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lendemain le peuple de Paris, indigné du renvoi de Necker, fait fermer la salle de l'Opéra et tous les théâtres, tant l'émotion est générale, vive et prononcée : car l'interruption des spectacles est, pour les Parisiens du siècle, un signe de désolation aussi manifeste que l'était, pour les premiers Romains, l'extinction du feu sacré remis aux soins des vestales.

En ordonnant à M. Necker de partir de suite, en lui faisant défense d'annoncer à qui que ce fût sa disgrâce, Louis XVI ne pouvait montrer plus de faiblesse, ni agir plus maladroitement : car la popularité de M. Necker était alors à son comble, et le renvoi de ce ministre ne pouvait être caché que pendant quelques heures. L'éclat que la connaissance d'un tel acte devait produire dans l'opinion publique devait entraîner nécessairement une catastrophe. La révolution ministérielle exécutée le 11 juillet est immédiatement suivie de l'entrée à Paris d'un corps de troupes étrangères.

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12-13. Le prince de Lambesc, commandant une partie des troupes rassemblées au voisinage de Paris, avait reçu du baron de Bezenval l'ordre de charger le peuple sur la place de Louis xv et dans le jardin des Tuileries, pour peu que les troupes sous son commandement éprouvassent de résistance. M. de Bezenval avait également donné ordre au marquis de Launay de défendre vigoureusement la Bastille, et des forces suffisantes avaient été annoncées, promises au gouverneur de ce château fort. Les aveus judiciaires faits par M. de Bezenval et ceux du prince de Lambesc établissent ces faits d'une manière incontestable.

Le prince de Lambesc était un homme de moeurs. féroces et dissolues. Dans une lettre publiée en 1789, voici comment M. de Buzançois s'exprimait sur ce

prince ainsi que sur le prince de Vaudémont : « Cet <«< original, plus fait pour être muletier que pour être « à la tête d'un régiment, vient d'assommer à coups de <«< canne un pauvre boulanger de cette ville (Valen<«< ciennes), infirme et impotent, dont tout le crime a << été de donner son pain à crédit aux brigadiers des dra<< gons ́de Lorraine. L'affaire a d'abord été mise au cri<«< minel; mais quelques rouleaux l'ont mise ensuite à <«<l'amiable. Le prince de Lambesc et le prince de Vau<< démont sont détestés; il n'y a que leur nom, la faveur « et la parenté de la reine, qui les soutiennent; ils n'ont «ni assez d'esprit pour être d'aimables roués, ni assez de << probité pour être d'honnêtes gens; ils sont craints, << on les fuit et on les hue : voilà leur sort. M. de Sarse<«<field doit avoir rendu compte à la cour de cette scène. >> le

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Dans son expédition au jardin des Tuileries, prince de Lambesc s'avance fièrement à la tête du régiment Royal-Allemand et d'un corps de Suisses, il traverse au galop la foule de bourgeois paisibles qui remplissaient les allées du jardin, donne ordre à ses soldats de sabrer, et sabre lui-même une femme qui se trouvait sur son passage; un vieillard tombe aussi sous ses coups, dangereusement blessé. Au meurtre! s'écrie-t-on; vengeance! L'indignation la plus vive éclate aussitôt de toutes parts: on lance sur les soldats, ou plutôt les assassins, des pierres, des chaises, tout ce qui tombe sous la main. Inquiet sur le succès de cette lâche et criminelle agression, le prince de Lambesc forme ses troupes en bataille, et fait bientôt une retraite qui le couvre de honte. Au même instant toutes les barrières sont attaquées, renversées, brûlées, et Paris se trouve entre la soldatesque et cette foule d'hommes hideux que l'on voit toujours, au premier tumulte, sortir comme de dessous terre,

Pendant que le prince de Lambesc force l'entrée des Tuileries, des pelotons de gardes-françaises, qui ont pris parti pour le peuple, se fusillent sur le boulevart voisin avec les soldats étrangers.

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Les bourgeois, universellement pénétrés du danger général, s'assemblent dans les districts. Le tocsin sonne dans chaque quartier, tous les citoyens s'arment de leur mieux, et des patrouilles de volontaires établissent immédiatement une police de sûreté. Les électeurs des députés aux états-généraux accourent à l'Hôtel-deVille, et, se réunissant au corps municipal, ils créent sur-le-champ la milice parisienne. Quarante-huit mille citoyens s'enregistrent dans un seul jour; les soixante assemblées de districts les forment en bataillons, en compagnies. Enfin, l'assemblée de l'Hôtel-de-Ville établit un comité de sûreté permanent, qui prend l'arrêté suivant : « Les désordres...... ayant déterminé à « rétablir sans délai la milice parisienne, il a été dé«< cidé : Le fonds de cette milice sera de quarante-huit <«< mille hommes...., forinant seize légions....; l'état« major général, composé d'un commandant général, << d'un commandant en second, d'un major général, «<et des états-majors de chacune des seize légions ; <<< tous les officiers seront nommés par le comité per« manent............. Les couleurs de la ville ayant été adop<«<tées par l'assemblée générale des électeurs, chacun. << portera la cocarde bleue et rouge................. » Tel est le premier acte d'autorité publique qui a constitué la force populaire. Suivant un second arrêté, on envoie une députation à Versailles demander au roi la confirmation de l'établissement de cette milice, l'éloignement des troupes, la responsabilité des ministres. Le roi refuse tout; mais dans trois jours (le 16) il approuvera tout, la formation de la milice bourgeoise, ainsi

que sa nouvelle dénomination de garde nationale; les provinces s'empresseront d'imiter Paris; peu de jours suffiront pour que des villes situées aux frontières prennent les armes, prononcent le serment de maintenir les décrets de l'assemblée et la liberté de ses membres, en offrant de marcher à sa défense. Trois millions de Français vont être sous les armes pour soutenir la cause du tiers-état et les motifs de la révolution.

13. Dans l'assemblée nationale plusieurs décrets sont rendus après un discours du comte de Lally-Tollendal. Les ministres et leurs agents sont personnellement responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de l'assemblée nationale. La dette publique ayant été mise sous la garde de la loyauté française, nul pouvoir n'a le droit de manquer à la foi publique. L'assemblée déclare persister dans ses arrêtés des 17, 20 et 23 juin.

13-14. Les troubles continuent à Paris. La cour semble jeter un œil tranquille sur ces mouvements. Les troupes postées au Champ-de-Mars, à Sèvres, à SaintCloud, à Saint-Denis, y restent immobiles. On croirait que les ministres de deux jours, bien assurés du succès, laissent croître le désordre pour l'abattre au moment favorable avec plus de force et d'impétuosité. Ils envisagent tout ceci comme un trouble-fête accidentel, comme une émeute aussi facile à dissiper que dans les temps où six cent mille habitants tremblaient à l'appa-rition d'un lieutenant de police et de huit cents hommes du guet. Ils ne mettent pas une plus grande importance à cette insurrection qu'on n'en mettait, sous les règnes précédents, aux mouvements populaires, toujours termi

nés par le triomphe du pouvoir, la punition de quelques malheureux, et la fortune de quelques intrigants. Telle est, en effet, jusqu'à ce jour, la leçon de l'histoire en France; et la différence des époques, les approches d'une révolution née d'un grand accroissement de lumières publiques, sont des idées trop supérieures aux conceptions des ministres en exercice.

Les courtisans vont jusqu'à se réjouir de ces tumultes; ils disent : << Plus la commotion sera violente, << moins elle aura de durée; plus ils en feront, plus << tôt cela finira. » Cependant la fermentation prend un développement effrayant; le tocsin ne cesse pas de se faire entendre; les boutiques et les ateliers se ferment; les rues s'inondent de gens bizarrement armés; les détenus de la Force et du Châtelet sont délivrés; la maison de Saint-Lazare est livrée au pillage. La multitude, et ceux qui l'excitent, et les bourgeois qui s'efforcent de les contenir, tous accusent la cour. Plusieurs courriers sont arrêtés: on trouve dans leurs dépêches de nouveaux sujets de défiance. Une foule prodigieuse se porte à l'hôtel des Invalides et somme le gouverneur de livrer le dépôt d'armes confié à sa garde. Il s'y refuse, et trente mille fusils sont enlevés avec vingt pièces de canon. Dès la veille, le peuple s'est emparé de toutes les armes trouvées chez les armuriers, ainsi que d'un bateau chargé de poudre. On se porte aussi au Garde-Meuble, où l'on s'empare, mais sans dévastation, de toutes les armes qui s'y trouvent déposées les plus riches, les plus belles, attirent de préférence l'attention et l'empressement de ces hommes du peuple; fusils, pistolets, sabres, couteaux de chasse, armes offensives de toute espèce, sont enlevés en moins d'une demi-heure; deux canons sur leurs affûts, envoyés par le roi de Siam à

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