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niques, loin d'acquérir de nouveaux degrés de perfection, retomberoient bientôt dans la barbarie, le commerce s'anéantiroit, les terres resteroient incultes, & la population diminueroit confidérablement; car perfonne ne fe plait à accroître le nombre des malheureux. Les richeffes & la puiffance du Prince, qui confiftent dans le nombre de fes fujets & dans l'industrie de fon peuple, en feroient beaucoup moindres; & il perdroit tout ce qu'il auroit voulu avoir. L'Empire Ottoman peut en fervir d'exemple. Quel amour peut-il y avoir entre un peuple & fon tyran? Expofés tour-à-tour aux caprices & aux revers de la fortune, ils ne trouveroient ni l'un ni l'autre aucune fécurité. Indépendamment de la bonté du cœur de notre Souverain, la politique de notre gouvernement eft trop éclairée & trop prudente pour adopter des pratiques fi groffieres & fi évidemment contraires à fes intérêts. Il eft en tout un milieu où réfide la perfection. Un Etat qui feroit gouverné par des maximes qui partageroient par quelque puiffance nationale le pouvoir du Prince entre lui & fon peuple, rendroit la condition des fujets bien incertaine. Cette alternative continuelle entre ces deux chefs, occafionneroit des troubles & des défordres fans fin, diminueroit la force & les refpects dûs aux loix, laifferoit le brigandage & le crime impunis, & le peuple feroit tour-à-tour la victime des deux concurrens. Tel eft le défaut du gouvernement qui eft en partie monarchique, & en partie populaire. Un gouvernement Républicain ne me paroît pas moins contraire au bien général, parce que les charges & les emplois s'y obtiennent par la brigue des compétiteurs, qui ne cherchent la plupart qu'à élever leur famille & placer leurs créatures, mais toujours au préjudice des citoyens. Les mêmes inconvéniens, dira-t-on, arrivent dans un Etat Monarchique cela peut être; mais les punitions que le Prince en fait, prouvent du moins que ces fortes d'injuftices ne reftent pas impunies, comme dans les Etats Républicains. Au refte il n'y a point de nation qui ne foit jaloufe de fes loix & de fes ufages, & qui ne les trouve préférables à ceux des autres pays. C'eft un préjugé qui croit avec nous; peutêtre même à cet égard, le climat influe-t-il un peu fur le génie des peuples. Quoi qu'il en foit, il n'y a point de gouvernement qui pût mieux s'accommoder avec le fyftême propofé, que le gouvernement Monarchique, & il eft calculé précisément pour les mœurs & le climat de la France, Je n'ajouterai rien de plus que ce que j'ai dit au commencement de cet ouvrage pour prouver que la Puiffance Souveraine, au-lieu de perdre rien de fes avantages par ces établiffemens nouveaux, augmentera au contraire, fon pouvoir; c'eft ce qu'on démontrera dans la fuite avec la derniere évidence. Quant à l'harmonie qui regne dans ce nouveau fyftême, elle est si naturelle que rien ne fera capable de la détruire, tant que les hommes conferveront les inclinations inféparables de leur nature; je veux dire l'amour de la gloire, de leur intérêt, & le penchant de tout ce qui peut procurer les douceurs & les agrémens de la vie or comme ces chofes,

lain

de paffer chez les hommes, ne font que s'accroître, & que les progrès dés Arts & des Sciences développent en nous tous les jours de nouvelles chofes, on doit s'attendre à un accroiffement proportionnel dans l'ordre & l'harmonie qui régneront toujours dans notre fyftême pour le maintien d'un établiffement qui fera le bonheur des peuples, fans dépendre des préjugés, comme il eff arrivé à la plupart des fondations qui ont eu les commencemens les plus brillans, qui ont perdu à mesure que l'erreur s'eft diffipée. Dans tout notre projet, il n'y a rien qui foit onéreux pour qui que ce foit; chacun y trouvera fon avantage, & le tout eft appuyé fur des principes folides & fur la nature même, qui n'eft fujette à aucun des changemens dépendans du caprice des mortels. Tout y pourra être auffi permanent que la durée des hommes.

il

La feconde objection eft fi foible par elle-même, qu'on pourroit fe difpenfer d'y répondre. Quoi! parce que les voies de la fortune ne feront plus fi arbitraires, & que les ambitieux trouveront des bornes à leur foif démefurée, on croira qu'il y aura moins d'ambition? Erreur. On verra peu de ces fortunes extraordinaires, mais il y en aura beaucoup plus de celles qui fuffisent pour opérer le bonheur des hommes: ce n'eft pas connoître le cœur humain, que d'imaginer qu'il n'y aura plus d'émulation, parce qu'on ne verra plus de ces hommes de néant s'élever en peu de temps au faîte des grandeurs & des richeffes; il n'y a aucun de ces mortels fortunés, qui dans les commencemens de leur fortune, ayent espéré de la porter fi loin : leur ambition s'eft accrue par degrés; à mesure qu'ils ont vu augmenter leurs richesses, leurs défirs ont augmenté en même-temps: encore ne font-ils pas fatisfaits, parce qu'il eft de la nature de l'homme de ne l'être jamais pleinement. Tant qu'il aura la faculté de refpirer aura celle de défirer. L'une lui eft auffi naturelle que l'autre. Il ne faut donc point de ces exemples rares & finguliers, pour exciter l'émulation des hommes; au contraire, je ne vois rien de fi pernicieux dans un Etat que ces fortunes rapides, qui raffemblent toutes les richeffes dans la perfonne d'un petit nombre de gens. Il y a peut être dans chaque fiecle 8 à 900 particuliers qui s'enrichiffent par leur induftrie, & qui peuvent pofféder du fort au foible 300,000 livres de rente. Ces 8 à 900 familles opulentes n'en font pas plus heureuses; mais fi ce bien eut été difperfé entre 270,000 familles à raifon de 1000 livres de rente chacune, c'eût été pour la fociété un avantage considérable : car ces 270,000 familles peuvent être évaluées à quatre perfonnes chacune; ce qui feroit plus d'un million d'habitans qui n'étant pas affez riches, travailleroient & ne refteroient pas oififs; aulieu que 900 particuliers jouiffant de 300,000 livres de rente, occuperont tout au plus 20 ou 30 perfonnes chacun, encore est-ce pour servir à leur fafte; & ces 30 perfonnes ne font utiles en rien à l'Etat, pas même pour la population; car la plupart, à l'exemple de leurs maîtres, ou ne se marient pas, ou font une efpece de divorce avec leur femme; cependant ces

27,000

27,000 perfonnes abforbent à elles feules des richeffes qui auroient fuffi pour aider un million de perfonnes. Quelle différence pour l'Etat & pour la puiffance du Souverain? Voilà cependant ce que caufent ces fortunes rapides & brillantes. Outre le nombre de citoyens que ces nouveaux parvenus emploient d'une maniere infructueufe pour l'Etat, ils abforbent encore les terres, qu'ils font fervir à leur plaifir, en les employant à la décoration de leurs maifons de plaifance. Ce terrein eft un terrein perdu, qui fructifieroit, s'il étoit entre les mains de gens qui le cultivaffent & le miffent en valeur.

On m'objectera peut-être que la portion que le Roi prendra fur les produits nets de la compagnie eft un peu trop forte, & qu'étant maître de la groffir encore quand il le voudra, il ne retera que fort peu de chose à la compagnie. Si le confeil du Roi n'étoit pas plus clairvoyant dans les intérêts de la politique que le vulgaire, on pourroit craindre un pareil inconvénient; mais outre que tout eft toujours pefé mûrement dans cette auguste affemblée, la chofe me paroît impoffible. Car 19. ce ne feroit que dans les cas extraordinaires & preffans qu'on pourroit être tenté de faire un pareil changement or on a vu que même dans ces cas, notre fyftême donne au Roi la facilité de faire tous les emprunts dont il a befoin, fans qu'il lui en coûte rien, & fans charger fes peuples. 2°. En fuppofant que le Roi fût affez mal confeillé pour prendre une portion plus forte que le cinquieme, ce feroit un argent en pure perte pour l'Etat; car il n'eft rien de tel que le peuple pour mettre en valeur les tréfors de l'Etat. Chacun place fes fonds à acquérir ou à améliorer les terres, ou à l'éducation de fa famille, ou enfin les emploie à des dépenfes néceffaires, ou à leurs vues d'intérêt, qui tendent toutes à l'amélioration générale de la fociété ce qui augmente à proportion le commerce, l'agriculture & la population; trois parties effentielles, d'où dépend la puiffance d'un Souverain & d'une nation. Nous avons fait remarquer précédemment, que plus les richesses de l'Etat font diftribuées entre plufieurs, mieux elles étoient mises en valeur; au-lieu que réunies entre les mains d'un petit nombre de particuliers, elles ne faifoient qu'exciter le fafte & la molleffe dans une nation. Il eft donc de l'intérêt du Souverain qui gouverne fon peuple en pere, de travailler de fon mieux à le rendre heureux. Semblable à un berger chargé du foin de fon troupeau, s'il confomme une trop grande partie du lait à fon propre ufage, il diminuera d'autant la substance des jeunes agneaux, & par la fuite le troupeau fe trouvera moins nombreux & d'un plus foible rapport; mais auffi il faut que le Souverain retire de fes peuples un re-. venu fuffifant pour faire face aux affaires communes de la nation, par exemple, pour entretenir de puiffans corps de troupes & une marine formidable, pour faire de nouvelles places de guerre où il eft néceffaire, entretenir la juftice & la police dans l'Etat, avoir toujours des fonds confidérables à diftribuer pour récompenfer le mérite & les fervices rendus à la.

Tome XV.

Iii

Patrie, afin d'entretenir dans fes fujets un zele & une émulation pour les intérêts de la Couronne. Ce font les richeffes qui font l'appui du Trône, & la fureté des peuples: un Roi qui n'a pas le pouvoir de faire de grands biens, n'a qu'une puiffance limitée; rarement peut-il gouverner l'Etat avec avantage pour fon autorité, & pour le bien commun de la fociété : il faut donc qu'à proportion que les revenus des particuliers augmenteront, ceux du Roi augmentent auffi, afin de fe trouver toujours dans un degré de puiffance proportionnée pour les pouvoir contenir. Quelle feroit la puiffance de notre Monarque, heureusement régnant, fi fes revenus n'étoient pas plus confidérables que du temps de François I? Un Roi ne fauroit être trop riche, pourvu que fes revenus ne portent point d'obstacle à l'agriculture, au commerce, ni à la population. De la maniere dont nous avons établi toutes ces chofes dans notre fyftême, le cinquieme du Roi perçu fur les profits de la compagnie d'agriculture, ne nuira en rien à l'agriculture & au commerce. Il reftera toujours fuffifamment de fonds entre les mains des peuples, pour les encourager au travail & à l'économie de leurs affaires particulieres, & pour accroître de plus en plus les richeffes de l'Etat; mais s'ils en avoient davantage, il feroit à craindre qu'ils ne tombaffent dans l'inaction & la molleffe, qui font les fuites d'une aifance privée d'émulation; au-lieu que les tréfors que le Prince difpenfe à propos fur ceux de ses sujets qui le méritent, excitent une émulation continuelle, qui ne laiffe aux peuples aucun inftant dans l'oifiveté, & c'eft le feul moyen qui puiffe les rendre heureux. Suivant cette vue politique, j'ai trouvé que la cinquieme partie prife fur tous les profits nets de la compagnie, étoit la proportion la plus convenable qu'on put affigner: elle eft affez confidérable pour intéreffer le Souverain à tout ce qui pourra contribuer à l'amélioration de cette entreprise; & les perfonnes préposées pour veiller aux intérêts du Souverain, veilleront pareillement à celui des intéreffés, ce qui produira un bien confidérable pour les uns & pour les autres.

DÉ PÉCHE, f. f. Lettre d'affaire qu'on envoie en diligence par un courier exprès pour quelque caufe importante qui concerne l'Etat. CE font les Secrétaires d'Etat, ou leurs premiers commis qui font char

gés de dreffer les Dépêches. Un Roi donne fes ordres à fes Miniftres qui réfident dans les pays étrangers par des Dépêches.

En Allemagne les couriers chargés de porter les Dépêches fe nomment Eftafettes, en Italie Stafette: ils ont la livrée de l'Empereur, & l'on eft obligé dans toutes les poftes de les monter : ils vont feuls fans postillon.

Le Roi de France Louis XIV, établit un Confeil de Dépêches, auquel affiftoient M. le Dauphin, le Duc d'Orléans, le Chancelier, & les quatre Secrétaires d'Etat. Ce Confeil fubfifte encore aujourd'hui fous le même titre.

En Espagne le Secrétaire d'Etat, chargé du département des affaires étrangeres, eft appellé le Secrétaire des Dépêches univerfelles, del def patcho univerfal.

DÉPENDANCE, f. f. Affujettissement d'un étre à un autre étre quelconque.

IL y a deux fortes de Dépendances; celle des chofes, qui eft de la na

ture; celle des hommes, qui eft de la fociété. La Dépendance des choses n'ayant aucune moralité, ne nuit point à la liberté, & n'engendre point de vice: la Dépendance des hommes étant défordonnée les engendre tous, & c'est par elle que le maître & l'esclave fe dépravent mutuellement. S'il y a quelque moyen de remédier à ce mal dans la fociété, c'eft de fubftituer la loi à l'homme, & d'armer les volontés générales d'une force réelle fupérieure à l'action de toute volonté particuliere. Si les loix des nations pouvoient avoir comme celles de la nature, une inflexibilité que jamais aucune force humaine ne pût vaincre, la Dépendance des hommes redeviendroit alors celle des chofes; on réuniroit dans la République tous les avantages de l'Etat naturel à ceux de l'Etat civil; on joindroit à la liberté qui maintient l'homme exempt de vices, la moralité qui l'éleve à la vertu.

Le bonheur de l'homme eft en raifon inverfe du nombre des Dépendances. La multiplication des befoins augmente les Dépendances, & nous éloigne du bonheur.

L'homme phyfique dépend de tous les élémens qui compofent fon individu, de tour ce qui les modifie, de tout ce qui peut en déranger la combinaifon. L'homme moral dépend de tous les accidens qui varient la scene de la fociété, du flux & reflux des opinions, de la mode, des préjugés, des caprices & des paffions de fes femblables. Cette Dépendance regle malgré lui fon fort: car, quoique la folie, l'extravagance & le ri dicule ne faffent pas droit pour le bon fens, la raifon force fouvent l'hom me fage à fe prêter jufqu'à un certain point aux fottifes du monde; mais elle lui apprend en même-temps à être libre au milieu d'un peuple

d'efclaves.

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Plus l'homme eft élevé en dignité, plus il eft riche, plus il eft honoré, & plus il a de Dépendances, lors même qu'il jouit d'une indépendance apparente. La multiplicité de ses rapports accroît la chaîne invifible qui

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