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des députés nobles se réunit toujours, à l'issue des séances générales, en comités secrets, et ne cesse de protester contre la réunion des trois ordres.

Louis XVI avait dit dans le lit de justice (Voy. 19, 20 novembre 1787), par l'organe du garde des sceaux Lamoignon: «< Au roi seul appartient la puissance sou<< veraine dans le royaume; il n'est comptable qu'à « Dieu seul de l'exercice du pouvoir suprême. Le pou« voir législatif réside dans la personne du monarque, << sans dépendance et sans partage. >>

M. de Breteuil, après le lit de justice (23 juin 1789), disait, sans nul ménagement, à Versailles : « Le roi « ne doit aucùn compte de ses actions à ce qu'on ap« pelle la nation; il est maître absolu de son royaume, <«<et si les sujets se révoltent, c'est par les plus terri<«<bles châtiments qu'il doit les faire rentrer dans l'o«béissance ». Monsieur (Louis XVIII) gardait une sorte de neutralité. Ce prince disait assez haut, dans son intérieur: « Il ne faut recourir à la force des baïon<<nettes que lorsque tous les moyens de conciliation << seront épuisés. >> Monsieur n'aidait publiquement et ne contrariait en rien la révolution; il laissait aller les choses, et témoignait un grand attachement pour le roi son frère, tout en convenant que la nation avait aussi ses droits, dont il serait injuste et dangereux de vouloir la dépouiller. On tient ces particularités de M. le baron de Breteuil; ce ministre en certifiait l'authenticité. On tient également de ce ministre que le duc d'Orléans, le marquis de La Fayette, le comte de Mirabeau, l'abbé Syeyès, Barnave, Chapelier, LallyTollendal, Mounier, et huit ou dix autres membres de l'assemblée nationale, étaient désignés comme victimes impérieusement réclamées par le salut du trône et de l'état. Une compagnie de canonniers avait été caser

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née aux écuries de la reine, et l'on ne cachait pas que cette compagnie était destinée à mitrailler l'assemblée. Lorsque le maréchal de Broglie eut pris le commandement des troupes destinées à dissoudre l'assemblée des états-généraux, le baron de Breteuil, qu'on pouvait considérer, en quelque sorte, comme premier ministre, par l'influence sans bornes qu'il exerçait sur l'esprit de la reine et sur celui du roi, le baron de Breteuil disait, portes ouvertes: «Au surplus, s'il « faut brûler Paris, on brûlera Paris, et l'on décimera << ses habitants : aux grands maux les grands remè «des. >> On répète mot pour mot ce qu'on a entendu dire au baron de Breteuil en 1794, ce dont il se glorifiait encore à cette époque; et dix ans plus tard, ce despote de la vieille roche (suivant son expression favorite) était dans les antichambres de Cambacérès, et recevait de Napoléon une pension de douze mille francs sur sa cassette !

Le dévouement du maréchal de Broglie au pouvoir absolu n'était pas équivoque, et les officiers généraux désignés pour opérer sous ses ordres avaient fait leurs. preuves de servilité et d'abnégation patriotique. Comment se refuser à l'évidence des projets trámés à Versailles, lorsque la déposition même des premiers acteurs vient les constater? La lettre du maréchal, de Broglie au prince de Condé (lettré imprimée et publiée à Paris et à Londres, 1789, lettre qui n'a jamais été démentie jusqu'à ce jour) ne saurait laisser le moindre doute à cet égard : « Monseigneur, je l'avais « toujours prévu, et je l'ai dit une fois à V. A., que << la plupart des députés nationaux seraient des loups << affamés qui, las de pousser des hurlements, cherche<<<raient une victime, et que cette victime serait la haute << noblesse. On sapera le clergé jusque dans ses fonde

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<<ments, parce qu'on le méprise; on cherchera à nous « déprivilégier, parce qu'on nous craint. Vous verrez << s'élever dans l'ombre de la liberté une hydre terrible « qui nous attaquera, et il est à craindre que nous ne << soyons pas des Alcides pour la combattre. Le tiers«<< état est d'autant plus fort qu'on lui a d'abord plus « accordé il se fonde sur des droits qu'il avait perdus « de vue, et qu'il rappelle; son grand nombre le ras« sure, et nous ne faisons pas ce qu'il faut pour l'é« pouvanter et le décourager. Avec cinquante mille <<< hommes je me chargerais volontiers de dissiper tous «< ces beaux-esprits qui calculent sur leurs prétentions, « et cette foule d'imbécilles qui écoutent, applaudis«sent et encouragent; une salve de canons ou une « décharge de coups de fusil aurait bientôt dispersé <«< ces argumentateurs, et remis la puissance absolue, « qui s'éteint, à la place de cet esprit républicain qui « se forme. Mais il ne faut pas s'endormir au sein des « dangers : il faut que des homines entendus, fermes, « sûrs et en petit nombre, travaillent à la révolu«<tion et se chargent de l'exécuter. Jamais conspira<«<tion ne fut plus utile. Je dirai sur cela à V. A. des «< choses fortes, vraies et senties........ >>

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Voilà des dispositions fixes et clairement manifestées : elles prouvent que le maréchal de Broglie connaissait bien la situation des choses et les intentions des courtisans de Versailles. La lettre suivante du duc de Luxembourg à un officier général ( ce dernier n'est pas nommé dans la correspondance publiée en 1789) achèvera de mettre dans le plus grand jour la façon de penser et les intentions des grands seigneurs de la cour de Versailles, au moment de la convocation des états-généraux. « Malgré l'élection des députés « des différents ordres, à laquelle on travaille inces

<< samment, il est encore à présumer que les états <<< n'auront pas lieu. Ce qui vous ferait pitié, c'est «<l'ignorance de nos gentilshommes provinciaux; rien << n'est si lourd; si entêté ni si épais: comparée à la « noblesse de la capitale, la noblesse de province est « à deux cents ans de retard, quant au ton et aux <«< connaissances. Si le choix des députés ne tombe pas <«< sur ce que nous appelons grands seigneurs, il est à «< craindre que nous ne soyons culbutés par le tiers« état, dont le nombre est prépondérant au nôtre, dont «< l'instruction est connue, et la plupart de leurs de<<< mandes légitimes: aussi faisons-nous agir tout ce qui <«<< approche le roi, et tout ce que la reine peut sur lui, « pour faire rompre et annuler le projet d'assembler <«<< la nation. On est peut-être trop avancé pour recu« ler, et c'est l'embarras. Il n'y aurait qu'un moyen, «< ce serait de faire faire un second saut au directeur-gé«néral des finances; mais cela est difficile. On craint << d'ailleurs que, si M. Necker était disgracié, et l'assem« blée des états mise au néant, les provinces ne se << soulevassent, et notre sort serait encore alors plus «< critique. Attendons en patience les événements ; «< cherchons à nous gagner les troupes: ce point est << peut-être le plus important, car, dans l'hypothèse <«< du trouble, il n'est plus d'espérance pour la noblesse << si les troupes sont pour le tiers... >>

Aucune réclamation, aucune dénégation de la part des personnes intéressées, ne se sont élevées contre l'authenticité de ces lettres, soit à l'époque de la révolution, soit dans l'émigration, soit enfin depuis la restauration de la monarchie on est donc autorisé à les citer comme preuves de la situation des choses en 1789; elles expliquent parfaitement le changement de ministère qui fut opéré le 11 juillet.

TOME II.

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11. La division est au conseil du roi. De ses ministres, les uns, alarmés des premiers symptômes de la liberté, réclament l'appareil de la force pour contenir les agitateurs du peuple de Paris, en imposer aux factieux de l'assemblée nationale, tels que Syeyès, Mirabeau, le duc d'Orléans; les autres, membres du conseil apparent, Necker surtout, croient que le roi est trop avancé pour ne pas suivre l'impulsion générale, et que son autorité est trop forte pour être compromise, s'il ne cesse pas de donner des gages de la sincérité de ses intentions. Louis XVI adopte le premier avis; mais à ce jour, comme en toute autre conjoncture, son caractère énerve, paralyse l'exécution; il s'appuie sur les troupes, et jamais il ne parut à cheval dans leurs rangs. Les factieux se montrent, un peuple immense s'émeut, et le petit-fils de Henri iv vit au fond d'un palais, dans la stricte observance de l'étiquette, en habit brodé, accessible seulement à messieurs les gentilshommes de la chambre. Il enjoint à Necker de s'éloigner mystérieusement, disgraciant de la manière la plus timide un homme qui jouit de la plus grande popularité, et regardé comme seul capable de sauver l'état, parce qu'on croit encore que le salut public ne tient qu'à l'embarras des finances. Ainsi part en exil un ministre auquel le roi, vingt jours auparavant, a refusé sa démission, et qu'avec la reine il a pressé, sollicité, conjuré de rester. Quel avenir de fautes dans cette seule faute ! Les ministres Saint-Priest, Montmorin, La Luzerne, donnent leur démission. Des hommes généralement réprouvés, à cause de leur attachement au pouvoir absolu, sont nommés pour composer le conseil du roi le duc de La Vauguyon, le baron de Breteuil, le maréchal de Broglie, Foulon, Laporte, La Galaizière, et Barentin, qui retient les sceaux. Le

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