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près du Pape, Jean VIII, de ne pas recevoir les Décrétales des Papes; ce qui l'obligea d'écrire une apologie que nous n'avons plus, où il déclaroit qu'il recevoit celles qui étoient approuvées par les Conciles. Il fentoit donc bien que les fauffes Décrétales renfermoient des maximes inouies, mais tout grand canonifte qu'il étoit, il ne put jamais en démêler la fauffeté. Il ne favoit pas affez de critique pour y voir les preuves de fuppofition, toutes fenfibles qu'elles font, & lui-même allegue ces Décrétales dans fes lettres & fes autres opufcules. Son exemple fut fuivi de plufieurs Prélats. On admit d'abord celles qui n'étoient point contraires aux canons plus récens; enfuite on fe rendit encore moins fcrupuleux : les Conciles eux-mêmes en fient ufage. C'eft ainfi que dans celui de Rheims tenu l'an 992, les Evêques fe fervirent des fauffes Décrétales d'Anaclet, de Jules, de Damafe, & des autres Papes, dans la cause d'Arnoul, comme fi elles avoient fait partie du corps des canons. Voyez M. de Marca, lib. II de concordia Sacerdot. & imp. cap. xj. §. 2. Les Conciles qui furent célébrés dans la fuite imiterent celui de Rheims. Les Papes du onzieme fiecle, dont plufieurs furent vertueux & zélés pour le rétabliffement de la difcipline eccléfiaftique, un Grégoire VII, un Urbain II, un Pafcal II, un Ubain III, un Alexandre III, trouvant l'autorité de ces fauffes Décrétales tellement établie que perfonne ne penfoit plus à la contefter, fe crurent obligés en confcience à foutenir les maximes qu'ils y lifoient, perfuadés que c'étoit la difcipline des beaux jours de l'Eglife. Ils ne s'apperçurent point de la contrariété & de l'oppofition qui régnent entre cette difcipline & l'ancienne. Enfin, les compilateurs des canons, tels que Bouchard de Wormes, Yves de Chartres, & Gratien, en remplirent leur collection. Lorfqu'une fois on eut commencé à enfeigner le décret publiquement dans les écoles & à le commenter, tous les théologiens polémiques & fcholafliques, & tous les interpretes du droit canon, employerent à l'envi l'un de l'autre ces fauffes Décrétales pour confirmer les dogmes catholiques, ou établir la difcipline, & en parfemerent leurs ouvrages. Ainfi pendant l'efpace de 800 ans la collection d'Ifidore eut la plus grande faveur. Ce ne fut que dans le feizieme fiecle que l'on conçut les premiers foupçons fur fon authenticité. Erafme & plufieurs avec lui la révoquerent en doute, furtout M. le Conte dans fa Préface fur le décret de Gratien, voyez l'article DÉCRET; de même Antoine Auguftin, quoiqu'il fe foit fervi de ces fauffes Décrétales dans fon Abrégé du Droit canonique, infinue néanmoins dans plufieurs endroits qu'elles lui font fufpectes; & fur le capitule 36 de la collection d'Adrien I, il dit expreflément que l'épitre de Damafe à Aurelius de Carthage, qu'on a mise à la tête des Conciles d'Afrique, eft regardée par la plupart comme apocryphe, auffi-bien que plufieurs épîtres de Papes plus anciens. Le Cardinal Bellarmin qui les défend dans fon traité Le Romano Pontifice, ne nie pas cependant lib. II. cap. xiv. qu'il ne puiffe s'y être gliffé quelques erreurs, & n'ofe avancer qu'elles foient d'une au

torité incontestable. Le Cardinal Baronius dans fes Annales, & principalement ad annum 865, num. 8 & 9, avoue de bonne foi qu'on n'eft point für de leur authenticité. Ce n'étoit encore là que des conje&ures; mais bientôt on leur porta de plus rudes atteintes : on ne s'arrêta pas à telle ou telle piece en particulier, on attaqua la compilation entiere: voici fur quels fondemens on appuya la critique qu'on en fit. 1°. Les Décrétales rapportées dans la collection d'Ifidore, ne font point dans celles de Denis le-Petit, qui n'a commencé à citer les Décrétales des fouverains Pontifes qu'au Pape Sirice. Cependant il nous apprend lui-même dans fa lettre à Julien, Prêtre du titre de Saint Anaftafe, qu'il avoit pris un foin extrême à les recueillir. Comme il faifoit fon féjour à Rome, étant Abbé d'un Monaftere de cette ville, il étoit à portée de fouiller dans les archives de l'Eglife Romaine; ainfi elles n'auroient pu lui échapper fi elles y avoient exifté. Mais fi elles ne s'y trouvoient pas, & fi elles ont été inconnues à l'Eglife Romaine elle-même à qui elles étoient favorables, c'eft une preuve de leur faufleté. Ajoutez qu'elles l'ont été également à toute l'Eglife; que les Peres & les Conciles des huit premiers fiecles, qui alors étoient fort fréquens, n'en ont fait aucune mention. Or comment accorder un filence aufli univerfel avec leur authenticité? 2°. La matiere de ces épîtres que l'impofteur fuppofe écrites dans les premiers fiecles, n'a aucun rapport avec l'état des chofes de ce temps-là: on n'y dit pas un mot des perfécutions, des dangers de l'Eglife, prefque rien qui concerne la doctrine on n'y exhorte point les fideles à confeffer la foi on n'y donne aucune confolation aux martyrs on n'y parle point de ceux qui font tombés pendant la perfécution, de la pénitence qu'ils doivent fubir. Toutes ces chofés néanmoins étoient agitées alors, & fur-tout dans le troifieme fiecle, & les véritables ouvrages de ces temps-là en font remplis : enfin, on ne dit rien des hérétiques des trois premiers fiecles, ce qui prouve évidemment qu'elles ont été fabriquées poftérieurement. 3°. Leurs dates font prefque toutes fauffes leur Auteur fuit en général la chronologie du livre pontifical, qui, de l'aveu de Baronius, eft très-fautive. C'eft un indice preffant que cette collection n'a été compofée que depuis le livre pontifical. 4°. Ces fauffes Décrétales dans tous les endroits des paffages de l'Ecriture, emploient toujours la verfion des livres faints appellée Vulgate, qui, fi elle n'a pas été faite par S. Jérôme, a du moins pour la plus grande partie été revue & corrigée par lui: donc elles font plus récentes que S. Jérôme. 5o. Toutes ces lettres font écrites d'un même style, qui est très-barbare, & en cela très-conforme à l'ignorance du huitieme fiecle. Or il n'eft pas vraisemblable que tous les différens Papes dont elles portent le nom, aient affecté de conferver le même ftyle. Il n'eft pas encore vraisemblable qu'on ait écrit d'un style auffi barbare dans les deux premiers fiecles, quoique la pureté de la langue latine eût déjà fouffert quelqu'altération. Nous avons des Auteurs de ces temps-là qui ont de l'élégance, de la pureté, & de l'énergie,

tels font Pline, Suétone, & Tacite. On en peut conclure avec afsurance que toutes ces Décrétales font d'une même main, & qu'elles n'ont été forgées, qu'après l'irruption des Barbares & la décadence de l'Empire Romain. Outre ces raifons générales, David Blondel nous fournit dans fon faux Ifidore de nouvelles preuves de la fauffeté de chacune de ces Décrétales; il les a toutes examinées d'un œil févere, & c'eft à lui principalement que nous fommes redevables des lumieres que nous avons aujourd'hui fur cette compilation. Le P. Labbe, favant Jéfuite, a marché fur fes traces dans le tome 1 de fa Collection des Conciles. Ils prouvent tous deux fur chacune de ces pieces en particulier, qu'elles font tiffues de paffages de Papes, de Conciles, de Peres, & d'Auteurs plus récens que ceux dont elles portent le nom; que ces paffages font mal coufus ensemble, font mutilés & tronqués pour mieux induire en erreur les lecteurs qui ne font pas attentifs. Ils y remarquent de très-fréquens anacronifmes; qu'on y fait mention de chofes abfolument inconnues à l'antiquité par exemple, dans l'épitre de S. Clément à S. Jacques frere du Seigneur, on y parle des habits dont les Prêtres fe fervent pour célébrer l'Office divin, des vafes facrés, des calices, & autres chofes femblables qui n'étoient pas en ufage du temps de S. Clément. On y parle encore des Portiers, des Archidiacres, & autres Miniftres de l'Eglife, qui n'ont été établis que depuis. Dans la premiere Décrétale d'Anaclet, on y décrit les cérémonies de l'Eglife d'une façon qui alors n'étoit point encore ufitée : on y fait mention d'Archevêques, de Patriarches, de Primats, comme fi ces titres étoient connus dès la naiffance de l'Eglife. Dans la même lettre on y ftatue qu'on peut appeller des Juges féculiers aux Juges eccléfiaftiques; qu'on doit réferver au faint Siege les caufes majeures, ce qui eft extrêmement contraire à la difcipline de ce temps. Enfin chacune des pieces qui compofent le Recueil d'Ifidore, porte avec elle des marques de fuppofition qui lui font propres, & dont aucune n'a échappé à la critique de Blondel & du P. Labbe : nous ne pouvons mieux faire que d'y renvoyer le Lecteur.

Au refte les fauffes Décrétales ont produit de grandes altérations & des maux pour ainfi dire irréparables dans la difcipline eccléfiaftique; c'est à elles qu'on doit attribuer la ceffation des conciles provinciaux. Autrefois ils étoient fort fréquens il n'y avoit que la violence des perfécutions qui en interrompît le cours. Si-tôt que les Evêques fe trouvoient en liberté ils y recouroient, comme au moyen le plus efficace de maintenir la difcipline mais depuis qu'en vertu des fauffes Décrétales la maxime fe fut établie de n'en plus tenir fans la permiffion du fouverain Pontife, ils devinrent plus rares, parce que les Evêques fouffroient impatiemment que les légats du Pape y préfidaffent, comme il étoit d'ufage depuis le douzieme fiecle; ainfi on s'accoutuma insensiblement à n'en plus tenir. En fecond lieu, rien n'étoit plus propre à fomenter l'impunité des crimes, que ces jugemens des Evêques réfervés au faint Siege. Il étoit facile d'en im

pofer à un juge éloigné, difficile de trouver des accufateurs & des témoins. De plus, les Evêques cités à Rome n'obéiffoient point, foit pour.caufe de maladie, de pauvreté ou de quelqu'autre empêchement; foit parce qu'ils fe fentoient coupables. Ils méprifoient les cenfures prononcées contr'eux; & fi le Pape, après les avoir dépofés, nommoit un fucceffeur, ils le repouffoient à main armée; ce qui étoit une fource intariffable de rapines, de meurtres & de féditions dans l'Etat, de troubles & de fcandales dans l'Eglife. Troifiémement, c'eft dans les fauffes Décrétales que les Papes ont puifé le droit de transférer feuls les Evêques d'un fiege à un autre, & d'ériger de nouveaux évêchés. A l'égard des tranflations, elles étoient en général févérement défendues par les canons du concile de Sardique & de plufieurs autres conciles: elles n'étoient tolérées que lorfque l'utilité évidente de l'Eglife les demandoit, ce qui étoit fort rare; & dans ce cas elles fe faifoient par l'autorité du métropolitain & du concile de la province. Mais depuis qu'on a fuivi les fauffes Décrétales, elles font devenues fort fréquentes dans l'Églife latine. On a plus confulté l'ambition & la cupidité des Evêques, que l'utilité de l'Eglife; & les Papes ne les ont condamnées que lorfqu'elles étoient faites fans leur autorité, comme nous voyons dans les lettres d'Innocent III. L'érection des nouveaux Evêchés, fuivant l'ancienne difcipline, appartenoit pareillement au concile de la province, & nous en trouvons un canon précis dans les conciles d'Afrique; ce qui étoit conforme à l'utilité de la religion & des fideles, puifque les Evêques du pays étoient feuls à portée de juger quelles étoient les villes qui avoient befoin d'Evêques, & en état d'y placer des fujets propres à remplir dignement ces fonctions. Mais les fauffes Décrétales ont donné au Pape feul le droit d'ériger de nouveaux Evêchés; & comme souvent il eft éloigné des lieux dont il s'agit, il ne peut être inftruit exactement, quoiqu'il nomme des commiffaires & fafle faire des informations de la commodité & incommodité, ces procédures ne fuppléant jamais que d'une maniere très-imparfaite à l'infpection oculaire & à la connoiffance qu'on prend des chofes par foi-même. Enfin une des plus grandes plaies que la difcipline de l'Eglife ait reçue des fauffes Décrétales, c'eft d'avoir multiplié à l'infini les appellations au Pape : les indociles avoient par-là une voie fûre d'éviter la correction, ou du moins de la différer. Comme le Pape étoit mal informé, à caufe de la diftance des lieux, il arrivoit fouvent que le bon droit des parties étoit léfé; au lieu que dans le pays même, les affaires euffent été jugées en connoiffance de caufe & avec plus de facilité. D'un autre côté, les Prélats rebutés de la longueur des procédures, des frais & de la fatigue des voyages, & de beaucoup d'autres obftacles difficiles à furmonter, aimoient mieux tolérer les défordres qu'ils ne pouvoient réprimer par leur feule autorité, que d'avoir recours à un pareil remede. S'ils étoient obligés d'aller à Rome, ils étoient détournés de leurs fonctions fpirituelles; les peuples restoient fans instruc

tion, & pendant ce temps-là l'erreur ou la corruption faifoit des progrès confidérables. L'Eglife Romaine elle-même perdit le luftre éclatant dont elle avoit joui jufqu'alors par la fainteté de fes pafters. L'ufage fréquent des appellations attirant un concours extraordinaire d'étrangers, on vit naître dans fon fein l'opulence, le fafte & la grandeur : les fouverains Pontifes qui d'un côté enrichiffoient Rome, & de l'autre la rendoient terrible à tout l'univers chrétien, cefferent bientôt de la fanctifier. Telles ont été les fuites funeftes des fauffes Décrétales dans l'Eglife latine; & par la raifon qu'elles étoient inconnues dans l'Eglife grecque, l'ancienne difcipline s'y eft mieux confervée fur tous les points que nous venons de marquer. On eft effrayé de voir que tant d'abus, de relâchement & de défordres, foient nés de l'ignorance profonde où l'on a été plongé pendant l'espace de plufieurs fiecles : & l'on fent en même temps combien il importe d'être éclairé fur la critique, l'hiftoire, &c. Mais fi la tranquillité & le bonheur des peuples, fi la paix & la pureté des mœurs dans l'Eglife, fe trouvent fi étroitement liés avec la culture des connoiffances humaines, les Princes ne peuvent témoigner trop de zele à protéger les lettres & ceux qui s'y adonnent, comme étant les défenfeurs nés de la religion & de l'Etat. Les fciences font un des plus folides remparts contre les entreprifes du fanatifme, fi préjudiciables à l'un & à l'autre, & l'efpris de méditation eft auffi le mieux difpofé à la foumiffion & à l'obéiffance.

.DÉDOMMAGEMENT, f. m. Réparation du dommage caufé injustement à quelqu'un.

QUICONQUE eft refponfable d'une action dommageable, eft responsa

ble en même-temps de toutes les fuites qui en font provenues par un effet de la nature même de l'action. Voici quelques exemples de ce que renferme le Dédommagement auquel on eft tenu felon les différens cas.

1o. Un homme qui en tue un autre injuftement, doit payer les frais du médecin, fi l'on en a fait pour cela avant la mort, & donner à ceux que le mort nourriffoit par devoir, comme à fes pere & mere, à fa femme, à fes enfans, autant que peut fe monter l'efpérance de leur entretien pour l'avenir, eu égard à l'âge du défunt.

2°. Quand on a eftropié quelqu'un, on eft auffi tenu de payer les frais des chirurgiens, & de dédonimager outre cela le bleffé, à proportion de ce qu'on l'empêche par-là de gagner.

30. Celui qui a mis ou fait mettre en prifon quelqu'un injustement, doit le dédommager de la même maniere.

4°. Un homme ou une femme adultere font tenus non-feulement d'in

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