'il eft inftitué par la nature même, ne se reffemblent point: il eft également impoffible que le premier ne foit pas orageux, deftructif, accablant, & que le fecond ne produise pas tous les biens que la fociété peut défirer.

Qui eft-ce qui ne voit pas, qui eft-ce qui ne fent pas que l'homme eft formé pour être gouverné par une autorité defpotique? Qui eft-ce qui n'a pas éprouvé que fi-tôt que la raifon s'eft rendue fenfible, fa force intuitive & déterminante, nous interdit toute délibération? Elle eft donc une autorité defpotique, cette force irréfiftible d'une raison éclairée, cette force qui pour commander defpotiquement à nos actions, commande defpotiquement à nos volontés.

Le Defpotifme naturel de la raifon amene le Defpotifme focial: l'ordre effentiel de toute fociété eft un ordre évident; & comme l'évidence a toujours la même autorité, il n'eft pas poffible que l'évidence de cet ordre foit manifefte & publique, fans qu'elle gouverne defpotiquement.

C'est par cette raifon que cet ordre effentiel n'admet qu'une feule autorité, & par conféquent un feul chef: l'évidence ne pouvant jamais être en contradiction avec elle-même, fon autorité eft néceffairement defpotique, parce qu'elle eft néceffairement une; & le chef qui commande au nom de cette évidence, eft néceffairement defpote, parce qu'il fe rend perfonnelle cette autorité defpotique.

S'il eft inconteftable que nous fommes organifés pour connoître l'évidence & nous laiffer gouverner par elle; s'il eft inconteftable que l'ordre effentiel de toute fociété eft un ordre évident, il réfulte de ces deux propofitions, qu'il eft dans les vues de la nature que le gouvernement focial foit un gouvernement defpotique, & que l'homme, en cela qu'il est deftiné à vivre en fociété, eft deftiné à vivre fous le Defpotifme. Une autre conféquence encore, c'eft que cette forme de gouvernement eft la feule qui puiffe procurer à la fociété fon meilleur état poffible; car ce meilleur état poffible eft le fruit néceffaire de l'ordre ce n'eft que par une obfervation scrupuleufe de l'ordre qu'il peut s'obtenir; ainfi ce n'eft qu'autant que l'évidence de l'ordre gouverne defpotiquement, que les hommes peuvent parvenir à jouir de tout le bonheur que l'humanité peut comporter. Le Defpotisme n'a fait que du mal, nous dit-on: donc il eft effentiellement mauvais. Affurément cette façon de raisonner n'eft pas conféquente: on pourroit dire auffi, la fociété occafionne de grands maux; donc elle eft effentiellement mauvaise; & ce fecond argument vaudroit le premier, Oui fans doute, le Defpotifme a fait beaucoup de mal; il a violé les droits les plus facrés de l'humanité; mais ce Defpotifme factice & contre nature, n'étoit pas le Defpotifme naturel de la raison évidente de l'ordre; ce dernier affure les droits que le premier détruit,

Il n'eft point pour nous de milieu entre être éclairés par l'évidence ou être livrés à l'ignorance & à l'erreur. De-là, deux fortes de Defpotifme, l'un légal, établi naturellement & néceffairement fur l'évidence des loix d'un ordre effentiel, & l'autre arbitraire, fabriqué par l'opinion, pour prêter à tous les défordres, à tous les écarts dont l'ignorance la rend fufceptible.

Le défir de jouir eft également le premier principe de ces deux Defpotifmes; mais dans celui-là l'action de ce mobile eft dirigée par l'évidence de l'ordre, & dans celui-ci elle eft déréglée par l'opinion, qui, égarée par l'ignorance, ne met point de bornes à fes prétentions. De-là s'enfuit que le Defpotifme légal, qui n'eft autre chofe que la force naturelle & irréfiftible de l'évidence, qui par conféquent affure à la fociété l'observation fidele & conftante de fon ordre effentiel, de fon ordre le plus avantageux,

eft pour elle le meilleur gouvernement poffible, & l'état le plus parfait qu'elle puiffe défirer: de-là s'enfuit encore que le Defpotifme qui fe forme dans un état d'ignorance, eft arbitraire dans toutes fes parties: il l'eft dans fon inftitution; car il prend naiffance dans des prétentions arbitraires : il l'eft dans la façon de fe maintenir; car il ne fe prolonge que par l'utilité dont il eft à des prétentions arbitraires: il l'eft dans fes procédés; car il .. ramene tout à la force qui fert fes prétentions arbitraires.

Le voilà ce Defpotifme terrible, ce Defpotifme arbitraire que l'ordre réprouve, parce que l'ordre & l'arbitraire font abfolument incompatibles; le voilà tel que l'ignorance l'a enfanté en différens temps pour le malheur commun des defpotes & des infortunés qu'ils tenoient dans l'oppreffion. Les fuites cruelles qu'il doit avoir pour les peuples, font trop connues, pour que j'entre dans aucun détail à ce fujet; mais ce que je dois faire principalement remarquer, c'eft que ce Defpotifme n'eft pas moins redoutable, pas moins funefte à l'oppreffeur, qu'il l'eft aux opprimés.

Le Defpotifme arbitraire eft un compofé de quatre parties qu'il faut confidérer féparément. Ces quatre parties font le Defpotifme, le defpote, la force phyfique qui fait fon autorité, & les peuples qu'il contraint de lui obéir. Le Defpotifme arbitraire eft une production bifarre de l'ignorance, une force phyfique qui fe fert de fa fupériorité pour opprimer. Cette force n'existe point par elle-même & dans un feul individu; elle eft le résultat d'une affociation; & cette affociation fe forme par un concours de prétentions & d'intérêts arbitraires qui s'uniffent à cet effet. Mais par la raison que ces prétentions & ces intérêts font arbitraires, leur pofition refpective peut changer à tout inftant, & les conduire à fe défunir: alors plus d'affociation, plus de force fupérieure, plus de Defpotifme: fon existence n'eft ainfi néceffairement que précaire & conditionnelle.

Cependant la chûte du Defpotifme doit entraîner celle du defpote; car point de defpote fans Defpotifme: ainfi tous les rifques que le Defpotifme court habituellement, font communs au defpote. Mais outre ces premiers risques il en est d'autres encore qui font propres & particuliers à la perfonne de ce dernier; le Defpotifme ne tient point au defpote, comme le defpote tient au Defpotifme; & la force qui foutient le Defpotifme peut, fans changer la forme du gouvernement, facrifier à fes prétentions arbitraires, la perfonne même du defpote.

Quand des exemples multipliés ne nous apprendroient pas combien ces petites révolutions font naturelles & faciles, quelques réflexions fuffiroient. pour nous le démontrer. La force qui fert de bafe à l'autorité du defpote arbitraire, n'eft ni à lui ni en lui; elle n'eft au contraire qu'une force empruntée; & c'eft d'elle qu'il tient tout, tandis qu'elle ne tient rien de lui. Il eft donc abfolument dans la dépendance de cette force; car il ne peut jamais en difpofer malgré elle, au-lieu qu'elle peut toujours difpofer de lui malgré lui.

Cette

Cette obfervation nous montre que le defpote arbitraire n'eft rien moins que ce qu'il paroît être; c'eft une espece de corps tranfparent & fragile, au travers duquel on apperçoit la force qui l'environne on peut le comparer à ces figures de bois ou d'ofier, qui femblent faire mouvoir une machine à laquelle elles font attachées, tandis que c'eft cette même machine qui leur imprime tous leurs mouvemens. Le Defpotifme eft véritablement acquis à la force d'affociation qui le maintient; & les intérêts perfonnels arbitraires qui forment cette affociation, font les refforts intérieurs du Defpotifme arbitraire. Le defpote n'eft ainfi qu'un fimulacre qui fe meut au gré de cette force dont il eft tellement dépendant, qu'il ne peut fe paffer d'elle, & qu'elle peut au contraire fe paffer de lui.

Dans le dernier état de l'Empire Romain, le Defpotifme arbitraire s'étoit emparé du gouvernement. Mais quels avantages les defpotes en ontils retirés? Nous voyons une fucceffion d'Empereurs alternativement immolés au caprice de leur armée révoltée, ou à l'enthousiasme d'un petit nombre de conjurés à qui la trahison tenoit lieu de force. Ceux qui, à Pexemple de Sylla, dépouilloient les citoyens pour enrichir les foldats, excitoient dans Rome des confpirations; ils périffoient par la main des citoyens. Ceux qui, loin de fe propicier le foldat par des profufions, cherchoient à mettre un frein à fa cupidité, bleffoient les prétentions arbitraires des gens de guerre; ils périffoient par la main des foldats. L'opinion livrée à toute la fureur des paffions & à tous les égaremens de l'ignorance, difpofoit de la force publique, parce que c'étoit cette même opinion qui la formoit. Cette force tenoit fous le joug de la tyrannie ceux même auxquels elle vendoit le droit chimérique de lui commander: les defpotes qu'elle établiffoit, obligés de chercher la mort dans la haine du citoyen pour ne pas la trouver dans le mécontentement de l'armée, étoient ainfi privés de la propriété de leur perfonne : ces prétendus maîtres fi grands, fi redoutables n'avoient pas même la liberté d'être juftes & vertueux; ils fe trouvoient réduits à n'être que les efclaves d'une puiffance arbitraire, qui ne leur prêtoit fon pouvoir que pour les rendre les inftrumens ferviles de fon ambition aveugle. Par-tout où le Defpotifme arbitraire s'eft établi, & principalement chez les Afiatiques, nous lui avons vu conftamment produire les mêmes effets, & devenir également funefte aux defpotes qui n'étoient point affez fages pour fe conduire fur d'autres principes.

Ainfi l'épée dont le defpore s'arme pour frapper, eft la même qui fe trouve fufpendue par un fil au-deffus de fa tête; & la force qui eft le fondement de fa puiffance arbitraire, eft précisément celle qui le dépouille de fon autorité, & qui menace fa perfonne à chaque inftant. Cette pofition eft d'autant plus cruelle, que ce qu'elle a d'affreux n'eft balancé par aucun avantage; car le Defpotifme arbitraire, confidéré dans fes rapports avec les peuples, n'a pas moins d'inconvéniens pour le defpote.

En effet, à parler rigoureufement, un defpote arbitraire commande, mais Tome XV.

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ne gouverne pas par la raison que fa volonté arbitraire eft au-deffus des loix qu'il inftitue arbitrairement, on ne peut pas dire qu'il y ait des loix dans fes Erats or un gouvernement fans loix eft une idée qui implique contradiction; ce n'eft plus un gouvernement. A la faveur d'une force empruntée, ce defpote commande donc à des hommes que cette force opprime; mais ces hommes ne font point des fujets, & ne forment point ce qu'on peut appeller une nation, c'est-à-dire, un corps politique dont tous les membres font liés les uns aux autres par une chaîne de droits & de devoirs réciproques, qui tiennent l'Etat gouvernant & l'Etat gouverné inféparablement unis pour leur intérêt commun.

Les devoirs font établis fur les droits, comme les droits le font fur les devoirs mais fous le Defpotifme arbitraire il n'en exifte réellement d'aucune espece; le nom même de droits & de devoirs doit y être inconnu :: quiconque jouit de la faveur du defpote arbitraire, peut au gré de fon caprice dépouiller les autres hommes de leurs biens, de leur vie, de leur liberté; il n'y a donc parmi eux aucune forte de propriété conftante, par conféquent aucuns droits réciproques & certains. Ce défordre s'accroît toujours en raison du nombre de ceux auxquels le defpote communique une portion de fon autorité : le fyftême de ce prétendu gouvernement étant de rapporter tout à la force, chacun de ceux qui commandent en fous-ordre, eft autorisé par ce même fyftême, à fe permettre tout ce que lui permet la force dont il a la difpofition.

C'eft fous ce Defpotifme arbitraire qu'on peut dire qu'il n'existe qu'un feul & unique devoir abfolu, celui d'obéir. Mais quoique l'idée de ce prétendu devoir unique & abfolu renferme des contradictions évidentes, cer objet eft d'une trop grande importance, pour me contenter de l'indiquer.

Si l'obligation d'obéir eft un devoir unique & abfolu, cette obligation eft donc fans bornes; elle eft la même dans tous les cas, & quelle que puiffe être la chofe commandée. Je demande à préfent s'il eft quelqu'un qui puiffe entendre fans horreur, fans frémir, que tout homme placé pour obéir à un autre, eft dans une obligation indifpenfable, dans une obligation abfolue d'exécuter tout ce que fon fupérieur lui ordonne? Ne voit-on pas d'un coup-d'œil que tous les liens du corps politique font rompus; qu'autant qu'il eft de commandans, autant il eft d'autorités defpotiques indépendantes les unes des autres? Un furieux fe trouve avoir cent hommes à fes ordres; dans ce fyftême il faut aller jufqu'à foutenir qu'ils font indifpenfablement obligés de s'armer pour tous les forfaits qu'il leur commande quel que foit l'objet fur lequel fa fureur veuille fe déployer, les plus grands crimes & les plus évidens deviennent pour eux un devoir; & d'après le principe dont il s'agit, ils feroient coupables s'ils étoient arrêtés par l'évidence des atrocités qu'on leur ordonne de com

mettre.

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