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conftitution particuliere. En effet, on ne peut attribuer qu'à une fascination fecrete, que tant d'Européens aillent à la quête d'établiffemens éloignés en Amérique, tandis que les terres en Europe font fi miférablement cultivées, & que par une politique convenable, elles pourroient nourrir un beaucoup plus grand nombre de perfonnes. L'ancienne politique étoit bien différente, & paroît infiniment préférable. Les anciens, fans négliger le commerce, tournoient davantage leurs vûes vers l'agriculture: ils commerçoient avec des nations peu éloignées, & dont le climat étoit plus favorable à leur conftitution; mais l'agriculture faifoit leur foin principal, & ils la faifoient valoir. Les anciens avoient donc un grand avantage à cet égard chez eux moins de perfonnes vaquoient au commerce qui étoit plus reftreint; l'agriculture étoit plus encouragée, & pouvoit être mife au rang de leurs principales occupations.

7°. Le goût pour la vie pacifique & champêtre, fi dominant autrefois, peut être mis au rang des caufes en vertu defquelles les habitans étoient fi nombreux, & la décadence de ce goût parmi les modernes fert à rendre raifon de la difette de monde parmi nous : il eft affez inutile d'examiner bien ponctuellement la façon dont les anciens cultivoient leurs terres, & quelles fortes de perfonnes ils y employoient ce qu'il y a au moins de fûr, c'eft que plufieurs fe fervoient d'efclaves, tandis qu'euxmêmes en avoient la principale inspection. L'agriculture étoit anciennement très-honorée; la charrue étoit entre les mains du propriétaire, qui lui-même dirigeoit le labourage de fes terres; c'eft par ce moyen qu'elles étoient fi merveilleufement cultivées : cela eft bien différent parmi nous: on fait peu de cas du travail ruftique; & comme les perfonnes d'un certain rang fouvent le méprifent, on laiffe le foin de perfectionner la culture au peuple vil & ignorant, & toutes les dépenfes tombent fur l'indigent laboureur: par-là on manque la découverte des meilleurs moyens, & le laboureur eft hors d'état de les exécuter : ce qui doit occafionner la ftérilité des terres, & être un grand obftacle à l'accroiffement du genrehumain. L'hiftoire nous enfeigne bien clairement le cas diftingué que l'on faifoit de l'agriculture dans les temps heureux des républiques Grecque & Romaine on la plaçoit au rang des occupations les plus innocentes, les plus utiles, les plus douces & les plus honorables. Les plus grands hommes s'en faifoient un plaifir. Ceux qui commandoient des armées vicorieufes, qui brilloient dans les affemblées les plus auguftes, & étoient chargés de la principale adminiftration des affaires publiques, fe faifoient non-feulement un plaifir de l'agriculture, mais encore une étude, & y employoient fouvent une bonne partie de leur temps. C'eft ainfi qu'ils élevoient leurs familles d'une maniere fimple & frugale; c'eft ainsi qu'ils travailloient aux intérêts de leur patrie. On a vu ces anciens laboureurs tout-à-coup appellés de la charrue & du labourage de leur petit fonds, aux premiers honneurs de la guerre & à la défense de leur pays, & après

avoir

avoir triomphé de leurs ennemis, & garanti l'Etat du danger qui le menaçoit, couronnés de lauriers, reprendre avec plaifir leurs occupations champêtres.

Cette fimplicité de goût continua long-temps parmi les Romains, & ne fut détruite que par la ruine de leur République, par cette corruption univerfelle de mœurs qui en fut tout à la fois, & la caufe & l'effet. Ceci paroît évidemment par le témoignage de Columnelle, dont l'utile ouvrage intitulé, de re ruftica, montre combien un homme qui vivoit dans des temps corrompus, regrette la perte de l'ancien goût, & loue les mœurs des anciens Romains.

Ces mœurs & ce goût pour l'agriculture, continuerent parmi les Romains, jufqu'aux jours de Caton le cenfeur, qui fit de finceres & de généreux efforts, pour conferver les précieux reftes de la fimplicité & de la frugalité ancienne, & pour arrêter le cours de la corruption de fon fiecle. Il faifoit de l'agriculture fon occupation conftante, lorfqu'il n'étoit employé ni à plaider des caufes, ni au fervice du public : & quoiqu'il tint un rang fi confidérable parmi les Romains, il trouva le temps de composer fur ce fujet un traité, dont une partie a été confervée, & eft parvenue jufqu'à nous.

Les Grecs étoient rafinés & corrompus bien long-temps avant les Romains; cependant malgré leur rafinement, l'agriculture étoit dans une haute eftime en plufieurs de leurs Etats.

Combien elle étoit honorée à Athenes du temps de Socrate, paroît par le livre de Xenophon des économiques, où fous le perfonnage d'Ifchomaque, qu'il introduit converfant avec Socrate, il nous repréfente la maniere dont vivoient plufieurs parmi les Athéniens, & à quel point ils étoient foigneux de l'agriculture, qui n'étoit pas feulement en vénération parmi les nations les plus fages & les plus puiffantes. Xenophon rapporte dans le même livre ce qui fe paffa entre le plus jeune Cyrus & Lyfandre, & combien Cyrus fe glorifioit de connoître & de pratiquer l'agriculture. J'ai, dit-il, à Lyfandre, moi-même deffiné & mefuré tout le jardin, ( parlant d'un jardin fuperbe à Sardis); j'y ai planté plufieurs plantes de mes propres mains; & lorfque je fuis en fanté, je ne dîne jamais qu'après m'être livré jufqu'à la fueur à quelque exercice guerrier ou ruftique. Je vous rapporte ces chofes, mon cher Critobule, dit Socrate, parce que les plus opulens & les plus heureux des hommes, ne fauroient fe fouftraire à la plus violente inclination pour les occupations champêtres.

8°. On peut encore attribuer la Dépopulation dans les temps modernes, à l'étendue de plufieurs modernes Etats, comparés à celle des anciens. Avant Alexandre-le-Grand, & même dans la fuite, jufqu'à l'établissement de l'Empire Romain, l'Occident étoit compofé de petits Gouvernemens indépendans. Céfar en décrit plufieurs pareils dans les Gaules. L'Italie, la Grece, l'Afie mineure, & les côtes d'Afrique, ainfi que prefque toutes Tome XV.

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les ifles de la Méditerranée & de la mer Egée, étoient des Etats indé pendans de ce genre, qui ne contenoient ordinairement qu'une feule ville, & un petit territoire alentour, bien cultivé car pour l'ordinaire on s'attache beaucoup à la culture des terres fituées tout près des villes.

L'étendue de la plupart des Gouvernemens de l'Europe eft beaucoup plus confidérable dans les temps modernes. Ce continent étoit partagé autrefois en plufieurs centaines, peut-être en plufieurs milliers de Gouvernemens indépendans: tandis que de nos jours il n'y en a peut-être pas cinquante; en conféquence de quoi un petit terrein, aux environs de la capitale, ou de quelqu'autre ville confidérable eft cultivé avec foin, tandis que l'on néglige les endroits reculés. Par où il paroît évidemment que des Etats d'une petite étendue, doivent favorifer particuliérement l'augmentation du genre-humain, attendu que le territoire de ces Etats ne s'étendant que peu alentour de la capitale, ne peut manquer d'être parfaitement cultivé.

9. Le luxe inconnu aux fiecles anciens, contribua par degrés & infenfiblement à diminuer le nombre du genre-humain.

Si l'on confidere l'état de l'ancien monde, lorfque les Gouvernemens étoient encore petits, & avant que l'on eût inventé tant d'arts qui n'étoient que pour l'ornement, on trouvera qu'au rapport des hiftoriens, les hommes vivoient d'une maniere fimple & frugale, & s'occupoient princi palement à l'agriculture, & aux arts les plus néceffaires de la vie; l'égalité de fortune avoit lieu prefque par-tout, & chez ceux où elle ne se trouvoit point, la fimplicité prévaloit en général tant parmi les plus opulens que parmi les moins riches. Peu de grandeur, peu de fafte dans leurs équipages, leurs habillemens & leurs tables, en comparaifon du luxe qui s'eft introduit fous les grandes monarchies. Cette maniere de vivre fimple & frugale continua long-temps: elle ne fut point bannie tout-à-coup, elle déchut par degrés à mesure que le luxe & le faux goût prévalurent.

10°. La corruption des mœurs, fuite néceffaire du libertinage d'efprit & de la mauvaise éducation, fait bien du ravage dans l'efpece humaine. Sans principes & fans regle, les jeunes gens de nos jours ne connoiffent point de bornes dans leurs excès licencieux, & pouffent l'effronterie jufqu'à publier leurs victoires criminelles : accoutumés au défendu, ils trouvent infipide ce qui eft permis, & ne font point retenus par la crainte des maladies honteufes, qui trop fouvent empoifonnent la fource de la vie de ceux qui doivent la tenir d'eux. Cette corruption n'eft que trop facilitée & fomentée par le grand nombre de proftituées, qui trop fouvent violent fans remords les loix de la nature, & ofent étouffer ce feu divin qui alloit vivifier un nouvel être.

11. L'usage des nourrices étrangeres eft une nouvelle caufe de la Dépopulation.

2. La richeffe des dots contribue auffi beaucoup à la Dépopulations

Cette branche de luxe porte un dommage infini à la fociété : elle diminue le nombre des mariages; occafionne la méfalliance du cœur, en faisant plutôt rechercher les richeffes, que l'objet qui les poffede; fait violence à la fécondité, en arrête les progrès, refroidit l'union conjugale en éloignant les époux de ce qui eft propre à la conferver; fait naître une indifférence mutuelle, fert de prétexte à la coquetterie, porte fouvent à de plus grands excès, & caufe toujours la non-exiftence d'une infinité de citoyens, qui feroient peut-être plus utiles à la patrie que le petit nombre des prémices d'une fertilité, auquel fe bornent ordinairement la plupart des peres de famille, pour avoir un riche héritier qui faffe paffer à la postérité leur nom & leur puiffance.

13°. L'exceffive rigueur des loix pénales, tant criminelles que fiscales, eft auffi une caufe de la Dépopulation. On fait fouvent perdre la vie, ou l'honneur pour ne pas fentir affez ce que valent l'une & l'autre. Quels égards ne doit-on pas avoir pour la premiere? & avec quelle précaution ne doit-on pas agir, dès qu'il eft queftion de dépouiller une femme du plus effentiel de fes attributs? Un bon législateur doit moins s'attacher à punir les crimes qu'à les prévenir voyez CRIME il doit plus s'appliquer à donner des mœurs, qu'à infliger des fupplices. Ne pourroit-on pas dire, qu'il eft des cas à la vérité, où les loix ne fauroient punir avec trop de rigueur; mais que par une extenfion pernicieuse à la fociété, on applique trop facilement la févérité des loix à punir des fautes, auxquelles on pourroit remédier fans compromettre ni l'honneur, ni la vie des coupables!

14°. Le trop grand nombre de domeftiques dans les villes produit deux maux à la fois, dévafte les campagnes qui reftent fans cultivateurs, & augmente le nombre des célibataires car leur fervice ne peut guere fe combiner avec le mariage & une famille.

Nous n'entrerons point ici dans un plus grand détail des caufes de la Dépopulation de l'efpece humaine, parce que nous en avons déjà parlé ou nous en parlerons ailleurs. Nous nous bornerons donc à les indiquer fimplement & à renvoyer les lecteurs à leurs articles, pour expofer plus en détail le ravage qu'elles doivent néceffairement faire fur le nombre des hommes. Ces autres caufes font, 1°. le nombre immenfe de fainéans, de mendians dont on ne tâche pas d'en tirer par de fages réglemens de police, tout le plus grand parti poffible pour la population; 2o. la mauvaise administration des maifons de force & des hôpitaux; 3°. la dureté dans la perception des impôts, 4°. la multiplicité des corvées; 5°. les perfécutions & les guerres de religion; 6°. enfin ces illuftres fcélérats qui ne font montés fur le trône, que pour la deftruction de l'efpece humaine; ces fameux brigands, que leurs brillans fuccès ont fait regarder comme des conquérans & des héros; ces terribles fléaux de l'humanité, dis-je, ont donné des coups fi terribles à la population de l'efpece humaine, qu'elle ne fauroit plus s'en relever.

DÉPOSITAIRE, f. m. Celui à qui l'on confie un dépôt

COMME

quelconque.

le Dépofitaire eft obligé de garder ce qui lui eft confié, il eft par conféquent tenu d'en prendre quelque foin Mais parce qu'il rend cet office gratuitement, & feulement pour faire plaifir, fa condition eft diftinguée de celle des perfonnes qui pour leur propre intérêt ont en leurs mains les chofes des autres, comme celui qui emprunte & celui qui loue, & le Dépofitaire n'eft tenu que felon les règles qui fuivent.

Le Dépofitaire eft tenu d'avoir le même foin pour les chofes déposées qu'il a pour les fiennes. Et il feroit infidele au dépôt, s'il Y veilloit moins qu'à ce qui eft à lui.

Si le Dépofitaire laiffe perdre, périr ou détériorer la chofe déposée par quelque dol ou mauvaise foi, ou par quelque faute ou négligence inexcufable, il en fera tenu. Et la faute fera de cette qualité, fi elle est telle que le Dépofitaire n'y fût pas tombé, felon fa conduite ordinaire en fes propres affaires.

C'eft auffi une faute inexcufable, & dont le Dépofitaire doit être tenu, s'il manque aux précautions où nul autre ne manqueroit, comme de mettre de l'argent en lieu de fureté.

Si le Dépofitaire eft une perfonne de peu de fens, ou un mineur fans expérience, ou un homme négligent en fes propres affaires, comme feroit un prodigue; celui qui a dépofé entre les mains d'un tel Dépofitaire, ne pourra en exiger le foin d'un pere de famille foigneux & vigilant. Et fi le dépôt périt par quelque faute que cette perfonne n'ait pas été capable d'éviter, celui qui avoit dépofé doit s'imputer d'avoir mal choifi fon Dépofitaire.

Si la chofe dépofée vient à fe perdre ou à périr, foit par fa nature, comme fi un cheval, quoique gardé, s'échappe & fe perd, ou par un cas fortuit, fans qu'on puiffe l'imputer au Dépofitaire, il fera déchargé, en rendant du dépôt ce qui en pourra refter.

Si par quelque confidération particuliere on avoit réglé à quoi fera tenu le Dépofitaire, fon engagement tiendroit lieu de loi. Et il feroit tenu de répondre, foit de ce qui pourroit arriver faute du foin qu'il s'étoit obligé de prendre, ou des événemens dont il feroit chargé. Car le dépôt ne lui auroit pas été confié fans cette condition.

Si le Dépofitaire n'étant pas prié, s'eft ingéré lui-même à fe charger du dépôt, il fera tenu non-feulement du dol, & des fautes groffieres, mais des autres fautes. Car celui qui vouloit dépofer, auroit pû en choisir un autre. plus für. Mais ce Dépofitaire ne fera pas tenu de ce qui pourroit arrives fans fa faute par un cas fortuit.

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