Page images
PDF
EPUB

dans lefquels les conftitutions des Papes n'ont de vigueur qu'autant qu'el les ont été approuvées par le Prince, les compilations qu'ils font publier out le même fort, c'eft-à-dire, qu'elles ont befoin d'acceptation pour qu'elles foient regardées comme loix. Cela pofé, les jurifconfultes François demandent fi les Décrétales de Grégoire IX ont jamais été reçues en France. Charles Dumoulins dans fon Commentaire fur l'édit de Henri II, vulgairement appellé l'édit des petites dates, obferve, Glofe xv. num. 250, que dans les registres de la cour, on trouve un confeil donné au Roi par Eudes, Duc de Bourgogne, de ne point recevoir dans fon Royaume les nouvelles Conftitutions des Papes. Le même Auteur ajoute qu'en effet elles ne font point admifes dans ce qui concerne la jurisdiction féculiere, ni même en matiere fpirituelle, fi elles font contraires aux droits & aux libertés de l'Eglife Gallicane; & il dit que cela eft d'autant moins furprenant, que la Cour de Rome elle-même ne reçoit pas toutes les Décrétales inférées dans les collections publiques. Conformément à cela, M. Florent, dans fa Préface de auctoritate Gratiani & aliarum collectionum, prétend que les Décrétales n'ont jamais reçu en France le fceau de l'autorité publique, & quoiqu'on les enfeigne dans les écoles, en vertu de cette autorité, qu'il n'en faut pas conclure qu'elles ont été admises, mais qu'on doit les regarder du même œil que les livres du droit civil qu'on enfeigne publiquement par ordre des Rois de France, quoiqu'ils ne leur aient jamais donné force de loi. Pour preuve de ce qu'il avance, il cite une lettre manuscrite de Philippe-le-Bel, adreffée à l'Univerfité d'Orléans, où ce Monarque s'exprime en ces termes : Non putet igitur aliquis nos recipere vel primogenitores noftros recepiffe confuetudines quaflibet five leges, ex eo quòd eas in diverfis locis & fludiis regni noftri per fcholafticos legi finatur; multa namque eruditioni & doctrinae proficiunt, licet recepta non fuerint, nec Ecclefia recepit quamplures canones qui per defuetudinem abierunt, vel ab initio non fuere recepti, licèt in fcholis à ftudiofis propter eruditionem legantur. Scire namque fenfus, ritus & mores hominum diverforum locorum & temporum, valdè proficit ad cujufcumque doctrinam. Cette lettre eft de l'année 1312. On ne peut nier cependant qu'on ne fe foit fervi des Décrétales, & qu'on ne s'en ferve encore aujourd'hui dans les tribunaux, lorfqu'elles ne font pas contraires aux libertés de l'Eglife Gallicane; d'où l'on peut conclure que dans ces cas-là elles font reçues, du moins tacitement, par l'ufage, & parce que les Rois de France ne s'y font point oppofés : & il ne faut point à cet égard féparer le Sexte de Boniface VIII des autres collections quoique plufieurs foutiennent que celle-là spécialement n'eft point admise à caufe de la fameufe querelle entre Philippe-le-Bel & ce Pape. Ils fe fondent fur la glofe du capitule xvj. de elect. in Sexto, où il eft dit nommément que les conflitutions du Sexte ne font point reçues dans le Royaume; mais nous croyons avec M. Doujat, lib. IV prænot. canon. cap. xxiv, num. 7. devoir rejetter cette opinion comme fauffe; premiérement, parce que la compilation

compilation de Boniface a vu le jour avant qu'il eût eu aucun démêlé avec Philippe-le-Bel. De plus, la Bulle Unam fandam, où ce Pape, aveuglé par une ambition démefurée, s'efforce d'établir que le fouverain Pontife a droit d'inftituer, de corriger & de dépofer les Souverains, n'eft point rapportée dans le Sexte, mais dans le cap. j. de majoritate & obedientia, extravag. comm., où l'on trouve en même temps, cap. ij. ibid. la Bulle Mcruit de Clément V, par laquelle il déclare qu'il ne prétend point que la conftitution de Boniface porte aucun préjudice au Roi ni au Royaume de France, ni qu'elle les rende plus fujets à l'Eglife Romaine, qu'ils l'étoient auparavant. Enfin il eft vraisemblable que les paroles attribuées à la Glofe fur le cap. xvj. de electione in Sexto, ne lui appartiennent point, mais qu'elles auront été ajoutées après coup, par le zele inconfidéré de quelque Docteur François. En effet, elles ne fe trouvent que dans l'édition d'Anvers, & non dans les autres, pas même dans celle de Charles Dumoulins, qui certainement ne les auroit pas omifes, fi elles avoient appartenu à la Glofe.

Au refte, l'illuftre M. de Marca dans fon traité de concordiâ facerdotii & imperii, lib. III c. vj. prouve la néceffité & l'utilité de l'étude des Décrétales. Pour réduire en peu de mots les raifons qu'il en apporte, il fuffit de rappeller ce que nous avons déjà remarqué au commencement de cet article; favoir, que l'autorité des Conciles provinciaux ayant diminué insenfiblement, & enfuite ayant été entiérement anéantie, attendu que les affemblées d'Evêques étoient devenues plus difficiles après la divifion de l'Empire de Charlemagne, à caufe des guerres fanglantes, que fes fucceffeurs Te faifoient les uns aux autres, il en étoit réfulté que les fouverains Pontifes étoient parvenus au plus haut degré de puiffance, & qu'ils s'étoient ar rogé le droit de faire des loix, & d'attirer à eux feuls la connoiffance de toutes les affaires; les Princes eux-mêmes, qui fouvent avoient befoin de leur crédit, favorisant leur ambition. Ce changement a donné lieu à une nouvelle maniere de procéder dans les jugemens eccléfiaftiques: delà tant de différentes conftitutions touchant les élections, les collations des bénéfices, les empêchemens du mariage, les excommunications, les maisons religieufes, les privileges, les exemptions, & beaucoup d'autres points qui fubfiftent encore aujourd'hui; enforte que l'ancien droit ne fuffit plus pour terminer les conteftations, & qu'on eft obligé d'avoir recours aux Décrétales qui ont engendré ces différentes formes. Mais s'il eft à propos de bien connoître ces collections & de les étudier à fond, il eft encore néceffaire de confulter les Auteurs qui les ont interprétées; c'eft pourquoi nous croyons devoir indiquer ici ceux que nous regardons comme les meilleurs. Sur les Décrétales de Grégoire IX, nous indiquerons Van-Efpen, tome IV de fes œuvres édit. de Louvain 1753. Cet Auteur a fait d'excellentes obfervations fur les canons du Concile de Tours, & ceux des Conciles de Latran III & IV, qui font rapportés dans cette collection, Nous ajouterons M. Cujas, Tome XV.

[ocr errors]

PP

qui a commencé les fecond, troisieme & quatrieme livres prefqu'en entier; MM. Jean de la Cofte & Florent, qui ont écrit plufieurs traités particuliers fur différens titres de cette même collection; Charles Dumoulins, dont on ne doit pas négliger les notes, tant fur cette collection que les fuivantes; M. Ciron, qui a jetté une grande érudition dans fes Paratitles fur les cinq livres des Décrétales; M. Hauteferre', qui a commenté les Décrétales d'Innocent III. On y peut joindre l'édition qu'a faite M. Baluze des épîtres du même Pape, & celle de M. Bofquet, Evêque de Montpellier; enfin Gonzalès, dont le grand Commentaire fur toute la collection de Grégoire IX eft fort eftimé cet Auteur néanmoins étant dans les principes ultramontains, doit être lu avec précaution. Sur le Sexte, nous nous contenterons d'indiquer Van-Efpen, tome IV, ibid., qui a fait également des Obfervations fur les Canons des deux Conciles-généraux de Lyon, qu'on trouve répandus dans cette collection; fur les Clémentines, le Commentaire qu'en a fait M. Hauteferre. A l'égard des deux dernieres collections, on peut s'en tenir à la lecture du texte, & aux notes de Charles Dumoulins.

FAUSSES DÉCRÉTALES.

LES fauffes Décrétales font celles qu'on trouve raffemblées dans la collection qui porte le nom d'Ifidore Mercator; on ignore l'époque précise de cette collection, quel en eft le véritable auteur, & on ne peut à cet égard que fe livrer à des conjectures. Le Cardinal d'Aguirre, tome 1. des conciles d'Espagne, differtat. j. croit que les fauffes Décrétales ont été composées par Ifidore, Evêque de Séville, qui étoit un des plus célébres écrivains de fon fiecle; il a depuis été canonifé, & il tient un rang diftingué parmi les Docteurs de l'Eglife. Le Cardinal fe fonde principalement fur l'autorité d'Hincmar de Rheims, qui les lui attribue nommément, epift. vij. cap. z2; mais l'examen de l'ouvrage même réfute cette opinion. En effet, on y trouve plufieurs monumens qui n'ont vu le jour qu'après la mort de cet illustre Prélat; tels font les canons du fixieme concile général, ceux des conciles de Tolede, depuis le fixieme jufqu'au dix-feptieme; ceux du concile de Merida, & du fecond concile de Brague. Or Ifidore eft mort en 636, fuivant le témoignage unanime de tous ceux qui ont écrit fa vie, & le fixieme concile général s'eft tenu l'an 680; le fixieme de Tolede, l'an 638, & les autres font beaucoup plus récens, Le Cardinal ne fe diffimule point cette difficulté; mais il prétend que la plus grande partie, tant de la préface où il eft fait mention de ce fixieme concile, que de l'ouvrage, appartient à Ifidore de Séville, & que quelqu'écrivain plus moderne y aura ajouté ces monumens. Ce qui le détermine à prendre ce parti, c'est que l'auteur dans fa préface annonce qu'il a été obligé à faire cet ouvrage par

quatre-vingts Evêques & autres ferviteurs de Dieu. Sur cela le Cardinal demande quel autre qu'Ifidore de Séville a été d'un affez grand poids en Espagne, pour que quatre-vingts Evêques de ce Royaume l'engageaffent à travailler à ce recueil; & il ajoute qu'il n'y en a point d'autre fur qui on puiffe jetter les yeux, ni porter ce jugement. Cette réflexion eft bientôt détruite par une autre qui s'offre naturellement à l'efprit; favoir, qu'il est encore moins probable qu'un livre compofé par un homme auffi célébre & à la follicitation de tant de Prélats, ait échappé à la vigilance de tous ceux qui ont recueilli fes œuvres, & qu'aucun d'eux n'en ait parlé. Secondement, il paroît que l'auteur de la compilation a vécu bien avant dans le huitieme fiecle, puifqu'on y rapporte des pieces qui n'ont paru que vers le milieu de ce fiecle; telle eft la lettre de Boniface I, Archevêque de Mayence, écrite l'an 744 à Ethelbald, Roi des Merciens, en Angleterre, plus de cent années par conféquent après la mort d'Ifidore. De plus, l'on n'a découvert jufqu'à préfent aucun exemplaire qui porte le nom de cet Evêque. Il est bien vrai que le Cardinal d'Aguirre dit avoir vu un manufcrit de cette collection dans la bibliotheque du Vatican, qui paroît avoir environ 830 années d'ancienneté, & être du temps de Nicolas I, où il finit, & qu'à la tête du manufcrit on lit en grandes lettres, incipit præfatio Ifidori Epifcopi : mais comme il n'ajoute point Hifpalenfis, on ne peut rien en conclure; & quand bien même ce mot y feroit joint, il ne s'enfuivroit pas que ce fût véritablement l'ouvrage d'Ifidore de Séville : car fi l'auteur a eu la hardieffe d'attribuer fauffement tant de Décrétales aux premiers Papes, pourquoi n'auroit-il pas eu celle d'ufurper le nom d'Ifidore de Séville, pour accréditer fon ouvrage? Par la même raison de ce qu'on trouve dans la préface de ce recueil divers paffages qui se rencontrent au cinquieme livre des étymologies d'Ifidore, fuivant la remarque des correcteurs Romains, ce n'eft pas une preuve que cette préface foit de lui, comme le prétend le Cardinal. En effet, l'auteur a pu coudre ces paffages à fa préface, de même qu'il a coufu différens paffages des faints Peres aux Décrétales qu'il rapporte. Un nouveau motif de nous faire rejetter le fentiment du Cardinal, c'eft la barbarie du ftyle qui regne dans cette compilation, en cela différent de celui d'Ifidore de Séville, verfé dans les bonnes lettres, & qui a écrit d'une maniere beaucoup plus pure. Quel fera donc l'auteur de cette collection? Suivant l'opinion la plus généralement reçue, on la donne à un Ifidore furnommé Mercator, & cela à caufe de ces paroles de la préface, Ifidorus Mercator fervus Chrifti, Ledori confervo fuo: c'eft ainfi qu'elle eft rapportée dans Yves de Chartres, & au commencement du premier tome des conciles du P. Labbe; elle eft un peu différente dans Gratien fur le canon IV de la diftinction xvj, où le nom de Mercator eft fupprimé; & même les correcteurs Romains, dans leur feconde note fur cet endroit de Gratien, obfervent que dans plufieurs exemplaires, au lieu du furnom de Mercator, on lit celui de Peccator: quel

&

ques-uns même avancent, & de ce nombre eft M. de Marca, lib. III. de Concordia facerd. & imp. cap. v, que cette leçon eft la véritable, & que celle de Mercator ne tire fon origine que d'une faute des copiftes. Ils ajoutent que le furnom de Peccator vient de ce que plufieurs Evêques foufcrivant aux conciles, prenoient le titre de Pécheurs, ainfi qu'on le voit dans le premier concile de Tours, dans le troifieme de Paris, dans le fecond de Tours, & dans le premier de Mâcon; & dans l'Eglife grecque les Evêques affectoient de s'appeller napráλ. Un troifieme fyftême des fauffes Décrétales, eft celui que nous préfente la Chronique de Julien de Tolede, imprimée à Paris dans le fiecle dernier, par les foins de Laurent Ramirez, Efpagnol. Cette Chronique dit expreffément que le recueil dont il s'agit ici, a été compofé par Ifidore Mercator, Evêque de Xativa, (c'est une ville de l'ifle Majorque, qui releve de l'Archevêché de Valence en Espagne;) qu'il s'eft fait aider dans ce travail par un moine, & qu'il eft mort l'an 805; mais la foi de cette Chronique eft fufpe&te parmi les favans, avec raison. En effet, l'éditeur nous apprend que Julien, Archevêque de Tolede, eft monté fur ce fiege en l'an 680, & eft mort en 690; qu'il a préfidé à plufieurs conciles pendant cet intervalle, entr'autres au douzieme concile de Tolede, tenu en 681. Cela pofé, il n'a pu voir ni raconter la mort de cet Evêque de Xativa, arrivée en 805, non-feulement suivant l'hypothese où lui Julien feroit décédé en 690, mais encore fuivant la date de l'année 680, où il eft parvenu à l'Archevêché de Tolede; car alors il devoit être âgé de plus de 30 ans, felon les regles de la difcipline, & il auroit fallu qu'il eût vécu au-delà de 155 ans pour arriver à l'année 805, qui eft celle où l'on place la mort de cet Ifidore Mercator: & on ne peut éluder l'objection en se retranchant à dire qu'il y a faute d'impreffion fur cette derniere époque, & qu'au lieu de l'année 80s on doit lire 705; car ce changement fait naître une autre difficulté. Dans la collection il eft fair mention du Pape Zacharie, qui néanmoins n'est parvenu au fouverain pontificat qu'en 741. Comment accorder la date de l'année 705, qu'on fuppose maintenant être celle de la mort d'Ifidore, avec le temps où le Pape Zacharie a commencé à occuper le faint fiege? Enfin David Blondel, écrivain proteftant & habile critique, foutient dans fon ouvrage intitulé Pfeudo-Ifidorus, chap. iv & v de fes prolegomenes, que cette collection ne nous eft point venue d'Efpagne. Il infifte fur ce que depuis l'an 850 jufqu'à l'an 900, qui eft l'efpace de temps où elle doit être placée, ce Royaume gémiffoit fous la cruelle domination des Sarrafins, fur-tout après le concile de Cordoue tenu en 852, dans lequel on défendit aux chrétiens de rechercher le martyre par un zele indifcret, & d'attirer par-là fur l'Eglife une violente perfécution. Ce décret, tout fage qu'il étoit, & conforme à la prudence humaine que la religion n'exclut point, étant mal obfervé, on irrita fi fort les Arabes, qu'ils brûlerent prefque toutes les Eglifes, difperferent ou firent mourir les Evêques, & ne fouffrirent point

;

« PreviousContinue »