Page images
PDF
EPUB

moyen illégal. Il faut néanmoins se rappeler qu'outre la Bastille il existait huit ou dix autres prisons d'état où le gouvernement renfermait, sans égard pour le sexe, pour l'âge, pour la parenté, des personnes de toute condition, traitées avec la même rigueur pour des délits différents, et condamnées sans jugements et sur de simples allégations. On sait encore que la Bastille de Paris et les autres Bastilles secondaires étaient les sauvegardes des grands criminels, voleurs, assassins, empoisonneurs de qualité, et que les débiteurs d'un haut rang ou accrédités en cour avaient le privilége d'y faire enfermer leurs créanciers.

Le lendemain même de la prise de la Bastille, le peuple en commence la démolition. La clé de la première porte est envoyée par La Fayette au président des États-Unis, à l'illustre citoyen Washington.

Ordonnance du roi.« Sa majesté ayant été à << portée de juger de l'effet qu'a produit dans ses << troupes la punition des coups de plat de sabre établie <«< par son ordonnance du 25 mars 1776, supprime la<< dite punition; voulant, sa majesté, que cette peine << soit remplacée par celle de la prison ou autres puni«<tions réglées par la discipline militaire, suivant << l'exigence des cas. >> Devait-on attendre jusqu'à ce jour pour révoquer une ordonnance qui, de même que plusieurs autres ordonnances assez récentes, ont si fâcheusement modifié les institutions militaires, ravalé la considération du soldat français, et répandu dans les rangs le découragement, la désaffection, avec le dégoût de la profession des armes?

15. « La cour était résolue d'agir cette même nuit « (la nuit du 14 au 15). Les régiments de Royal-Alle<«<mand et de Royal-Étranger avaient reçu ordre de

<< prendre les armes. Les hussards s'étaient portés à la << place du château; les gardes-du-corps occupaient les « cours. A ces préparatifs menaçants la cour joignait un << air de fête qui, dans cette circonstance, ajoutait l'in<«<sulte à la cruauté. Les Polignac, Mesdames (tantes <«< du roi), Madame et madame d'Artois se rendirent <«< sur la terrasse de l'orangerie. On fit jouer la musique « des deux régiments. Les soldats, auxquels on n'avait « pas épargné le vin, formaient des danses. Une joie <«< insolente et brutale éclatait de toutes parts; une << troupe de femmes, de courtisans, d'hommes vendus << au despotisme, regardaient cet étrange spectacle << d'un oeil satisfait et l'animaient par leurs applaudisse«ments. Telle était la légèreté ou plutôt l'immoralité << de ces hommes, qu'assurés, à ce qu'ils croyaient, « du succès, ils se livraient à un insultant triomphe. << L'assemblée nationale offrait un aspect bien différent : << un calme majestueux, une contenance ferme, une << activité sage et tranquille, tout annonçait les grands «< intérêts dont elle était occupée et le danger de la <«< chose publique. Ce n'était point par ignorance des << desseins de la cour l'assemblée nationale savait « qu'au moment même de l'attaque de Paris, les régi<«<ments de Royal-Allemand, Royal-Étranger et les << hussards, devaient environner la salle des états, en<«<lever les députés que leur zèle et leur patriotisme « avaient désignés pour victimes, et, en cas de résis<< tance, employer la force. Elle savait que le roi devait <«< venir, le lendemain, faire accepter la déclaration « du 23 juin et dissoudre l'assemblée; que déjà plus « de quarante mille exemplaires de cette déclaration << étaient envoyés aux intendants et aux subdélégués, << avec ordre de la publier et de l'afficher dans toute «l'étendue du royaume.

«Mais l'assemblée était décidée à s'exposer aux plus << grandes violences plutôt que de consentir à cet acte <«< illégal, et de trahir ainsi la confiance de la nation, <«<< en sacrifiant les droits du peuple à sa propre sûreté. << Cependant l'assemblée n'était pas sans ressources. <«< La moindre entreprise contre elle fût devenue le << signal d'une mesure qui aurait pu envelopper le roi «< même et toute la famille royale. Un peuple nom<< breux, dans le sombre et farouche silence d'un << abattement prêt à se changer en fureur, entourait <«< la salle des états ( à la fin du jour, le 14); inquiet <«<< des mouvements qu'il apercevait autour de lui, il «< errait çà et là, n'attendant qu'un mot pour se porter « à toutes les extrémités du désespoir.

(

<«< On savait confusément ce qui se passait à Paris : <«<les courriers avaient beaucoup de peine à parvenir << jusqu'à Versailles; les postes de Sèvres, de Saint«< Cloud, gardés par deux régiments, interceptaient les «< communications. Il arrivait néanmoins, de temps en << temps, quelque courrier, qui, avant d'être intro<< duit dans l'assemblée, satisfaisait l'impatiente curio«sité du peuple : l'assemblée recevait tout, écoutait << tout, envoyait au roi députations sur députations. « Ces députations, composées de cinquante membres, << traversaient en silence le long espace qui séparait <«< du château la salle des états; le peuple s'ouvrait << avec respect sur leur passage; l'air composé, sévère «< << même, des députés, montrait le courage inébranlable « de l'assemblée. Arrivés aux postes occupés par les << hussards et par les gardes-du-corps, ils perçaient <«<< avec peine les nombreux escadrons qui couvraient la << place d'armes et les cours du château; on les intro<< duisait chez le roi, et, à leur retour, leurs regards <«<et leur maintien contristés annonçaient au peuple

<< qu'ils n'avaient rien obtenu. » (Mémoires du marquis de Ferrières, constituant du parti royaliste.)

[ocr errors]

A l'ouverture de la séance du 15, Mirabeau s'écrie: << Monsieur le président, dites au roi que les hordes «< étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier << la visite des princes et des princesses, des favoris et << des favorites, et leurs caresses, et leurs exhorta«<tions, et leurs présents. Dites-lui que toute la nuit « ces satellites étrangers, gorgés de vin et d'or, ont << prédit, dans leurs chants impies, l'asservissement de a la France, et que leurs voeux brutaux invoquaient << la destruction de l'assemblée nationale. Dites-lui << que, dans son palais même, les courtisans ont mêlé <«<leurs danses aux sons de cette musique barbare, et « que telle fut l'avant-scène de la Saint-Barthélemy. << Dites-lui que ce Henri dont l'univers bénit la mé<< moire, celui de ses aïeux qu'il affectait de vouloir << prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans << Paris révolté, qu'il assiégeait en personne, et que << ses féroces conseillers font rebrousser les farines que << le commerce apporte dans Paris affamé et fidèle. » L'exaltation causée par ces paroles s'apaise à l'annonce de l'arrivée du roi dans la salle. On a déjà fait connaître (V. les 13 et 14 ) que le duc de Liancourt, étant parvenu dans l'appartement de Louis XVI, et l'ayant trouvé seul, lui a fait envisager les périls de cette lutte, en s'obstinant à suivre les conseils des ministres du jour; puis, s'adressant au comte d'Artois, qui paraît: «< Votre tête est proscrite, Monseigneur ; « j'ai lu l'affiche de votre proscription. » La reine et Monsieur arrivent, appuient l'avis du duc de Liancourt, et entraînent la détermination du roi, qui, certain à cette heure que, pour réduire la ville de Paris, il faudrait recourir aux moyens les plus extrêmes, et

courir les plus grands dangers, sans avoir même l'assurance probable de réussir, se détermine à approuver l'insurrection, à reconnaître l'assemblée nationale, et à faire droit aux demandes qu'elle lui a exprimées par plusieurs députations. Louis XVI sort de son palais, sans pompe, sans escorte, à pied : le grand-maître des cérémonies, Dreux-Brezé, annonce à l'assemblée l'arrivée du roi. L'insolent courtisan ne se découvre pas en présence des états-généraux. On lui crie : « Otez le << chapeau; >> il met chapeau bas. Le roi entre. Ce n'est pas le monarque du 23 juin, intimant, da haut du trône, ses ordres aux états-généraux : il est sans gardes, sans ministres, accompagné seulement de Monsieur et du comte d'Artois. Il vient rétracter tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a dit depuis le lit de justice du 23 juin, dans ce jour où il parlait en maître absolu aux représentants de la nation française. Sa voix est d'abord molle et incertaine; mais, rassuré bientôt par sa propre faiblesse, par les concessions dont il vient faire hommage à l'assemblée, et par l'espoir que ses paroles vont calmer l'agitation du peuple et lui rendre son amour, il prononce avec assez de tranquillité le discours qu'il a minuté dans la nuit ; il dit : « ..... Le <<< chef de la nation vient avec confiance au milieu de << ses représentants leur témoigner sa peine, et les << inviter à trouver les moyens de ramener l'ordre et <«<le calme. Je sais qu'on a donné d'injustes préven«tions; je sais qu'on a osé publier que vos personnes « n'étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de <<< rassurer sur des récits aussi coupables, démentis « d'avance par mon caractère connu? Eh bien! c'est « moi, qui ne suis qu'un avec ma nation, qui me fie à « vous. Aidez-moi dans cette circonstance à assurer le << salut de l'état ; je l'attends de l'assemblée nationale,

t;

« PreviousContinue »