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de l'ordonnance; car à qualité égale, il n'eft pas douteux qu'on ne donne la préférence au bled qui fera à meilleur compte: or comme il en coûte pour faire conduire des grains du dehors, & qu'il faut perdre du temps fuivre les marchés & à le vendre en détail, il eft certain que les marchands fe garderont bien d'apporter jamais au marché des grains étrangers, pour les vendre à leur perte; ainfi les magasins en réserve auront leur vente fûre.

Les feconds magafins ne feront tolérés, que par la raifon que la Compagnie fera obligée d'acheter toujours les grains à 15 livres le feptier au plus bas, fans pouvoir le vendre plus de 20 livres. D'après cette loi, il faut que la Coinpagnie ait la faculté de pouvoir commercer les grains fuperflus, quand elle aura rempli fes magafins de réferve. Il lui faut des magafins particuliers pour recevoir ses grains; & fi elle veut les acheter à un prix plus haut que 15 livres pour fon compte, elle aura la liberté d'en faire un commerce particulier; car elle aura toujours la même liberté à cet égard que les marchands, attendu que la loi doit toujours être à l'avantage du public; mais auffi pour ces achats particuliers, la Compagnie ne pourra pas fe fervir des fonds qui auront été confacrés au fervice des magafins de réferve: elle pourra, à la vérité, faire ce commerce, mais avec des fonds particuliers qui lui feront propres, ou avec l'argent des bénéfices qui lui feront venus dans l'adminiftration des grains en réferve. Les Officiers pour le Roi que nous avons commis dans chaque fubdélégation, auront foin de veiller à tout ce que la Compagnie entreprendra, & d'en rendre compte, fans cependant avoir aucune inspection particuliere fur ces grains qu'elle aura achetés pour fon propre compte, & de fes deniers, comme font les marchands ordinaires. La Compagnie pourra, fi elle veut, employer les mêmes commis à fes magasins particuliers, & il lui fera libre d'avoir dans la ville principale du diocefe, & dans celle de la généralité, des fours à elle pour fabriquer le pain pour le public; il n'y aura que ces deux villes feules, la ville épifcopale & le fiege de la généralité, où les bureaux particuliers pourront tenir des boulangeries & faire le commerce du pain en détail: car il ne fera pas permis à des fubdélégations étrangeres au diocese ou à la généralité, de venir y établir des fours pour vendre du pain : cette liberté qui eft dûe à tout boulanger particulier reçu à la maîtrise, n'eft que pour favorifer la vente & le commerce des grains de cette Compagnie, & toujours à l'avantage du public. Il faut obferver que les généralités du reffort d'un même Parlement auroient pareillement le droit de tenir des boulangeries dans la ville où le Parlement eft établi, & que toutes les généralités du Royaume pourront auffi, fi elles veulent, faire conftruire des fours à la portée de la capitale, & y faire vendre & diftribuer du pain avec la même liberté que les boulangers de la ville même. Ces privileges font accordés, comme on le voit, pour favorifer le commerce de cette Denrée,

afin que le peuple puiffe avoir le pain à meilleur compte qu'il eft poffible, & pour donner au cultivateur la facilité de retirer de fon grain le plus grand avantage qu'il pourra; & enfin pour empêcher que les marchands ne faffent hauffer, comme ils font, le prix des Denrées, au grand préjudice des cultivateurs & des artifans, qui font affurément les deux portions du peuple les plus précieuses & les plus effentielles dans un Etat.

Par ce moyen, cette loi contribuera non-feulement à l'avantage des manufactures & du commerce, mais encore à la population du Royaume; car il eft fans difficulté que cette méthode fera difparoître la mifere, & facilitera beaucoup par conféquent la multiplication de l'efpece humaine.

La Compagnie fera toujours la maîtreffe, quand elle le jugera à propos, de fe relâcher fur le prix de fes marchandifes, foit des magafins particuliers, ou de ceux de réferve; cela ne fera jamais une matiere à repréhenfion de la part de la police ordinaire du Royaume; mais il ne lui fera jamais permis de les vendre au-deffus de la taxe, & cette taxe, comme nous l'avons dit précédemment, fera réglée par le bureau général à Paris, & par les bureaux des généralités dans les Provinces.

Lorfque la Compagnie vendra les grains de fes magasins en réserve, elle ne rendra compte que de la quantité des grains qui y auront été dépofés fur le prix fixé par l'ordonnance, fans pouvoir produire de détails des frais, lefquels feront toujours fur fon compte. L'augmentation de volume que les bleds auront acquis dans les magafins, & les petites indemnités fur les criblages, feront bien fuffifantes pour payer les frais des commis régiffeurs; il n'y aura que les appointemens des Officiers en charge qui feront pris fur les bénéfices qu'auront produits les grains en réserve.

Des Vignes en général.

APRÈS les grains qui font la Denrée de premiere néceffité, il n'en eft

point de plus précieufe & de fi utile que le vin; la culture de la vigne dans les terreins qui lui font favorables, doit donc, après les grains & les prairies, attirer la principale attention du Gouvernement, & elle mérite de trouver place dans un fyftême général d'agriculture. L'ufage du vin eft très-falutaire & utile pour la nourriture de l'homme, pourvu qu'il en ufe avec fobriété & modération; mais comme toutes les terres, ni tous les climats, ne font pas convenables pour la production de la vigne, ceux qui ont le bonheur de pofféder des terreins propres à cette culture, doivent s'y appliquer très-foigneufement à en faire le principal objet de leur commerce; c'eft pourquoi lorfqu'on fera la carte topographique de chaque diftrict, la Compagnie doit être attentive à défigner les différens crus, la qualité, l'expofition, l'étendue & la nature particuliere de toutes les

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terres du diftrict qui fe trouveront convenables pour y cultiver la vigne, & déterminer à peu près la quantité de muids de vins, mefure de Paris, qui peuvent croître dans le diftri&t, & les autres terres feront deftinées pour y cultiver des grains ou autres Denrées. On doit auffi envoyer pour effai au bureau de la généralité, des vins les plus parfaits de chaque terroir, avec la note à peu près de ce qu'ils peuvent en produire chacun année commune, afin que les agens, commiffaires, juges & préfidens du bureau examinent l'expofition qui en aura été faite par les chefs affemblés de chaque fubdélégation, & certifiés par les officiers propofés par le Roi; après quoi le bureau général pefera tous les différens avantages qui lui feront propofés par les mémoires, & qui peuvent réfulter de la culture de la vigne pour le bien de l'Etat, à raifon de la qualité naturelle du vin de chaque terroir & de fa propriété, pour être confommés fur les lieux, ou pour être tranfportés au loin, par le moyen du commerce. Quand le bureau de la généralité aura fait fur tous les différens crus, fur leurs qualités, expofitions & quantité, des cartes inftructives & des mémoires, on les enverra à Paris au bureau général, qui par ce moyen aura une exacte connoiffance de toutes les terres du Royaume, de ce qu'elles produisent actuellement en grains & en vins, & de ce qu'elles pourront produire par la fuite, moyennant la nouvelle culture; ce même bureau faura pareillement la quotité de toutes ces Denrées, & leur valeur pour le commerce; il obfervera de plus, quelle eft en général la consommation actuelle qui s'en fait dans le Royaume, celle qu'on peut faire dans le cas où ces Denrées deviendroient à meilleur marché, & même il prévoira pour la fuite ce qu'il en faudroit pour fournir à tout l'Etat, fi le Royaume devenoit plus peuplé, ou fi l'étranger en tiroit davantage qu'il ne fait car il faut fe perfuader qu'en effet fi l'étranger pouvoit avoir les vins de France à un prix plus modique qu'on ne les Îui vend, il en feroit fans difficulté une confommation bien plus forte; ainfi pour agir en véritable & bon politique, il faudra à peu près & en gros parcourir les différentes nations qui tirent des vins de la France, comme les Hollandois, les Anglois, les Suédois, nos Colonies dans les Ifles, &c. Suivant mon eftimation, le nombre de ces peuples peut égaler ceux du Royaume. Or s'il étoit poffible que nous leur vendiffions nos vins à un prix affez raisonnable, pour qu'ils puffent en avoir rendu chez eux à douze fols la bouteille de vin ordinaire, mefure de Paris, en fuppofant que les droits dans les ports étrangers fuffent fupprimés, ou que s'ils ne l'étoient pas, du moins le prix du vin n'augmentât que de la valeur particuliere de ces droits; ce qui ne pourroit être ni fi confidérable, ni fi préjudiciable que les abus du commerce actuel, on peut s'attendre qu'ils en feroient une trèsgrande confommation; il faut encore entrer dans le détail des vins qui s'emploient en eau-de-vie, & à divers ufages pour le commerce.

Suivant les obfervations que j'ai faites en général, la Compagnie peut

compter que du fort au foible, chaque arpent de vigne produit environ trois muids ou 900 bouteilles de vin; c'eft à peu près tout ce qu'on doit en attendre, année commune, quand on veut que les vignes donnent de bon vin; car fi on tire à la quantité, on l'obtiendra fans doute, mais le vin en aura moins de qualité; ainfi, tout compenfé, l'eftimation peut être faite fur le taux que je dis. Si l'on veut actuellement en régler la quantité, on fe conformera aux observations générales que j'ai faites cideffus, tant pour le commerce extérieur, que pour la consommation du dedans du Royaume, en comptant, comme on l'a déjà fait, fur vingt millions d'habitans; & fuppofant que, proportion gardée, des enfans aux grandes perfonnes, du pauvre au riche, il faille à chacun le quart d'une bouteille, ou un demi-feptier pour leur ufage, cela fera par jour cinq millions de bouteilles de vin pour la feule boiffon du Royaume, & par année un milliard 825 millions de bouteilles. Je ne mets pour chaque perfonne qu'un quart de bouteille; il eft certain que dans les pays de vignobles la confommation eft plus forte, mais auffi elle l'eft moins dans d'autres pays. Suppofons qu'il en faille encore autant pour l'étranger, voilà donc trois milliards 650 millions de bouteilles de vin, fans compter ce qu'on en confomme pour faire des eaux-de-vie, du vinaigre, dans les opérations chymiques & pour la cuifine or tous ces articles ne montent guere moins qu'au quart de la confommation ordinaire du Royaume : voilà donc quatre milliards 562 millions 500,000 bouteilles ou 15,208,333 muids, à raifon de 300 bouteilles par muid, qu'il faudra, pour faire face à tout le commerce, tant intérieur qu'extérieur, des vins de France. Pour produire cette quantité de vin, il faut qu'il y ait environ cinq millions 69 mille 444 arpens de terre employés en vignes. Il faudra choifir le terrein le plus avantageux à cette culture, & préférer les Provinces où la confommation & le commerce en feront plus faciles; ainfi la compagnie générale d'agriculture donnera la permiffion de planter & cultiver les vignes à toutes les Provinces méridionales de France, & dans tous les pays où elle aura été informée exactement que les vignes croiffent avec un certain fuccès. De plus parmi ces divers pays, elle permettra de planter une plus grande quantité de vignes à ceux dont le climat & le terroir feront dans une meilleure réputation; ainfi les côteaux les plus eftimés, toutes les Provinces de Champagne, de Bourgogne, de Quercy, &c. auront une plus grande quantité de vignes que celles où la qualité fera inférieure. Il en fera de même à l'égard des vins qui fupportent mieux le trajet de la mer, comme ceux de Bergerac, du Languedoc, de Bordeaux, &c. qui auront encore la préférence fur les petits vins, qui ne font propres que pour l'eaude-vie. On profcrira donc la culture de la vigne dans toutes les terres où le vin fera médiocre, & elle y fera abfolument défendue, à moins que ce ne foit dans des expofitions favorables à la vigne, & en même-temps défavantageufes pour toute autre culture,

C'eft ainfi que le bureau général réglera la quantité des vignes dans chaque diftrict, & en fixera la pofition fur les cartes, fuivant les expofés particuliers qui lui auront été faits conformément au plan général du fyftême. Or il n'y a qu'un bureau général qui puiffe prétendre de pareilles connoiffances, & faire un tel arrangement, parce qu'il ne peut y avoir que lui à qui il convient d'entrer dans de pareils détails, & de porter fes vues vaftes & réfléchies fur ce qui doit être le plus avantageux à la nation, foit pour fon commerce ou pour l'ufage des habitans, & pour favorifer la population relativement aux denrées qui font de la plus grande néceffité. On voit par cette fuppofition, que s'il y a en tout 30,000 lieues quarrées de 4000 arpens par lieue dans le Royaume, cela fera à-peu-près 120 millions d'arpens ainfi les vignes occuperont une vingt-quatrieme partie de l'étendue qui fera propre à être cultivée; il y reftera donc 114 millions 930 mille 556 arpens pour la culture des grains & autres denrées; c'est beaucoup en comparaifon du peu d'efpace qui fera employé aux vignes. Mais, comme nous l'avons déjà dit, il y a beaucoup moins de Provinces où cette culture ne fauroit se pratiquer d'une maniere avantageufe: on n'y en permettra que fort peu, & on leur laiffera la culture de grain qui leur fera plus profitable; auffi en revanche, les pays propres aux vignobles & où la vigne pourra réaffir, feront plus favorifés: cependant on obfervera que les meilleures terres pour la culture des grains & les prairies ne feront point mifes en vignes. Le commerce & la faculté des tranfports par la navigation des rivieres & des canaux, donneront les occafions de faire des échanges refpectifs de Province à Province; ainfi il fe fera une consommation confidérable: tels font les points de vue auquel le bureau général devra s'attacher, afin d'établir une harmonie dans le tout qui le maintienne toujours dans l'ordre. D'après ces principes, chaque district se réglera, & exécutera ce qui lui fera prescrit par le bureau général, qui aura jugé ce qui conviendra le mieux à chacun pour fon avantage en particulier, & en général pour le commerce & pour l'intérêt de l'Etat.... (a)

BIEN

Obfervations fur les projets précédens.

IEN des gens fans doute n'approuveront pas le fyftême en gros des denrées, tel que je le fais faire à la compagnie d'agriculture. Je m'attends qu'ils vont s'écrier : Que deviendront donc les marchands, les employés dans les aides, & une infinité de perfonnes qui vivent dans la marchandife des vins? On compte que les aides occupent plus de 30,000 perfonnes, dont une bonne partie eft mariée. Les marchands qui achetent de la pre

(4) L'Auteur traite ici des magafins à vins, de la maniere dont chaque diftrict fe réglera pour y raffembler les vins fuperflus des années d'abondance, &c. &c.

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