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On forgeoit à Sparte des cafques, des cuiraffes, des épées bien trempées. Cet art en fuppofe une infinité d'autres, & les Spartiates n'en étoient pas moins vaillans. Céfar, Caffius & Brutus étoient éloquens, favans & braves. L'on exerçoit à la fois en Grece & fon efprit & fon corps. La molleffe eft fille de la richeffe, & non des fciences. Lorfqu'Homere verfifioit l'Iliade, il avoit pour contemporains les graveurs du bouclier d'Achille. Les arts avoient donc alors atteint en Grece un certain degré de perfection, & cependant l'on s'y exerçoit encore aux combats du cefte & de la lutte. En France, ce ne font point les fciences qui rendent la plupart des officiers incapables des fatigues de la guerre, mais la molleffe de leur éducation. Qu'on refufe du fervice à quiconque ne peut faire certaines marches, foulever certains poids & fupporter certaines fatigues; le défir d'obtenir des emplois militaires, arrachera les François à la molleffe: ils voudront être hommes leurs mœurs & leur éducation changeront. L'ignorance produit l'imperfection des loix, & leur imperfection les vices des peuples. Les lumieres produifent l'effet contraire. Auffi n'a-t-on jamais compté parmi les corrupteurs des mœurs ce Lycurgue, ce fage, qui parcourut tant de contrées pour puifer dans les entretiens des philofophes, les connoiffances qu'exigeoit l'heureufe réforme des loix de fon pays.

Mais, dira-t-on, ce fut dans l'acquifition même de ces connoiffances, qu'il puifa fon mépris pour elles. Et qui croira jamais qu'un législateur, qui fe donna tant de peines pour raffembler les ouvrages d'Homere, & qui fit élever la ftatue du Rire dans la place publique, ait récllement méprifé les fciences! Les Spartiates, ainfi que les Athéniens, furent les peuples les plus éclairés & les plus illuftres de la Grece. Quel rôle y jouerent les ignorans Thébains jufqu'au moment qu'Epaminondas les eut arrachés à leur ftupidité?

DÉCAN, Royaume des Indes dans la prefqu'Ile de deçà du Gange

LE Royaume de Décan a Orixa à l'orient; la mer des Indes au cou

chant; le Royaume de Bifnagar, au midi, & les Etats du Mogol, au feptentrion. Ce Royaume, confidéré felon l'étendue de fon nom, comprend le pays de Cunquan. C'eft le nom que les habitans donnent à toute la contrée maritime, qui s'étend du nord au fud, jufqu'à la riviere d'Aliga; & de l'est à l'oueft, depuis la mer, jufqu'à la montagne de Gate; mais pays de Décan, qui s'étend à l'eft, depuis le mont de Gate, eft pris pour le vrai Royaume de Décan; & les habitans font appellés Décanins. Les principales villes maritimes de ce Royaume, font, Ceytapour, Rafapour Carapatan, Dabul, Siffardan, & Chaul. La riviere de Corftance tra verse tout le pays jufqu'à Mafulipatan,

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Les habitans font banianes, & fuivent les ufages de ceux de Guzarate. Ils logent dans des chaumieres de paille, dont les portes font fi baffes qu'on ne peut y entrer qu'en fe courbant. Ils couchent fur une nate, leur unique meuble. Ils font des foffes en terre, pour y battre le riz. Leurs habits font ceux des autres banianes; & leurs fouliers de bois s'attachent fur le coup de pied avec des courroies. Leurs enfans reftent tout nuds, jufqu'à fept ou huit ans. Ils travaillent pour les Mahométans, & font tous charpentiers, maçons, chaudronniers, orfévres, barbiers, ou médécins. Le principal commerce du pays eft le poivre, que l'on tranfporte en Perfe à Surate & en Europe. On y fournit des vivres aux Provinces voifines; & l'on trafique par terre avec l'Indoftan, le Royaume de Golconde, & la côte de Coromandel, où l'on porte des toiles de coton, & des étoffes de foie.

Les Venefeurs font un peuple de ce pays: ils acherent le bled & le riz qu'on apporte dans les villes une fois par femaine, & les revendent dans les pays voifins, où ils vont en caravanes de cinq ou fix, & quelquefois de neuf ou dix mille bêtes de fomme, avec lesquelles ils emmenent leurs familles, & particuliérement leurs femmes, qui manient l'arc & la fleche avec autant d'adreffe que les hommes; enforte qu'ils ne craignent ni les rafboutes ou foldats, ni les couliers, qui font des voleurs qu'on trouve ordinairement fur cette route.

Le Roi de Décan étoit tributaire du Mogol, fur-tout depuis le regne d'Idal-Scach. Chavas, homme d'efprit & de cœur, parvenu de l'esclavage à des charges confidérables, étoit régent du Royaume, pendant la minorité de ce Prince. Il payoit exactement aux Commiffaires du Mogol, les trente millions de pagodes, que le Roi de Décan lui devoit alors de tribut annuel; mais, dans leur retour, il les faifoit attaquer par des gens apoftés, qui lui rapportoient tout l'argent. Sa manœuvre fut découverte. Le Mogol entra dans le Royaume avec deux cents mille hommes, & fut arrêté deux ans au fiege du château de Perinda, que des Hollandois, qui s'y trouvoient prifonniers, aidoient à défendre. Ce Royaume peut, dit-on, mettre aisément fur pied deux cents mille hommes. Aucun Etat de ces quartiers n'eft auffi-bien fourni d'artillerie. C'eft le Mogol qui poffede aujourd'hui ce pays, qui n'a plus de Roi particulier. Il y entretient huit mille chevaux de garnifon, & il en tire, pour fes domaines, un carol, foixante-deux lacs, quatre mille fept cents cinquante roupies, c'est-à-dire, 10,204,750 roupies. Dans l'Indoustan, un carol vaut cent lacs; un lac vaut cent mille roupies; & une roupie, environ trente fous de France. Ainfi le Mogol tire chaque année du Décan, quinze millions, trois cents fept mille cent vingt-cinq livres.

Le Royaume de Décan eft divifé en huit Sarcars, ou Provinces : & chaque Sarcar, en foixante-dix neuf Parganas, ou Gouvernemens,

DECEM VIR, Magiftrat Romain créé avec autorité fouveraine pour faire des Loix dans l'Etat.

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ES Décemvirs furent ainfi nommés parce que le grand pouvoir dont ils étoient revêtus ne fut attribué qu'à dix perfonnes ensemble, & feulement pendant le cours d'une année. Mais à peine eurent-ils jouï de cet état de fouveraineté, qu'ils convinrent par ferment de ne rien négliger pour le retenir toute leur vie. Rappellons au lecteur les principaux faits de cette époque de l'Hiftoire Romaine, & difons d'abord à quelle occasion les Décemvirs furent inftitués.

Dans le feu des difputes entre les Fatriciens & les Plébéïens, ceux-ci demanderent qu'on établit des loix fixes & écrites, afin que les jugemens ne fuffent plus l'effet d'une volonté capricieuse ou d'un pouvoir arbitraire. Après bien des réfiftances, le Sénat y acquiefca. Alors pour compofer ces loix on nomma les Décemvirs, l'an 301 de Rome. On crut qu'on devoit leur accorder un grand pouvoir, parce qu'ils avoient à donner des loix à des partis qui étoient prefqu'incompatibles. On fufpendit la fonction de tous les Magiftrats, & dans les comices ils furent élus feuls administrateurs de la République. Ils fe trouverent revêtus de la puiffance confulaire & de la puiffance tribunitienne; l'une donnoit le droit d'affembler le Sénat, l'autre celui d'affembler le Peuple. Mais ils ne convoquerent ni le Sénat ni le Peuple, & s'attribuerent à eux feuls toute la puiffance des jugemens: Rome fe vit ainfi foumise à leur Empire abfolu. Quand Tarquin exerçoit fes vexations, Rome étoit indignée du pouvoir qu'il avoit ufurpé; quand les Décemvirs exerçoient les leurs, Rome fut étonnée du pouvoir qu'elle avoit donné, dit l'Auteur, de la grandeur des Romains.

Ces nouveaux magiftrats entrerent en exercice de leur dignité aux ides de Mai; & pour infpirer d'abord de la crainte & du refpect au peuple, ils parurent en public chacun avec douze licteurs, auxquels ils avoient fait prendre des haches avec les faifceaux, comme en portoient ceux qui marchoient devant les anciens Rois de Rome. La place publique fut remplie de cent vingt licteurs, qui écartoient la multitude avec un fafte & un orgueil infupportable, dans une ville où régnoit auparavant la modeftie & l'égalité. Outre leurs licteurs, ils étoient en tout temps environnés d'une troupe de gens fans nom & fans aveu, la plupart chargés de crimes & accablés de dettes, & qui ne pouvoient trouver de fureté que dans les troubles de l'Etat; mais ce qui étoit encore plus déplorable, c'eft qu'on vit bientôt à la fuite de ces nouveaux magiftrats une foule de jeunes patriciens, qui préférant la licence à la liberté, s'attacherent fervilement aux difpenfateurs des graces; & même pour fatisfaire leurs paffions & fournir

à leurs plaifirs, ils n'eurent point de honte d'être les miniftres & les complices de ceux des Décemvirs.

Cette jeuneffe effrénée à l'ombre du pouvoir fouverain, enlevoit impunément les filles du fein de leurs meres; d'autres fous de foibles prétextes s'emparoient du bien de leurs voifins qui fe trouvoit à leur bienféance : en vain on en portoit des plaintes au tribunal des Décemvirs; les malheureux étoient rejettés avec mépris, & la faveur feule ou des vues d'intérêt tenoient lieu de droit & de juftice.

On ne fauroit s'imaginer à quel point tomba la République pendant une femblable adminiftration; il fembloit que le peuple Romain eût perdu ce courage qui auparavant le faifoit craindre & refpecter par fes voisins. La plupart des Sénateurs fe retirerent; plufieurs autres citoyens fuivirent leur exemple, & fe bannirent eux-mêmes de leur patrie, & quelques-uns chercherent des afyles chez les étrangers. Les Latins & ceux qui fe trouvoient afsujettis à l'autorité de la République, mépriferent les ordres qu'on leur envoyoit, comme s'ils n'euffent pu fouffrir que l'Empire demeurât dans une ville où il n'y avoit plus de liberté; & les Eques & les Sabins vinrent faire impunément des courfes jufqu'aux portes de Rome.

Quand tous ces faits ne feroient pas connus, on jugeroit aifément à quel excès les Décemvirs porterent le fyftême de la tyrannie, par le caractere de celui qu'ils nommerent conftamment pour leur chef, par cet Appius Claudius Craffinus, dont les crimes furent plus grands que ceux du fils de Tarquin. On fait, par exemple, qu'il fit affaffiner Lucius Siccius Dentatus, ce brave homme qui s'étoit trouvé à fix vingts batailles, & qui avoit rendu pendant quarante ans les plus grands fervices à l'Etat. Mais on fait encore mieux le jugement infâme qu'Appius porta contre la vertueufe Virginie; Denis d'Halycarnaffe, Tite-Live, Florus, Cicéron, ont immortalifé cet événement; il arriva l'an de Rome 304: & pour lors le fpectacle de la mort de cette fille immolée par fon pere à la pudeur & à la liberté fit tomber d'un feul coup la puiffance exorbitante de cet Appius & celle de fes collegues.

Cet événement excita la jufte indignation de tous les ordres de l'Etat : hommes & femmes, à la ville & à l'armée, tout le monde fe fouleva: toutes les troupes marcherent à Rome pour délivrer leurs citoyens de P'oppreffion; & elles fe rendirent au mont Aventin, fans vouloir fe féparer qu'elles n'euffent obtenu la deftitution & la punition des Dé

cemvirs.

Tite-Live rapporte qu'Appius, pour éviter l'infamie d'un fupplice public, fe donna la mort en prifon. Sp. Oppius fon collegue eut le même fort; les huit autres Décemvirs chercherent leur falut dans la fuite, ou fe bannirent eux-mêmes. Leurs biens furent confifqués; on les vendit publiquement, & le prix en fut porté par les quefteurs dans le tréfor public. Marcus Claudius, l'inftrument dont Appius s'étoit fervi pour se rendre maître

de la perfonne de Virginie, fut condamné à mort, & auroit été exécuté fans fes amis, qui obtinrent de Virginius qu'il fe contentât de fon exil. C'eft ainfi que fut vengé le fang innocent de l'infortunée Virginie, dont la mort, comme celle de Lucrece, tira pour la feconde fois les Romains de l'esclavage. Alors chacun fe trouva libre, parce que chacun avoit été offenfé; tout le monde devint citoyen, parce que tout le monde fe trouva pere le Sénat & le peuple rentrerent dans tous leurs droits.

Le feul avantage qui revint à la République de l'adminiftration des Décemvirs, fut le corps de droit Romain, connu fous le nom de loix décemvirales, & plus encore fous celui de loix des douze tables. Les Décemvirs travaillerent avec beaucoup de zele pendant la premiere année de leur magiftrature, à cette compilation de loix, qu'ils tirerent en partie de celles de Grece, & en partie des anciennes ordonnances des Rois de Rome.

Je ne doute point du mérite de plufieurs de ces loix, dont il ne nous refte cependant que des fragmens; mais malgré les éloges qu'on en fait, il femble que la vue de quelques-unes fuffit pour dévoiler le but principal qui anima les Décemvirs lors de leur rédaction; & cette remarque n'a pas échappé à l'illuftre auteur de l'Esprit des Loix.

Le génie de la République, dit-il, ne demandoit pas que les Décemvirs miffent dans leurs douze tables les loix royales, fi féveres, & faites pour un peuple compofé de fugitifs, d'efclaves & de brigands; mais des gens qui afpiroient à la tyrannie n'avoient garde de fuivre l'efprit de la République; la peine capitale qu'ils prononcerent contre les auteurs des libelles & contre les poëtes, n'étoit certainement pas de l'efprit d'une République, où le peuple aime à voir les grands humiliés: mais des gens qui vouloient renverfer la liberté, craignoient des écrits qui pouvoient rappeller la liberté ; & Cicéron qui ne défapprouve pas cette loi, en a bien peu prévu les dangereuses conféquences. Enfin la loi qui découvre le mieux les projets qu'avoient les Décemvirs de mettre la divifion entre les nobles & le peuple, & de rendre par cet artifice leur magiftrature perpétuelle, eft celle qui défendoit les mariages entre les nobles & le peuple. Heureusement après l'expulfion des Décemvirs cette derniere loi fut caffée, l'an 308 de Rome, & prefque toutes celles qui avoient fixé les peines s'évanouirent : à la vérité on ne les abrogea pas expreffément; mais la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen Romain, elles n'eurent plus d'application.

Il y avoit encore à Rome d'autres Décemvirs, qui étoient dix juges établis pour rendre la juftice, en l'abfence des préteurs occupés dans les guerres du dehors. Il y en avoit cinq qui étoient fénateurs, & cinq chevaliers : c'étoient eux qui, par ordre du préteur, dont ils formoient le confeil, affembloient les Centumvirs pour rendre la juftice, & ils recueilloient les voix, ce qui s'appelloit haftam cogere: Deindè cùm effet neceffarius Magiftratus,

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