Page images
PDF
EPUB

perfonne, le mérite feul a droit aux dignités; & lorfque c'eft par l'élection qu'on remplit les charges, elles femblent devoir naturellement être données au plus digne dans chaque genre. Nos difcours, nos actions, tout jufqu'à nos geftes, nous décele. Il en résulte une réputation, qui fondée fur l'opinion publique eft très-rarement fauffe. Delà les choix les plus convenables à l'efpece de capacité de chacun, & dès que tous occupent le pofte dont ils font capables, il eft impoffible que le bon ordre ne foit généralement établi. Et fi la fociété des hommes s'entretient par l'amitié & que l'amitié s'entretienne par l'égalité qui bannit l'envie; & fi l'envie fe peut facilement bannir dans la Démocratie, ce fera fans doute la conftitution la plus à défirer.

On ne difputera point encore que ce ne foit la conftitution qui laiffe au citoyen la plus grande liberté, & la liberté développe les talens. C'eft dans les Républiques que l'on a vu les plus grands Légiflateurs, les plus célébres Légiftes. Les Républiques nous fourniffent les exemples des plus grands effets de l'éloquence; il eft permis d'y penfer & de publier fes penfées. Ailleurs la crainte du Gouvernement refferre les talens, ceux mêmes qui les poffedent les ignorent fouvent, & l'hiftoire n'ofe être la bouche de la vérité.

Aucun Etat n'eft auffi bien conftitué pour la guerre que la Démocratie, à caufe du grand attachement du citoyen pour conferver fa liberté. Chaque petite République d'Italie coûta plus à dompter aux Romains, que les plus puiffans Royaumes: tant qu'il reftoit un homme il difputoit fa liberté. Sidney dit, que les vieillards, les femmes & les enfans ouvroient les portes, lorfqu'il ne reftoit plus aucun citoyen pour les tenir fermées. Les noms des grands Capitaines y font en grand nombre. Les talens y percent infailliblement, & les emplois fe donnent au mérite; les talens s'y déploient avec force, parce que la gloire étant plus perfonnelle dans les conftitutions Républicaines que dans les autres Gouvernemens, elle y fait plus d'impreffion, & les efforts y font en raifon de l'honneur qu'ils acquierent. Un exemple éclaircira ma penfée. Ventidius, Lieutenant de Marc-Antoine, eft le feul des Romains qui ait triomphé des Parthes. 11 lava la honte dont ils avoient couvert Craffus & la gloire des armes Romaines: il gagna contr'eux trois batailles fignalées, il tua le fils de leur Roi; il auroit dompté cet ennemi jufqu'alors invincible, fi Antoine ne l'eût arrêté, voulant fe réserver cet honneur à foi-même. Dans le temps de la République, Ventidius auroit laissé un nom égal à celui de Paul-Emile & des Scipions: il eft à peine connu.

Enfin on ne connoît de Souverain dans cet Etat que la loi; elle n'eft point la fuite de la volonté, du jugement d'un feul elle eft formée sur l'opinion que le général s'eft faite de la justice.

Tome XV.

:

[ocr errors]
[ocr errors]

DÉMOCRITE, Célébre Philofophe de l'antiquité.

voya

DEMOCRITE naquit à Abdere dans la Thrace, d'un homme qui logea chez lui Xerxès dans le temps de fon expédition en Grece. Ce Prince lui laiffa par reconnoiffance quelques mages, qu'il chargea de l'éducation du jeune Abdéritain, qui lui enfeignerent la théologie & l'aftrologie. Il étudia ensuite sous Leucipe, qui lui apprit le fyftême des atomes & du vuide. Son goût pour les fciences & pour la philofophie le porta à ger dans tous les pays, où il pourroit acquérir de nouvelles connoiflances. Il vit les Prêtres d'Egypte, ceux de Chaldée, les Sages de Perfe, & on prétend même qu'il pénétra jufques dans les Indes pour conférer avec les Gymnofophiftes. Ses voyages augmenterent fes lumieres, mais ils épuiferent fon patrimoine qui montoit à plus de cent talens. Il fut fur le point d'encourir une note d'infamie comme diffipateur. Le Philofophe voulant prévenir cet opprobre, alla trouver les Magiftrats, & leur lut fon grand Diacofme, un de fes meilleurs ouvrages. Ils en furent fi charmés, qu'ils lui firent préfent de cinq cents talens, lui érigerent des ftatues, & ordonnerent qu'après fa mort le public fe chargeroit de fes funérailles. S'étant trouvé un jour à la Cour du Roi Darius, & ne pouvant réuffir à le confoler de la mort de la plus chere de fes femmes, il lui promit de la faire revivre, pourvu qu'il trouvât le nom de trois perfonnes qui n'euffent pas effuyé d'adverfités dans la vie, pour les graver fur le tombeau de la Reine: la chofe étoit impoffible, & Darius fe confola. Démocrite n'aimoit pas la trifteffe. On prétend qu'il rioit toujours, & ce n'étoit pas fans raifon. Il ne pouvoit s'empêcher de fe moquer des hommes, en les voyant fi foibles & fi vains, paffant tour à tour de la crainte à l'efpérance, & d'une joie exceffive à des chagrins immodérés. Les Abdéritains étonnés de ce rire continuel, & craignant que leur Philofophe ne tombât en démence, écrivirent à Hippocrate, pour lui recommander fa tête. Le médecin s'étant rendu auprès du fage, conçut tant de vénération pour fon efprit & pour fa vertu, qu'il ne put s'empêcher de dire aux Abdéritains, qu'à fon avis ceux qui s'eftimoient les plus fains étoient les plus malades. Hippocrate avoit, dit-on, avec lui une fille, lorfqu'il rendit vifite à Démocrite. Il la falua comme vierge la premiere fois qu'il la vit; mais le jour d'après, il la traita de femme, parce qu'on en avoit abusé pendant la nuit. Ce conte eft fort célébre, mais il n'en eft pas plus vrai. Croyons plutôt, dit un homme d'efprit, que l'on s'eft plu à répandre fur la vie des Philofophes autant d'aventures prodigieufes, que fur celles des baladins. Il n'eft pas moins faux qu'il fe foit aveuglé, pour méditer plus profondément. Ce Philofophe mourut âgé de 109 ans, 362 avant Jefus-Chrift. Il ne refte aucun des ouvrages qu'il avoit compofés.

D

DÉMOSTHENE, Orateur & Homme-d'Etat.

ÉMOSTHENE, né à Athenes dans la 99o Olympiade, eut pour pere, non un Forgeron craffeux & enfumé, comme il plaît à Juvénal de le dire (a), mais un homme qui employoit un grand nombre d'esclaves à faire valoir fes forges (b). Il s'occupa toute fa vie du foin d'empêcher que fa patrie n'eut un maître, & il mourut à l'âge de 60 ans, du poifon qu'il avoit pris pour ne pas tomber entre les mains d'Antipater, qui venoit de foumettre Athenes avec les forces de la Macédoine, dont il étoit demeuré le maître après la mort d'Alexandre. Les Athéniens confacrerent fa mémoire par une ftatue, par des infcriptions, par divers privileges qu'ils accorderent à fes defcendans, & par mille autres marques d'une reconnoiffance tardive, qui ne valoit gueres mieux que l'ingratitude.

Ce premier Orateur de la Grece eut des commandemens d'armées, fut employé à des négociations, exerça des ambaffades, conclut des traités, & fit des harangues pour des affaires politiques.

La politique a formé peu d'hommes plus accomplis. Outre la capacité confommée & les grandes vues que l'élévation de fon génie lui donnoit pour le maniement des affaires, il favoit, ce grand Orateur l'art d'appuyer, dans les affemblées du peuple d'Athenes, les fages réfolutions dont il avoit donné les premieres ouvertures, & il avoit celui de perfuader ce qu'il vouloit. L'ambition de Philippe, Roi de Macédoine, qui partageoit toute la Grece par des intrigues fecrettes & par des deffeins cachés, avoit occupé l'efprit de Démofthene à l'étudier. La connoiffance parfaite qu'il en avoit, lui donnoit lieu d'expofer avec éclat cet intérêt commun qu'avoient les peuples à s'oppofer de concert à l'agrandiffement de ce Prince. Les belles images du bien de l'Etat, & les fréquens raifonnemens de politique qui font dans les difcours de Démofthene, y font un merveilleux effet. Les fujets de fes harangues font toujours grands, ou le deviennent par l'adreffe que l'Orateur a d'y faire entrer des matieres fi importantes.

Nous ne confidérerons donc pas Démofthene fimplement comme Orateur, mais comme Orateur politique, difcutant devant le peuple affemblé les intérêts d'Athenes & ceux de la Grece entiere. C'eft fous ce point de vue que nous ofons le propofer à l'imitation de l'Homme-d'Etat. C'est la gravité, la nobleffe, la force, la précision, là rapidité de fon éloquence politique que les Magiftrats & les Miniftres doivent s'efforcer d'acquérir. Long-temps avant que les François euffent le goût de la bonne éloquen

(a) Sat. X.

(b) Tourreil dans la Préface de la Traduction des Philippiques, p. 77.

ce, différentes occafions produifirent chez eux des difcours fort éloquens dans le genre politique. Nous lifons dans le XIXe tome de l'Hiftoire de France, par M. Garnier, de très-belles harangues prononcées dans les Etats convoqués fous Charles VIII. Ces harangues font dignes des beaux fiecles d'Athenes & de Rome, du moins pour le fond des chofes, pour la précifion, la gravité & la nobleffe avec lesquelles elles font traitées. Si les plus beaux plaidoyers de ce temps-là nous euffent été tranfmis, probablement nous ne les trouverions pas fupportables. Quelle eft la raifon de cette différence? Sans doute les grands intérêts, les intérêts preffans qui occupent ceux qui parlent, joints à la présence d'une grande & augufte affemblée élevent & agrandiffent leur efprit, les montent naturellement au ton qu'ils doivent prendre, les retiennent dans de juftes bornes, & les empêchent de fe répandre en differtations inutiles. Quant à ceux qui écoutent, occupés des mêmes intérêts, remplis des mêmes fentimens, ils attendent de Î'Orateur, des difcours graves, nobles, précis, dignes des objets importans qui les raffemblent. Le fujet & les différentes parties de ces difcours font déterminés par les circonftances; il n'eft pas befoin d'un grand art pour les régler, au lieu qu'il en faut beaucoup pour diftribuer la multiplicité des objets que renferme une grande caufe dans le genre judiciaire, qui, quciqu'intéreffante, n'offre jamais des intérêts auffi perfonnels, auffi preffans, pour les Orateurs & pour les Auditeurs.

Dans les Catilinaires & dans les Philippiques de Cicéron, on remarque plus de force & de véhémence, plus de fimplicité & de naturel, plus de rapidité & moins de diffufion que dans fes autres difcours. Les intérêts effentiels de l'Etat & les fiens propres qui l'occupoient & le preffoient, ne lui permettoient pas de s'étendre, de s'abandonner à la fécondité de fon génie, prescrivoient des bornes à l'abondance de fon ftyle. Mais auffi dans ces mêmes Philippiques & Catilinaires, il n'y a pas autant d'art à beaucoup près, autant de richeffe de diction, que dans les Verrines du même Orateur & dans la plupart de fes plaidoyers publics. On peut remarquer la même chose dans les harangues politiques & dans les plaidoyers publics de Démofthene. Que de dignité en même temps & de fimplicité! Que de rapidité & de chaleur dans les premieres! Une noble franchise vraiment patriotique les diftingue. » Démofthene, dit M. de Fénélon, paDroît fortir de foi pour ne voir que la patrie... Il fe fert de la parole » comme un homme modefte de fon habit pour fe couvrir. Il tonne, il > foudroie, c'eft un torrent qui entraîne tout.... on penfe aux choses » qu'il dit & non à fes paroles: on le perd de vue, on n'eft occupé que » de Philippe qui envahit tout.......... «

un zele

Un des grands avantages que l'on peut tirer de fes harangues politiques, c'eft d'y recueillir les belles maximes pour le gouvernement des Etats & pour la conduite de la vie qu'il y a répandues; c'eft d'apprendre à connoître le peuple d'Athenes par les moyens divers qu'il y em

ploie pour l'animer contre Philippe, & le déterminer au bien de la patrie. Démofthene n'étoit ni général ni foldat, mais il avoit une autre forte de mérite, fur lequel Philippe traverfé, Philippe vainqueur & les Athéniens malheureux lui ont rendu juftice. Philippe difoit de cet ardent Républicain qui lui fufcitoit par-tout des obftacles, qui plus d'une fois avoit rompu fes projets, qu'il valoit à la Grece plufieurs armées. Après avoir lu une de fes harangues où il fut frappé de la fagacité avec laquelle cet habile politique devinoit fes deffeins » J'aurois donné, dit-il, ma voix » à Démofthene pour me déclarer la guerre & je l'aurois nommé Géné» ral. « Vainqueur à Chéronée, au fórtir d'un repas qu'il donna pour célébrer fon triomphe, il vint fur le champ de bataille, & infultant aux vaincus, il chantoit les premieres paroles du décret de Démofthene; mais lorfque l'ivreffe du vin & de la victoire fut diffipée, & qu'il envisagea froidement le péril qu'il avoit couru, il admira la politique adroite & profonde de cet illuftre Athénien, qui l'avoit forcé de rifquer en un feul jour les fuccès de vingt années. Le peuple d'Athenes, ce peuple que l'hiftoire nous représente fi léger, fi injufte à l'égard des hommes qui l'avoient fervi avec le plus de zele & de bonheur, le peuple d'Athenes, plus jufte qu'il ne l'étoit pour l'ordinaire, après la défaite de Chéronée, fe livre encore à un miniftre par les confeils duquel il pouvoit croire qu'il étoit malheureux, il fe jette entre fes bras, lui abandonne & lui confie le foin de la ville, condamne à l'exil un rival dont la malignité profite de l'événement pour tâcher d'exciter la haine contre celui auquel il l'impute.

Qu'on life les difcours de Démofthene contre Philippe & fes autres harangues politiques, on y verra un Miniftre habile qui fait fe prêter aux circonftances, qui raifonne avec fubtilité, qui démêle avec une fagacité admirable les projets d'un Monarque ambitieux, qui donne avec franchise à fes concitoyens, les avis les plus fages, & qui n'anime fa diction de cette véhémence qui lui étoit naturelle, que pour réveiller leur ardeur, pour les faire fortir de cet affoupiffement léthargique où il les voyoit plongés, pour les animer enfin contre un Prince qui vouloit les affervir eux & tous les Grecs. Prévoyant les deffeins de Philippe, que devoit-il faire ? Que devoit-il confeiller à fes compatriotes? Devoit-il leur confeiller de fe joindre à lui, de l'aider à forger les chaînes de la Grece, ou de refter neutres, fpectateurs oififs de fes progrès & de fes conquêtes? Si les Athéniens fuffent reftés tranquilles, n'auroient-ils pas été méprifés & accablés en conféquence? Au lieu qu'ils furent toujours ménagés par Philippe & par fon fils Alexandre, parce qu'ils avoient montré du courage, parce qu'ils s'étoient rendus redoutables, graces aux confeils vigoureux de Démofthene. Il ne faut pas juger les hommes d'après l'événement. Que Philippe eût fuccombé à Chéronée fous les efforts des Athéniens & des Thébains réunis, tout le monde auroit regardé avec raison l'alliance d'Athenes & de Thebes comme le chef-d'œuvre de la politique du Miniftre qui l'avoit

« PreviousContinue »