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peu près néceffaire pour trouver terre, eft paffé; que les vivres font à leur fin; le chagrin & la crainte de périr les porte à la révolte; ainfi que l'a éprouvé Chriftophe Colomb, qui heureufement pour lui trouva enfin la terre, après trois jours de répit qu'il avoit demandé à fes équipages mutinės. Parmi les bonnes méthodes pour entretenir la fanté des équipages, le déjeûner chaud qui eft du griout cuit & crevé à l'eau, eft très-bon; ainfi que de leur faire boire de temps en temps de l'eau de caffé. Cette eau de caffé crud & entier fans le concaffer ni brûler, bouilli dans l'eau, eft une boiffon très-faine, & cependant le caffé employé à cet ufage, peut être rôti, moulu, & pris en caffé à l'ordinaire.

Le ftocfifch eft encore une très-bonne nourriture; mais une des principales attentions qu'on doit avoir, c'eft d'établir un ventilateur à l'angloife dans chaque frégate pour renouveller l'air, & d'entretenir l'eau douce, de maniere qu'elle ne fe corrompe ni ne pue point: pour cet effet il n'y a qu'à mettre dans chaque barique d'eau, une ou deux onces au plus d'ef prit de foufre tiré par la campane, & l'eau ne fe corrompra pas. Cela tuera même les vers qui pourroient s'y être engendrés avant de l'y mettre & les fera tomber au fond de la futaille ou de la jarre. Il n'eft point à craindre que cette petite quantité d'acide fulphureux puiffe nuire en aucune maniere au corps, puifqu'on voit tous les jours donner à des malades en plufieurs cas jufques à 7 & 8 gouttes d'efprit de foufre, ou de vitriol, ou de fel dans un verre de boiffon, dont on n'apperçoit que de bons effets; & que deux onces de cet efprit noyées dans une barique d'eau ne font pas deux gouttes par pinte.

Une quantité fuffifante de linge & de hardes de rechanges contribue beaucoup à la falubrité des équipages, ainfi que les vivres frais & de bonne qualité. Quant à la quantité de vivres, d'eau & de bois, ou de charbon de terre, on peut s'arranger de façon à en charger pour fix mois, & pour un an de vin & d'eau-de-vie.

Il fera néceffaire que le chef qui doit conduire l'entreprise, foit mis au fait du fond des chofes avant de partir, en exigeant de lui le fecret fous fon ferment.

Ses ordres & paquets d'inftructions porteront qu'il affemblera le conseil compofé du capitaine de l'autre frégate & de tous les officiers des deux bords, à la vue du Nord-Cap ; & que là fous le même ferment du secret, il leur communiquera le fujet de fa miffion, afin que concourant tous ensemble dans le même efprit & le même zele au fuccès du voyage, ils fachent à quoi s'en tenir & foient plus encouragés, foit à contenir les équipages dans leur devoir, foit à nourrir adroitement leur efpérance.

Quoique la route d'aller & de retour foit indiquée ici, il faudra laiffer à la prudence du chef & du confeil d'y changer, ajouter ou retrancher ce qui fera jugé à propos fuivant les circonftances, & lui donner là-deffus

carte blanche : les hommes de courage fe prennent par le fentiment d'honneur, & nullement par la contrainte.

Si l'on fe détermine à cette entreprise, il ne faut pas fe rebuter, comme cela s'eft fait jufqu'à préfent, & fe contenter de la tenter une ou deux fois; en laiffant entre chaque voyage de longs intervalles de temps, les idées fe perdent, la bonne opinion même s'évanouit.

Voilà pourquoi ce paffage eft encore un point inconnu. Si toutes les nations qui y ont travaillé, ou même une nation feule, s'étoit obstinée à y renvoyer tout de fuite après les premieres tentatives manquées & ayant encore la mémoire toute fraiche des fautes faites, fans doute qu'aujour d'hui la question feroit décidée. Que rifque-t-on après tout? Ce n'eft point une fi grande dépenfe, quand tout fe perdroit : & qui eft le Souverain qui n'en fait pas de bien plus fortes, dont il fait ne devoir jamais retirer aucun profit?

Terres auftrales à l'ouest du Cap Horn. Depuis plus de cent vingt ans, diverfes nations ont envoyé à la Découverte des terres auftrales à l'oueft du Cap Horn. Efpagnols, Portugais, Hollandois, Anglois, tous en ont eu quelque connoiffance; les uns d'une partie, les autres d'une autre, par différentes latitudes.

Parmi ces nations, Ferdinand Giros, Portugais, & Ferdinand Déquir, Espagnol, qui ont côtoyé une partie de ce vafte continent, en ont dit les chofes les plus avantageufes. Sur-tout ce dernier, étant de retour en Efpagne, mit tout en ufage pour perfuader le Roi d'y envoyer faire un établiffement confidérable, & prendre poffeffion d'un pays prodigieusement riche en métaux précieux & épiceries fines.

On a de lui le placet entier qu'il préfenta au Roi, qui eft une piece rare & précieuse, qui contient le détail circonftancié des côtes, des ports & des bayes, qu'il a parcourus, & des productions, des denrées, des armes & des mœurs des peuples qui habitent ce continent.

Ceux qui y ont été depuis lui, & qui ont touché, tant à des points des terres auftrales, qu'à des Ifles qui n'en étoient pas éloignées, n'en ont pas fait moins d'éloges.

Malgré ces récits confirmés, aucune puiffance Européenne ne s'y eft encore établie.

On peut regarder cela comme une espece d'enchantement, qui n'eft pas malheureux pour le premier qui entreprendra de le rompre. Ce n'eft point là de ces Découvertes épineufes, dont la route n'a encore été frayée par perfonne on fait la faifon & la maniere de doubler favorablement & fans aucun rifque le Cap Horn. Les mers à l'oueft de ce Cap, ainfi que celles du Chily & du Pérou, font avec raison appellées Pacifiques; il est trèsrare d'y voir des tempêtes. Ces mers font faines, c'est-à-dire, qu'elles ne font pas hériffées de bancs & de rochers dangereux, comme la plupart des nôtres; l'air y eft par-tout excellent. Les points connus de ces terres, ainfi

que quantité d'Ifles adjacentes, font une fureté pour la navigation. Quand même on viendroit à manquer l'endroit de ces terres qu'il eft question de chercher, ou à ne pas trouver l'or & l'argent & les épiceries fines qui font l'objet du voyage; on ne peut manquer, ni de relâches connues, ni de rafraichiffemens, ainfi qu'on le fera voir dans le détail de la route. Enfin en fuppofant qu'on ne trouvât aucun objet de commerce, ni aucun bon établissement à y faire, les frais du voyage ne feroient pas perdus pour cela parce qu'il n'y auroit qu'à pouffer delà à la Chine, où au moyen d'un demi-fonds en argent qu'on auroit la précaution de mettre dans les frégates, la traite qu'on feroit à la Chine, dédommageroit au retour à Copenhague des frais de tout l'armement ou à peu de chose près, par la vente qu'on en feroit.

Tout paroît donc exciter à cette entreprise, qui peut faire la fortune du Souverain qui s'y décidera.

Il conviendroit d'armer trois frégates fines voilieres pour cette entreprise, l'une de 40 canons, la feconde de 26 à 28, & la troifieme de 18 à 20. Du départ de Copenhague, on pourroit aller en droiture relâcher aux Canaries pour y prendre des vins du pays qui fe confervent parfaitement dans les chaleurs, & dont auffi le goût agréable pourroit être au gré des Auftraliens & produire un bon échange de commerce.

Des Canaries on peut relâcher à l'Ile Ste Catherine qui eft proche de la côte du Bréfil par les 17 degrés environ de latitude fud.

De ce point, on peut encore, s'il eft néceffaire, relâcher à Maldonade à l'entrée à ftribord de la riviere de la Plata.

De Maldonade on peut doubler le Cap Horn paffant par le détroit de le Maire, & fe trouver dans les mers du fud en moins de fix femaines dans la bonne faifon : mais ici il conviendroit de faire autrement par rapport à plusieurs autres vues.

Du départ de Maldonade il conviendroit d'aller attaquer la riviere de los Carmerones qui git par les 46 degrés quelques minutes de latitude fud; d'y relâcher pendant quelques jours, pour y prendre une connoiffance fuffifante pour fervir à un autre voyage; & de fe rendre de cette riviere à celle de S. Julien qui eft fituée par les 49 degrés de latitude fud & quelques minutes, qu'il faudroit auffi fe donner le temps de reconnoître pour la même raifon, que celle des Camerons. Mais il faudroit dans la route depuis Maldonade jufqu'à la hauteur de la riviere des Camerons, avoir attention de s'écarter de la côte qui fe trouve entre ces deux endroits, & qu'on appelle côte de Refte, parce qu'elle eft bordée de rochers fous l'eau, & fe tenir ou cingler à environ 40 lieues au large de cette côte tout le long de la diftance de Maldonade aux 46 degrés de latitude fud, pour rabattre droit à l'oueft par cette latitude pour trouver la riviere des Camerons & puis celle de S. Julien, jufqu'à laquelle il n'y a point de rifque le long des côtes.

De la riviere de S. Julien, il faut faire route pour les Illes Cébales ou Malouïnes qui giffent vers les 51 degrés de latitude fud, & les reconnoître pour les mêmes raifons que ci-deffus.

Il eft bon d'observer ici que Pigaffeta, Indien, qui fit le voyage avec Magellan, rapporte qu'ils trouverent au port ou riviere de S. Julien, des gens de neuf à dix pieds de hauteur, doux & traitables. Trois autres voyageurs affirment en avoir vu auffi au même endroit, favoir Candisk & Sébast. de Vert en 1599, & Spilberg en 1614. Les autres voyageurs n'en ont point parlé depuis, parce que dans les fréquens voyages qui fe font faits par les François à la mer du fud après la paix de Ryfwyk, aucun ne s'eft arrêté à cette riviere, ayant pour objet d'aller en droiture au Chily & au Pérou pour le commerce.

Outre ces hommes de neuf à dix pieds de hauteur, Oualle, Espagnol, dit qu'en 1619 le Roi d'Efpagne envoya deux vaiffeaux, qui étant arrivés fur la côte orientale du détroit de Magellan, virent des hommes plus hauts de toute la tête que les Européens, qui leur donnerent en troc de l'or pour des cifeaux & autres bagatelles. Il y a apparence que ce font les mêmes que ceux ci-deffus.

Du départ des ifles Cébales ou Malouïnes, il faut paffer le détroit de le Maire; ce détroit a 7 ou 8 lieues de large, & environ 5 de long: il y a de bonnes rades d'un & d'autre côté les oifeaux & poiffons n'y manquent point, les terres y font montagneufes. Ce détroit doublé, il ne refte plus qu'à s'élever vers le 57 ou 58 degrés de latitude fud pour doubler le cap Horn.

Le cap Horn doublé, il faut fe mettre par les 49 degrés de latitude fud, & de ce point côtoyer la terre de près & ne la plus quitter de vue, jusqu'à ce qu'on foit arrivé à la riviere ou port S. Domingo, qui git par les 45 degrés de latitude fud, où il faut relâcher & en prendre connoiffance, ce qui fera d'autant plus aifé que les Efpagnols n'y font point établis, & que ce pays tant au nord, au fud, qu'à l'eft, eft dans la poffeffion des Arauques & Patagons qu'on appelle Indes-Braves.

On ne parlera point dans ce projet-ci d'une espece de petit Archipel, qui fe trouve depuis le cap Défiré, ainfi que Magellan l'a nommé, & qui git par les 3 degrés quelques minutes, ni de celui de la Victoire qui git par les 52 degrés & demi, formant tous deux la fortie du détroit de Magellan du côté de la mer du fud; de celui de Coifle, qui git par les 49 degrés 50 minutes, non plus que des terres qui avoifinent ce petit Archipel, pour les raifons qu'on a déjà expliquées.

La route qu'il faut faire pour arriver au port S. Domingo, quand on a paffé le détroit de le Maire, eft fud-oueft variation déduite, jufqu'à ce que l'on ait atteint les 57 à 58 degrés de latitude fud, de-là il faut faire l'oueft pendant 150 ou 160 lieues de-là faire le nord-oueft un quart à l'oueft jufqu'à ce qu'on foit baiffé aux 54 degrés latitude fud, & de ce point faire

route pour reconnoître le cap Défiré ou celui de la Victoire. Il faut enfuite baiffer au nord jufqu'à la riviere S. Domingo par les 45 degrés de latitude-fud. Il y a une ifle auprès de cette riviere, nommée l'ifle de Ste. Magdelaine, qui eft auffi bonne, & il y en a quatre autres au large à la vue de celle-ci & du continent.

Tout ce pays eft rempli de hautes montagnes jufqu'à la mer, & il y a là, aux environs, un port où l'on peut amarrer les vaiffeaux à de gros arbres.

Quand on parle des routes à faire en telle occafion que ce foit, il faut toujours entendre que c'eft felon les airs de vent du monde, variation déduite; & de plus il faut faire attention que plufieurs cartes marquent les longitudes & même les latitudes différemment les unes des autres. Par exemple quelques cartes mettent le petit Archipel dont on a parlé, (qu'on appelle auffi les ifles Pedro Sarmiento, ou du Duc Yorck qui font au nombre de plus de 70) par les 50 degrés latitude fud, c'eft-à-dire leur milieu, & d'autres par les 5 degrés & demi, ainfi que le port S. Domingo par les 43 degrés & demi au-lieu de 45 degrés. Ce font des attentions à avoir en toute forte de navigation, & que le bon navigateur fait corriger, n'y ayant guere de cartes exactement juftes, fur-tout d'anciennes.

Depuis Magellan & ceux déjà cités, très-peu de voyageurs ont paffé le détroit de fon nom pour aller à la mer du fud; & le dernier connu qui a pris cette route eft M. de Beauchêne de S. Malo, commandant deux frégates de la Rochelle qui partirent à la fin de 1698, & enfilerent le détroit au mois de Juin 1699, qui eft la faifon de l'hyver de ce pays-là. Il mouilla le 24 Juin au cap d'onze mille Vierges, autrement nommé la pointe de la Poffeffion, qui eft à l'entrée du détroit dans la mer du nord; & quoique ce fut la faifon la plus rude, ayant enfilé ce détroit, il mouilla le 3 Juillet au port Famine, qui eft vers la fin de la premiere moitié du détroit du côté des terres de ftribord, & que l'on nomma auffi l'isle EliSabeth, ainfi appellée par le Chevalier Narbourough, Anglois, qui traversa le détroit en 1669 le 2 Octobre. M. Beauchêne trouva que l'air y étoit auffi tempéré qu'en France. Il y eut pourtant quelques bourafques de pluie & de neiges à effuyer, qui venoient de la partie de l'oueft; & l'on reconnut que ce pays eft très-bon, qu'il pourroit produire beaucoup de grains, nourrir beaucoup de bétail, & que les montagnes voifines de l'ifle Elifabeth qui font fur la terre du nord, produifent de l'or & du cuivre.

Ce détroit contient trois grandes bayes d'environ 7 lieues de large d'une terre à l'autre, mais dont les entrées n'ont pas plus de demi-lieue. Ces bayes font entourées de fi hautes montagnes, que le foleil n'y pénetre jamais le froid y eft prefqu'infupportable, & malgré cela (ce qui paroît un prodige) on y trouve des cannelliers & des arbres de poivre ou piment, qui tout verds qu'ils font, brûlent au feu comme du bois fec; on y trouve auffi de l'eau excellente & une grande quantité de poiffons,

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