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culières. Sa permanence dans ce local lui donne déjà↓ le rôle et l'état du corps prépondérant qui attend, qui reçoit, qui admet.

6. — Les députés du tiers-état se rendent le lendemain dans la salle commune, et y attendent inutilement les députés du clergé et de la noblesse. Ceux-ci, assemblés dans des salles séparées, décident (le clergé, à la majorité de cent trente-trois voix contre cent quatorze; la noblesse, de cent quatre-vingt-huit contre quarante-sept) que les pouvoirs seront vérifiés et légitimés dans chaque ordre séparément. Le tiers état, au contraire, tient pour principe que toutes les délibérations, et surtout les vérifications des pouvoirs, doivent se faire en présence des trois ordres, et que, sans cette vérification préalable, les représentants de la nation n'ont aucun caractère re

connu.

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Ainsi, dès le second jour, la scission a lieu sur le point le plus important. Les partisans de la réunion s'appuient sur les témoignages historiques les plus anciens; ils montrent que, depuis l'assemblée générale convoquée par Philippe-le-Bel, én 1303, dans laquelle le tiers-état parut pour la première fois, jusqu'aux états-généraux tenus à Orléans, en 1560, les ordres se sont toujours réunis pour délibérer et prendre leurs résolutions définitives; qu'ils n'ont présenté qu'un seul cahier, n'ont choisi qu'un seul président, et se sont exprimés par la bouche d'un seul orateur; qu'en 1560, les ordres ont commencé à délibérer séparément, et que ce fut le tiers qui l'exigea; mais cette forme parut si contraire à l'ancien usage, qu'elle excita les réclamations des deux premiers ordres, et principalement du clergé; que si, dès lors, jusqu'aux derniers états de 1614, les ordres ont continué de se

TOME II.

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séparer, il ne faut l'attribuer qu'aux querelles de religion, au fanatisme et à l'intolérance, qui avaient jeté la défiance dans tous les coeurs, et armé le Français contre le Français, et à l'ambition de quelques grands, qui faisaient servir la religion de prétexte pour établir leur pouvoir et s'élever jusqu'au trône. On démontre aussi que, dans plusieurs états-généraux postérieurs à 1555, on a délibéré par tête, même sur les subsides.

On ne saurait expliquer la négligence du conseil royal à laisser indécise, jusqu'à l'installation des étatsgénéraux, cette question du mode de délibération, si l'on suppose que cette négligence n'est point affectée. La majorité du clergé, celle de la noblesse, ont mandat pour délibérer par ordre; le tiers-état, avec une minorité d'ecclésiastiques et de nobles, ont mandat pour délibérer par tête. Si chacun persiste dans l'obéissance à ses commettants, la session des états-généraux, par ordres séparés ou réunis, devient également impossible, Le roi seul pouvait intervenir comme arbitre; il aurait dû fixer cet objet dès le principe : en s'abstenant de prononcer, il amène les divisions et provoque un combat dangereux, dont la dissolution des états-généraux peut devenir la suite (V. plus haut, 24 août 1788, la lettre de l'abbé Maury à l'abbé de Vermond), ou, ce qui sera plus funeste, il expose l'état au soulèvement de la multitude en faveur de ceux qu'elle regarde comme ses défenseurs. Les ministres sont arrivés à la séance d'ouverture sans plan déterminé, avec des idées confuses, incertaines, et cependant les dissentiments sur cette grande difficulté s'annoncent en tous lieux depuis deux mois (V. 30 avril). La manière ambiguë dont le garde des sceaux a, dans son discours d'hier, parlé du vote par ordre ou par

tête est plus propre à nourrir les divisions qu'à produire une conciliation. Tout en ne se prononçant pas, le ministère a néanmoins laissé pénétrer sa pensée quand il a fait construire, dans l'enceinte du local destiné aux états-généraux, deux salles particulières pour le clergé et pour la noblesse, sans en indiquer d'autre pour le tiers-état que la salle même des états-généraux. Le ministère éprouve ainsi les reproches et des partisans et des adversaires de la délibération par ordre; sa force morale se perd, et l'autorité royale est grièvement exposée. Les députés, amenés par le silence du monarque, leur jugé naturel, à persister dans leurs divergences, les rendent générales dans le royaume. Quoique la vérification en commun ne semble pas emporter la confusion des ordres, il y a cependant connexité entre ces deux questions.

7.- Sur quelques paroles de paix envoyées par le clergé, les députés du tiers-état conviennent de nommer des commissaires et d'inviter les deux autres ordres à nommer les leurs, à l'effet de conférer ensemble et de se concerter sur la proposition faite l'avant-veille par le tiers.

10.

Les électeurs du tiers-état de Paris se déclarent en séance permanente. Afin d'y procéder à l'élection des députés, on avait divisé cette ville en soixante districts, dont chacun avait choisi un certain nombre d'électeurs. 12-13.

L'ordre de la noblesse arrête, à la pluralité de cent soixante-treize voix, de nommer à l'instant des commissaires pour se concerter avec les deux autres ordres. Le clergé prend la même décision.

15. Le comte d'Artois, frère du roi, fait informer

l'assemblée de la noblesse que les ordres du roi lui interdisent d'y siéger........ « Mais ( dit ce prince) je donne «< à la chambre la ferme et certaine assurance que le <«< sang de mon aïeul (Henri IV) a été transmis à mon <«<< cœur dans toute sa pureté, et que, tant qu'il m'en <«< restera une goutte dans les veines, je saurai prou<< ver à l'univers entier que je suis digne d'être né gen«tilhomme français.

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A ce sujet, Mounier, aussi loyal défenseur de la majesté royale que judicieux appréciateur de la monarchie tempérée, dans un des écrits qu'il a publiés hors de France, a fait les observations suivantes : « Deux de nos rois, François 1er et Henri IV, dans << leurs conversations avec ceux qui les environnaient, << se sont donné la qualité de gentilshommes, mais <«< dans un temps où tous ceux qui faisaient profes<<sion des armes étaient réputés tels. On a souvent «< rappelé ces expressions, sans remarquer la diffé<<<<rence des temps. Le trône source de tous les << honneurs est tellement au-dessus de toutes les ? << distinctions admises dans l'état, qu'on ne peut, sans <<< affaiblir sa dignité, y joindre un titre qui fait des<«< cendre le roi au rang de ses sujets. Le chef de la << nation ne peut faire partie d'aucune classe; et, << s'il voulait condescendre jusqu'à prendre une qua« lité commune à ceux qui lui doivent l'obéissance, «< celle de citoyen pourrait seule lui convenir, par <«< cela même qu'elle exprime des devoirs envers la «< patrie; tandis que celle de gentilhomine n'exprime <«< qu'une distinction subordonnée qui disparaît de«vant la majesté royale, puisqu'elle est très infé«<rieure à celle dont les princes jouissent. » Le raisonnement de Mounier est, sans doute, juste en principe; mais il y a peut-être de la sévérité à l'appliquer

dans cette circonstance : le prince, s'adressant à un corps de gentilshommes dont il s'attendait à faire partie, pouvait bien leur témoigner qu'il eût été flatté de se trouver avec eux, ainsi qu'il aurait pu dire aux militaires français qu'il alla visiter, en 1782, au pied de Gibraltar, qu'il était glorieux d'être militaire français.

19. - Le roi permet aux journaux de rendre compte des opérations des états-généraux.

23. Deux députations du clergé et de la noblesse se rendent séparément à l'assemblée du tiers ou des communes. La première conférence des commissaires choisis par les trois ordres pour déterminer le mode de vérification des pouvoirs (V. les 7 et 12 ) a lieu. Le clergé et la noblesse déclarent qu'ils renoncent à leurs priviléges pécuniaires, et expriment leur volonté de supporter tous les impôts et toutes les charges de l'état dans la même proportion et de la même manière que tous les autres citoyens. C'est beaucoup, sans doute, qu'une semblable déclaration; mais, dans la situation des esprits, elle ne suffit plus. Cette concession, si manifestement imposée par les circonstances, ne saurait amener l'ordre du tiers, qui s'est déclaré formant l'assemblée des communes, à consentir à la vérification séparée des pouvoirs : il fonde la nécessité de la vérification en commun sur ce que, les pouvoirs des députés de toutes les classes ayant pour but l'établissement et la défense des intérêts de la nation, il est évident que ces pouvoirs doivent être examinés, reconnus et jugés par les représentants de la nation tout entière, quelle que puisse être la forme d'opiner adoptée plus tard dans les états

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