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d'expérience et d'usage, puisse être élu juge de paix. Il n'aura à prononcer que sur des décisions simples, qu'il pourra juger sans appel, jusqu'à la concurrence de 50 fr. dans les causes personnelles. Le comité a fixé cette somme, parce que, même en supposant un mauvais jugement, les frais d'appel deviendraient plus considérables que le capital de la somme, et qu'il doit être defendu de mettre à une loterie où l'on ne gagne rien, si l'on ne perd pas. Le comité a pensé aussi que les juges de paix pourraient juger jusqu'à la concurrence de 100 livres, à charge d'appel, parce que, dans les cas d'injustice, le jugement sera réformable et se terminera sommairement au tribunal du district. » 6. Ces paroles font parfaitement connaître l'esprit dans lequel ont été conçues les dispositions qui ont déterminé la compétence civile des juges de paix. Ces dispositions, contenues dans les art. 9 et 10 du titre 3 du décret des 16-24 août 1790, ne se bornent point à déférer à ces magistrats la connaissance des demandes personnelles et mobilières jusqu'à la valeur de 50 livres, sans appel, et de 100 livres, à charge d'appel; elles leur attribuent, en outre, le jugement, sans appel, jusqu'à la valeur de 50 livres, et à charge d'appel, à quelque valeur que la demande puisse s'élever, de plusieurs espèces particulières de contestations dont la solution dépend le plus souvent d'une simple appréciation de faits. — Voici, au surplus, le texte des dispositions dont il s'agit

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Le juge de paix, assisté de deux assesseurs (supprimés depuis), connaîtra avec eux de toutes les causes purement personnelles et mobilières, sans appel jusqu'à la valeur de 50 livres, et à charge d'appel jusqu'à la valeur de 100 livres; en ce dernier cas, ses jugements seront exécutoires par provision, nonobstant appel, en donnant caution. Les législatures pourront élever le taux de cette compétence (décr. 16-24 août 1790, tit. 3, art. 9).—Il connaîtra de même, sans appel jusqu'à la valeur de 30 livres, et à charge d'appel à quelque valeur que la demande puisse monter: 4. Des actions pour dommages faits, soit par les hommes, soit par les animaux, aux champs, fuits et récoltes; · 2o Des déplacements de bornes, des usurpations de terres, arbres, haies, fossés et autres clôtures, commises dans l'année; des entreprises sur les cours d'eau servant à l'arrosement des prés, commises pareillement dans l'année, et de toutes autres actions possessoires; - 3o Des réparations locatives des maisons et fermes; - 4o Des indemnités prétendues par le fermier ou locataire pour non-jouissance, lorsque le droit à l'indemnité ne sera pas contesté, et des dégradations alléguées par le propriétaire; 5° Du payement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques, et de l'exécution des engagements respectifs des maîtres et de leurs domestiques ou gens, de travail; -6° Des actions pour injures verbales, rixes et voies de faits, pour lesquelles les parties ne se seront point pourvues par la voie criminelle » (même décret, même titre, art. 10).

7. La sagesse de ces dispositions est aujourd'hui hautement attestée par l'expérience. Si grandes que fussent les espérances qu'avait placées en eux l'assemblée constituante, les juges de paix les ont réalisées. Il suffit de consulter les états statistiques sur l'administration de la justice, pour se faire quelque idée des immenses services que rendent ces magistrats, soit comme conciliateurs, soit comme juges (V. les Motifs et Rapports, nos 29 et 76). Et l'étendue de ces services s'est augmentée encore depuis qu'une loi récente est venue, comme on le verra tout à l'heure, agrandir, quoique trop timidement peut-être, la sphère où se meut leur compétence.

8. Aux attributions que les juges de paix tenaient de la loi de leur institution, des lois ultérieures en ont ajouté quelques autres. Ainsi, les décrets des 7 janv. et 25 mai 1791 leur avaient déféré la connaissance des actions en contrefaçon en matière de brevets d'invention. Mais cette attribution leur a été enlevée par la loi du 25 mai 1838 (V. Brev. d'invent., no 328).

➜. Le décret des 9-13 août 1791, relatif à la police de la navigation et des ports de commerce, portait, tit. 1, art. 2: « Dans tous les cantons où n'est pas situé le tribunal de commerce, les juges de paix connaîtront, sans appel, des demandes de salaires d'ouvriers et gens de mer, de la remise des marchandises et de l'exécution des actes de voiture, du contrat d'affrétement et autres objets de commerce, pourvu que la demande n'excède pas leur compétence. » Cette attribution, suivant Carré, a été resTOME XI.

treinte aux contestations concernant les ouvriers de marine par l'art. 633 c. com., qui confère aux tribunaux de commerce la connaissance des autres matières désignées dans l'article précité du décret de 1791. Mais il est plus vrai de dire avec M. Carou, nos 294 et suiv., que l'article dont il s'agit a été aboli en totalité par la loi du 15 sept. 1807. En effet, l'art. 2 de cette loi porte qu'à dater du 1er janv. 1808, toutes les anciennes lois touchant les matières commerciales sur lesquelles il est statué par le code de commerce, sont abrogées. Or il est statué par l'art. 633 de ce code, sur tous les engagements des gens de mer pour le service des bâtiments de commerce, ce qui comprend vraisemblablement les demandes de salaires d'ouvriers et gens de mer, dont parlait le décret de 1791; car on ne voit pas pourquoi l'art. 633 aurait réputé actes de commerce les engagements des gens de mer, et non ceux des ouvriers employés dans les ports au service des bâtiments de commerce. Quant à la disposition du décret de 1791, concernant la remise des marchandises et l'exécution des lettres de voitures, elle s'est trouvée pareillement abrogée par l'art. 2 de la loi de 1807, combiné avec l'art. 632 c. com., lequel répute actes de commerce l'entreprise de commission, de transport par terre ou par eau, et soumet par là à la juridiction commerciale les difficultés relatives à la remise des marchandises et à l'exécution des lettres de voitures.—Que si, par impossible, on déniait aujourd'hui le caractère d'actes de commerce à la remise des marchandises et à l'exécution des lettres de voitures, alors, comme ce n'est qu'en leur attribuant ce caractère que le décret de 1791 en avait attribué la connaissance aux juges de paix dans les cantons où il n'existe pas de tribunaux de commerce, il est évident qu'en perdant la qualité d'actes commerciaux, les actes dont il s'agit ne sauraient tomber sous la juridiction des juges de paix qu'en vertu de la disposition générale qui leur défère la connaissance de toutes les actions personnelles et mobilières n'excédant pas 200 fr.

10. Les juges de paix ont aussi été momentanément investis, en matière de patentes, de prises maritimes, d'oppositions aux mariages, de baux des bois et forêts des communes, de diverses attributions juridictionnelles qui ont cessé de leur appartenir, comme on le verra vis Louage, Mariage, Patente, Prise maritime. Enfin, diverses lois spéciales leur ont encore attribué la connaissance de certaines actions en matière de douanes, d'octroi, de contrefaçon de marques, de règlement d'indemnités dues aux propriétaires du sol au cas d'exploitation de mines dans leurs terrains, et au cas d'élargissement des chemins vicinaux. On comprend que ce n'est point ici le lieu de rappeler les règles de la compétence des juges de paix en ces matières; on les trouvera exposées aux mots Douanes, Mines, Octroi, Propriété industrielle, Voirie.

11. Les heureux résultats produits par l'institution des justices de paix ont suggéré la pensée d'augmenter les bienfaits de cette utile juridiction en reculant un peu les limites dans lesquelles elle s'exerce. C'est dans cette vue qu'a été rédigée la loi du 25 mai 1838, dont nous avons principalement à nous occuper dans le présent article. Cette loi reproduit, en les complétant, la plupart des dispositions ci-dessus citées de celle de 1790. Elle élève la valeur jusqu'à laquelle les juges de paix sont appelés à statuer sur les actions personnelles ou mobilières en général; elle augmente le nombre des demandes qui, quoique excédant cette valeur, ont été particulièrement placées dans leur compétence; elle leur défère notamment les contestations entre les hôteliers et les voyageurs pour dépenses d'hôtellerie, celles entre les voyageurs et les voituriers pour retards, frais de route, perte ou avarie d'effets, celles élevées à l'occasion des réparations faites aux voitures de voyage; elle leur soumet les actions en payement de loyers ou fermages, les congés, les demandes en résiliation de baux, pour défaut de payement des lovers, les expulsions de lieux, les demandes en validité de saisie-gagerie, les actions en bornage, et, dans certains cas, les demandes en pension alimentaire; elle résout, en outre, diverses difficultés relatives à la compétence en premier ou dernier ressort du juge de paix en matière de demandes reconventionnelles; elle contient enfin diverses dispositions qui ne se rattachent point directement à l'objet de cet article, et dont, pour ce motif, l'examen sera renvoyé à d'autres mols. 42

12. La loi qui nous occupe a donné lieu à de nombreux travaux préparatoires. Un premier projet de loi, concernant, nonseulement les justices de paix, mais encore les tribunaux d'arrondissement et les cours d'appel, fut présenté, le 25 janvier 1855, à la chambre des députés, par le garde des sceaux d'alors, M. Persil. Mais ce projet, auquel la commission chargée de l'exa

(1) Exposé des motifs du projet de loi relatif aux justices de paix, présenté par M. le garde des sceaux à la séance de la chambre des députés du 6 janv. 1837.

1. Messieurs, un projet de loi qui embrassait différentes matières sur la compétence et l'organisation judiciaires vous a été présenté dans l'une des précédentes sessions. Renvoyé à une commission qui a fait son rapport, ce projet avait été, depuis, adressé aux cours royales et à la cour de cassation. De la discussion et des observations qui ont été recueillies, est résultée la conviction que les diverses parties de ce travail n'ayant pas entre elles une relation nécessaire, l'examen en serait simplifié par leur séparation. Je viens donc vous présenter la première partie seulement de l'ancien projet, celle relative aux justices de paix.

2. Sa destination principale est de répondre à un besoin généralement senti, l'accroissement de la compétence actuelle des juges de paix en matière civile. Cet accroissement doit être mesuré, fait avec circonspection, et mis en harmonie avec la capacité présumée des juges de paix et le temps qu'ils peuvent donner à l'expédition des affaires. Par là s'expliquent les principales différences que l'on remarquera entre le premier projet, celui de la commission, et le projet actuel. Ainsi, au lieu de porter, dans les matières personnelles et mobilières, la compétence générale du juge de paix en dernier ressort de 50 fr. à 150 fr., et celle à charge d'appel de 100 fr. à 300 fr., on a dû se contenter d'en doubler les chiffres. Cette extension, en harmonie avec l'intention de l'assemblée constituante elle-même, suivra la progression de la dépréciation qu'a éprouvée le signe monétaire depuis 1790, par l'effet de l'accroissement et de la multiplication des valeurs mobilières.

3. C'est également se conformer à l'esprit de l'institution et lui donner l'un des développements qu'avait promis la loi du 24 août 1790, que de déférer au tribunal de paix la décision des contestations qui naissent des rapports de l'aubergiste avec ceux qu'il reçoit chez lui. Ces contestations réclament une solution locale et rapide. Mais si la valeur du litige dépasse certaines limites, si elle atteint la somme qui détermine la compétence en dernier ressort du tribunal de première instance, l'importance du débat en fait une affaire ordinaire, dont le jugement demeure réservé à une juridiction plus élevée.

4. Aucune des innovations projetées n'a obtenu un assentiment plus unanime que celle relative aux contestations qui naissent du contrat de douage, tant il est fréquent de voir se perpétuer en jouissance, à la faveur de la lenteur des formes, un locataire qui ne satisfait pas à ses engagements et ne présente aucune garantie. Tel propriétaire se résigne à la perte de ses loyers plutôt que de subir les lenteurs et les frais d'un procès: il ne surmonte qu'à prix d'argent la force d'inertie qui lui est opposée.

5. Cependant cette compétence relative aux baux à loyer, que le projet propose d'accorder aux juges de paix, aura ses limites. Le juge de paix connaîtra des demandes en résiliation de bail formées pour défaut du -payement du prix. Cette résiliation est alors l'alternative que le bailleur offre devant le juge au locataire qu'il assigne en payement. -Le débat ne ‚porte d'ailleurs jamais que sur cette question de fait de solution simple et facile: Le preneur a-t-il acquitté son loyer? Mais quand la résiliation est basée sur d'autres causes, c'est la validité du contrat qui est en question; il s'agit de l'interprétation de conventions écrites. L'examen devient plus difficile, et c'est à la juridiction ordinaire qu'il faudra continuer à la demander.

6. La seconde limitation se trouve dans l'importance du bail. D'une part c'est uniquement pour les petites locations que se fait sentir l'intérêt des propriétaires d'arriver à une expulsion prompte du locataire qui n'accomplit pas ses obligations, parce que, dans les locations faites à des prix élevés, les valeurs mobilières assurent ordinairement le payement des loyers. D'autre part, si la compétence des juges de paix était indéfinie quand il s'agit de l'exécution du contrat de louage, ils connaîtraient de valeurs souvent très-considérables, et il n'y aurait plus harmonie entre les diverses natures de demandes soumises à cette juridiction. Le chiffre de 400 fr., qui était proposé comme limite générale dans le premier projet, n'est la mesure commune des petites locations que dans Paris, et peut-être dans quelques autres grandes villes. Mais il était difficile d'établir, sous ce dernier rapport, une distinction raisonnée entre les villes plus ou moins importantes, et de s'arrêter à une mesure qui ne laissat pas le regret de l'avoir trop restreinte ou trop étendue. Le projet adopte, en conséquence, une règle uniforme pour toute la France, hors Paris. Les juges de paix ne connaitront que des demandes concernant les locations dont le prix annuel du bail n'excédera pas 200 fr.

7. Quand aux actions destinées à obtenir la protection qui est due aux intérêts ruraux, à terminer les contestations entre le maître et les per

miner proposait de nombreuses modifications, fut retiré par und ordonnance du 9 mars 1856. Plus tard, les diverses parties du projet dont il s'agit ayant paru devoir être séparées, celle relative aux justices de paix fut de nouveau présentée à la chambre des députés, par M. Persil, le 6 janv. 1857 (1). — La commission, composée de jurisconsultes distingués, fit son rapport, le

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sonnes dont il emploie le travail, et à faire statuer sur la matière si importante et si variée des actions possessoires, le projet reproduit la loi du 24 août 1790, en la complétant. Le juge de paix est juge ordinaire de la possession. Si le litige porte sur la propriété, l'examen des titres et la connaissance approfondie du droit sont nécessaires; dès lors doit cesser sa juridiction exceptionnelle. C'est ce qu'explique le projet, en même temps qu'il défère au tribunal de paix les actions en bornage, ainsi que quelques autres contestations qui naissent des rapports de voisinage, discussions toujours peu importantes dans leur principe, à l'occasion des quelles ils est si regrettable de voir aujourd'hui engager devant les tribunaux de première instance des procès que l'amour-propre élève aussi souvent qu'un véritable intérêt, et qui, plus tard, n'entretiennent les divisions qu'à raison des frais considérables qu'ils ont entrainés, et dont chaque plaideur s'efforce de repousser le pesant fardeau comme une cause de gêne ou de ruine.

8. Lorsque plusieurs demandes sont portées devant le juge entre les mêmes parties, le projet distingue avec raison celles qui constituent la demande principale, de celles qui forment la défense à cette demande, et que dans le langage du droit on nomme reconventionnelles. — Quant aux premières, c'est leur valeur réunie qui détermine la compétence du juge. Il statue en premier ou en second ressort, ou même il doit se dessaisir, suivant le chiffre auquel s'élèvent ces demandes. La cause a, en effet, l'importance qu'elle emprunte de chacun des chefs de conclusions. Il ne peut dépendre du demandeur, en subdivisant sa réclamation, d'investir la juridiction inférieure d'un litige qui, relativement à son ensemble, est d'un intérêt supérieur à la compétence du juge saisi.

9. C'est la même pensée qui & dicté les dispositions du projet sur les demandes reconventionnelles. La compétence du juge est chose sérieuse. Le défendeur n'aura donc pas plus le pouvoir de l'éluder, que le demandeur n'aura l'espérance d'en élever les limites par des combinaisons qu'il peut croire, conformes à son intérêt. Ainsi, lorsque le juge se trouve investi compétemment d'une demande principale, l'action reconventionnelle que lui soumettra le défendeur ne comptera pas avec cette première demande, pour calculer la valeur entière du litige; et lorsque, considérée isolément, la valeur de la demande reconventionnelle dépassera la compétence du juge de paix; ce magistrat, constitué apprécialeur de la bonne foi qui existe dans la proposition de l'exception, pourra retenir la cause ou la renvoyer. Au premier cas, il ne juge que la demande principale, qui seule est, par le chiffre, dans sa compétence; au second cas, reconnaissant que des deux parts les prétentions sout sérieuses, el convaincu de la connexité, il renvoie la cause entière devant le tribunal de première instance.

10. Outre les différences déjà signalées entre le projet actuel et les rédactions qui précédemment ont été soumises à la chambre, il en est d'autres qu'il est d'autant plus nécessaire d'indiquer, qu'elles portent sur des points controversés.

Toute demande en reconnaissance d'écriture peut être suivie d'une dénégation de la part du défendeur. Autoriser le juge de paix à procéder dans ce cas à la vérification de l'écriture, ainsi que l'avait proposé votre commission, ce serait peut-être ne pas se rendre assez raison des difficultés que ce magistrat rencontrerait pour se procurer les pièces de comparaison, et pour se livrer à une appréciation dans laquelle trop de garanties no sauraient être prises contre l'erreur. Nous croyons que l'honneur des personnes, engagé dans de telles contestations, ne doit pas être légèrement commis à la décision d'un seul homme auquel il faudrait accorder le pouvoir de condamner à des dommages-intérêts, et même de frapper, la personne qui aurait dénié son écriture d'une amende que l'art. 213 c. pr. élève à 150 fr. Nous ajoutons que la vérification peut conduire à la decouverte du crime de faux; or l'intérêt public n'est pas représenté auprès des tribunaux de paix, comme il l'est par un magistrat spécial devant les tribunaux de première instance. Sous tous ces rapports, une attribution de cette nature offrirait de graves dangers pour les justiciables; l'intérêt public en souffrirait; la considération du juge lui-même en serait affaiblie. Il n'y a donc sur ce point aucun changement à faire à l'art. 14 c. pr., d'après lequel si, devant le juge de paix, l'une des parties dénie l'écriture, déclare ne pas la reconnaître ou vouloir s'inscrire en faux, la causa est renvoyée devant les juges qui doivent en connaître.

11. Il est une autre proposition de la commission que le gouvernement aurait vivement désiré pouvoir accueillir, celle de déférer aux tribunaux de paix les demandes en prestation d'aliments formées en exécution des art. 205, 206 et 207 c. civ. Ces contestations qui s'élèvent entre proches parents semblent en effet, au premier abord, devoir être décidées, par ua tribunal dont, en plusieurs circonstances, la loi impose l'intervention au milieu des familles. Un examen attentif a cependant fait repousser ce vou.

mars suivant, par l'organe de M. Renouard (1).—Ce rapport | remarquable, écrit avec élégance et plein de pensées judicieuses,

Les demandes d'aliments étant essentiellement susceptibles d'appréciation en argent, il serait impossible de ne pas limiter à une somme peu élevée la compétence des juges de paix en cette matière. Ce serait assez pour rendre cette attribution nouvelle à peu près illusoire. Ordinairement exagérées par le besoin et par les causes des dissensions domestiques qui en sont l'occasion prochaine, ces demandes dépasseraient presque toujours le chiffre borné auquel il aurait fallu s'arrêter. L'appréciation des fortunes, à laquelle il faudrait se livrer, est souvent difficile. Le discernement d'un seul magistrat offrirait-il de suffisantes garanties?-Les décisions rendues en une telle matière ont une grande influence sur les mœurs publiques; elles parlent au nom des droits du sang; elles signalent des devoirs essentiels remplis ou méconnus. Des raisons graves de morale et d'intérêt social s'élèvent contre un changement de compétence. Au lieu d'éviter la publicité, il faut continuer à la rechercher; au lieu de renfermer la décision tu juge dans l'obscurité du prétoire, il faut que l'exemple qu'elle est destinée à donner aux parents de toutes les classes soit empreint de l'autorité qui s'attache aux jugements des juridictions supérieures.

12. La disposition par laquelle le premier projet défère aux tribunaux d'arrondissement la connaissance exclusive des contestations sur les brevets d'invention, a été reçue avec une approbation générale. Tout semble contradiction en effet, dans la législation sur cette matière. Elle crée des actions possessoires au sujet d'intérêts relatifs à des choses mobilières. Elle partage entre deux juridictions de degrés différents des discussions d'une solution également difficile; elle abandonne au juge institué pour vider les contestations peu importantes les intérêts les plus graves de l'industrie, ou plutôt elle rend les experts, dont le rapport devrait seulement préparer la décision, vrais arbitres du différend, puisque le juge, dépourvu de connaissances spéciales et ne se fondant que sur son sentiment unique, serait presque téméraire s'il osait s'écarter de l'opinion des hommes de l'art.

13. Quelques dispositions sur la procédure, sur l'appel et l'exécution des jugements, terminent le projet.- La commission a demandé, sous un nom différent, le rétablissement des cédules de citation ou permis d'assigner qu'a vait introduits la loi du 26 oct. 1790, et qu'a supprimés, comme inutiles, l'art. 1 c. pr. civ.; elle voudrait qu'aucune citation ne fut donnée, si ela n'était précédée d'un avertissement de la part du juge de paix. Ne doutons pas que ce magistrat ne continue l'usage de ces avertissements, presque généralement établis, et que les instructions ministérielles ne tendent sans cesse à les maintenir; mais en faire une règle absolue établirait des causes de nullité, et par conséquent de contestation. En applaudissant à l'intention de la commission, il paraît donc inutile, et il ne serait pas sans inconvénient, de donner place, dans la loi, au vu qu'elle a exprimé. 14. Tout en repoussant cette dérogation à la procédure actuellement suivie, il en est une autre que la compétence attribuée au juge de paix en matière de loyers doit faire introduire. Quand des prix de locations ou de baux sont dus, la saisic-gagerie peut précéder la demande qui a pour but d'en obtenir le payement. Ce sera, par conséquent, au juge de paix d'accorder la permission nécessaire dans les limites de sa compétence. Par la pèmè raison, c'est lui qui rendra le jugement de validité.

15. La saisie-arrêt, à la différence de la saisie gagerie, met toujours n cause une troisième partie, ontre le saisissant et le débiteur; la suite de cette procédure nécessite une distribution entre plusieurs intéressés, lorsqu'il survient des oppositions. Statuer sur ces oppositions, prononcer sur la déclaration du tiers saisi contre lequel est formée une demande véritablement indéterminée, ce seraient là'autant d'attributions qui entraîneraient le magistrat hors des limites ordinaires de sa compétence, et qui "appelleraient à décider des questions d'une solution souvent trop difficile. 16. Des craintes de même nature ont porté le plus grand nombre des cours à repousser une autre innovation du premier projet, que la commission avait cependant adoptée, et qui tendait à rendre le tribunal de paix juge des contestations élevées sur l'exécution de ses jugements, à moins qu'il ne fût question d'incidents sur des procédures en contrainte par corps, saisie de rente ou saisie immobilière. — On a pensé que la règle qui défère aux tribunaux civils l'exécution des jugements émanés même des juridictions extraordinaires, deviendrait sans force si elle éprouvait une exception, dont l'application serait presque aussi fréquente que celle de cette règle elle-même; qu'il n'existerait pas de motifs, dans ce cas, pour refuser d'attribuer aussi aux juridictions consulaires la décision des difficultés nées de l'exécution de leurs décisions; qu'une telle innovation aurait infailliblement pour effet d'appeler autour du tribunal de paix ces praticiens sans titre reconnu, qu'il est si important d'en éloigner.

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7. Le code de procédure, qui trace pour obtenir justice devant les tribunaux de paix des formes sommaires et simples, accorde cependant, pour appeler, un délai aussi long que le délai qui est donné pour l'appel des 1gements de première instance. Évidemment, trois mois ne sont pas néEssaires pour délibérer sur la sentence du juge, et donner le temps à la artie condamnée de prendre une détermination réfléchie. Ce terme est réuit à trente jours. C'est encore ici l'une des innovations du premier projet, dont le principe n'a pas éprouvé de contradiction.

18. Il en a été autrement de celle qui concerne les huissiers. Le décret

du 16 juin 1813 attache des huissiers-audienciers aux justices de paix; le nombre en est ordinairement auprès de chacune d'un ou de deux, hors de la capitale. Ces officiers ministériels tiennent du même décret le privilége de faire tous les actes et exploits de leur ministère près la justice de' paix et le tribunal de police (art. 13). De là des réclamations générales de la part des huissiers de canton, qui ne sont pas audienciers; ils demandent' la libre concurrence. Placés à côté de collègues vivant d'un monopole qui ne les empêche pas de prendre leur part aux actes autres que ceux de la justice de paix, ces huissiers représentent l'extrême différence de leur position; ils disent qu'entre personnes exerçant la même profession, la confiance doit rester libre dans ses choix; que l'officier ministériel qui craint de la perdre se montre d'autant plus jaloux de la justifier; que celui dont le choix est contraint a moins de motifs pour remplir toujours son devoir. Les tribunaux de première instance appuient en général ces prétentions; ils désirent voir assurer à tous ceux qui remplissent des fonctions dont il est si facile d'abuser, des moyens d'existence que ces fonctionnaires seront moins portés à se procurer par des ressources en dehors de leur profession. 19. Tels sont les points essentiels dans lesquels le projet s'éloigne des projets précédents; tels sont aussi les changements aux règles de compétence et de procédure actuellement observées, dont on persiste à réclamer le changement. Pour tracer entre deux tendances contraires une limite qui n'est pas sans difficultés, de toutes parts ont été réclamés les conseils do l'expérience et les lumières du savoir. A ceux qui prétendraient que, dans toutes les causes simples au premier aperçu, il fallait assurer aux justiciables, comme un grand bienfait, la juridiction rapide et économique du tribunal de paix, nous dirons que la loi qu'il s'agit de faire doit convenir à des régions diverses par leurs richesses autant que par leurs habitudes; que là, où la fortune mobilière est moins générale, une attribution démesurée de compétence, si elle était conférée aux justices de paix, alarmerait des intérêts d'autant plus nombreux que le niveau de l'aisance s'y trouve plus éloigné de celui des grandes villes. A ceux qui, dans leur sollicitude extrême pour l'institution, porteraient trop loin la défiance du magistrat, nous répondrons que plus de réserve apportée dans une réforme reconnue nécessaire rendrait la loi nouvelle à peu près inutile; que l'on a retranché des premières propositions tout ce qui n'aurait pas pour le juge la simplicité et la clarté d'une question de fait; que lorsqu'on a douté si une attribution nouvelle serait en rapport avec la nature de cette juridiction, c'est contre l'extension de compétence que ce doute a été résolu. Les chambres décideront si le projet répond aux besoins généraux; s'il fait assez et s'il se garde plus soigneusement encore d'aller trop loin.

(1) Rapport fait par M. Renouard à la chambre des députés (séance du 29 mars 1837).

20. Messieurs, le projet de loi dont nous avons à vous entretenir est relatif à la juridiction des juges de paix considérés comme juges civils. Si l'on eût voulu faire un code complet des justices de paix, il cût été nécessaire de régler, en outre, l'organisation de ces tribunaux; les fonctions des juges de paix comme conciliateurs, comme juges de police, comme auxiliaires du procureur du roi, comme membres de l'administra tion investis de certaines attributions spéciales; il eût aussi fallu revoir et coordonner les lois de procédure comprises dans le premier livre du code de procédure civile, et éparses dans beaucoup d'autres parties de notre législation.

Un pareil code cût été un grand et vaste ouvrage; le nombre et la gravité de ses dispositions anraient difficilement permis de le mener à fin, et l'institution des juges de paix, mise en question jusque dans ses moindres détails en même temps que dans ses principes les plus généraux, aurait été exposée à un fâcheux ébranlement, même dans celles de ses parties qu'il est utile et sage de maintenir. Les limites dans lesquelles le projet de loi s'est renfermé, sans exclure les améliorations ultérieures que le législateur pourra vouloir entreprendre, auront l'avantage d'attirer les méditations et les débats des chambres sur celle de toutes les parties de la législation relative aux justices de paix dont l'opinion des jurisconsultes et du public souhaitait le plus vivement la modification.

21. Peu de matières législatives ont donné lieu à de plus nombreuse s propositions de lois. Plusieurs projets ont été publiés par leurs auteurs ; un nombre considérable de propositions et de mémoires ont été adress és au gouvernement et aux chambres; des écrivains, à la tête desquels il faut placer le savant Henrion de Pansey, ont composé des ouvrages sur les justices de paix et sur les objets de leur compétence; divers recueil spéciaux ont répandu de vives lumières sur les questions que cette matière embrasse. A deux reprises, dans les sessions de 1832 et de 1833, un de nos honorables collègues, M. de la Pinsonnière, a développé devant vous une proposition de loi qui contenait beaucoup de vues utiles. C'est avec tous ces secours qu'un projet de loi, qui comprenait des dispositions sur les autres parties de notre organisation judiciaire a été rédigé par M. le garde des sceaux. Ce projet, apporté devant vous en janvier 1835, a été examiné par une commission de cette chambre dont le rapport vous a été présenté par l'honorable M. Amilhau, l'un des membres de notre commission. Dans l'intervalle des sessions, la cour de cassation et les cours

fait connaître les divers travaux qui ont préparé et facilité la

royales ont été consultées. M. le garde des sceaux vous a distribué l'analyse qu'il a faite de ces observations, et les conclusions qu'il en tirait pour une rédaction nouvelle. La commission que vous aviez saisie de l'examen de ce projet avait, d'après tous ces travaux, arrêté une rédaction qui est restée inédite, le projet de loi ayant été officiellement retiré de Vos délibérations dans la séance du 9 mars 1836.

22. Dans l'intervalle qui s'est écoulé entre la précédente session et la Bession présente, le prédécesseur du ministre actuel de la justice a réuni une commission qui, sous sa présidence, a repris l'examen de tous les documents antérieurs, et les a soumis à une discussion approfondie. Les travaux de cette commission ont été pris en sérieuse considération par M. le garde des sceaux dans la rédaction du projet qui vous est soumis, et ont été consultés avec fruit par la commission de laquelle j'ai l'honneur d'être en ce moment l'organe devant vous. Votre commission a, en outre, examiné un grand nombre de pétitions adressées à la chambre; elle a reçu plusieurs communications qui lui ont été faites, et notamment des observations écrites et orales de MM. les juges de paix de Paris. Vous nous excuserez, messieurs, de vous avoir fait connaitre ces travaux préparatoires. Une loi sur la compétence des justices de paix touche à des intérêts si graves, qu'il ne peut pas être superflu de montrer que l'étude la plus scrupuleuse a éclairé sa rédaction.

23. Les justices de paix ont été introduites en France par la loi du 24 août 1790, destinée à substituer à l'ancien ordre judiciaire une organisation nouvelle. La pensée qui a dominé l'assemblée constituante, lorsqu'elle a porté cette loi, a été de regarder l'arbitrage volontaire comme le fondement et la base de toute administration de la justice. On ne considérait les tribunaux ordinaires que comme destinés à suppléer aux arbitres spéciaux que, pour chaque procès, les parties se seraient abstenues de désigner ellesmêmes. De là on se trouvait naturellement conduit à faire élire les tribunaux par les justiciables qui, en nommant des juges, étaient censés ne faire autre chose que se désigner des arbitres.

Cette condition était celle des juges de paix, comme de tous les autres magistrats; ils étaient élus pour deux ans, et ne statuaient qu'assistés de deux assesseurs élus comme eux. Le nom des juges de paix était nouveau en France; on l'empruntait à l'Angleterre. Ce n'était pas à l'Angleterre que l'on empruntait les règles de leur compétence et la détermination de leur juridiction. C'était plutôt aux juridictions subalternes qui, sans unité d'organisation et à des titres divers, existaient dans plusieurs parties de l'ancienne France, tels que les auditeurs au châtelet de Paris, les officiers de plusieurs bailtiages, et les débris des anciennes justices seigneuriales qui s'étaient maintenues en divers lieux sous divers titres.

La plupart des institutions créées par la loi organique du 24 août 1790 ont disparu, ou ont subi des métamorphoses considérables. Le nom des justices de paix est demeuré; leur ressort a continué à être celui des circouscriptions cantonales; leurs attributions ont été modifiées, mais le fond de leur competence, surtout comme juridiction civile, est resté le même; les bureaux de paix ont servi de base au préliminaire de conciliation, tel qu'il a été réglé par le code de procédure civile de 1806: quant à l'organisation des justices de paix, elle a été entièrement changée.

24. Ce fut une grande pensée qui méritait de durer, et qui a duré en effet, que celle qui liat la nouvelle organisation judiciaire à la nouvelle division du territoire. C'était là une des sanctions les plus efficaces de P'esprit d'unité et de centralisation qui a renouvelé les forces de la France, et qui a mis l'ordre public et le pouvoir en état de supporter les plus larges développements de la liberté. Ce qui a fait la grandeur de la créa tion des justices de paix, ce n'est pas d'avoir donné aux contestations de peu de valeur un juge rapproche des justiciables et une procedure expéditive et peu dispendieuse. Cette conception, qui s'appuyait sur de nombreuses analogies dans le passé, etait d'une exécution inévitable et pouvait se trouver mise en pratique par mille moyens differents. La grandeur consiste à avoir attribué au même homme le jugement des petits procès et la conciliation des plus grands; à avoir placé sous sa main la tutelle des intérêts de famille; à avoir concentré sur un magistrat placé à la portée de tous, et à chacun des points du territoire, l'universalité des attributions qui constituent ce que l'on peut appeler la justice élémentaire, rendue inséparable du maintien de l'esprit de famille et de la pacification de tous les intérets. Voilà la grande et belle part de l'assemblée constituante dans, l'institution des justices de paix. Quant au mode de nomination, quant jà la présence ou à l'absence des assesseurs, quant aux modifications des attributions et de la compétence, ce sont des questions importantes sans jdoute, mais qui ont pu subir des changements sans que le caractère primitif de l'institution ait été essentiellement altéré. Il ne serait pas difficile de démontrer que les modifications apportées aux justices de paix depuis 1790 ont constitué de veritables progrès.

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25. Nos justices de paix n'ont rien à envier à celles de l'Angleterre. Le nombre des juges de paix anglais est illimité et fort considérable; ils sont nommés par la couronne parmi les membres d'une association qui est formée dans chaque com:é sous le titre de commission de la paix du roi, et qui s'élève en certains lieux jusqu'à cinq et six cents membres. Chacun de ces magistrats exerce gratuitement ses fonctions; il a juridic

tâche du législateur de 1858; il apprécie avec justesse l'impor

dion sur tout le comté, concurremment avec tous les autres juges de paix du même comté; ils statuent tantôt sculs, tantôt réunis en session. La compétence de cette magistrature est moins étendue que celle de nos justices de paix, quant aux matières civiles; elle l'est beaucoup plus en co qui concerne la police et l'instruction criminelle; elle réunit plusieurs attributions de nos tribunaux correctionnels et de notre administration municipale.

26. En France, le nombre des cantons, et par conséquent des juges de paix, est de deux mille buit cent quarante-six.-A chaque justice de paix sont attachés deux suppléants qui ne siégent jamais avec lui, comme le faisaient les anciens assesseurs, mais qui le remplacent en cas d'absence ou d'empêchement. Le juge de paix siége donc comme juge unique; ri faut qu'il habite le canton où sa juridiction s'exerce; il connait ses justiciables et est connu d'eux; il est appelé à concilier les procès, à présider les conseils de famille, à juger les causes civiles que la loi lui défère, les contraventions de police. Comme officier de police, il fait les premières instructions sur les délits et les crimes, et est appelé par la loi, dans beaucoup de cas, à paraître ou à concourir dans certains actes, pour y être tout à la fois, le représentant de l'autorité publique et le garant donné au libre exercice des droits privés des citoyens. Dans l'ordre administratif, il tient de la confiance de la loi plusieurs attributions spéciales, et, par exemple, la présidence des jurys de révision de la garde nationale, la coopération aux comités d'instruction primaire.

27. Les fonctions de juge de paix, quelque importantes et quelque multipliées que soient les attributions qui s'y rattachent, ne sauraient néanmoins être mises au-dessus de la portée des lumières communes. II faut que chaque canton, même le moins avancé, puisse posséder trois hommes, un juge de paix et deux suppléants, capables de s'en acquitter convenablement. Il en est des justices de paix comme de toutes les autres fonctions; il en est de leurs devoirs comme de tous les devoirs privés et publics. Si l'imagination embrasse tout ce qu'un bon juge de paix pourrait être, on ne trouvera nulle part de raison trop sûre, de vertu trop haute, de considération sociale trop bien assise, d'instruction trop somplète, pour remplir ces fonctions dans toute leur étendue, et pour s'élever jusqu'à leur perfection idéale. Si l'on voit les choses comme elles dont, notre société comme elle est faite, on reconnaît que, pour trouver ces hommes suffisamment capables, il ne faut pas exiger trop d'eux, et que pour trouver des juges de paix et des suppléants pour deux mille buit cent quarante-six cantons, la prudence commande de borner leurs fonctions et leurs devoirs à ce que l'on peut raisonnablement exiger d'une classe très-nombreuse de citoyens.

28. Si nous appliquons ces considérations générales aux juges de paix envisagés comme juges civils, on verra qu'il ne faut pas donner à leur compétence une extension qui dépasse les forces d'un juge unique, choisi, pour le plus grand nombre, dans de petites localités, parmi des hommes qui ne sont pas attirés vers des emplois plus élevés ou des professions plus lucratives.

On ne diminuerait pas les difficultés des choix, on les aggraverait, si on les subordonnait à des conditions légales qui ne créeraient point de capacités et qui en écarteraient beaucoup. Si, pour ne prendre qu'un exemple, on exigeait le grade de licencié en droit, ou seulement même celui de bachelier, on peuplerait nos campagnes d'avocats sans cause et de praticiens découragés d'autres carrières, au lieu de pouvoir étendre les choix, comme on le fait aujourd'hui, parmi les personnes qui, de préférence, sans doute, dans les carrières judiciaires, mais partout ailleurs aussi, ont acquis l'expérience des affaires et des hommes, et un juste crédit sur leurs concitoyens.

29. La composition personnelle des justices de paix se trouve en rapport avec l'état auquel l'instruction et les lumières sont parvenues dans chaque contrée. Quelques personnes, exclusivement préoccupées de la faiblesse d'un petit nombre de ces magistrats répandus sur l'universalité du territoire et attachés à des localités pauvres et peu avancées, aussi bien qu'aux cantons les plus puissants et les plus riches, ne rendent pas à l'ensemble de cette magistrature l'hommage que méritent sa capacité et son zèle. On peut affirmer que généralement la composition personnelle des justices de paix est très-satisfaisante. On peut le prouver par des faits.

La dernière publication des états statistiques sur l'administration de la justice civile en France est celle qui rend compte des travaux de l'anné 1854. On y trouve, pour les affaires civiles dont le juge de paix connaît à l'audience comme juge, sans parler des affaires portées devant lui pour satisfaire au préliminaire de conciliation, qu'il a été introduit 410,844 af- [ faires par citation, et 80,955 par comparution volontaire. Sur ces affaires, 75,268 ont été terminées par abandon du procès, et 199,817 par arrangement à l'audience; des jugements par défaut en ont terminé 68,844, et des jugements contradictoires 139,543. Le nombre des jugements frappés d'appel n'a été que de 3,734. Sur ce nombre, 1,450 ont été confirmés, et 1,045 infirmés en tout ou en partie. Quant aux affaires portées en conciliation, 38,454 ont été conciliées, sur un chiffre tota de 97,558. Les comptes statistiques des années précédentes contenaien

tance de la création des tribunaux de paix, création dont la gran

beaucoup moins de détails sur les travaux des justices de paix. On y voit seulement qu'en 1853 les tribunaux de première instance ont eu à connaitre de 3,115 appels; qu'ils ont confirmé 1,457 jugements de justice de paix, et en ont infirmé 1,104 en tout ou en partie. En 1852, les confirmations ont été de 1,394, et les infirmations de 962, sur 2,376 appels.

En supposant même que la nouveauté de ces documents statistiques y ait laissé introduire quelques erreurs de détails destinées à disparaître des comptes subséquents, il demeure incontestable que rien ne saurait allénuer l'évidence des résultats généraux qui sortent de la seule citation de ces chiffres. On y voit que la justice rendue par les tribunaux de paix est active, paternelle, acceptée par les parties qui se pourvoient rarement devant les juridictions supérieures; et que ces juridictions, devant lesquelles ne sont portées que les affaires qui offrent des doutes, n'en ont qu'un petit nombre à réformer.

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30. Il est un tout autre ordre de preuves et de chiffres qui témoignent de la bonne composition des justices de paix. Que l'on parcoure la liste des membres que l'élection appelle aux conseils généraux et aux conseils d'arrondissement, on verra que près d'un sixième des juges de paix sont investis par la confiance de leurs concitoyens du mandat de les représenter. En effet, dans la composition actuelle des conseils généraux et des conseils d'arrondissement, 153 juges de paix figurent dans les premiers, et 309 dans les seconds. Il faut le dire encore, à titre de légitime espérance pour l'avenir, on remarque depuis quelques années, parmi les candidats pour ces places, un nombre toujours croissant de personnes auxquelles une sérieuse consistance sociale est antérieurement acquise. Entre plusieurs causes, l'une des plus apparentes est dans l'accroissement donné aux principales influences cantonales, par l'extension du système électif à tous les degrés de notre hiérarchie politique. Beaucoup d'hommes importants comprennent tout ce que les fonctions de juges de paix peuvent leur donner d'influence dans leur canton, et la chose publique gagne à leur concours.

31. Quelque bonne que soit la composition personnelle des justices de paix; quelque satisfaisantes que puissent être les améliorations qui tendent à s'y introduire de plus en plus par le scrupule que l'administration apporte à ses choix et par les progrès généraux de l'instruction et des lumières, il n'en faut pas moins reconnaître que, par la nature même des choses, la très-grande majorité des juges de paix, fùt-elle encore plus éclairée qu'elle ne l'est, et ne fût-ce que parce qu'elle se compose de juges prononçant seuls, n'est pas apte à statuer sur des questions ardues et sur des intérêts d'une valeur considérable. Un autre péril fort grave dans lequel on tomberait, si l'on multipliait sans mesure les affaires portées devant les justices de paix, et si l'on augmentait trop leur importance, serait d'y créer des barreaux secondaires, sans lumières, sans consistance sociale, et qui trop souvent offriraient, dans nos campagnes, un refuge aux hommes d'affaires rebutés par les grandes villes.

32. Les réflexions qui précèdent balancent et retiennent celles qu'il est si facile et si séduisant de faire sur l'utilité d'une grande extension de compétence.

Devant la justice de paix, la procédure est presque nulle, les frais modiques, la décision rapide. Le justiciable est plus rapproché de son juge, les transactions plus faciles entre les parties. - Ce sont là des avantages. On en sent d'autant mieux le prix que notre procédure devant les tribunaux ordinaires est plus imparfaite, et demeure entravée par les restes de l'ancienne pratique, épargnée plus qu'aucune autre institution, par l'esprit de reforme de notre siècle.- Il faudra bien, tôt ou tard, et lorsque le temps des travaux longs et patients sera venu, entreprendre sérieusement la tâche difficile d'une réforme dans notre procédure civile; mais il faut se garder de détruire, en vue de quelques-uns des défauts de notre procédure ordinaire, l'ensemble de notre organisation judiciaire, qui est bonne, sage et bien réglée.

des

Les tribunaux d'arrondissement, et après eux les cours royales, doivent rester saisis de toutes les questions où sont engagés des intérêts pécuniaires importants, des appréciations de droit difficiles. Comme il faut, pour obtenir justice devant ces tribunaux et devant ces cours, déplacements, des frais, des lenteurs, il est tout un ordre de litiges qui, si ces cours et tribunaux existaient seuls, ne pourraient pas être portés devant eux. Ce sont ceux où le gain même du procès ne saurait jamais dédommager des frais exposés.

33. Les justices de paix considérées comme juridictions civiles, seul rapport sous lequel le projet les envisage, ne sont pas instituées pour multiplier les procès, en induisant les parties à plaider à peu de frais. Elles sont instituées pour rendre possible la solution judiciaire des litiges qu'il serait toujours trop cher d'avoir, même à gagner, devant les tribuDaux ordinaires. Sous ce rapport, elles justifient leur dénomination de justice de paix; car si la justice était impossible et illusoire pour les litiges de très-modique valeur, les parties seraient exposées à la tentation de se faire justice à elles-mêmes plutôt que de se passer de justice; et la paix serait troublée, parce que les institutions seraient impuissantes pour dire le droit aux contendants. — Modération dans la compétence, tout en élen

deur consiste, dit-il, très-bien, « à avoir attribué au même

dant celle compétence aux cas où une juridiction plus élevée obligerait à des dépenses de temps et d'argent nécessairement supérieures à l'importance du litige, tel est l'esprit du projet de loi.

54. Le projet présenté en 1835 portait les innovations beaucoup plus loin. On s'est généralement accordé à lui reprocher de leur avoir fait une part trop large; le projet actuel procède avec plus de réserve. Ainsi quant aux actions personnelles et mobilières, on propose maintenant 100 fr. en dernier ressort et 200 fr. en premier ressort, au lieu de 150 fr. et 300 fr.; ce qui double la compétence actuelle, au lieu de la tripler. Quant aux demandes portant sur des valenrs indéterminées, on supprime l'obligation imposée au demandeur par le premier projet de donner, par une évaluation en argent, une base à la détermination de la compétence. Le premier projet attribuait aux juges de paix les contestations sur les loyers annuels de 400 fr. Ce taux n'est plus conservé que pour Paris, et est restreint à 200 fr. partout ailleurs. Le projet attribuait aux juges de paix les difficultés élevées sur l'exécution de leurs jugements, ainsi que les saisies-arrêts et les demandes en validité et mainlevée d'opposition, lorsqu'elles étaient motivées sur des causes de leur compétence: tous ces objets, qui auraient pu amener devant les justices de paix de nombreuses et graves difficultés de procédure, sont laissés aux tribunaux ordinaires. Le premier projet considérait isolément pour la détermination de la compétence les divers chefs de demandes contenues dans un même exploit; le projet actuel détermine la compétence par la somme totale de ces chefs de demande additionnés les uns aux autres. Ce sont là d'importantes différences qui doivent calmer les inquiétudes que quelques personnes avaient conçues, en voyant imposer aux justices de paix des attri butions dont on craignait que le fardeau ne fût trop lourd pour cette magistrature.

35. Nous allons examiner dans leur délail chacune des dispositions du projet de loi. Nous avons, pour plus de clarté, suivi et indiqué la division par articles.

Art. 1. La compétence des juges de paix, relativement aux actions purement personnelles et mobilières, est aujourd'hui fixée par la loi du 24 août 1790, sans appel jusqu'à la valeur de 50 liv., et jusqu'à 100 liv. à charge d'appel. L'extension de cette compétence a été généralement réclamée. On a fait remarquer que ses limites étaient fort restreintes; qu'un procès pour 60 ou 80 fr. ne pouvait jamais valoir les frais d'un appel; que borner à 100 fr. la juridiction de premier ressort, c'est empêcher les parties de terminer par un jugement prompt et économique bien des proces pour lesquels elles renonceraient spontanément à l'appel, lorsqu'ils auraient été décidés en premier ressort. On a rappelé que l'art. 9 du tit. 3 de la loi du 24 août 1790 a formellement prévu que le temps arriverait où la compétence serait élargie, et a cru devoir annoncer, en termes exprès, que la législature pourrait en élever le taux. On a tiré argument de la hausse qu'ont éprouvée les évaluations monétaires, et do l'augmentation de richesses que la France a trouvée dans les progrès des sciences et de l'industrie, dans les développements du commerce, dans l'amélioration, trop lente sans doute, mais réelle, de l'agriculture; dans la division des propriétés. On a dit que 50 fr. d'aujourd'hui n'équivalent pas à 50 liv. de 1790.

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Ces observations ont été presque unanimement adoptées, mais on a différé sur les chiffres auxquels l'extension de compétence devra être portée. - Pour le dernier ressort, le gouvernement avait d'abord proposé 150 fr.; cette somme est celle jusqu'aux limites de laquelle le code civil admot la preuve testimoniale. Des scrupules se sont élevés sur cet accroissement de compétence, notamment de la part d'un grand nombre des cours royales provoquées à s'expliquer sur l'ancien projet de loi. On a craint que dans beaucoup de petites localités cette somme n'affectât trop essentiellement l'aisance d'une famille pour devoir être laissée à la décision souveraine d'un juge unique. Le projet de loi sur lequel nous sommes appelés à délibérer s'est arrêté à la fixation de 100 fr. pour limitation du dernier ressort. C'est doubler la somme à laquelle s'était arrêtéo la loi de 1790. Votre commission a adopté cette fixation, qui lui a paru répondre au double besoin d'extension de compétence et de modération dans cette extension. C'est dans les mêmes vues et par les mêmes motifs que la limitation du premier ressort, pour laquelle 300 fr. avaient été primitivement proposés, a été portée seulement à 200 fr., somme double de celle qu'avait adoptée le législateur de 1790.

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36. Art. 2 (ajouté par la commission). Nos lois sur la procédure permettent aux porteurs d'un acte ou d'un titre d'assigner, à leurs frais, devant les tribunaux, les personnes desquelles la pièce émane ou leurs représentants, à l'effet de constater si l'écritu e est tenue pour reconnue. -Cette voie est ouverte, même lorsque le titre n'est pas venu à échéance, et lorsqu'aucune condamnation actuelle n'est lemandée. Elle a pour but d'assurer le sort d'un titre avant de recourir aux voies d'exécution et à des mesures conservatoires; elle a pour but aussi d'empêcher les preuves de disparaître, et de faire constater la réalité de l'écriture à l'époque où il est le plus facile de parvenir à la connaissance de la vérité. L'expérience ayant appris que quelquefois on cherchait à abuser de cette procédure pour prendre prématurément des inscriptions hypothécaires, une loi du 3 sept,

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