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il paraissait triompher. du monarque. La duchesse d'Orléans parut enivrée des acclamations que lui prodiguait la multitude; sa contenance avait l'air de braver la reine.

5.-L'assemblée des états-généraux s'ouvre à Versailles, après cent soixante-quinze ans d'interruption.

Clergé. Quarante-quatre prélats; cinquante-deux abbés, chanoines, vicaires-généraux, professeurs ; deux cent cinq curés; sept moines ou chanoines réguliers total, trois cent huit. Noblesse. Deux cent soixante-six gentilshommes d'épée; dix-neuf magistrats de cours supérieures: total, deux cent quatrevingt-cinq. (La noblesse de Bretagne a refusé de siéger, dans l'espoir que son absence, jointe à l'absence de plusieurs autres députations de la noblesse, invaliderait les actes de l'assemblée.) — Tiers - état. Quatre prêtres sans exercice public; quinze nobles ou administrateurs militaires; vingtneuf maires ou magistrats municipaux; deux magistrats de cours supérieures ; cent cinquante – huit officiers de judicature ou magistrats de cours subalternes; deux cent quatorze hommes de loi ou notaires; cent soixante-dix-huit négociants, propriétai– res, cultivateurs, bourgeois-rentiers; douze médecins; cinq hommes de finances ou d'administrations civiles; quatre hommes de lettres : total, six cent vingt et un. -Total des deux premiers ordres, cinq cent quatrevingt-treize. Total des trois ordres, douze cent quátorze.

Le tiers-état comptait dans son ordre environ deux cents avocats : ce fut un grand malheur pour la France. En effet, les députés de cette profession entraînèrent l'assemblée constituante dans toutes les

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méprises et les fautes politiques dont elle se rendit coupable; ce furent les avocats qui firent, sous la convention, le directoire, le consulat et l'empire, les lois les plus barbares, et toutes les mauvaises lois sous lesquelles la France gémit encore. Il ne faut pas s'en étonner: un avocat est forcé, par état, de parler beaucoup pour ne rien dire la plupart du temps; la nécessité d'abonder en paroles ne lui permet pas de penser; lorsqu'un avocat a appris et classé dans sa tête une certaine quantité de formules de droit, il se croit un homme d'état, et, s'il est appelé dans les assemblées législatives, il traite la politique comme une affaire de bareau. Obligé, dans ses fonctions, de soutenir le pour et le contre; de trouver des raisons, des arguments, des interprétations en faveur de l'erreur comme en faveur de la vérité, l'avocat à toujours en réserve un magasin d'arguments et de discours qu'il applique à tous les sujets. Atténuant ou exagérant le sens, l'esprit de la loi, selon qu'il est contraire ou favorable à la cause qu'il soutient, l'avocat se regarde, en défendant une cause judiciaire, comme une espèce de législateur! Malheur à tout état qui laisserait introduire en majorité dans les chambres législatives, ou dans la haute administration, des hommes aussi verbeux, aussi vains, et généralement aussi ambitieux de réputation et de fortune, que le furent les avocats! Nous en avons fait la cruelle expérience, et nous en éprouvons encore tous les jours les effets. Avec quelle impudeur des avocats n'ont-ils pas interprété la Charte constitutionnelle, à la tribune de la chambre des députés! avec quelle perfidie de langage n'ont-ils pas violé presque tous les articles de ce pacte fondamental! On essaierait en vain de citer, en faveur des avocats, l'exemple de l'Angleterre, où ils

exercent dans la chambre des communes, dans la haute administration de l'état, une si grande et presque toujours une si heureuse influence : en Angleterre, les plus grands hommes d'état ont commencé par la profession d'avocat; mais c'est un apprentissage politique, parce que les jeunes gens qui se destinent à la carrière, législative, ministérielle, diplomatique, étudient avec une grande application la constitution et les lois politiques qui régissent les trois royaumes. Il n'en était pas de même sous l'ancien régime en France, où les jeunes gens qui se destinaient à la profession d'avocat bornaient leur application à l'étude de la jurisprudence et des lois civiles; toutes les questions, toutes les connaissances relatives à la partie politique ou constitutionnelle de la monarchie, leur étaient et devaient leur être parfaitement étrangères : nos assemblées législatives ont démontré ce que nous disons.

Les dispositions suivies dans les élections (voyez 24 janvier) devaient amener, en assez grand nombre, des choix peu convenables ou mauvais. Aussi, dans l'ordre du clergé, les assemblées bailliagères ont envoyé pour travailler à cet ouvre si difficile de refondre un état une foule de curés de village qui n'eurent jamais idée de ce qui fait un état, qui, ne connaissant rien de ce monde au-delà des bornes de leur obscure paroisse, et vivant dans une pauvreté ne sauraient voir qu'avec des yeux d'envie toutes les fortunes, soit ecclésiastiques, soit laïques. La majorité des députés du tiers-état consiste en praticiens et en membres inférieurs et ignorants de chaque classe, c'est-à-dire en mécaniciens de la profession. Il y a quelques exceptions dignes d'attention; mais la composition générale se forme

sans ressources,

d'obscurs avocats de province, de commis de petites juridictions locales, de procureurs ou notaires de petits bourgs, et de toute la bande de ces processifs municipaux, fomentateurs et chefs des misérables querelles qui désolent incessamment les villages et les petits propriétaires. Puisqu'il suffisait d'être reconnu ou simplement toléré noble ou anobli pour entrer dans les assemblées de l'ordre de la noblesse, les suffrages devaient se réunir sur un grand nombre de nobles nécessiteux, par conséquent sans lumières, envieux et remplis de petits préjugés.

Tout devant être spectacle pour des Français, et comme on n'engage leur persuasion qu'en séduisant leur vanité, l'inauguration des états-généraux est calculée pour produire cet effet. Loin d'y présenter la simple réunion d'un conseil d'arbitres animés d'un même esprit conciliateur, d'y montrer le calme et le recueillement d'une séance d'ouverture du parlement britannique ou du congrès américain, on y déploie la vaine splendeur et le cérémonial puéril dont le fils d'Anne d'Autriche faisait des moyens décisifs de gouvernement, moyens dont eût dédaigné de se servir l'illustre Béarnais, qui ne trouvait pas plus de grandeur que d'utilité dans des cérémonies pompeuses. La salle d'assemblée, somptueusement décorée, laisse voir mille à douze cents représentants de la France assis sur des banquettes en demi-ellipse. A la droite du trône, le clergé dans son costume de solennité; à la gauche, les députés de la noblesse, l'épée au côté, parés de plumes ondoyantes sur des chapeaux de forme féodale, revêtus de manteaux de soie noire que relèvent des tissus et des broderies en or et des cravates de dentelle; dans le fond, les cinq à six cents mandataires du tiers-état, sans épée, vêtus

tout de noir; habit et manteau de laine, large cravate blanche de toile unie, et chapeau simple à la villageoise ou à la clabaude; ressemblant à ces baillis, échevins ou clercs, qui jadis servaient de cortége aux seigneurs. Dans la disposition de l'étiquette, les courtisans, à qui leurs charges donnent le soin de ces petits détails, veulent faire sentir aux représentants du corps de la nation qu'ils doivent renoncer aux dehors de la considération! En outre, on a désigné une entrée particulière pour les députés du tiers-état; ils sont entrés par une porte de derrière, abritée par un hangar où ils ont été pressés durant plusieurs heures, pendant que la cour, les députés de l'Église et de la noblesse, franchissaient commodément la grande porte. Dans un pays où toutes les classes ne semblent vivre que pour la vanité, on affecte de blesser la vanité du tiers-état, comme si les germes de mécontentement et les sources de division n'existaient pas en assez grand nombre. Le trône s'élève sur une estrade dont les degrés sont couverts par les officiers de la maison domestique, brillants de leurs costumes de cérémonie.

Le roi prononce le discours suivant, qu'il avait appris par cœur : « Messieurs, le jour que mon cœur « attendait depuis long-temps est enfin arrivé, et je <<< me vois entouré des représentants de la nation à « laquelle je me fais gloire de commander. Un long << intervalle s'était écoulé depuis les dernières tenues « des états-généraux, et, quoique la convocation de «ces assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume «peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à « la nation une nouvelle source de bonheur. La dette « de l'état, déjà immense à mon avénement au trône

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