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pofoient, comme le témoignent les ordonnances de Pertinax mais en France les Seigneurs de fiefs s'en faififfent par droit de feigneurie directe.

Chaque Seigneur fuccede à ce qui fe trouve dans l'étendue de fa hautejuftice, non-feulement pour les immeubles, mais encore pour les meubles & effets mobiliers, ce qui fait ici une exception à la regle, qui veut que tous les meubles & effets mobiliers fuivent le domicile du défunt.

Le Roi ou les Seigneurs qui fe font adjuger la Déshérence, doivent faire faire inventaire des biens, pour qu'ils foient confervés dans le cas où il fe préfenteroit quelque parent, parce que ni le Roi ni les Seigneurs ne font faifis de droit.

Il est bien entendu que ceux qui prétendent avoir titre pour recueillir une fucceffion vacante, foit par aubaine, bâtardise, Déshérence ou confifcation, ne peuvent y être admis qu'à la charge de payer les dettes, jufqu'à concurrence de ce dont ils profitent.

A l'égard de la prescription contre le Roi, du droit de Déshérence & biens vacans, il faut faire différence entre les choses déjà acquises au Roi & les actions qu'il peut acquérir. Quant aux premieres, elles ne peuvent fe preferire mais il eft certain que les actions fe prefcrivent par 20 ans ; & même dans l'efpece dont il s'agit ici, la prescription eft acquife par quatre ans, à compter du jour que la vacance eft claire & certaine en forte que le Roi eft déchu de fon action, s'il ne l'exerce point pendant les quatre années, qui fuivent le jour dans lequel la vacance a été publique & connue.

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DÉSINTÉRESSEMENT,

f. m.

LE Défintéreffement eft une difpofition de l'ame qui nous rend contens

de ce que nous poffédons, & nous fait préférer, en toutes circonftances la juftice & le bien public à notre intérêt particulier. Cette vertu eft la sauve-garde de toutes les autres.

Un des grands préceptes que la Morale politique enfeigne aux Miniftres & aux autres perfonnes qui rempliffent des charges publiques, foit dans la robe, dans l'épée ou à la cour, c'eft de facrifier les intérêts de leurs paffions à l'amour de la juftice, au bien de la patrie. L'hiftoire Romaine nous fournit un bel exemple de ce Défintéreffement patriotique dans la perfonne de Fabius.

Dans le temps que Manlius commandoit l'armée de la République contre les Samnites, il reçut une bleffure dans un combat ce qui étant capable d'expofer les troupes à quelque danger, le Sénat crut qu'il étoit néceffaire d'envoyer Papirius Curfor en qualité de dictateur pour tenir la place de Conful. Mais comme c'étoit Fabius qui devoit nommer le dic

tateur, & qu'il étoit en Tofcane avec les armées Romaines, où l'on crai gnoit qu'il ne voulût pas confentir à cette nomination, parce qu'il étoit Brouillé avec Curfor, le Sénat lui envoya deux Ambaffadeurs, pour le prier de mettre à part la haine perfonnelle qu'il avoit contre Curfor, & de le nommer dictateur, en faveur du bien de l'Etat. Fabius le fit par un motif d'amour pour fa patrie, quoiqu'il marquât par fon filence & par quelques autres fignes extérieurs, que cette nomination lui déplaifoit. Mais tous ceux qui voudront paffer pour bons patriotes, doivent imiter cet exemple.

LE

DÉSIR, f. m.

E Défir eft une efpece d'inquiétude dans l'ame, que l'on reffent pour l'abfence d'une chofe qui donneroit du plaifir fi elle étoit préfente ou du moins à laquelle on attache une idée de plaifir. Le Défir eft plus ou moins grand, felon que cette inquiétude eft plus ou moins ardente. Un Défir trèsfoible s'appelle velléité.

Je dis que le Défir eft un état d'inquiétude; & quiconque réfléchit fur foi-même, en fera bientôt convaincu : car qui eft-ce qui n'a point éprouvé dans cet état, ce que le fage dit de l'efpérance ( ce fentiment fi voisin du Défir) qu'étant différée elle fait languir le cœur? Cette langueur eft proportionnée à la grandeur du Défir, qui quelquefois porte l'inquiétude à un tel point, qu'il fait crier avec Rachel: donnez-moi ce que je fouhaite, donnez-moi des enfans, ou je vais mourir.

Quoique le bien & le mal préfent & abfent agiffent fur l'efprit, cependant ce qui détermine immédiatement la volonté, c'eft l'inquiétude du Défir fixé fur quelque bien abfent quel qu'il foit; ou négatif, comme la privation de la douleur à l'égard d'une perfonne qui en eft actuellement atteinte; ou pofitif, comme la jouiffance d'un plaifir.

L'inquiétude qui naît du Défir, détermine donc la volonté; parce que c'en eft le principal reffort, & qu'en effet il arrive rarement que la volonté nous pouffe à quelque action, fans que quelque Défir l'accompagne. Cependant l'espece d'inquiétude qui fait partie, ou qui eft du moins une fuite de la plupart des autres paffions, produit ce même effet; car la haine, la crainte, la colere, l'envie, la honte, &c. ont chacune leur inquiétude, & par-là operent fur la volonté. On auroit peut-être bien de la peine à trouver quelque paffion qui foit exempte de Défir. Au milieu même de la joie, ce qui foutient l'action d'où dépend le plaifir préfent, c'eft le Défir de continuer ce plaifir, & la crainte d'en être privé. La fable du rat de ville & du rat des champs, en eft le tableau. Toutes les fois qu'une plus grande inquiétude vient à s'emparer de l'efprit, elle déter

473 mine auffi-tôt la volonté à quelque nouvelle action, & le plaifir préfent eft négligé.

Quoique tout bien foit le propre objet du Défir en général, cependant tout bien, celui-là même qu'on reconnoît être tel, n'émeut pas néceffairement le Défir de tous les hommes; il arrive feulement que chacun défire ce bien particulier, qu'il regarde comme devant faire une partie de fon bonheur.

Il n'y a, je crois, perfonne affez deftitué de raison, pour nier qu'il n'y ait du plaifir dans la recherche & la connoiffance de la vérité. Mallebranche, à la lecture du Traité de l'homme de Descartes, avoit de tels tranfports de joie, qu'il lui en prenoit des battemens 'de cœur qui l'obligeoient d'interrompre fa lecture. Il eft vrai que la vérité invifible & méprifée n'est pas accoutumée à trouver tant de fenfibilité parmi les humains, mais les veilles des gens de lettres prouvent du moins qu'elle n'eft pas indifférente à tout le monde. Et quant aux plaifirs des fens, ils ont trop de fectateurs pour qu'on puiffe mettre en doute, fi les hommes fi les hommes y font fenfibles ou non. Ainfi prenez deux hommes, l'un épris des plaifirs fenfuels, & l'autre des charmes du favoir; le premier ne défire point ce que le fecond aime paffionnément. Chacun eft content fans jouir de ce que l'autre poffede, fans avoir la volonté ni l'envie de le rechercher.

Les chofes font représentées à notre ame fous différentes faces: nous ne fixons point nos Défirs ni fur le même bien, ni fur le bien le plus excellent en réalité, mais fur celui que nous croyons le plus néceffaire à notre bonheur de cette maniere, les Défirs font fouvent caufés par de fauffes idées; toujours proportionnés aux jugemens que nous portons du bien abfent, ils en dépendent de même; & à cet égard nous fommes sujets à tomber dans plufieurs égaremens par notre propre faute.

Enfin chacun peut obferver tant en foi-même que dans les autres, que le plus grand bien visible n'excite pas toujours les Défirs des hommes, à proportion de l'excellence qu'il paroît avoir, & qu'on y reconnoît. Combien de gens font perfuadés qu'il y aura après cette vie un état infiniment heureux & infiniment au-deffus de tous les biens dont on peut jouir sur la terre? Cependant les Défirs de ces gens-là ne font point émus par ce plus grand bien, ni leurs volontés déterminées à aucun effort qui tende à le leur procurer. La raifon de cette inconféquence, c'eft qu'une portion médiocre des biens préfens fuffit pour donner aux hommes la fatisfa&tion dont ils font fufceptibles.

Mais il faut auffi que ces biens fe fuccedent perpétuellement pour leur procurer cette fatisfaction; car nous n'avons pas plutôt joui d'un bien, que nous foupirons après un autre. Nos mœurs, nos modes, nos habitudes ont tellement multiplié nos faux befoins, que le fonds en eft intariffable. Tous nos vices leur doivent la naiffance; ils émanent tous du Défir des

richeffes, de la gloire, ou des plaisirs : trois claffes générales de des

Tome XV.

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Défirs,

qui fe fubdivifent en une infinité d'efpeces, & dont la jouiffance n'affouvie jamais la cupidité. Les gens du commun & de la campagne, que le luxe, l'éducation & l'exemple n'ont pas gâtés, font les plus heureux, & les plus à l'abri de la corruption. C'eft pourquoi Lovelace, dans un roman moderne qui fait honneur à l'Angleterre, Lettres Angloifes, ou Hiftoire de Mifs Clariffe de Harlove, défefpere d'attrapper du meffager de fa maîtreffe les lettres dont elle l'a chargé.,, Crois-tu, Belford, mande-t-il à fon ami, qu'il y » eût un fi grand mal, pour avoir les lettres de mon ange, de caffer la tête » à ce coquin? un miniftre d'Etat ne le marchanderoit pas : car d'entre» prendre de le gagner par des préfens, c'eft folie; il paroit fi tranquille, fifatisfait dans fon état de pauvreté, qu'avec ce qu'il lui faut pour man»ger & pour boire, il n'afpire point à vivre demain plus largement qu'au» jourd'hui. Quel moyen de corrompre quelqu'un qui eft fans Défir & fans » ambition "Tels étoient les Fenniens, au rapport de Tacite : ces peuples, dit cet Hiftorien, en fureté contre les hommes, en fureté contre les dieux, étoient parvenus à ce rare avantage de n'avoir pas befoin même de Défirs. En effet les Défirs naturels, c'est-à-dire, ceux que la feule nature demande, font courts & limités; ils ne s'étendent que fur les néceffités de la vie. Les Défis artificiels, au contraire, font illimités, immenfes & fuperflus. Le feul moyen de fe procurer le bonheur, confifte à leur donner des bornes, & à en diminuer le nombre. C'eft affez que d'étre, difoit fi bien à ce fujer Madame de la Fayette. Ainfi, puifque la mesure des Défirs eft celle des inquiétudes & des chagrins, gravons bien dans nos ames ces vers admirables de la Fontaine :

Heureux qui vit chez foi,

De régler fes Défirs faisant tout fon emploi !
Il ne fait que par oui-dire,

Ce

que c'est que la cour, la mer, & ton empire,
Fortune, qui nous fais paffer devant les yeux
Des dignités, des biens que jufqu'au bout du monde
On fuit, fans que l'effet aux promeffes réponde.
La Fontaine, liv. VII. fable xij.

Après ces confidérations générales, examinons plus particuliérement la nature du Défir.

LES

De la nature du Défir.

Es chofes qui font le plus près de nous, font prefque toujours celles que nous connoiffons le moins. Toute notre vie fe paffe dans les Défirs; & l'on difpute encore fi le Défir eft un bien ou un mal, un plaifir ou une peine.

Tandis que

les uns ne conçoivent point de Défir fans un mal-aife, ou

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un sentiment désagréable; d'autres vous diront que le Défir eft un fentiment délicieux, un plaifir par excellence; peu s'en faut qu'ils n'y faffent confifter le bien fuprême.

Comme ces deux opinions contraires font foutenues par des autorités également refpectables, je croirois volontiers qu'il y a du vrai & du faux dans l'une & dans l'autre. Mais comment le démêler?

Lorfque, dans le regne de la nature, il fe préfente un objet à caracteres équivoques, & qu'on ne fait fous quelle claffe le ranger, comment l'obfervateur s'y prend-il? Il analyfe cet objet avec foin, le contemple à travers le microscope, ou le décompofe jufques dans fes élémens. Alors il fe trouve, ou que cet objet appartient à un genre déjà connu, ou qu'il participe de plufieurs genres, ou qu'il forme lui-même un genre nouveau. Nos recherches exigent ici une opération analogue, car la pfychologie eft l'histoire naturelle de l'ame.

Cherchons donc la notion du Défir dans le fiege même du Défir, au fond de nos cœurs, & voyons ce qui fe paffe en nous lorfque nous défirons. Or, il me femble y appercevoir trois chofes, 1°. un objet qui fe peint à l'imagination fous une forme agréable, 2o. une inquiétude, caufée par l'absence de cet objet, inquiétude qui nous rend mécontens de la fituation où nous fommes, 3°. une espece d'attraction que cet objet exerce fur nous, ou de notre part une tendance vers l'objet que nous y figurons, & qui n'exifte encore pour nous qu'en idée.

Le Défir compofé de ces trois perceptions, fenfations ou fentimens, comme on voudra les nommer, n'eft donc pas un fentiment fimple & uniforme, mais un fentiment mixte.

Nous y avons d'abord diftingué une image agréable, & l'on ne fauroit douter que la perception de cette image ne foit un plaifir. Cependant elle peut être agréable de deux façons, ou par elle-même, je veux dire dans le cours ordinaire des chofes, ou par l'entremise d'une circonftance accidentelle, qui ne la rend agréable que pour le moment préfent.

Dans ce dernier cas, il peut arriver qu'une image déplaifante par ellemême, emprunte de l'agrément de la pofition particuliere où nous nous trouvons. Ainfi l'image d'un homme qui fouffre, image qui nous révolteroit dans toute autre occafion, a des charmes pour nous, lorfque cet homme eft notre ennemi. Alors c'eft la haine qui fait que nous nous plaifons à cette image affreufe, & nous ne devons ce trifte plaifir qu'à l'état violent où notre ame eft en proie. Mais, malgré ce plaifir, les Défirs où entrent de pareilles images ne font certainement pas des biens, & je ne pense pas que perfonne ofe le foutenir. Revenons au Défir en général.

Tant que notre efprit s'arrête à la contemplation de l'objet qui nous plaît, fans fe trouver mal à fon aife, & fans tendre plus loin, nous ne défirons pas encore, ou nous ne défirons plus; cette contemplation eft déjà une jouiffance, dans laquelle l'image nous tient lieu de la réalité. Telles

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