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miere main, & revendent aux cabaretiers, feront donc inutiles: voilà au tant de familles qui vont être privées de leurs occupations ordinaires. On en peut faire monter le nombre au moins de 5 à 6000 familles, qui font bien en tout 20,000 perfonnes de tout fexe: ce nombre joint à celui des commis, y compris les familles de ceux qui font mariés, peut monter en tout à 60,000 perfonnes qui n'auront plus d'emploi. On voit que je ne cherche point à affoiblir l'objection, mais j'ai une bonne réponse à y faire. Je conviens que ces reproches feroient juftes, fi la compagnie n'avoit pas de quoi occuper tout le monde d'une façon plus avantageufe pour l'Etat. On doit bien penfer qu'il faudra dans chaque diftric ou fubdélégation des commis, foit pour régir les magasins à grains, foit pour les caves, celliers & tous les entrepôts des vins, ce qui occupera quantité de personnes, fans compter beaucoup d'autres emplois que la compagnie donnera, & que nous ferons remarquer dans la fuite de ces Mémoires, dans laquelle on verra que tout ce nombre de gens à qui j'ôte leur occupation, ne fuffira pas pour les remplir la différence qu'il y a entre ces emplois & ceux des commis aux aides, & les marchands en gros, fera grande à la vérité. Toutes ces perfonnes ne travaillent actuellement qu'à arrêter le cours du commerce, au lieu qu'ils travailleront à en faciliter le débit, en faisant préparer les vins, les faifant conduire enfuite à vil prix à leur deftination, où ils doivent être confommés.

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&

Les droits que je fupprime, ou que je réduis à peu de chofe, foit dans les campagnes ou dans les villes, donneront pareillement une grande facilité pour la confommation. Les voitures dont les frais feront diminués de beaucoup, & les moyens d'empêcher les fraudes & les coulages que font les voituriers, tant par eau que par terre, ne ruineront plus le commerce. N'eft-ce pas une chofe criante, qu'une demi-queue de vin des crûs d'Anjou, qui ne vaut que 10 livres pris dans les celliers des vignerons, se vende à Paris plus de 60 à 90 livres la demi-queue, & fur le pied que le cabaretier la vend en détail, à 10 fols la bouteille, revienne à plus de 120 livres; quelle différence entre 10 livres, prix du premier achat, 120 livres, prix de la vente qui s'en fait au confommateur. Voilà une augmentation de 110 livres fur 10 livres de principal; augmentation qui ne tourne au profit ni du cultivateur, ni du confommateur; tout le profit eft donc pour le voiturier, l'impôt & le marchand : c'eft ainsi que l'on paie à Paris tous les vins à proportion, On voit donc que fuivant l'usage établi, quand le vin feroit pour rien chez le vigneron, il feroit toujours très-cher à Paris; ainfi nulle émulation pour encourager la culture des vignes; par conféquent les ouvriers fabriquans ne peuvent pas boire de vin à leur repas, fans augmenter le prix de leur travail, d'où il arrive qu'ils en confomment très-peu, ou que s'ils veulent en faire ufage, tout le profit de leur travail fe trouve employé en boiffon; ce qui les empêche de pouvoir rien mettre en réserve, au moyen de quoi leur famille est tou

jours

jours miférable. Il eft vifible que tant qu'on laiffera fubfifter de pareils abus, jamais l'agriculture ne fera que des progrès languiffans; les ouvrages de nos fabriques feront toujours à des prix trop au-deffus des facultés des habitans, ce qui eft un grand obftacle au bien du commerce. Si.dans la ville capitale qui eft de toutes parts à la portée des vignobles, ces abus font fi fenfibles fur le commerce des vins, c'eft encore bien pis dans les Provinces qui n'en produifent pas, comme la Normandie, une partie de la Picardie, la Flandre, &c. qui tirent cette liqueur des Provinces éloignées; auffi n'y boit-on prefque point de vin, parce que le prix en eft exceffif, & que peu de gens font en état de mettre 40 à 50 fols à une bouteille de vin; il en eft de même à peu près des pays étrangers où nous en envoyons. Cela pofé, comment veut-on que les peuples du Royaume mettent en valeur les terres propres à cette culture, fi on arrête la confommation de toutes parts, en ne mettant point à cette Denrée un prix qui foit proportionné aux facultés des habitans? Il y auroit donc un bien grand intérêt pour l'Etat, que les cultivateurs puffent, fuivant que je le propofe, être chargés eux-mêmes, fans peine & fans embarras, de faire voiturer & vendre par-tout leurs vins aux cabaretiers, dans les grandes villes & chez l'étranger pour empêcher les fraudes, ils en fixeroient les prix fur quatre claffes différentes, afin que le public fût inftruit du détail, & moins exposé à être trompé. Le prix modique & la bonne qualité du vin les engageroit à faire une confommation très-grande, & le cultivateur en retireroit plus de profit, foit en qualité de premier vendeur à la Compagnie, foit comme affocié de cette même Compagnie, & ayant part à tous les bénéfices qu'elle peut faire; ainfi fon intérêt s'y rencontreroit de tous côtés mais fi la Compagnie venoit à fe relâcher des principes que j'ai établis, ce qui ne pourroit pas être du moins fur les prix d'achat & de vente, puifqu'ils font taxés, il arriveroit de-là que toutes chofes redeviendroient dans leur premier état. Il n'y a que cette balance de combinaison qui puiffe toujours maintenir les chofes dans une proportion avantageuse à l'Etat; car il faut que le cultivateur participe en quelque chofe au bien que le Gouvernement peut retirer d'une bonne adminiftration, qui, en favorifant l'agriculture, mette les propriétaires des biens de campagne dans l'état d'aifance néceffaire, pour qu'à fon tour il confomme les ouvrages des manufactures; c'eft ce qui ne peut abfolument s'opérer que par le moyen de la Compagnie que je propofe. Si ce projet avoit lieu, il n'y a point de doute que tout le Royaume ne s'en reffentît, depuis le laboureur jufqu'au Prince du fang, chacun dans la proportion plus ou moins grande de leur poffeffion, & des actions qu'ils auront dans la Compagnie.

Tome XV.

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que

Projet de quelques réglemens fur le débit en gros des vins de la Compagnie.

LA Compagnie tiendra dans chaque ville Episcopale capitale de Province, & dans celle où réfide un Parlement, ou une Généralité, des magafins en commun, pour recevoir les vins indifféremment de toutes les parties du Royaume, felon les qualités & la quantité que le commerce & la confommation le demanderont: ces magafins feront proportionnés à ce qu'il fe débite de vin de ces fortes dans l'endroit chaque année, & les bureaux des généralités auront le foin de faire fournir dans ces magasins toutes les fubdélégations tour à tour, à proportion de la force de leur réferve, & au prix auquel on demandera les vins. Les bureaux de ces magafins tiendront un état, & rendront compte à chaque fubdélégation des vins qu'elle aura envoyés, felon le prix prefcrit, & conformément aux claffes & qualités qui lui auront été demandées. C'eft dans ces magasins que le public & les cabaretiers 'iront fe fournir du vin dont ils auront befoin ces magasins feront placés hors des villes; & la Compagnie, pour faciliter encore plus les marchands, fe chargera de payer les droits d'entrée des vins qui feront pour l'ufage de la ville, qu'elle ajoutera au prix principal du vin. Les voitures de tous les vins en général, tant de près de loin, quand même le vin viendroit de 10 lieues ou de 200, n’importe, & cela afin de faciliter la vente des vins des crûs éloignés, comme des autres, feront eftimées à raifon de 3 livres le muid, laquelle somme fera encore ajoutée au premier prix du vin qui aura été fixé en général, fuivant fon crû & fa claffe. Chaque fubdélégation aura fa marque diftinctive, & les agens du magafin certifieront ces prix s'ils ne font pas mis au taux convenable, on les baiffera ou on les augmentera fuivant leur généralité, & on en fera raifon au bureau de la fubdélégation qui les aura envoyés. De cette maniere le public trouvera non-feulement à fe fatisfaire dans le choix des vins, mais encore par les prix qui feront toujours proportionnés à la qualité. Nous avons déjà fait obferver que la Compagnie ne vendra jamais de vin nouveau, & que fes vins, avant de pouvoir être mis en vente, devront avoir au moins deux années. Il n'y aura que les marchands particuliers à qui il fera libre de faire ce commerce des vins nouveaux, fuppofé qu'ils y puiffent trouver un bénéfice capable de foutenir leur commerce; mais comme ils n'auront pas les mêmes avantages que la Compagnie pour faire ce négoce, ils ne pourront pas donner leurs vins à des prix auffi modiques que ceux de la Compagnie, qui par ce moyen aura un commerce fupérieur à tous les autres.

Des fourrages.

COMME j'ai déjà expliqué les différentes manœuvres de la Compagnie

pour entretenir la balance dans le prix & le commerce des Denrées, favoir des grains & du vin, je vais expliquer ce qu'elle aura à faire par rapport aux fourrages, qui font une Denrée de premiere néceffité. En effet les fourrages font auffi indifpenfables pour le bien de l'agriculture & du commerce, que peuvent l'être les grains. On ne peut rien entreprendre dans la culture des terres, fi l'on n'a des bêtes de trait: on ne pourroit rien voiturer par terre, ni même par eau, fans ces mêmes animaux. Après le pain, quelle eft la nourriture la plus effentielle du peuple & des armées ? C'est fans difficulté la viande de boucherie, le beurre & le laitage or comment peut-on avoir affez de toutes ces chofes pour fournir à la consommation ordinaire, fi l'on n'éleve pas des beftiaux; & comment pourra-t-on en élever, fi on manque de fourrage? C'eft donc un des principaux objets qui doivent fixer l'attention de la Compagnie & du Gouvernement, de pouvoir maintenir une balance exacte dans les Denrées qui fervent à la fubfiftance des beftiaux, comme je l'ai propofé pour les hommes au fujet des grains & du vin. La trop grande abondance eft presque auffi nuifible que la difette; car les laboureurs qui n'ont rien de plus à cœur que de les faire confommer, en augmentent le nombre de leurs beftiaux parce qu'ils tirent de ces animaux des fervices confidérables pour la culture & l'amélioration de leurs terres; mais arrivet-il une difette? La nourriture qu'on donne aux bêtes devenant rare, on eft obligé de leur retrancher une partie de leurs alimens or rien n'est plus préjudiciable au bétail, que de paffer d'une extrémité à une autre, d'une nourriture bonne & abondante à une autre maigre & rare; cela leur cause une interruption qui les fait tomber malades, & fait périr les plus foibles. Tel eft l'effet de l'inégalité dans les récoltes en foins; elles expofent fouvent les beftiaux à des mortalités qui dérangent infiniment les travaux effentiels à la culture des terres, & caufent toujours une cherté dans la viande de boucherie, qui ne ceffe pas dans les années abondantes qui furviennent enfuite; car bien loin de vendre alors du bétail, les laboureurs gardent les jeunes veaux & les geniffes pour remplacer la perte de ceux qui ont péri; ainfi il ne fe fait point de compenfation à cet égard. Le commerce de la viande & l'agriculture y perdent également; cette derniere est négligée, & les terres en reçoivent moins d'amélioration : qu'en réfulte-t-il? Que les Denrées en font plus cheres, & que les peuples ont moins d'aifance pour vivre. Tous ces inconvéniens n'arriveroient pas, fi la Compagnie d'agriculture achetoit les foins fuperflus dans les années d'abondance à des prix convenables, & qu'elle les revendît à un tiers en-fus du prix de l'achat dans les années de difette. On pourroit fixer le prix des foins à quinze fols le quintal dans les années d'abondance, & obliger

la Compagnie à les vendre fur le pied de vingt fols dans les temps de difette. La Compagnie pour cet objet n'auroit pas befoin de conftruire des magafins; on fe contenteroit fimplement de mettre les bottes de foin en meules; & afin de ne pas les expofer à l'air, la derniere rangée de bottes qui ferviroient d'enveloppe & de couverture à la meule, feroit de paille; ainfi il n'en coûteroit point de dépenfe pour loger les foins, & la Compagnie n'auroit que le foin de faire recevoir les foins de bonne qualité qu'on lui apporteroit, de les faire ranger en meules, & de les faire diftribuer à ceux qui viendroient l'acheter dans les temps de difette. Suivant la confommation qui fe fait actuellement dans le Royaume, année commune en foins & en luzerne, on peut compter environ 150 millions de 100 de bottes de foin du poids de dix livres chacune; fi la Compagnie achetoit les foins fuperflus, & qu'elle en pût mettre en réferve de quoi fournir à la confommation d'une année, il lui faudroit 112 millions 500,000 livres de fonds, & elle vendroit tous les fix ans fes foins à raifon de 20 fols le quintal; cela feroit 150 millions, & par ce moyen elle auroit 37 millions 500,000 livres de bénéfice pour fix années, ce qui feroit environ 6 millions 250,000 livres par an, fur quoi diminuant 1,250,000 livres pour le cinquieme au profit du Roi, refteroit pour la Compagnie s millions 200,000 livres, & en fuppofant 700,000 livres pour la dépenfe des meules & des frais de régie, la Compagnie auroit de profit net chaque année environ millions 500,000 livres pour l'article des fourrages.

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Entreprises de la Compagnie d'agriculture pour les Boucheries du

UN

Royaume.

N Auteur anonyme qui a donné un Mémoire dans le Journal Economique du mois de Novembre 1736, a très-judicieusement observé que le découragement pour l'agriculture ne venoit que faute de confommation, & que ce défaut nuifoit également au commerce général de l'Etat, ce qui occafionnoit dans les arts & dans la culture des terres une inanition qui portoit des atteintes dangereufes à la puiffance de l'Etat. Ce même Auteur nous a fort bien développé une partie dans laquelle réfidoit ce mal, c'est-à-dire, dans les privileges qui ont été accordés autrefois à des villes particulieres, & à des Provinces au préjudice des autres Pays. De pareilles conceffions pouvoient avoir leur utilité dans le temps qu'elles furent faites. On a voulu favorifer les établiffemens des grandes villes pour cet effet on leur a accordé des immunités, des droits de bourgeoifie & auafin d'engager les peuples à fe raffembler dans des enceintes de mur pour fe conformer à une police plus exacte & plus réguliere que celle des campagnes; enfin pour polir les mœurs par la converfation & le voifinage d'une certaine quantité de perfonnes aifées, animer les arts en les excitant les uns les autres par le luxe, & donner par ce moyen une plus

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