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premier au dernier jour manquer de trois choses: de sagesse, d'habileté, de courage. Elle est si façonnée aux petits manéges de cour qu'elle ne saurait y renoncer, et choisir de plus dignes moyens d'opposition. Sans cesse bercés d'un fol espoir de contrerévolution, les hommes de la cour ne sauront jamais transiger avec les circonstances. L'expérience devrait les corriger ils demeureront incorrigibles, éternellement abusés par de vaines illusions. Les courtisans de 1789 sont toujours dans l'effroi, et toujours ils manquent d'énergie. Ils ont des velléités sans volonté, des projets que ne soutiennent aucuns moyens; leurs yeux ne voient rien, leurs bras n'ont plus de nerfs. La conduite du parti royaliste ou aristocrate, comme le peuple le nomme, serait inexplicable, si l'on ne se retraçait pas que les chefs de ce parti ne cessaient de lui vanter l'appui des puissances étrangères, reproduisant du soir au lendemain l'assurance d'une invasion immédiate. Les milices nationales fuiront, disent-ils, au premier coup de canon; les troupes de ligne, privées de leurs officiers, se débanderont. Un plébéien n'est qu'un automate, il manque d'âme; ou si par hasard il est brave, il n'en reste pas moins incapable d'exercer un commandement. De la sorte, aveuglés par les préjugés de naissance, ces hommes ne voient pas que l'impatience de la liberté et les principes de la constitution viennent de créer pour le peuple ce sentiment factice de l'honneur; que, si le ruban de saint Louis entraînait au feu les anciens officiers, la cocarde tricolore animera les nouveaux militaires. Et, sans doute, l'homme du peuple, élevé plus rudement, endurant mieux les privations et les fatigues, doit bien mieux soutenir les travaux de la guerre que le noble énervé par les ménagements de

son éducation et par des habitudes moins actives.

La vanité, cet élément prédominant du caractère national, qui s'annonce dans les classes intermédiaires par des actes d'injustice, dans les classes inférieures par des actes de férocité, s'annonce dans la noblesse par des résistances mesquines, des complots obscurs et sans consistance, de petits babils d'abbés et de femmes, d'insignifiants caquetages de salons. Assaillants frêles et sans force, ils entrent en lice armés de propos plaisants, de légers bons mots, de futiles épigrammes, de sarcasmes ingénieux. Ils se flattent de terrasser leurs vigoureux adversaires en les piquant de l'arme du ridicule; mais cette arme acérée et poignante dans ce qu'on appelait la bonne compagnie, qui décidait souverainement du mérite et des talents, cette arme s'émousse sur les hommes nouveaux qui vident au grand air la discussion des intérêts politiques. Alors paraissent les Actes des apôtres, le Journal de la cour et de la ville, deux recueils qui donnent la mesure de la décomposition morale amenée par le gouvernement de Louis xv. Le corps de la nation, irrité de tous ces traits de petite vengeance et de sot orgueil dirigés contre les députés qui se levèrent pour sa cause et qui la défendent avec courage, n'en est que plus enclin à leur livrer sa confiance. Il voit en eux des apôtres de la liberté, des ennemis jurés de la féodalité et de l'ancien despotisme, des citoyens courageux, éclairés, désintéressés pour eux-mêmes, ne voulant que remettre la nation en possession de ses droits envahis. Voilà ce que produisent des oppositions puérilement violentes aux premiers essais d'une réforme politique. Ces inimitiés n'auraient pas pris un caractère si prononcé, si les chefs des deux premiers ordres n'avaient pas refusé d'entrer dans le mouvement

général. Au lieu d'etre brisés par le char des révolutions, peut-être en seraient-ils devenus les conducteurs; peut-être aussi la nation, touchée de leurs paroles conciliantes, aurait-elle suivi leur impulsion : en cédant volontairement et de bonne foi quelques unes de leurs prérogatives, ils auraient conservé les autres, et acquis un ascendant positif sur l'opinion.

Mais aussi nul peuple en Europe, surchargé d'une telle foule de lettrés, d'érudits, d'académiciens, de docteurs, d'écrivains en tout genre, n'était plongé dans une aussi profonde ignorance des faits, des hommes et des choses. On voit une affluence de savants en geométrie, en histoire naturelle, incapables de se mouvoir dans une sphère politique, inhabiles aux fonctions administratives, étrangers à l'étude de la législation, raisonneurs de théories abstraites et sans expérience des choses positives, tandis que le Français des classes moyennes, le bourgeois, le haut marchand, le cultivateur ignore les premières notions de liberté civile et de droit politique, est étranger à toute considération raisonnée sur l'homme des sociétés modernes, à tout aperçu du mécanisme des gouvernements; il est vide, absolument vide de connaissances en économie politique. Or, la liberté ne fut jamais le fruit d'une doctrine travaillée en déductions philosophiques : elle naît de l'expérience de tous les jours et des raisonnements simples que les faits excitent.

De ce conflit opiniâtre entre l'orgueil aristocratique et l'ambition populaire, au sein de l'assemblée constituante comme hors de son enceinte, il ne se déploie pas un caractère. Tout en France se jette au hasard; nul plan concerté, préparé dans des intentions déterminées, conduit avec maturité ni de part ni d'autre. Les hommes ressemblent à de vieilles pièces de mon

TOME II.

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naie dont les empreintes sont effacées. Dans le parti des novateurs, résolution à la tribune; hors de la tribune, pusillanimité; ils ne se trouvent forts que retranchés derrière une populace formidable. Dans ce tourbillon d'hommes, jadis décorés de titres, de plaques et de cordons, qui forment des conspirations dignes des théâtres de la foire, qui complotent dans les détours du palais, les regrets des vieux abus, une loquacité stérile, d'impuissantes menaces, l'impatience de fuir, la volonté d'attirer les conseils de l'étranger dans les débats domestiques et ses armes dans les entrailles du royaume, des projets honteux sans le sentiment de la honte. Puisque, depuis trois ans, après d'aussi violentes agitations, il ne se montre pas un homme, qu'était donc la France avant 1789? qu'est-elle encore à la fin de 1791? demanderont les générations suivantes. Cette épreuve confirme d'une manière aussi solennelle que déplorable l'observation de Sheridan : « Si nous jetons «<les yeux sur l'histoire, nous y trouverons plusieurs « exemples d'états libres se soumettant par degrés au << despotisme; mais on ne trouvera que rarement, et << peut-être jamais, d'exemple d'une nation qui, après « avoir été une fois entièrement réduite en servitude, (ait recouvré la liberté. »

L'assemblée constituante a décrété dans l'acte constitutionnel plus de trois cents articles auxquels aucune des législatures suivantes n'aura le droit de toucher, qu'à des conditions dont la réunion est presque impossible, s'irritant ainsi contre les leçons de l'avenir, autant qu'elle a dédaigné celles du passé.

Pendant les vingt-huit mois de sa session ou de son règne, elle n'a pas rendu moins de deux mille cinq cents lois ou décrets; peut-être n'en reste-t-il pas vingt-cinq qui soient en vigueur dans cette présente

année 1825. De ces deux mille cinq cents actes, on en

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