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C'est ici l'endroit où il faut examiner la fameufe loi qui permet de tuer un voleur de nuit, mais non pas un voleur de jour. Elle fe trouve dans l'Exode chap. XXII. v. 2. Si un voleur eft furpris perçant la muraille, & qu'on le bleffe, enforte qu'il en meure, on ne fera point coupable de meurtre. Mais fi le foleil étoit déjà levé, on fera coupable de meurtre: car le voleur auroit reftitué, ou s'il n'avoit pas eu de quoi fatisfaire, on l'auroit vendu pour payer fon larcin. Il y a une femblable loi parmi celles de Solon. Les douze Tables portoient la même chofe: Si nox furtum faxit, fi imo aliquis occidit, jure cafus efto.

Mais pourquoi la loi fait-elle cette différence de voleur de nuit à voleur de jour ?

Je dis que les raifons principales de la différence que la loi fait entre voleur de jour & voleur de nuit, font 19. parce que les ténébres de la nuit ne nous font pas voir clairement le péril dont nous fommes menacés; & par conféquent nous devons en être plus effrayés. 2°. Parce que l'infulte que le voleur de nuit nous fait, foit qu'il force les portes, foit qu'il fe foit gliffé dans la maifon pendant le jour, eft plus grande, l'attentat en eft plus criminel, que s'il entreprenoit de nous enlever nos biens pendant le jour. Un voleur n'ofe guere voler de jour, que lorfqu'il prévoit qu'il ne trouvera perfonne dans la maifon; ainfi il y a une plus forte présomption que le voleur de nuit foit réfolu de nous ôter la vie, en cas que nous nous miffions en état de Défense, qu'un voleur de jour; car le premier est für prefque toujours d'y trouver le maître: tandis que le fecond ordinairement faifit le temps où il ne fera pas apperçu. En effet, tout étant de nuit ordinairement fermé, un voleur pourroit-il, avec fes mains feules, percer la muraille, enfoncer une porte, un coffre, ou une armoire? Ainsi il est toujours armé, & prêt à faire ufage de fes armes. 3°. Il eft plus facile de reconnoître un voleur de jour qu'un voleur de nuit, foit par les perfonnes de la maison où on a commis le vol, foit par le voisinage. On peut encore avoir plus de fecours de jour que de nuit. 4°. La nuit, pendant que les hommes dorment, la loi veille, pour ainfi dire; & comme les propriétaires font alors moins en état de prendre leurs précautions, & de garder leur bien, elle épouvante davantage les voleurs, en leur faifant appréhender une plus grande punition, que s'ils déroboient pendant le jour.

Septieme queftion. L'agreffeur peut-il fe défendre contre la perfonne offenfée, lorfque celle-ci attaque l'autre à fon tour?

La loi naturelle ordonne fans contredit, que l'agreffeur offre fatisfaction à la perfonne offenfée. Celle-ci de fon côté eft tenue d'accorder à l'agref feur le pardon qu'il lui demande, & d'étouffer tout reffentiment contre lui lorfqu'il a lieu d'ailleurs d'être perfuadé qu'il a un véritable repentir de fa faute, & qu'il offie en même temps la réparation du dommage, avec toutes les furetés néceffaires pour l'avenir. Car la feule maniere d'expier une mauvaife action, dit Arrien, c'eft de la confeffer, & d'en témoigner du repentir.

Si donc l'agreffeur, après avoir refufé la jufte fatisfaction qu'on lui demandoit, fe défend contre la perfonne offenfée qui l'attaque à fon tour pour se faire raifon de l'injure, il entaffe offenfe fur offenfe. Mais fi la perfonne offenfée ne fe contente pas des fatisfactions raifonnables que l'agreffeur lui offre, & qu'il veuille, à quelque prix que ce foit, tirer vengeance de l'injure par la voie des armes, elle fe porte à une injufte violence, & par conféquent celui qui avoit été agreffeur peut alors fe défendre légitimement.

Huitieme queftion. Les maximes de la Défenfe de foi-même que nous venons d'établir, maximes qui font celles de la raifon, s'accordent-elles avec celles de l'Evangile?

La parfaite conformité des préceptes de l'Evangile avec les maximes de la raifon, conformité que je regarde comme le plus fort argument de la fainteté de l'Evangile, cette conformité, dis-je, eft d'abord un grand préjugé en faveur de l'affirmative. Cependant une piété mal entendue a fait interpréter quelques paffages de l'Ecriture fainte, de maniere à faire trouver la raison en contradiction avec la Loi Divine. Examinons donc en peu de mots les principales difficultés de quelques pieux Jurifconfultes qui prétendent que la Loi Divine nous ordonne de nous laiffer égorger, ravir notre honneur, enlever nos biens, &c.

1o. » Si notre Seigneur Jesus-Chrift, (c'eft ainfi que Grotius raisonne » Lib. II. c. 1. §. XIII. n. 2. 2.) veut, Matth. V, 40. qu'on abandonne le » manteau à celui qui cherche à nous enlever la tunique: Si l'Apôtre » S. Paul veut, I. Cor. VI. 7, qu'on fouffre quelque injuftice, plutôt que » d'entrer en procès contre quelqu'un; combat néanmoins, qui n'eft pas » fanglant; combien plus doivent-ils nous impofer la néceffité d'abandon> ner des chofes même de plus grande importance, plutôt que de tuer un » homme, fait à l'image de Dieu & defcendu d'un même pere, commun » à tout le genre-humain?...... Et je ne doute point, que l'opinion pour » laquelle je me déclare ne foit celle des premiers Chrétiens..... Ici donc » comme en matiere de plufieurs autres chofes, la difcipline s'eft relâchée » avec le temps, & l'on a peu à peu accommodé l'explication des loix de » l'Evangile aux mœurs du fiecle. «

2o. On nous oppofe encore le précepte de Jesus-Christ, qui veut qu'on fe laiffe donner un foufflet, plutôt que de faire aucun mal à l'agreffeur; d'où il s'enfuit, qu'il défend, à beaucoup plus forte raifon, de le tuer pour éviter un fouffler. Chrift nous ordonne auffi d'ainer notre prochain comme nous-mêmes, ce qui ne s'accorde guere avec les principes de la Défense de foi-même pouffée aux dernieres extrémités.

3°. Enfin, l'agreffeur, mourant en péché mortel, court rifque de fon falut; or les loix de la juftice ne permettent pas de fe garantir d'un moindre mal en caufant à autrui un mal beaucoup plus confidérable.

Ces difficultés & d'autres femblables ne font pas affez fortes pour nous Tome XV.

V v

faire abandonner l'opinion que nous défendons; favoir que la jufte Défense de nous-mêmes, pouffée jufqu'à tuer l'injufte agreffeur, eft conforme au droit divin auffi-bien qu'au droit naturel.

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1. Tout ce que l'on peut conclure des paffages de l'Evangile & de l'Epître de S. Paul, rapportés par Grotius; c'eft que quand il s'agit d'une chose de peu de conféquence, on ne doit point tuer le voleur qui veut nous la prendre, ou qui l'emporte. Mais lorsqu'on trouve un voleur dans fa maison, on ne fait pas d'abord s'il a pris peu ou beaucoup on a tout lieu de préfumer, au contraire, qu'il a pris beaucoup car ce n'est pas la coutume de ceux qui font ce métier, de laiffer le meilleur, & quand ils n'auroient eu envie d'abord que d'une certaine chofe, l'occafion, comme on fait, fait le larron. D'ailleurs quel droit a-t-il mon injufte agreffeur que je l'envisage comme un homme fait à l'image de Dieu & defcendu du même pere, pendant qu'il ne me regarde pas comme tel, pouvant plus aifément faire lui-même cette considération étant de fang-froid, que moi dans le trouble où le péril me jette?

Quant à ce que Grotius ajoute, touchant le relâchement de la difcipline, à fuppofer même que la jufte Défense de foi-même soit un article de difcipline, il ne prouve guere autre chofe, finon l'ignorance des docteurs chrétiens des premiers fiecles touchant les vraies maximes du droit naturel. Voyez l'Introduction au droit naturel du Profeffeur Felice, tom. I. les Principes du droit de la nature & des gens de Burlamaqui, édition d'Yverdon, en 8 vol. 8vo.

2o. Quant à ce que Jefus-Chrift dit aux difciples: fi quelqu'un vous donne un foufflet fur la joue droite, préfentez-lui encore l'autre c'est une maniere de proverbe par où il veut nous apprendre que lorsqu'il s'agit d'un mal léger & que nous pouvons fupporter fans beaucoup de peine, nous devons plutôt le fupporter que de nous en venger. Car d'ailleurs, lorsque nous défendons qu'on peut tuer un injufte agreffeur qui nous donne un foufflet, nous ne prétendons pas foutenir que la perfonne offenfée foit obligée de tuer fon agreffeur; elle peut renoncer à fon droit, & en offrant l'autre joue montrer à fon injufte agreffeur une patience peu commune, qui furement en procurera le repentir. Mais Jefus-Chrift n'a nullement prétendu livrer fes difciples à la malice des méchans.

L'Evangile nous ordonne auffi d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, mais non pas plus que nous-mêmes. Enforte que fi nous avons à craindre le même mal qu'une autre perfonne, nous pouvons légitimement penfer à notre propre intérêt, plutôt qu'au fien : & je foutiens que dans tout l'Evangile il n'y a aucun commandement en vertu duquel on foit tenu de perdre fa propre vie pour fauver celle du prochain. D'ailleurs ce précepte de Jefus-Chrift, eft une maxime générale, qui ne fauroit fervir à décider aucun cas particulier, & revêtu de circonftances toutes particulieres, sel qu'est celui où l'on fe trouve, lorsqu'on ne peut fatisfaire en même

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339 temps à l'amour de foi-même, & à l'amour du prochain. Car, toutes chofes d'ailleurs égales, l'amour de foi-même doit l'emporter, comme il paroît par ce que dit S. Paul lui-même, 2. Cor. VIII. 3. La décifion de ce cas, où il y a du conflit entre l'amour de foi-même & la fociabilité, dépend d'autres principes, d'où l'on infere, que comme il y a des occafions où l'on fe préfere légitimement à tout autre, il y en a aussi où l'on doit préférer la confervation d'autrui à la fienne propre.

Il faut expliquer les autres paffages qu'on peut objecter, foit de la vengeance, qui n'eft jamais permise par aucun droit, foit des amis pour le bonheur defquels nous pouvons nous facrifier, fi nous voulons pouffer jufqu'à ce point la charité, le droit naturel ne nous le défendant point; foit enfin d'une Défense outrée pour de petites injures & des affronts fort peu confidérables.

3o. Il n'eft pas plus difficile de répondre à la derniere difficulté. Car ceux qui la propofent, devroient bien confidérer, que dans l'épouvante où jette le danger & dans la chaleur d'un combat où il s'agit de fa vie, on n'a pas le loifir d'examiner avec foin ces fortes de raifons; toutes les penfées de l'ame aboutiffant alors à chercher les moyens d'éviter la mort dont on fe voit menacé. Celui qui eft attaqué ne fe trouve pas non plus toujours fi bien préparé à mourir, qu'il ne croie avoir befoin de quelque temps pour mettre fon ame en bon état, ou comme s'exprime un auteur ancien, pour plier bagage avant que de déloger de ce monde. Annus enim odogefimus admonet me, ut farcinas colligam, antequam proficifcar è vita. Varro de Re Ruftica Lib. I. chap. II. D'ailleurs il n'y a guere apparence, qu'on doive penfer au falut d'un autre, plus que celui-ci ne s'en met en peine lui-même. Si donc l'agreffeur rifque fon falut par-là même qu'il tâche de m'ôter la vie, pourquoi racheterai-je fon ame au péril de ce que j'ai de plus précieux & d'un bien dont la perte eft irréparable? D'autant plus qu'il n'eft pas fûr qu'un tel homme évite la damnation éternelle, quand même il ne fera pas tué pour l'heure. De l'aveu de tout le monde, on n'a aucun égard aux dangers où un homme s'eft exposé par fa propre faute, & d'où il peut fe tirer quand il lui plaît. Or en cette rencontre l'agreffeur ne courra plus rifque pour fon ame, du moins pour le préfent, du moment qu'il ceffera de nous infulter.

Enfin l'opinion que nous réfutons tendroit à rendre la condition des méchans plus heureufe que celle des gens de bien. Car fi un agreffeur injufte étoit, pour ainfi dire, une perfonne facrée & inviolable, les gens de bien feroient toujours réduits à la dure néceffité de fe laiffer patiemment égorger par des fcélérats, de peur qu'en leur réfiftant ils ne les expofaffent à la damnation éternelle.,, Si la charité s'oppofoit, dit très-bien M. la » Placette, à ce qu'on fit mourir des perfonnes qu'on fauroit être en état » de péché & de damnation, il s'enfuivroit, que les Magiftrats ne pour»roient faire fouffrir le dernier fupplice à des fcélérats, qui feroient voir

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» par leurs paroles & par leurs actions qu'ils n'ont pas les difpofitions né» ceffaires pour bien mourir. Ces miférables n'auroient qu'à proférer des

blafphêmes, & des impiétés pour fe mettre à couvert de la punition » qu'ils ont méritée : ce qui eft abfurde & infupportable. Il s'enfuivroit » encore qu'il n'y auroit point de guerre qui fût permife. Car comme il eft moralement impoffible que la moins fanglante de toutes les guerres » n'emporte un grand nombre de miférables, qui meurent dans de mau» vaifes difpofitions, on n'en pourroit entreprendre aucune fans s'expofer » à ce danger, & par conféquent fans violer les loix de la charité. “ Traité du Droit que chacun a de fe défendre, Chap. V.

DÉGAT, f. m. Terme du droit de la guerre, qui défigne tous les maux que l'on peut caufer à l'ennemi en ravageant fes biens & fes domaines pendant la guerre.

LE

E droit de Dégât, s'étend en général fur toutes les chofes qui appartiennent à l'ennemi, & le droit des gens proprement ainfi nommé n'en excepte pas même les chofes facrées, c'eft-à-dire, celles qui font confacrées au vrai Dieu, ou aux fauffes divinités, dont les hommes font l'objet de leur culte religieux. Il est vrai qu'à cet égard, les mœurs & les coutumes des nations ne s'accordent pas parfaitement; les unes s'étant permis le Dégat des chofes facrées & religieufes, & les autres l'ayant envifagé comme une profanation criminelle : mais quels que puiffent être l'ufage & les mœurs des nations, c'eft ce qui ne fauroit jamais faire la regle primitive du droit : c'eft pourquoi pour s'affurer du droit que donne la guerre à cet égard, il faut recourir aux principes du droit de la nature & des gens.

Je remarque donc que les chofes facrées ne font pas dans le fond d'une nature différente des autres chofes, que l'on appelle profanes. Elles ne different de celles-ci, que par la deftination que les hommes en ont faite pour fervir au culte de la religion. Mais cette destination ne donne pas aux chofes la qualité de faintes & de facrées, comme un caractere intrinfeque & ineffaçable dont perfonne ne puiffe les dépouiller. Ces chofes ainfi facrées appartiennent toujours au public ou au Souverain, & rien n'empêche que le Souverain qui les a destinées au culte religieux, ne change dans la fuite cette deftination & ne les applique à d'autres ufages; car elles font de fon domaine, ainfi que toutes les autres chofes publiques.

C'est donc une fuperftition groffiere de croire que par la confécration ou destination de ces chofes au fervice de Dieu, elles changent, pour ainfi dire, de maître, & qu'elles n'appartiennent pas aux hommes, qu'elles foient tout-à-fait & abfolument fouftraites du commerce, & que la pro

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