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cheter les beftiaux au prix que je viens de dire, alors les particuliers qui auroient befoin d'argent & des beftiaux à vendre, les ameneroient au marché particulier de la compagnie, qui feroit un parc fitué à la portée des magafins, où il y auroit des étables toutes prêtes pour les recevoir & y engraiffer les bœufs maigres avec une partie des foins du magafin; cette compagnie auroit en commun des terreins que l'on auroit mis en prairie à regain, comme nous le détaillerons plus amplement, quand nous traiterons des différentes branches de l'agriculture; de forte que ces beftiaux maigres ou gras y trouveront de la pâture jufqu'au moment de leur départ pour la boucherie, & les maigres s'y engraifferont enfin les uns & les autres, en attendant leur fort pour les différentes deftinations qu'on en feroit, feroient nourris aux dépens de la compagnie; les veaux feroient pareillement engraiffés avec les fons des boulangeries de la compagnie, & la commodité de la navigation en faciliteroit le tranfport, fans qu'ils fuffent meurtris par les liens dont ils font attachés, & par les voitures fatigantes par terre. Tous ces arrangemens, comme l'on voit, seroient un grand avantage pour les habitans de la campagne, qui par ce moyen auroient promptement & fans retard l'argent des beftiaux qu'ils veulent vendre; ils ne perdroient point, comme ils font, leur temps à courir les foires, avant que de pouvoir s'en défaire, fans les laiffer trop à leur perte. L'agriculture ayant la facilité de trouver fur le champ par fes beftiaux les fecours qu'elle en attend, feroit en état de faire face à fes affaires qui en iroient beaucoup mieux, & la valeur des beftiaux étant une fois fixée par le bureau général dans une proportion relative aux autres Denrées, mettroit les habitans de la campagne dans le cas d'en pouvoir élever une plus grande quantité, & par une fuite naturelle, de mieux cultiver les bonnes terres, & d'améliorer les médiocres en conféquence de ce projet, la compagnie pourroit avoir dans chaque diftri&t un ou plufieurs étaux pour y vendre la viande au prix que nous dirons ci-après; il y auroit auffi dans toutes les villes des généralités & dans la capitale une tuerie générale, & des étaliers-bouchers, qui appartiendroient à la compagnie. Cette tuerie, à caufe de la propreté, & par rapport à la commodité des eaux, feroit placée hors des villes dans un endroit convenable, pour y pouvoir conferver la viande en été comme en hiver, mieux qu'elle ne fe garde dans les tueries ordinaires. Ces lieux feroient conftruits aux dépens de la compagnie générale, dans les villes des généralités, & dans chaque diftrict avec les fonds du diftri&t même, & de fes deniers. Voyons actuellement ce que le bœuf peut valoir à Paris, vendu dans l'étal, tout coupé & prêt à être diftribué aux acheteurs. Si fept cents livres de viande coûtent de premier achat 150 livres, plus 10 livres de tranfport près comme loin, & en outres livres pour les frais de tuerie; le tout fe montera à 165 livres par bœuf, pefant fept cents livres de viande, fans compter la dépouille produifant quatre-vingt livres, comme nous l'avons dit

d'après l'eftimation des bouchers mêmes, il ne reftera plus, cette fomme diminuée, que 85 livres pour la valeur de fept cents de viande, qui par ce moyen reviendra à peu près à 2 fols 6 deniers la livre, en donnant au garçon qui en fera le détail fix deniers par livre, avec les quatre au cent de bénéfice, & comptant les quatre au cent, à caufe des petits poids comme un objet de 4 livres fur la totalité du prix du bœuf, la viande coûtera à la compagnie 3 fols la livre, elle la fera revendre au public fur le pied de 4 fols la livre, qui eft un prix bien modique; ainfi les fept cents livres de viande produiront 140 livres en argent, qui en y joignant 80 livres pour la dépouille & l'abbatis du bœuf, feroient la fomme de 220 livres, fur quoi il faut rabattre d'abord 165 livres pour l'achat du bœuf les frais de tranfport & de tuerie, 4 livres pour les 4 au cent, & 17 livres 10 fols pour le falaire du garçon de détail, à raifon de 6 deniers par livre; le tout feroit 186 livres dix fols, à déduire de la fomme de 220 livres, partant il resteroit pour la compagnie 33 livres to fols de bénéfice net pour chaque bœuf, fans y comprendre le profit qu'elle pourroit tirer, en faifant engraiffer les bœufs maigres dans les différens diftricts. Cet objet feroit encore un gain particulier qui refteroit à chaque diftrict où fe trouveroient les bœufs, comme une indemnité de quelque perte qu'ils pourroient faire fur les bœufs gras, & par la mortalité; c'eft pourquoi nous n'entrerons pas dans ces petits détails.

Cependant à Paris, & dans toutes les villes des généralités, la viande du bœuf ne vaudroit que 4 fols la livre, prix commun de la meilleure viande & de la médiocre; mais comme il n'y auroit point de juftice à faire payer la baffe viande auffi cher que les bons endroits, il y auroit la moitié du bœuf qui feroit mise en prime & l'autre moitié en feconde : pour cet effet on auroit des étaux particuliers, où il ne feroit vendu que de la prime, & d'autres où l'on ne débiteroit que de la baffe viande; avec défenfe, fous peine d'une amende confidérable, aux garçons de détail, de vendre de la viande médiocre à ces étaux deftinés pour la viande prime; le prix de la prime feroit fixé à 5 fols la livre, & celui de la feconde à 3 fols; ce qui reviendroit au même pour la Compagnie, que fi elle vendoit le tout fur le pied de 4 fols la livre.

Il feroit permis de vendre de la vache & de la brebis dans les étaux de la baffe viande, mais jamais de veaux, ni moutons gras. Ces boucheries à bas prix feront pour le petit peuple, qui pourra pour peu de chose avoir toujours de la viande à fes repas. Dans les campagnes où les frais de tuerie & de détail feront moindres, la viande pourra fe donner à meilleur compte à proportion. On peut évaluer la chair des veaux & des agneaux à un fol par livre plus cher que celle du bœuf & du mouton, que ce font des viandes qui ne font point faites, & qui font plus à l'usage des perfonnes riches que des pauvres. Quant au mouton, la chair en fera mife de pair avec celle du bauf, c'eft-à-dire, à fols la livre. Il eft à

d'autant

propos que la chair de ces animaux foit vendue à un prix un peu plus foutenu que celle des groffes bêtes à cornes, afin d'engager les particuliers à entretenir une plus grande quantité de bêtes à laine, qui font d'un service fi effentiel pour l'engrais des terres & pour les fabriques.

D'après cet arrangement qu'on vient de faire, il eft vifible qu'il y auroit une grande diminution fur le prix de la viande de boucherie, tant à Paris que dans les autres villes du Royaume; les bouchers ordinaires pourroient faire le commerce, acheter les bœufs, les tuer & les vendre à leurs étaux, comme ils ont coutume de faire; & afin qu'ils n'euffent pas lieu de fe récrier, le Roi fupprimeroit toutes les fortes de détails que l'on perçoit à préfent fur les bœufs mais quelque chofe qu'ils puffent faire, il eft certain qu'ils ne pourroient guere fournir la viande au même prix que la Compagnie, puifqu'ils payeroient les bœufs auffi cher qu'elle, & qu'ils n'auroient pas les mêmes avantages qu'elle car lorfque les bœufs feroient par hafard à un hafard à un prix plus fort que celui que nous avons fuppofé, la Compagnie feroit toujours obligée de fournir la viande fur le même pied, pour y pouvoir fuffire; il faudroit alors qu'il lui fût permis d'en tirer des pays étrangers par la voie du commerce en fuivant cette méthode, on empêcheroit que l'efpece ne vînt à diminuer de quantité; car quand il arrive que les bœufs font chers, les particuliers ne confultant que le temps préfent, vendent leurs beftiaux, & fe trouvent dégarnis & hors d'état de faire les travaux de la campagne, qui alors produit beaucoup moins dans les années fuivantes, comme on le remarque toujours après quelque grande mortálité. C'eft ce qui n'arriveroit jamais dans notre fuppofition car la Compagnie générale qui auroit une connoiffance exacte de tous les beftiaux du Royaume, & la confommation annuelle qui s'en feroit, fi cette Compagnie attentive au bien général & à fes véritables intérêts, ne trouvoit pas que le nombre des beftiaux pût fournir à la confommation, elle tireroit des étrangers par la voie du commerce ce qui luf en manqueroit : fi au contraire elle en avoit de trop, elle pourroit par la même voie en exporter dans les pays à qui il en faudroit; mais cette façon de commercer ne feroit permife que dans les deux cas particuliers qu'on vient de dire, & ce feroit le bureau-général qui en décideroit.

Quand le Roi a befoin de viande pour la nourriture de fes armées, cette Compagnie lui en fourniroit au même prix que nous avons dit, ce qui feroit bien plus avantageux que de la faire fournir par des traitans, qui la font payer cher au Roi: il en feroit de même des autres Denrées de fes magafins, de maniere que le Roi trouveroit dans cette Compagnie à peu de frais & fans tant d'embarras, des reffources confidérables pour fournir à la fubfiftance de fes armées; au-lieu que ce font ordinairement des traitans qui font ces entreprifes, qui quelquefois en s'enrichiffant, gâtent les affaires du Roi, & par conféquent appauvriffent l'Etat. Suivant notre fyf tême, la Compagnie compofant, pour ainfi dire, l'Etat, elle-même, en

économifant les intérêts du Prince, feroit en même temps fon avantage & celui de toute la Société. (a)

Objedions fur l'expofé de la Compagnie d'agriculture.

PREMIERE OBJECTION.

ON nous oppofera, peut-être, malgré tout ce qui a été dit dans le

des

commencement de cet ouvrage, que la force du préjugé eft fi grande en général, qu'elle prévaut toujours fur les raifonnemens qui pourroient raffurer fur la réuffite, & écarter la crainte que cette compagnie ne porte atteintes à la puiffance légiflative. Il est très-difficile à des génies ordinaires de concevoir qu'il fubfifte une harmonie parfaite, telle qu'on la fuppofe dans ce fyftême; & il feroit prefque impoffible qu'il n'y furvînt quelque changement. Or en admettant qu'il puiffe s'y faire la moindre altération dans un certain efpace de temps, ils veulent démontrer qu'à la longue, & après une longue fucceffion d'années, les changemens s'accroîfront, & que la balance & l'harmonie cefferont d'exifter; fitôt que l'équilibre fera détruit, tout retournera dans fon premier état ; & pour fondement à leur objection, ils ajoutent cette remarque conftante, que de tous les nouveaux établiffemens, il n'en eft pas un qui ait pu conferver parfaitement la pofition de fa premiere inftitution, perdant toujours ou acquérant quelque degré de force, par la concurrence d'une nouvelle inftitution. Or comme il eft de principe que tout dans la nature a fes oppofitions ou fes contraires, il s'enfuit, felon eux, que le fyftême présenté n'en fauroit être exempt.

IL OBJECTION.

QUAND on fuppoferoit que le Roi s'y prêteroit, & que le public l'adop teroit, l'ufage qu'on en feroit feroit toujours défavantageux, en ce que fon exécution détruiroit toutes les expectatives des grandes fortunes. Or ces expectatives excitent l'émulation & l'ambition des hommes, quoiqu'il

(4) En voilà affez pour faire connoître le fyftême de l'Auteur, & il n'eft pas néceffaire d'expofer ici ce qu'il ajoute fur les produits immenfes que feroit la Compagnie fur la viande, le pain & le vin; non plus que ce qu'il dit de l'établiffement des maîtrifes des bouchers, boulangers & marchands de vin, en charges héréditaires. Il prétend enfuite que cette Compagnie feroit d'une grande reffource au Roi pour emprunter au befoin telle fomme qu'il voudroit fans intérêt, & même avec le temps pour payer les dettes de l'Etat, fans faire aucun tort à fes créanciers. Il ne fait pas attention que tout projet qui tend à tirer du peuple de l'argent par la vente des Denrées, eft un impôt réel, une charge pour ce même peuple. Mais nous expofons le plan de l'Auteur fans l'approuver & fans entreprendre de le réfuter. Nous en avions déjà dit quelque chofe à l'article COMMERCE, S. VII. mais fans entrer dans les détails que l'on donne ici, & qui étoient absolument néceffaires pour que l'on pût apprécier le projet de l'auteur.

en réfulte plus de maux que de biens, par la foule de miférables qui meu rent fans avoir pu parvenir, parce que dans le grand nombre de ceux qui y tendent, il s'en trouve toujours quelques-uns dont les nobles efforts & les tentatives pour s'élever aux grandeurs, quoiqu'ils n'aient pas réuffi, fraient en quelque forte la route à d'autres, qui trouvant le chemin & les difficultés applanies, y parviennent plus aifément : ainfi la poftérité profite des travaux & des efforts de ceux qui l'ont précédée. Or dans le fystême que l'on propofe, il n'y a plus lieu à ces expectatives de fortune; par ce fyftême, tout fe trouveroit refferré dans des bornes très-étroites, & il n'y auroit plus d'émulation: par conféquent, on ne peut pas fe perfuader que quand le Roi voudroit y donner les mains, le peuple fût affez ardent à prendre part dans cette Compagnie.

III. OBJECTION.

Le plan de cette entreprise paroît fi vafte, qu'il ne femble pas praticable, fans rencontrer à chaque inftant une foule d'obftacles, que toute la prudence humaine ne fauroit prévenir, & qui en arrêteront l'exécution d'ailleurs fi dans cette foule d'objets enchaînés les uns dans les autres il arrive que quelques-uns viennent à manquer ou à ne plus fi bien cadrer avec les autres, tout l'édifice qu'on aura appuyé fur un tel fondement, croulera néceffairement. Comme il y a beaucoup de chofes relatives au fujet qui n'ont pas encore été touchées, il faut en attendre le dénouement, pour pouvoir affeoir un jugement folide fur les points d'appui de cette entreprise, & c'est en quelque forte la partie la plus intéreffante.

Réponse aux objections.

IL eft certain qu'on ne doit fouffrir dans un Etat monarchique aucune puiffance capable de balancer le pouvoir fuprême; mais il faut auffi que ce pouvoir foit fi intimement lié aux intérêts de l'Etat, que toutes les parties qui en dépendent, n'en puiffent recevoir aucun préjudice. C'eft ainfi que peut fe maintenir l'harmonie qui réfulte de notre nouveau fyftême. Le Prince y eft confidéré comme la tête, qui voit & dirige toutes les actions & les mouvemens du corps. Il eft le pere commun de tous fes fujets. Peut-on rien appréhender de la part d'un pere chéri de fes enfans, de qui il tire comme d'une fource intariffable toute fa puiffance & fes richeffes? Le Roi, tout maître qu'il eft dans fes Etats, ne pourroit faire aucun mal à ses sujets fans fe préjudicier à lui-même. On eft revenu maintenant de ces terreurs vaines, & du faux préjugé où l'on étoit autrefois, qu'un Souverain, en dépouillant fes peuples de leurs biens, & les rendant efclaves, augmentoit fa puiffance. Il ne faut qu'un peu de réflexion pour fentir tous les maux qui en réfulteroient. Un peuple réduit à l'esclavage & privé de fes biens, cefferoit d'avoir de l'émulation; les travaux mécha

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