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pofition & vous prie feulement d'avoir foin d'elle, comme vous verrez
que j'aurai foin de vos intérêts. A ces mots, Cyrus lui tendit la main
droite, & lui prenant la fienne: fous ces conditions, lui dit-il, je vous
donne ma parole: les Dieux foient témoins de nos promeffes réciproques!
Auffi-tôt il lui permit de s'en retourner & le congédia avec honneur
lui promettant d'être dans peu fur fes terres.

en

Les Medes plus jaloux de fuivre Cyrus, qui, tout enfant s'étoit attiré leur affection, que de retourner auprès de Cyaxare, drefferent une tente magnifique des dépouilles de l'ennemi & la préfenterent à Cyrus, avec deux musiciennes & une femme Sufienne, qu'on eftimoit la plus belle de toute l'Afie. Ce qu'ils avoient trouvé de plus beau enfuite, avoit été mis part pour Cyaxare; & quant à eux, ils s'étoient fournis de tout ce qu'ils pouvoient fouhaiter. Les Hyrcaniens eurent auffi leur part, de même que l'Envoyé de Cyaxare; & cet Envoyé par ce moyen demeura attaché aux intérêts de Cyrus. Les tentes qui refterent après cela, furent mifes entre les mains de ce Prince pour les donner aux Perfes. On promit auffi de diftribuer aux foldats tout l'argent monnoyé qui avoit été pris, quand on l'auroit raffemblé; ce qui fut pareillement exécuté. Cyrus commanda qu'on mît la part du butin qui étoit deftiné pour Cyaxare, entre les mains de ceux qu'il jugeoit lui être les plus affectionnés : & il dit qu'il recevoir très-volontiers les préfens qu'on lui avoit faits mais qu'il les offroit de bon cœur à quiconque en auroit affaire. A ces mots, un Mede qui aimoit paffionnément la mufique, fe hafarda de lui dire qu'il avoit oui chanter le foir précédent, une de ces muficiennes qu'on lui avoit préfentées; & qu'il avoit eu tant de plaifir à l'entendre, que s'il vouloit lui en donner une il fe trouveroit plus heureux à l'armée que dans fa propre maison. Cyrus la lui donna en le remerciant de la lui avoir demandée.

Il fit appeller un autre Mede, nommé Arafpe, avec lequel il avoit contracté amitié dès l'enfance. (C'étoit celui à qui il avoit donné fa veste quand il partit de Médie pour retourner en Perfe.) Il le mandoit à deffein de lui donner en garde cette fuperbe tente, & cette belle dame dont on lui avoit fait préfent pour fa part du butin. Elle fe nommoit Panthée. Elle étoit femme d'Abradate, Roi de la Sufiane, qui lorfque le camp des Affyriens fut pillé, étoit allée en ambaffade pour le Roi d'Affyrie, vers le Roi de la Bactriane, afin d'obtenir quelque fecours de ce Prince, qui de longue main étoit ami de l'Affyrien. Cyrus commanda donc à Arafpe d'avoir foin d'elle. Sur quoi Arafpe lui dit: avez vous bien confidéré cette femme que vous me mettez avec tant de fécurité entre les mains? Non vraiment, répondit Cyrus. Pour moi je l'ai vue, répartit Arafpe, & dès-lors même je formai le deffein de vous la conferver. D'abord quand nous entrâmes dans fa tente, nous ne la reconnûmes point. Elle étoit affife à terre, entourée de fes femmes, & vêtue de même façon qu'elles. Mais comme nous les regardions attentivement, nous remarquâmes bientôt la

différence qu'il y avoit entre elle & les autres, encore qu'elle fût couverte d'un voile & qu'elle tint toujours les yeux baiffés. Nous lui commandâmes de fe lever, & toutes les autres fe leverent en même temps, ce qui acheva de nous la faire connoître à la taille & au port car bien qu'elle fût habillée fort fimplement, il paroiffoit en elle une certaine grace & une majefté toute particuliere. Il lui tomboit des yeux de groffes larmes qui couloient le long de fes joues. Alors le plus ancien de nous s'adreffant à elle, lui dit confolez-vous, Madame, & prenez courage. Nous n'ignorons pas que vous êtes femme d'un Prince vertueux; mais vous devez favoir auffi que nous vous deftinons à un Prince qui ne lui cede ni en bonne mine ni en vertu, ni en puiffance. Il n'y a point d'homme qui mérite mieux d'être eftimé que Cyrus, à qui vous ferez dorénavant. Auffi-tôt qu'elle eut oui ces paroles, elle déchira fon voile & fit de grandes lamentations qui furent fuivies des cris & des larmes de toutes les femmes. Durant ce trouble nous eûmes le loifir de confidérer fes mains, fa gorge, & une partie de fon vifage, & nous demeurâmes tous d'accord, qu'en toute l'Asie il ne s'étoit jamais vu une femme d'une beauté fi parfaite. Mais vous en ferez juge, ajouta-t-il, & vous la verrez à loifir. Je m'en garderai bien répondit Cyrus, fi elle eft fi belle que vous dites. Eh, pour quelle raison, dit Arafpe, ne la verrez-vous pas ? Je craindrois, répartit Cyrus, que fa beauté ne m'obligeât à retourner trop fouvent auprès d'elle, & mes affaires en fouffriroient. Penfez-vous, dit Arafpe en fouriant, que la beauté d'une femme puiffe conduire un honnête-homme à manquer à fon devoir quand il a pris une réfolution bien ferme? S'il étoit naturel à la beauté de produire toujours un tel effet, perfonne ne pourroit être exempt de cette furprife. Non, la beauté ne nous contraint point de nourrir de mauvais défirs. Il n'y a que les petites ames qui fe laiffent furmonter à leurs paffions, & qui après accufent l'amour de toutes leurs folies. Quant à moi, j'ai vu cette femme-ci, j'ai admiré fa beauté mais cela n'empêche pas que je ne me trouve auprès de vous à toute heure, & que je ne m'acquitte de mon devoir auffi exactement qu'auparavant.

:

Sans doute, reprit Cyrus, que vous vous êtes retiré d'auprès de Panthée, avant que l'amour ait eu le loifir de vous furprendre. On peut, quelquefois, toucher du feu fans fe brûler; le bois ne s'embrafe pas tout d'un coup. Mais je ne voudrois pas toucher du feu par plaifir, ni regarder trop curieufement les belles perfonnes, & je vous confeille de faire de même; car le feu ne brûle que ceux qui s'en approchent de près, mais la beauté nous enflamme de loin.

Ainfi parlerent Cyrus & Arafpe. Mais quelque beau raisonnement qu'eût fait ce dernier, il vit une belle perfonne; & en la voyant trop fouvent il fe laiffa vaincre entiérement à l'amour. L'efpoir fut le premier piege qu'il

fe tendit à lui-même.

Cependant, il fe mit en marche avec fes troupes pour aller trouver Go

brias. Arrivés devant le château de ce Seigneur, ils le jugerent très-bien fortifié, & le trouverent garni, pour plufieurs années, d'une grande abondance de toutes fortes de munitions. Gobrias fit fortir la garnifon, pour que Cyrus & les fiens puffent y entrer fans défiance. Quand ils furent tous dedans, ce même Seigneur fit apporter quantité de vafes, de coupes, & de baffins de vermeil doré, comme auffi beaucoup d'or & d'argent monnoyé, & plufieurs autres riches préfens. Enfin, il fit amener fa fille, qui étoit belle en perfection, & d'une taille admirable. Elle étoit vêtue de deuil, à caufe de la mort de fon frere. Quand tout cela fut devant Cyil lui dit, Seigneur, toutes ces richeffes font à vous; je vous les donne, & mets ma fille en votre pouvoir. Mais nous vous prions, moi de venger mon fils, elle de venger fon frere.

Cyrus lui dit je vous en ai fait la promeffe, & je la fais de nouveau à votre fille. Je reçois vos préfens, mais pour les rendre à elle-même, & à celui qui fera fon mari. Je me contente d'une feule chofe, fur laquelle je me tais, & que je remporte d'ici avec plus de plaifir, que fi vous m'aviez donné tous les tréfors de Babylone.

Gobrias ne comprit point, d'abord, ce que Cyrus vouloit dire ; mais foupçonnant qu'il entendoit parler de fa fille, il lui demanda quelle étoit la chofe dont il faifoit tant de cas: c'eft vous-même, répondit Cyrus, vous qui m'avez mis entre les mains votre place, vos richeffes, vos forces, votre fille; vous qui m'avez donné le moyen de faire voir à tout le monde que je ne trahis point mes amis par la convoitife des richeffes, & que je ne fuis point homme à violer la foi que j'ai donnée. Auffi, foyez affuré que tant que j'aurai quelque fentiment d'honneur, je n'oublierai jamais le plaifir que vous m'avez fait, & que je m'efforcerai de le reconnoître par toutes fortes de fervices. Au refte, ne craignez point que votre fille manque de maris dignes d'elle. Je connois plufieurs perfonnes d'un mérite très-rare; & ces gens-là ne font pas loin d'ici. Gobrias fe prit à rire. Et vraiment, dit-il, montrez-les moi, afin que je vous en demande un pour mon gendre. Venez donc avec nous, repartit Cyrus, vous apprendrez vous-même à les connoître. Cela dit, il fe leva, & prit Gobrias par la main, fe difpofant à fortir de-là avec toute fa fuite, bien que Gobrias les priât inftamment d'y prendre un repas. Ce fut donc Cyrus qui traita Gobrias, voulant qu'il fe regardât dès-lors comme fon ami. Après le repas, qui fut fobre à la maniere des Perfes, Gobrias fe retira avec parole de revenir le lendemain au camp, accompagné de toute fa Cavalerie.

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La défertion de ce Seigneur apporta un grand dommage aux affaires des Affyriens; elle fut fuivie de celle de Gadatas, qui épioit, depuis longtemps, l'occafion de fe venger du Roi d'Affyrie, qui l'avoit fait eunuque, tellement que le Roi d'Affyrie fut trop heureux d'accepter les propofitions de paix que lui fit Cyrus, qui au moyen des excufes qu'il fit à fon oncle

Cyaxare, & des avantages qu'il avoit rapportés à fes Etats, calma fon mécontentement, rentra dans fes bonnes graces, & y fit rentrer tous les Medes qui l'avoient fuivi, malgré leur rappel.

Cette paix ne fut pas longue; car les alliés des Medes réfolurent la continuation de la guerre, & la firent agréer à Cyaxare. Ce qu'apprenant le Roi d'Affyrie, il s'enfuit de fes Etats, & paffa en Lydie chez Cræfus fon allié, emportant avec lui de grandes fommes d'or & d'argent, & fes plus précieux meubles. Cyrus jugea que le Roi d'Affyrie n'avoit pris ce parti que pour fufciter, de ce côté-là, aux Medes, un ennemi dangereux. Il crut donc important d'envoyer quelque efpion en Lydie, pour reconnoître ce qui s'y paffoit. Il jetta, pour cette commiffion délicate, les yeux fur Arafpe; à qui il avoit donné à garder Panthée, cette belle prifonniere dont nous avons parlé, & dont il convient de reprendre l'aventure.

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Arafpe s'étant laiffé vaincre à la beauté de cette Dame " ne put s'empêcher de lui tenir quelque propos d'amour : mais, elle le rebuta rudement, parce qu'elle étoit fidele à fon mari, quoiqu'abfent, & qu'elle l'aimoit avec paffion. Toutefois elle n'en voulut rien dire à Cyrus, de crainte de mettre de la divifion entre deux amis. D'autre côté, Arafpe voyant qu'il n'obtenoit rien par fes foumiffions & par fes fervices, commença à ufer de menaces, & ne put s'empêcher de dire qu'il favoit bien les moyens d'emporter de force ce qu'on refufoit à fes prieres.

Panthée, craignant quelque violence, ne voulut plus tenir la chofe secrette, & envoya un de fes eunuques à Cyrus pour l'en avertir. Cyrus fe prit à rire de la foibleffe d'Arafpe, qui fe vantoit, autrefois, d'être plus fort que l'amour. A l'inftant même il lui envoya Artabafe, avec l'eunuque de la Princeffe, pour lui dire qu'il prît bien garde de rien entreprendre de force contre une perfonne de cette qualité, mais qu'il lui permettoit de la gagner par douceur, s'il pouvoit. Artabase reprocha, avec aigreur, à Arafpe à Arafpe, fon procédé ; & après lui avoir représenté que cette Dame ne lui avoit été remise entre les mains que comme un dépôt, il lui dit ouvertement que fon intempérance alloit jufques à l'impieté. Arafpe outré de douleur, ne put retenir fes larmes, & demeura interdit, de honte & de crainte que Cyrus ne lui pardonnât pas.

Quelque temps après, Cyrus le manda, & le tenant feul à feut, lui. parla de la forte: Je vois bien, Arafpe, que vous craignez de m'aborder, & que vous êtes dans une étrange confufion. Mais perdez ces alarmes les Dieux, tout puiffans qu'ils font, deviennent, quelquefois, efclaves de l'amour. Moi-même, je l'avoue, je n'ai pas affez de force converfer avec les belles, & n'en être pas touché. Au refte, c'eft moi qui fuis caufe de ce qui vous arrive; je vous ai enfermé avec cet ennemi redoutable.

pour

Ah! mon Prince, interrompit Arafpe, vous êtes toujours vous-même,

c'eft-à-dire, toujours bon, toujours prêt à excufer les fautes d'autrui. Mais je vous protefte que le refte des hommes me fait mourir de douleur; car depuis que mon infortune a éclaté, mes ennemis m'infultent, & mes amis font à toute heure à mes oreilles, pour me confeiller de m'enfuir, de crainte que vous ne me punissiez.

Savez-vous bien, reprit Cyrus, que ces bruits-là vous mettent en état de nous rendre un grand fervice? Plut aux Dieux, répondit Arafpe, que je trouvaffe l'occafion de vous être utile! Cyrus pourfuivit fi vous feigniez de vous retirer chez l'ennemi pour vous mettre en fureté, je m'affure qu'il vous recevroit franchement. Je n'en doute point, répondit Araspe, & je fuis certain que nos amis même penferoient que j'aurois voulu me fauver. Par ce moyen-là, dit Cyrus, vous fauriez tout le fecret des Affyriens comme ils vous croiroient de bonne foi, il vous appelleroient dans toutes leurs délibérations, & leurs projets nous feroient connus. Je partirai donc fans différer, dit Arafpe, heureux de pouvoir vous fervir.

Panthée n'eut pas plutôt appris l'évafion d'Arafpe, que croyant fa trahison réelle, elle envoya un des fiens à Cyrus, pour lui apprendre cette nouvelle, & lui écrivit en ces termes » que la fuite d'Arafpe ne vous >> cause point de trifteffe; car fi vous me permettez d'écrire à mon mari » Abradate, je vous promets en lui un ami plus fidele que celui que vous » perdez; il viendra vous fervir avec toutes fes forces. Le dernier Roi » d'Affyrie & lui, ont toujours vécu en amitié; mais fon fils qui regne aujourd'hui, ayant tâché de femer la difcorde entre nous, fans doute 11 » fera bien aife de quitter un méchant pour s'approcher d'un homme de » bien «. Cyrus lui permit d'écrire; & dès qu'Abradate eut reconnu les chiffres de fa femme, & qu'il eut appris en quel état elle étoit, il se mit en chemin avec deux mille hommes.

Comme Abradate fut arrivé au premier corps de garde des Perfes, il l'envoya dire à Cyrus, qui, à l'heure même, donna ordre qu'on le conduisît vers Panthée. Après qu'ils fe furent embraffés, dans les premiers mouvemens d'une rencontre fi défirée, Panthée s'entretint avec lui fur la piété, & la modération de Cyrus, & lui raconta avec quelle bonté il avoit daigné prendre part à fon malheur. Abradate l'ayant oui parler, hé bien, lui dit-il, que faut-il faire pour m'acquitter envers ce Prince? Une feule chofe, répondit Panthée, c'eft d'avoir pour lui les mêmes fentimens qu'il a eus pour nous. Enfuite il alla faluer Cyrus, & lui dit, en lui prenant la main: Seigneur, pour vous remercier des faveurs que vous m'avez faites, je ne puis rien dire, finon que je me donne à vous en qualité d'ami, de ferviteur, & d'allié. Quelque chofe que vous entrepreniez, je m'efforcerai, de tout mon pouvoir de vous y feconder. Soyez le bien venu, dit Cyrus; mais pour le préfent, allez fouper avec Panthée; car dorénavant il faudra que vous preniez votre logement chez moi avec le refte de nos amis. Ainfi fe paffa leur premiere entrevue.

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