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améliorations, à n'être pas envieux du temps; il se complaît à enseigner à MM. les députés aux états-généraux dans quel esprit ils doivent discuter les questions financières et politiques qui leur seront présentées; il leur parle de l'importance et de la dignité de leurs fonctions, et se présente lui-même, en sa qualité de ministre des finances, comme une espèce de précepteur de la nation, de tuteur du roi, et de directeur de l'opinion publique.

M. Necker était banquier, et se croyait homme d'état, présomption assez ordinaire, du reste, à tous les individus qui ont acquis une grande fortune en faisant ce qu'on appelle la banque, c'est-à-dire l'agiot sur la lettre de change et les effets publics. Si demain le plus riche et le plus sot des agioteurs de l'Europe était appelé au ministère, un tel individu se croirait un Colbert, et peut-être même un lord Chatam. « Le <<< salut de la France est dans mon portefeuille, » dit modestement M. Necker avant l'ouverture de l'assemblée des états-généraux. Nous avons entendu madame de Staël rapporter ces paroles de son père, et, dans l'excès de sa tendresse, ou plutôt de son adoration filiale, madame de Staël trouvait ces paroles justes et

convenantes.

L'on ne peut s'empêcher de dire quelques mots sur un ministre devenu si fameux à l'époque de notre révolution, que, sans lui, disait-on, la France était perdue.

Sous les rapports physiques, M. Necker n'avait dans sa personne rien de séduisant ni même d'agréable. Sa figure était repoussante au premier abord; il était difficile de ne pas y apercevoir une sorte de morgue qui déplaisait, malgré que l'on en eût, et cette morgue avait l'air de vous dire « Voyez en moi un

« grand homme, un génie supérieur. » M. Necker croyait faire preuve de supériorité en tenant la tête fort relevée et presque renversée, peut-être parce que M. le duc de Choiseul, le plus léger et quelquefois le plus fier des grands seigneurs de la cour de Louis XV, s'était fait une gloire de porter le nez au vent. M. de Choiseul offrait du moins une certaine noblesse dans son caractère, dans sa personne, tandis que M. Necker était tout-à-fait dépourvu de grâce dans son maintien, de dignité dans ses manières, et presque de politesse dans ses formes sociales. Sa conversation était sèche et sans aucune amabilité; son âme était, si l'on peut parler ainsi, toute dans son esprit, et l'esprit bouchait hermétiquement chez lui le sentiment. Dire que M. Necker n'avait pas infiniment d'esprit, ce serait s'accuser soi-même d'imbécillité. Lorsqu'on l'entendait disserter sur des opinions religieuses, sur des points. de haute administration, sur des questions littéraires, on était quelquefois étonné de la force ou de la hardiesse de ses pensées; mais jamais les raisons dont il se servait pour convaincre ne parvenaient à persuader. L'amour-propre était l'essence, le souffle vital de M. Necker; et, à moins d'avoir vu et entendu ce ministre se louer lui-même à tout propos et sur toute espèce de sujets, il serait impossible de se faire une idée de l'excès et de l'étendue de vanité dont M. Necker était dévoré. On peut dire que l'égoïsme moral dégénérait chez lui en délire. Affamé de réputation, de renommée, de célébrité, sous les rapports d'homme de lettres, d'homme d'état et d'homme doué de toutes les vertus, M. Necker ne pardonnait pas la plus légère critique de ses écrits littéraires, de ses actes ministériels, et à peine permettait-il de les examiner. Ne pas les louer était un tort, les critiquer un crime.

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Ce ministre a été jugé, et très bien jugé, par M. Monthyon, dans son excellent ouvrage intitulé, Particularités et observations sur les ministres des finances de France, etc., etc., dédié aux mânes de William Pitt, imprimé à Londres en 1812.

un

On a fait de M. Necker un grand ministre, homme de génie, un sage, et presque un de ces sages de l'antiquité dont le nom est synonyme du môt vertu. Rien de tout cela. Le Génevois était tout simplement un intrigant parvenu, un ambitieux exalté jusqu'à la démence, qui voulait jouir d'une influence prépondérante dans l'opinion publique, et s'arroger un pouvoir exclusif sur toutes les affaires du gouvernement : voilà le mobile de toutes ses actions et le secret de cette vertu dont on a fait long-temps un si pompeux éloge. On serait cependant injuste si l'on refusait à ce ministre la probité financière, c'est-à-dire une grande exactitude en affaires. Quant à ce qu'on appelle strictement probité, cette grande vertu morale, tout le monde sait aujourd'hui que M. Necker avait fait pour son compte particulier des spéculations sur les annuités anglaises, au moment du traité de paix de 1783. Mais M. Necker avait reçu commission d'acheter les annuités anglaises pour un personnage que sa très haute position tenait au courant des secrets de l'état; et, tout en ayant l'air d'exécuter la commission dont il était chargé, M. Necker intrigua si bien qu'il joua le personnage, et fit la spéculation pour son propre compte. Rien de facile comme de s'enrichir subitement lorsqu'un ministre ou ses premiers commis vous communiquent les grandes nouvelles extérieures ou les projets ministériels d'une certaine importance. La personne ou le favori initié dans le secret de l'état peut accaparer à coup sûr les effets publics et toutes

les marchandises à sa convenance. Le public et les particuliers sont volés, il est vrai; mais l'agioteur ou le ministre fait fortune. Nous n'avons eu sous les yeux que trop d'exemples de ce trafic scandaleux de l'autorité ministérielle. M. Necker entendait parfaitement les affaires de banque et les revirements du crédit public; mais ce banquier ne comprenait pas la science des finances, et ignorait complétement l'art des institutions politiques. Il doit être regardé comme l'un des plus habiles emprunteurs et l'un des plus mauvais ministres qu'ait eus la France. Nous ajouterons qu'on peut l'envisager comme l'une des principales causes additionnelles ou d'accident qui précipitèrent les approches de la révolution française, car les écrits de ce banquier contribuèrent puissamment à échauffer les esprits et à les diriger vers les innovations funestes.

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Le ministre des finances Necker dit à l'assemblée : « .......... On ne saurait rétablir la fortune de l'état qu'en « agissant avec ménagement sur les intérêts particu<< liers. Vous n'avez pas seulement à faire le bien, << mais, ce qui est plus important encore, à le ren<< dre durable et à l'abri des injures du temps et des <«<< fautes des hommes.... » Ce ministre présente les comptes très détaillés du trésor pour l'année courante.

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Le ministre Necker annonce que ce déficit sera facilement comblé par divers moyens dont il donne l'aperçu, mais que les anticipations s'élèvent à deux cent soixante millions. Les soixante-seize millions de remboursements, suspendus par l'arrêt du 16 août 1788 (V. cette date), quelques autres dettes arriérées, avec quatrevingts millions de rentrées qui se trouvent en retard, forment le véritable embarras des finances et nécessitent des emprunts.

Dans la soirée de ce même jour, les députés du tiers, assemblés par provinces dans la salle commune, décident que les députés du clergé et de la noblesse se réuniront à eux pour procéder à la vérification des pouvoirs respectifs. Il n'est pas inutile d'observer que le tiers état reste dans la salle d'assemblée générale, la seule qui ait été désignée pour lui, tandis que la noblesse et le c'ergé vont siéger dans des salles parti

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