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« s'est encore accrue sous mon règne : une guerre dis«pendieuse, mais honorable, en a été la cause; l'aug« mentation des impôts en a été la suite nécessaire, et « a rendu plus sensible leur inégale répartition. Une « inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations, « se sont emparés des esprits, et finiraient par égarer << totalement les opinions si l'on ne se hâtait, de les << fixer par une réunion d'avis sages et modérés. C'est << dans cette confiance, messieurs, que je vous ai ras« semblés, et je vois avec sensibilité qu'elle a déjà été « justifiée par les dispositions que les deux premiers « ordres ont montrées à renoncer à leurs priviléges pé«cuniaires. L'espérance que j'ai conçue de voir tous « les ordres, réunis de sentiments, concourir avec moi « au bien général, ne sera point trompée. J'ai déjà or« donné dans les dépenses des retranchements considé«rables; vous me présenterez encore, à cet égard, « des idées que je recevrai avec empressement. Mais « malgré la ressource que peut offrir l'économie la plus « sévère, je crains, messieurs, de ne pouvoir pas sou« lager mes sujets aussi promptement que je le dési«rerais. Je ferai mettre sous vos yeux la situation « exacte des finances; et, quand vous l'aurez exami« née, je suis assuré d'avance que vous me proposerez « les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre << permanent et affermir le crédit public. Ce grand et <«<< salutaire ouvrage, qui assurera le bonheur du royau«me au-dedans et sa considération au-dehors, vous « occupera essentiellement. Les esprits sont dans l'agi<«<tation; mais une assemblée des représentants de la << nation n'écoutera sans doute que les conseils de la sa«gesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, « messieurs, qu'on s'en est écarté dans plusieurs occa«sions; mais l'esprit dominant de vos délibérations

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<< répondra aux véritables sentiments d'une nation gé<<néreuse, et dont l'amour pour ses rois a toujours été <«<le caractère distinctif : j'éloignerai tout autre souve<«<nir. Je connais l'autorité et la puissance d'un roi <«< juste au milieu d'un peuple fidèle et attaché de tout << temps aux principes de la monarchie : ils ont fait la << gloire et l'éclat de la France; je dois en être le sou<<< tien, et je le serai constamment. Mais tout ce qu'on << peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur pu<«<blic, tout ce qu'on peut demander à un souverain, <«<le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous << devez l'espérer de mes sentiments. Puisse, messieurs, << un heureux accord régner dans cette assemblée, et << cette époque devenir à jamais mémorable pour le bon«< heur et la prospérité du royaume ! C'est le souhait de << mon cœur, c'est le plus ardent de mes vœux, c'est << enfin le prix que j'attends de la droiture de mes in<<< tentions et de mon amour pour mes peuples. »

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Le garde des sceaux Barentin retrace ensuite ayec quelle facile condescendance le roi dispose les moyens d'amener la prospérité publique, et combien il importe de seconder ses efforts par une confiance égale à celle qu'il témoigne à ses sujets. « L'ambition, ou «< plutôt le tourment des rois oppresseurs, est de ré<< gner sans entraves, de franchir les bornes de toute << puissance légitime, de sacrifier les douceurs du gou«< vernement paternel aux fausses jouissances d'une << domination illimitée, d'ériger en loi les caprices ef<«<frénés du pouvoir arbitraire. Tels ont été ces des<< potes dont la tyrannie fournira toujours à l'histoire <<< des contrastes frappants avec la bonté de Louis XII, << la clémence de Henri IV et la bienfaisance de <«< Louis XVI. Vous le savez, messieurs, le premier << besoin de sa majesté est de répandre des bienfaits.

« Mais, pour être une vertu royale, cette passion de <«< faire des heureux doit prendre un caractère public « et embrasser l'universalité de ses sujets des grâces «< versées sur un petit nombre de courtisans et de favo«< ris, quoique méritées, ne satisferaient pas la grande « âme du roi.... Qu'on se retrace tout ce qu'a fait le << roi depuis son avénement au trône, et l'on trouvera <<< dans cet espace assez court une longue suite d'ac«<tions mémorables: la liberté des mers, que l'huma<«< nité réclamait, et celle de l'Amérique, assurées par <«<le triomphe des armes; la question préparatoire pro<< scrite et abolie, parce que les forces physiques d'un <«< accusé ne peuvent être une mesure infaillible de l'in«< nocencé et du crime; les restes d'un ancien esclavage << détruits; toutes les traces de la servitude effacées, <«<et l'homme rendu à ce droit sacré de la nature, que <«< la loi n'avait pu lui ravir, de succéder à son père et <«<< de jouir en paix du fruit de son travail; le com<«< merce et les manufactures protégés, la marine régé– « nérée, le port de Cherbourg créé, celui de Dunker<< que rétabli, et la France ainsi délivrée de cette << dépendance où des guerres malheureuses l'avaient « réduite..... » L'inhabile Barentin dévoile, sans s'en douter, toute l'impéritie des ministres, qui n'ont rien prévu, rien disposé pour détourner les orages dont l'atmosphère est si visiblement chargée. Il annonce que « le roi s'en rapporte au vou des états pour la ma«nière de recueillir les voix, quoique celle par tête, <«<en ne présentant qu'un seul résultat, puisse avoir <«< l'avantage de faire mieux connaître le désir général. » Tout est laissé dans le vague et l'incertitude sur le sujet le plus important : les ministres semblent remettre au hasard la décision de ces questions, auxquelles tient le salut de l'état.

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Le discours du roi ne parut pas répondre à la grandeur d'une solennité qui recommençait en quelque sorte les destinées de la monarchie française: il n'y est nullement question des vices invétérés dans la constitution de l'état, des abus révoltants qui existaient dans toutes les parties de l'administration. Le roi s'empresse de parler de la dette de l'état et de l'embarras excessif des finances; il annonce que les deux premiers ordres ont montré des dispositions à renoncer à leurs priviléges pécuniaires; il dit qu'il recevra avec empressement les idées et les moyens proposés par l'assemblée pour rétablir les finances et raffermir le crédit public. Au langage que les ministres font tenir au rọi, dans une conjoncture si solennelle, si décisive, on s'aperçoit qu'ils envisagent l'assemblée des états-généraux comme un grand conseil convoqué par le monarque, et de son bon plaisir, pour émettre des avis sur les questions qui lui seront adressées. On voit clairement que les ministres déclinent la haute juridiction d'une assemblée qui, dans l'origine de notre monarchie, était le souverain. Le roi parle de ses peuples, de ses sujets; et, quoiqu'il donne aux députés le titre de représentants de la nation, il n'est pas question dans ce discours des premiers intérêts de la nation, c'est-àdire des réformes à opérer dans toutes les parties de l'administration politique et civile, réformes impérieusement réclamées par l'immense majorité de la nation française. En un mot, on peut déjà présumer que les ministres ont porté Louis XVI à assembler les états-généraux uniquement parce qu'il était impossible d'obtenir sans eux des emprunts et des impôts; il est même permis de croire que, les ressources pécuniaires une fois accordées et garanties, les ministres eussent décidé le roi à dissoudre l'assemblée et à

renvoyer les améliorations politiques ou constitutionnelles à une prochaine assemblée d'états-généraux, dont la convocation aurait été éludée ou ajournée indéfiniment. Sans doute le roi désirait et voulait le bonheur public; il portait à ses peuples un amour sincère; mais la faiblesse de caractère de ce monarque était et les courtisans de Versailles disaient hautement «que, les affaires des finances une fois réglées << tout serait dit, et qu'il fallait renvoyer chez eux les « députés le plus tôt possible. >>

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Le discours de M. de Barentin, garde des sceaux, parut froid, péniblement contourné, et rempli en outre de réticences despotiques. Il s'attache à faire. l'éloge du roi, à retracer les améliorations opérées ou les bienfaits accordés par le monarque depuis son avénement au trône; mais le chef de la justice évite avec une sorte d'affectation de parler des réformes les plus nécessaires, les plus urgentes; cette phrase: « Des «grâces versées sur un petit nombre de courtisans et « de favoris, quoique méritées, ne satisferaient pas la « grande âme du roi, » cette phrase seule annonce qu'on n'entendait pas, à Versailles, mettre un terme aux abus, aux déprédations qui provoquaient l'animadversion générale. Le discours de M. de Barentin fait douter de la sincérité des sentiments exprimés par le roi; il cause surtout une grande défiance aux membres du tiers-état, il produit un très mauvais effet, et l'on s'en explique_assez hautement au sortir de l'assemblée.

Quant à M. Necker, il s'érige, dans son discours, en interprète des intentions royales; il met un grand amour-propre à signaler aux états-généraux les sujets qui devaient faire l'objet de leurs délibérations; il les invite à procéder avec lenteur dans les réformes et

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