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des trois ordres, réclament contre la délibération générale, l'affaire sera rapportée au roi, qui statuera définitivement. Le roi casse, comme anticonstitutionnelles, contraires aux lettres de convocation et opposées à l'intérêt de l'état, les restrictions des cahiers sur les formes des délibérations, sauf aux députés à demander de nouveaux pouvoirs. Il exhorte les trois ordres à se réunir pendant cette tenue d'états seule. ment, pour délibérer en commun sur les affaires d'une utilité générale; mais il réserve pour la délibération par ordres séparés tout ce qui concerne les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains états-généraux, les propriétés féodales, les droits utiles et honorifiques des deux premiers ordres; enfin, l'entrée des salles est expressément interdite au public.

Des dispositions prises si tard ne remédient nullement aux vices de la représentation; elles n'ôtent pas la difficulté de faire marcher le gouvernement avec trois chambres opposées dans leurs intérêts et indépendantes du roi dans leur composition. Ce fut le vote par ordre qui rendit inutiles tous les étatsgénéraux précédents, parce que, la noblesse et le clergé recueillant le bénéfice des abus, et la cour obtenant sur eux l'influence des dignités et des pensions, le tiers-état restait seul contre deux. Mais que se propose-t-on en autorisant tout à la fois la délibération par tête et la délibération par ordre? On permet de délibérer par tête dans le cas seulement qui ne présenterait aucun inconvénient à délibérer par ordre, et l'on exige la délibération par ordre dans les circonstances qui nécessiteraient la délibération par tête! Des règlements imposés six semaines après la réunion, déterminés après des

dissentiments aussi violents, et lorsque les chefs des partis ont déjà fait décider des mesures audacieuses (V. 28 mai, 17-20 juin), lorsqu'ils ont eu le loisir et la facilité de combiner des projets ultérieurs ; certes, de tels règlements sont encore plus dangereux qu'inutiles. C'était avant, et bien avant l'ouverture, que l'autorité royale pouvait et devait fixer avec précision les objets sur lesquels les esprits flottaient incertains, objets si promptement devenus des sujets de litige.

Le roi reprend la parole : « J'ai voulu vous faire re<< mettre sous les yeux les différents bienfaits que j'ac<«< corde à mes peuples. Ce n'est pas pour circonscrire << votre zèle dans le cercle que je vais tracer, car << j'adopterai avec plaisir toute autre vue de bien « public qui sera proposée par les états-généraux. <«< Je puis dire, sans me faire illusion, que jamais <«< roi n'a autant fait pour aucune nation; mais, <«<< quelle autre peut l'avoir mieux mérité par ses << sentiments que la nation française? Je ne crain<< drai pas de l'exprimer : ceux qui, par des pré« tentions exagérées ou par des difficultés hors de <«< propos, retarderaient encore l'effet de mes inten<«<tions paternelles, se rendraient indignes d'être re <«< gardés comme Français. >>

La déclaration des intentions du roi statue, en trente-cinq articles, sur tous les objets qui fixent l'attention publique. Aucun impôt ne sera établi ou prorogé sans le consentement des représentants de la nation. Les impositions ne seront établies ou prorogées que pour l'intervalle qui devra s'écouler jusqu'à l'époque de la tenue suivante des étatsgénéraux. Aucun emprunt n'aura lieu sans leur consentement, sous la condition, toutefois, qu'en

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cas de guerre ou d'autre danger national le souverain aura la faculté d'emprunter sans délai jusqu'à la concurrence de cent millions. Le tableau des finances sera rendu public chaque année, suivant le mode déterminé par les états-généraux. Les applications des sommes seront déterminées.

Abolition

des priviléges pécuniaires du clergé et de la noblesse, de la taille et du franc-fief.

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Respect pour les pro

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priétés de tout genre, et pour les prérogatives utiles et honorifiques des terres et des personnes. gles pour l'anoblissement. Abolition des lettres de cachet. Liberté de la presse. - Établissement d'états-provinciaux composés de deux dixièmes pour le clergé, trois dixièmes pour la noblesse, cinq dixièmes pour le tiers-état. Les membres en seront librement élus par les ordres respectifs, suivant une mesure nécessaire de propriété pour être électeur et éligible. Ces états-provinciaux administreront, par des commissions intermédiaires, non seulement ce qui touche aux finances, mais aussi tous les objets dont il sera avantageux de leur confier la direction. Les états-généraux s'expliqueront sur les domaines, sur le reculement des douanes aux frontières, sur la liberté du commerce, les corvées, les droits de main-morte, les milices; ils s'occuperont surtout de codes civil et criminel, de la liberté personnelle, de l'égalité des contributions, de l'établissement des états-provinciaux. Le roi détermine que toutes les dispositions d'ordre public et de bienfaisance qu'il aura sanctionnées pendant la présente tenue des états-généraux ne puissent jamais être changées sans le consentement des trois ordres, pris séparément.

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La formule « Le roi veut, le roi entend, » reparaît

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plusieurs fois dans cette déclaration; toutes les phrases impératives sont employées, ainsi que dans ces lits de justice où les derniers rois venaient semoncer le parlement; il n'est parlé ni de la constitution tant demandée, ni de la part des états-généraux à la législation, ni de la responsabilité des ministres comme si le roi pouvait se croire seul maître et seul législateur devant la nation assemblée en états-généraux! Les menaçantes injonctions que renouvelle ici le ministre rédacteur doivent offenser et irriter ceux auxquels elles s'adressent, d'autant plus qu'elles contrastent avec les expressions si affectueuses que Louis XVI semble ne devoir qu'aux inspirations de son âme. Si cette déclaration, qui spécifie un grand nombre de bienfaits, avait été publiée à l'ouverture même, elle aurait été reçue aux acclamations des députés du tiers; mais Louis XVI ni ses conseils ne sauront jamais juger les époques, ni saisir les circonstances. L'effet que la cour s'est promis de cet acte d'éclat sera donc complétement manqué.

Aujourd'hui le torrent ne peut plus être refoulé ; il faut le suivre dans son cours terrible, en subir les accidents, et se résigner, en attendant qu'il s'étende dans un lit moins agité, mais surtout se donner toutes les apparences de la sincérité.

Le roi fait la clôture de la séance par le discours suivant : « Vous yenez, messieurs, d'entendre le ré<< sultat de mes dispositions et de mes vues; elles sont <«< conformes au vif désir que j'ai d'opérer le bien pu« blic; et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous <«< m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul je « ferai le bien de mes peuples; seul je me considérerai «< comme leur véritable représentant; et, connaissant

<< vos cahiers, connaissant l'accord parfait qui existe << entre le vœu le plus général de la nation et mes in<<< tentions bienfaisantes, j'aurai toute la confiance que << doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai « vers le but auquel je veux atteindre avec tout le cou« rage et la fermeté qu'il doit m'inspirer. Réfléchissez, << messieurs, qu'aucun de vos projets, aucune de vos <«< dispositions, ne peut avoir force de loi sans mon ap<< probation spéciale. Ainsi, je suis le garant naturel << de vos droits respectifs, et tous les ordres de l'état << peuvent se reposer sur mon équitable impartialité : << toute défiance de votre part serait une grande injus«<tice. C'est moi, jusqu'à présent, qui fais tout pour << le bonheur de mes peuples, et il est rare, peut-être, <«< que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir << de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter << ses bienfaits. Je vous ordonne, messieurs, de vous << séparer tout de suite, et de vous rendre, demain ma<< tin, chacun dans les chambres affectées à votre ordre, << pour y reprendre vos séances. J'ordonne, en consé«quence, au grand-maître des cérémonies, de faire << préparer les salles. » Il est présumable que ces derniers mots sont sortis de la plume du garde des sceaux Barentin, homme fort peu capable d'en pressentir l'inconvénient. Le roi, dans le temps de sa toute-puissance, faisant enregistrer d'autorité un édit, n'aurait pas dit au parlement, dont ses ancêtres avaient créé les prérogatives: « Je vous ordonne de vous séparer; >> et ce commandement, on le lui fait intimer aux représentants directs de la nation!!!

Le roi retiré, et la séance levée, le clergé, à l'exception de quelques curés, et la noblesse, obéissent et s'éloignent; les communes seules restent dans la salle. Le maître des cérémonies (marquis de Brézé)

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