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généraux. Cette première conférence est donc sans résultat.

25. La seconde conférence des commissaires-députés est aussi inutile que la première; elle augmente l'aigreur des deux partis.

Les communes ne cessent de réclamer la réunion sur les opérations préliminaires, et de regarder comme étranger au but de la convocation tout ce qui ne serait pas arrêté par les députés en masse. Mais la noblesse, qui voit les suites de la concession qu'elle ferait en admettant la vérification en commun des pouvoirs, se prévaut des usages des derniers états-généraux. En vain ses adversaires exposent que des usages qui ont varié, des usages équivoques ou mêlés d'erreurs évidentes, dont la noblesse elle-même vient de rejeter une partie, par exemple, l'intervention du roi dans les contestations entre les ordres sur la vérification des pouvoirs, que de tels usages ne sauraient être cités comme des règles; mais que la raison et la justice doivent conduire des citoyens, tous députés pour représenter la nation, tous éclairés des mêmes lumières, tous animés du même zèle pour l'intérêt public. C'est précisément à raison de cette infixité continuelle des institutions dans la France ancienne et moderne que la noblesse trouve des arguments favorables à sa cause : aussi ne voit-elle la constitution du royaume que dans certains actes des seizième et dix-septième siècles, refusant d'admettre la convenance et la validité d'une foule d'exemples antérieurs. Comme elle cite toujours les états de 1614, on lui représente que ces états n'étaient mandés que pour faire des doléances séparées, tandis que ceux de 1789 sont appelés à participer à la législation et à faire une constitution, les lettres du 24 janvier spécifiant que chaque assemblée électorale

donnera les pouvoirs nécessaires à ses commettants pour proposer, aviser, remontrer, consentir; et c'est positivement dans ce sens que le roi parlera, le 23 juin, alors même qu'il viendra frapper un coup d'état, en disant : « Le but de cette communication, si différent de celui qui rassemblait yos ancêtres... » Le tiers eut toujours plus de députés que les autres ordres; en 1356, sa députation fut double.

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En se référant aux anciens usages, pourquoi la noblesse ne s'attache-t-elle pas aux plus anciens? Lorsqu'elle offre, en 1789, l'exemple de 1614, elle ne devrait recevoir aux états comme aux assemblées électorales que les nobles possesseurs de fiefs. En 1614, le roi prononça sur les pouvoirs contestés; aujourd'hui, la noblesse n'admettant point la décision du roi, peut-elle admettre quelques antécédents, et en écarter d'autres? En 1588, les pouvoirs furent vérifiés par ordre; mais c'étaient les états de la ligue. En 1484, les pouvoirs furent vérifiés en commun, l'on vota par tête; il n'y eut qu'un président, un orateur, un cahier, une salle de réunion. La division des ordres commença seulement en 1560. On ne doit pas comparer 1789 à 1614, pour établir l'ensemble des délibérations. Qu'offrait la France en 1614? un peuple timide et peu éclairé ; trois ordres entièrement divisés d'intérêts, se regardant chacun comme un corps parfait dans le royaume, présentant au roi des doléances séparées, invoquant l'autorité pour se nuire réciproquement, au lieu de se concerter avec elle et entre eux pour opérer le bien général. Les droits d'une nation ne peuvent se supposer aliénés parce qu'elle a négligé d'en faire usage, ses devoirs anéantis parce qu'elle a négligé de les remplir. Telles sont les allégations des commissaires du tiers.

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26. La noblesse prend un arrêté portant que les pouvoirs seront vérifiés séparément (V. les 23 et 25). La cour est alarmée sur son avenir; elle redoute la surveillance d'un corps représentatif quelconque dont le premier regard se porterait sur les profusions; elle envisage avec effroi la réforme des nombreux abus auxquels elle doit sa prépondérance. Concevant le dessein de dissoudre les états-généraux, elle entretient les divisions, en agissant sur les deux premiers ordres, toujours soumis à son influence. Elle nourrit les défiances, sème les tracasseries, fait sans cesse de petits complots. La maison des Polignac est le foyer des cabales de la noblesse, le centre où elles se reportent. Les femmes de la cour, êtres si futiles, et ne recevant d'idées que celles que donnent l'habitude de l'intrigue et le relâchement des mœurs, traitent une conjoncture prête à décider du sort de la France comme elles traitaient une misérable affaire pour déplacer un ministre ou promouvoir un amant. A la chambre des nobles, la majorité, s'enlaçant chaque jour dans les piéges des courtisans, commet enfin les plus graves imprudences. Il est remarquable que les opposants les plus hautains aux mesures conciliatoires, les défenseurs les plus prononcés des antiques priviléges, soient deux députés faits nobles la veille, pour ainsi dire, de la convocation des états-généraux, Cazalès, Duval d'Esprémenil, et tous les deux ayant combattu avec violence le despotisme du ministère, celui-ci au parlement de Paris, l'autre dans sa province.

28.

- Le roi écrit aux trois ordres, afin de les inviter à de nouvelles conférences entre leurs commissaires, et en présence des ministres. Ce jour même la

majorité des députés de la noblesse ferme tout accès à la conciliation, « considérant qu'il est de son <<< devoir de se rallier à la constitution; et voulant <<< donner l'exemple de la fermeté, elle déclare que << la délibération par ordre, et la faculté d'empêcher, <<< que les ordres ont tous divisément, sont constitutifs <<< de la monarchie. >>

30.

-Une première conférence a lieu entre les commissaires des trois ordres, réunis aux commissaires du roi. Elle commence par de très minutieuses altercations sur la convenance d'en établir le procès-verbal, et sur les formalités à suivre dans sa confection; elle se prolonge par des citations, des documents sur la manière dont se vérifièrent les pouvoirs dans les précédents états-généraux. La discussion met en évidence la dissemblance des usages à cet égard, leur histoire montrant le jugement des pouvoirs exercé tantôt par le conseil du roi, tantôt par les chambres, ainsi que le défaut de règles positives.

3 JUIN. Dans une deuxième conférence entre les mêmes commissaires, la signature du procès-verbal de la première conférence est d'abord refusée par les commissaires de la noblesse, parce que les commissaires du tiers-état donnent à leur ordre le titre de communes. Ces derniers soutiennent que le mot communes indique la nation, moins le clergé et la noblesse; que le mot tiers-état est un signe ordinal n'exprimant que le rang de la partie la plus nombreuse, relativement à la préséance du clergé et de la noblesse; mais que le tiersétat est le peuple ou les communes; que, dans les discours prononcés par les orateurs dans les états-généraux précédents, il avait été souvent qualifié par l'un

et l'autre noms; enfin, que le texte positif de communes se trouve dans le rapport fait au roi, et annexé à son ordonnance du 27 décembre dernier. Au sujet de la division des ordres, les citations historiques remontent non seulement aux temps antérieurs à l'introduction des communes dans les états par Philippe-le-Bel, mais à la seconde, à la première race, et même aux usages des Germains rapportés par Tacite. Les commissaires de la noblesse ne cessent de dire : « Il y a long-temps que cela est, donc cela doit toujours être.» Cependant plus on cite, moins on voit d'uniformité dans les anciennes coutumes: tout y est confus, certain, enveloppé de nuages, contradictoire; tout montre que la constitution française est un problème historique. La conférence se termine sans conclusion.

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4. Dans la troisième conférence, la noblesse et le tiers-état se maintenant en pleine opposition, le clergé · se faisant ordre expectant sous le titre de conciliateur, les commissaires du roi proposent de laisser à chaque ordre le soin des vérifications respectives, qui seront communiquées aux deux autres ordres; de porter les contestations, s'il en survient, à l'examen d'une commission composée des trois ordres; de faire rectifier leur opinion réunie par les chambres respectives; et, en cas d'opposition dans les décisions des ordres, de s'en référer au roi, qui rendrait un jugement final. Les commissaires du roi ajoutent qu'au reste, ces conventions sur la vérification des pouvoirs ne préjugent rien sur la grande question de la délibération par tête ou par ordre.

6. Dans la quatrième conférence, le clergé accède au projet provisoire de conciliation. La noblesse, s'en référant à son arrêté du 26 mai, insiste sur le droit de

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