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Il examine ensuite dans leur détail chacune des dispositions

défense. Il faut, dans la plupart des cas, s'en rapporter à l'habileté et au bon esprit des juges de paix du soin de le combattre. Mais ce que, du moins, la loi peut faire dès à présent, c'est d'interdire aux huissiers qui ont à bénéficier par la multiplicité des procédures, le droit d'assister les parties comme conseils, ou de les représenter comme procureurs fondés. Tout ce qui tend à favoriser la comparution des parties en personne devant les justices de paix, entre dans la pensée qui a créé cette juridiction. Il n'y a d'exceptions qu'en faveur des huissiers agissant dans leur propre cause, ou dans celle de leurs femmes, parents ou alliés en ligne directe ou de leurs pupilles; cas énumérés par l'art. 86 c. pr. civ., pour les interdictions contre les magistrats.

Si les huissiers manquent à cette défense, ils doivent être punis.- Une amende, en pareil cas, est une peine raisonnable. Il s'agit de punir une infraction commise dans un esprit de luere et de cupidite. Le projet fixait cette amende à 50 fr. Votre commission vous propose de n'indiquer 50 fr. que comme maximum, et de poser un minimum de 25 fr. Il faut que le juge puisse avoir égard aux circonstances, et mesurer la peine proportionnellement à la gravité de l'infraction.

Le projet permettait à l'huissier condamné d'interjeter appel. Votre commission a pensé que l'on doit accorder aux juges de paix assez de confiance pour s'en rapporter à eux sur ce point. La faculté d'appel ébranlerait leur autorité qu'il faut d'autant plus craindre d'affaiblir, qu'ils n'auront plus désormais action sur les huissiers par le choix qu'ils feront d'eux. La peine d'ailleurs est légère, et comme nous l'avons dit à l'occasion de l'article précédent, la surveillance de l'autorité supérieure ne laisserait pas les abus s'introduire.

66. Le projet prononcait des peines plus graves en cas de récidive; et comme il élevait cette peine jusqu'à une suspension de quinze jours à trois mois, il la faisait prononcer par le tribunal de première instance, sur le vu du procès-verbal du juge de paix. Votre commission s'est d'abord demandé ce que le projet a entendu par ces mots : le tribunal prononcera une suspension sur le vu du procès-verbal. Veut-on dire que te tribunal ne laissera pas discuter les faits devant lui, qu'il tiendra les faits consignés au procès-verbal pour constants, qu'il sera obligé de prononcer une suspension, sauf à en arbitrer la durée ? Mais, s'il en est ainsi, ce sera en réalité le juge de paix qui, sauf la durée de la peine, décidera la suspension, puisque son procès-verbal ne pourra pas être discuté. Mieux vaudrait donner directement la décision au juge de paix, que de la faire passer, pour la forme, par l'organe du tribunal. Admet-on l'opinion contraire, et suppose-t-on que les faits du procès-verbal seront discutés ? Mais alors on établit pour tous ces cas un véritable procès entre le juge de paix et l'huissier. Il faudra donc que le magistrat débatte ou fasse débattre ses allégations, produise des témoins et des preuves, discute les témoins de l'officier ministériel devenu son adversaire. Ce sont là des inconvénients intolérables et qui ne peuvent que déconsidérer le caractère du juge.

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En outre, quel sera le caractère de ce jugement? Il sera sujet à l'appel; car il n'est pas rendu dans la forme des arrêtés disciplinaires, qui ne valent qu'après l'approbation du ministre de la justice. La cour royale devant laquelle il sera porté, devra a son tour s'astreindre au procésverbal du juge de paix, ou le laisser discuter devant elle. - Votre commission a pensé qu'il était préférable de retrancher le paragraphe relatif à la récidive. Co n'est pas énerver la loi: car l'action disciplinaire demeure a la disposition du ministère public, contre l'huissier qui se mettrait en révolte contre l'autorité du juge de paix, qui enfreindrait la défense de la loi avec obstination, ou mème envers celui qui, des une première infraction, trop peu punie par une amende, aurait trompé les justiciables, abusé de leur foi, suscité des procédures frustratoires, suggéré de mauvais procès.

67. Art. 21 (ajouté par la commission). Nous venons d'expliquer T'objet de cet article. L'action disciplinaire sur les officiers ministériels ne saurait être énervée sans de grands périls pour les justiciables. Les fautes contre la discipline, si elles sont découvertes à l'audience, sont panies par des jugements susceptibles d'appel et dont les cours royales connaissent. Les autres fautes sont, suivant la gravité des circonstances, deterees, en chambre du conseil, au corps judiciaire auquel l'officier ruinisteriel est attaché; elles sont, quand il s'agit d'huissiers, examinées par le tribunal d'arrondissement auprès duquel leur ordonnance de nomination les institue. Ces arrêtés disciplinaires sont soumis, avant leur exécution, à la décision du ministre de la justice. Tel est le droit actuel qui, dans le cas d'infraction à la loi proposée, pourra recevoir la même application que pour toutes autres contraventions aux lois et règlements. Des poursuites disciplinaires ne seront intentées par le ministère public que s'il juge l'infraction assez grave; et s'il la juge telle, elles auront lieu nonobstant l'application des articles précédents.

Votre commission a reconnu qu'il en serait ainsi, alors même que la réserve énoncée au présent article ne serait point exprimée; car il est de principe que l'action disciplinaire subsiste par elle seule, indépendamment de toutes les autres actions dont le même fait serait susceptible, et qu'elle peat toujours s'ajouter aux peines prononcées pour la répression d'un

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du projet de loi, et en signale avec exactitude l'esprit et la

crime, d'un délit ou d'une infraction quelconque. Toutefois votre commission a réservé explicitement l'action disciplinaire, afin que tout fùt clair dans une matière qui intéresse la bonne justice à rendre à la partie la moins aisée de la population.

68. Art. 22 et dernier (17 du projet). Aux abrogations expresses contenues dans l'article du gouvernement, votre commission a ajouté la mention des art. 16 et 17 c. pr. civ., dont nous avons cité le texte en examinant les art. 16 et 14 destinés à les remplacer.

Voici le texte de la loi du 24 août 1790 que le projet abroge expressément. (Ce texte est rapporté plus baut p. 89, n° 6).

69. Votre commission a terminé sa tâche. Toutefois, dans la vue de ne rester en arrière d'aucun des devoirs dont votre confiance l'a chargée, il lui a paru utile d'arrêter votre attention sur deux des points principaux contenus dans plusieurs des pétitions dont vous lui avez fait le renvoi.Ces deux points sont relatifs au traitement des greffiers et à celui des juges de paix. Nous aurions pu, sans doute, nous contenter de vous faire remarquer que ces questions sont placées hors des limites dans lesquelles est renfermé le projet de loi. Mais votre commission a désiré ne pas se contenter de cette fin de non-recevoir, et vous soumettre quelques observations.

Le traitement des greffiers de justice de paix est fort modique. Il est du tiers de celui des juges de paix, ce qui, dans deux mille sept cent cinquante-deux justices de paix, ne porte le traitement fixe des greffiers qu'à 266 fr. 67 c. Mais il faut remarquer qu'à ce traitement fixe s'ajoutent, par des droits de greffe, des émoluments souvent assez considérables. Il faut aussi ne pas perdre de vue que, d'après la loi du 28 avril 1816, les charges de greffiers sont transmissibles à prix d'argent; qu'il faut croire que ces charges donnent des bénéfices réels puisqu'elles trouvent constamment des acheteurs; que, s'il arrive trop souvent qu'il y a exagération dans la valeur vénale de ces charges, on doit se contenter de dire que ceux qui consentent à ces exagérations de prix ne peuvent imputer qu'à eux-mêmes les pertes qui en deviennent pour eux la conséquence. Le moment est d'ailleurs mal choisi pour élever des réclamations puisque le projet de loi, par l'extension qu'il donne à la compétence, aura pour effet nécessaire une augmentation des produits des greffes; augmentation dont il faut, d'ailleurs, attendre que l'expérience ait démontré la portée avant de chercher à introduire aucune modification en ce qui concerne le traitement des greffiers. Ajouter aux traitements fixes, ce serait augmenter la valeur vénale des greffes et aggraver le mal qu'a fait la loi du 28 avril 1816, lorsque, ne se contentant pas d'autoriser la vente des offices ministériels dont la prospérité tient, en partie, à l'industrie particulière, au talent et au zele de ceux qui en sont investis, elle a rendu vénales les charges des greffiers, dont l'industrie particulière n'a le droit ni d'accroître ni de diminuer les produits, et qui ne sont autre chose que des fonctions publiques. Malheureusement la transmission de ces fonctions à titre onéreux légalement autorisée depuis une période de plus de vingt années, y a engagé le patrimoine d'un très-grand nombre de familles. Votre commission n'a point de proposition à vous faire au sujet des pétitions des greffiers.

70. Des considérations d'un tout autre ordre se présentent à la pensée en ce qui concerne le traitement des juges de paix. Le traitement des juges de paix se compose comme celui des greffiers, d'un traitement fixe et de perceptions dont la quotité varie suivant les localités. Le traitement fixe est de 800 fr. dans deux mille sept cent cinquante-deux cantons, de 1,000 fr. dans quarante-trois; de 1,200 dans vingt et un; de 1,600 fr. dans dix-huit; il est de 2,400 fr. dans les douze justices de paix de Paris.1- - Améliorer le sort des juges de paix serait un grand bien; la modicité de leur traitement est une condition qui leur est commune avec presque toutes les autres fonctions de la magistrature; quatre cent quarantedeux juges et substituts de tribunaux de première instance ne reçoivent qu'un traitement de 1,250 fr., qui n'est pas susceptible, comme le traitement des juges de paix, d'accroissements éventuels; quatre cent trente présidents et procureurs du roi ne reçoivent que 1,875 fr.. On ne saurait faire des vœux trop ardents pour que l'état de nos finances permette enfin d'apporter quelques améliorations à la position des rangs inférieurs de la magistrature. La sollicitude du législateur ne devra pas oublier les juges de paix', mais devra s'étendre en même temps sur la magistra→

ture entière.

71. Une question fort importante a été soulevée. Serait-il bon de supprimer les perceptions de droits qui forment comme le casuel des justices de paix, et de remplacer ces perceptions par un accroissement du traitement fixe? Cette question doit être examinée dans l'intérêt des juges de paix et dans celui des justiciables. Il est incontestable que la considération des juges de paix ne pourrait que gagner à l'adoption d'une pareille mesure. Si, en quelques lieux, une diminution d'avantages pécumiaires en était le résultat, on doit néanmoins convenir que cette diminution de bénéfices pour plusieurs d'entre eux ne saurait être mise en balanee avec l'utilité de procurer à tous une augmentation réelle de leur dignité. — Quant à l'intérêt des justiciables, il n'est point aussi évident. Supprimer entiérement les droits actuellement perçus par les juges de

portée. La discussion eut lieu les 13, 14 et 17 avril.— Porté ensuite à la chambre des pairs, le 8 mai 1837, le projet y fut

paix, ce serait faire supporter sans compensation, au trésor public, une assez forte augmentation de dépense. Faire percevoir les droits par le fisc, ce serait rendre cette perception beaucoup trop dure. La classe pauvre rencontrerait dans l'État un créancier qui n'aurait pas le droit de ne pas être impitoyable, et auquel il ne serait pas permis de renoncer à une perception dont beaucoup de juges de paix font volontairement la remise. - Peut-être arriverait-on, par l'étude de cette question dans tous ses détails, à diviser la difficulté, à ne laisser aux juges de paix qu'un cerlain nombre de perceptions, à transporter les autres au trésor public, à supprimer certains droits, à en modifier certains autres.

Votre commission, en vous présentant ces observations, n'a pas de conclusions formelles à prendre, puisqu'il ne s'agit en ce moment ni d'une loi de finances ni d'une loi genérale d'organisation des justices de paix. Mais son intention a été d'appeler d'une manière spéciale l'attention dulégislateur et celle du gouvernement sur un très-sérieux objet de méditation. - Rien de ce qui peut devenir utile à la dignité de l'ordre judiciaire, à tous ses degrés, n'est indifferent à la prospérité publique. La magistrature paternelle des justices de paix, qui a jusqu'ici mérité si bien du pays, verra son importance s'accroitre encore par l'adoption du projet de loi qui vous est présenté. Il y a prudence en même temps qu'équité à songer sérieusement aux moyens d'améliorer son sort, au moment où l'on augmente son influence et où on lui impose de nouveaux devoirs.

(1) Rapport par M. Gasparin à la chambre des pairs (séance du 19 juin 1857).

72. Messieurs, après une expérience de quarante-sept ans, le gouvernement vient vous proposer de modifier et d'étendre la compétence des juges de paix. Votre commission, pénétrée de l'importance du mandat que vous lui avez confié, s'est livrée avec assiduité à l'examen de la proposition du gouvernement. Elle a pensé que, pour se former une opinion éclairée dans une matière aussi délicate que le remaniement des juridictions, elle devait remonter à l'origine de cette institution, se pénétrer de l'esprit qui anima les législateurs, comparer les résultats obtenus aux espérances que l'on avait conçues, bien se rendre compte du genre de perfectionnement que l'expérience fait désirer et de ceux que les besoins du siècle réclament, examiner enfin les propositions qui vous sont faites sous l'impression de ces études approfondies.

Nous ne sommes plus, en effet, messieurs, dans la position où se trouvait l'assemblée constituante quand, en 1790, après avoir fait table rase, elle créait de toutes pièces, par les seuls procédés de l'intelligence, sans tenir compte du passé, les nouveaux pouvoirs de l'État, quand elle entreprenait cette grande expérience, qui, si elle n'a pas été heureuse en tous points, témoigne au moins de la sincérité des intentions, de l'élévation des vues, et en général de la sûreté du jugement des hommes à qui elle avait confié la mission de préparer les lois organiques. Ainsi, par exemple, n'est-il pas admirable qu'après un demi-siècle, ayant à retoucher la loi sur les justices de paix, on n'ait à proposer que l'extension, déjà prévue par le législateur de cette époque, de la compétence de ces tribunaux et que l'expérience n'ait fait désirer aucune modification à l'esprit général de cette institution? Il avait donc bien atteint du premier coup le but auquel il tendait, et, messieurs, c'est ce qui est presque toujours arrivé quand la rectitude de son jugement n'a pas été altérée par des considérations tirées de la politique du jour.

73. Avant 1789, l'organisation de la justice en France n'avait rien d'uniforme; chaque province, en venant se fondre dans le grand corps de la nation, y avait apporté ses coutumes et ses tribunaux: ici des justices seigneuriales, ailleurs des bailliages, des présidiaux. Enfin, toutes ces juridictions inférieures différaient, non-seulement dans leur composition, mais aussi dans leur compétence. C'était un dédale inextricable qui réclamait impérieusement une réforme. L'assemblée constituante eut à peine le temps d'y réfléchir : pressée par les événements, elle fut forcée de s'en occuper d'urgence. En général les corps judiciaires étaient mal disposés pour la révolution, et, comme on le sait, à cette époque le fait révolutionnaire dominait le fait législatif. Le 16 août, Thouret s'écriait : « Les tribunaux sont actuellement en vacances; l'époque de leur rentrée est de six semaines. Il est absolument important que les nouveaux tribunaux soient installés incessamment. En commençant dès aujourd'hui les opérations qui doivent donner les élections, à peine nous reste-t-il assez de temps.» Aussi dans cette séance l'assemblée adopta-t-elle la loi qui fut sanctionnée le 24.

74. La pensée du législateur fut de créer au-dessous des tribunaux ordinaires une justice élémentaire, prompte, facile, et pour ainsi dire domestique, qui s'occuperait des affaires minimes, qui « n'exigerait pas l'appareil d'une procédure ruineuse, qui ne demanderait pas d'autres lois que les indications du bon sens, et qui chercherait à concilier les parties dans les causes qui sortiraient de sa compétence, avant qu'elles fussent tortées à un autre tribunal. » Telle fut la définition que le rappordeur donna de cette nouvelle juridiction à laquelle il imposa le nom de justice de paix, emprunté à Angleterre, mais qui n'eut guère que le nom de commun avec l'institution anglaise, dont tous les orateurs

l'objet d'un rapport présenté par M. Gasparin, le 19 juin (1), et fut mis en délibération les 24 et 27 du même mois. Les amende

d'alors paraissent n'avoir qu'une connaissance vague et indéterminée.

Pour avoir une idée complète de ce que l'assemblée constituante se proposait alors de faire, il faut encore écouter Thouret exposant les motifs qui avaient déterminé le comité.-(Ici M. de Gasparin rappelle le passage de Thouret cité ci-dessus no 5, p. 88).

75. Plusieurs questions furent alors posées: -- -1° Les juges de paix devaient-ils avoir une compétence contentieuse, ne devaient-ils pas se borner au rôle d'arbitres et de conciliateurs? Les juges de paix, outre

le rôle qu'ils doivent jouer dans tous les cas, et à quelque tribunal que la cause doive se porter, comme médiateurs et conciliateurs, doivent avoir une juridiction contentieuse pour les causes mobilières et personnelles d'une valeur minime, fixée provisoirement à un maximum de 30 fr. Leur refuser cette juridiction, ce serait manquer entièrement le but, les dépouiller de toute autorité, de tout caractère de pouvoir et de crédit qui sy rattache; ils ne seraient plus alors que des donneurs de conseils infructueux, et ne rempliraient qu'une formalité sans importance. D'ailleurs, il importait au bien général que les petits procès fussent anéantis dès leur origine, n'occasionnassent pas des frais disproportionnés à leur valeur, et n'obligeassent pas les citoyens à des déplacements coûteux.

2o Dans le cas où l'on créerait pour eux un premier degré de juridiction, devrait-on leur attribuer une compétence à charge d'appel? - Audessous de la limite de 50 fr., que l'on n'osait encore dépasser jusqu'à ce que l'expérience eût fait foi de ce que l'on pourrait attendre de cette nouvelle juridiction, il était nécessaire d'attribuer aux juges de paix une compétence plus étendue, à charge d'appel. On objectait que c'était créer un second degré de juridiction, et par conséquent des longueurs et des frais pour toutes les causes d'une valeur de 50 à 100 fr. Mais on ne calcule pas, répondait-on, qu'un grand nombre de jugements de premier ressort seront acceptés par les parties, et ne seront pas portés devant les tribunaux supérieurs, et qu'ainsi on expérimentera, sans danger pour les citoyens, le degré de confiance que l'on peut accorder aux juges de paix; et même dans le cas d'appel, l'instruction se fera devant le juge de paix avec plus de sûreté et d'exactitude, elle dispensera les juges des tribunaux d'enquêtes coûteuses et de délais qui rachèteront les longueurs que l'on pourrait reprocher à l'établissement de deux degrés de juridiction. Ces enquêtes, utiles dans les causes personnelles et mobilières, deviennent indispensables dans les matières indéterminées qui font l'objet de la compétence indéfinie attribuée dans certains cas qui font l'objet de la dernière question. Enfin, l'exécution provisoire attachée aux décisions des juges de paix suffira pour arrêter une foule d'appels qui, trop souvent, n'ont d'autre but que de se soustraire à l'exécution du jugement. L'assemblée se décida donc aussi à créer la compétence à charge d'appel jus→ qu'à 100 fr.

3o En fixant, d'après la valeur des demandes pour les causes personnelles et mobilières une compétence aux juges de paix, faudrait-il, en outre, leur attribuer la connaissance d'autres genres d'actions qui dépendent de l'appréciation seule des faits? - Enfin, un certain nombre d'actions de différentes natures, même immobilières, ne peuvent être sans inconvénient, attribuées aux juges de paix dans les limites de la compétence de 50 fr., et à charge d'appel à quelque somme qu'elles puissent s'élever. Telles sont celles qui ont pour objet des réclamations en dommages, dégradations, réparations locatives, payement de salaires des ouvriers, injures verbales, etc., lorsque les droits de propriété ou de servitude ne sont pas contestés, parce qu'elles dépendent de l'appréciation des faits qui doivent être constatés à l'instant par le magistrat local le plus rapproché; parce qu'elles ne souffrent aucun délai, parce que l'instruction faite sur les lieux profitera, et peut seule profiter au juge supérieur qui, plus tard, n'en trouverait plus les traces; parce que le plus souvent ces affaires sont minimes ou que les parties sont pauvres et seraient privées de toute justice si elles devaient l'aller chercher au loin. L'assemblée adopta encore cette compétence. C'est ainsi que fut déterminée la compétence attribuée aux juges de paix, et tel fut l'esprit qui présida à l'établissement de cette institution.

-

76. Quels en ont été les résulats? ont-ils justifié les espérances des législateurs de 1790? Rien de plus hasardeux, messieurs, que ces conceptions à priori que l'on veut introduire dans la législation. Les bonnes lois sont en général celles qui consacrent et régularisent des habitudes déjà prises, des opinions déjà généralisées dans les masses, des faits audevant desquels s'élancent les nations; mais il est toujours dangereux de livrer un peuple à l'expérience, et l'on se charge d'une grave responsabilité en essayant de l'assujettir à des systèmes abstraits conçus dans le silence de la méditation. Les tentatives de ce genre, et elles ont été nombreuses de nos jours, n'ont pas toutes eu le succès de celle qui nous occupe; mais il faut convenir aussi que dans cette occasion il a été complet. Nous pourrions n'en donner pour preuve que la présentation même d'un projet de loi qui, après un demi-siècle, vient vous demander l'extension d'une compétence qui avait été si controversée, l'approbation qu'il a reçue des cours royales et de la cour de cassation, et l'adhésion unanime de tous les bons esprits. Mais les résultats positifs, ceux qui ressortent

COMPÉTENCE CIVILE DES TRIBUNAUX DE PAIX.-ART. 1.

ments adoptés par la chambre des pairs exigeaient qu'il fût ren

des rapports sur la justice civile, ne laissent aucun doute sur la réalité et le juste fondement de cette opinion.

Ainsi nous voyons, en effet, que sur 491,797 affaires portées devant s juges de paix, en 1854, 275,085 ont été terminées, soit par abandon de procès, soit par arrangement à l'audience; 68,844 ont été terminées par des jugements par défaut ; 139,545 par des jugements contradictoires. Sur ce nombre il n'y a eu que 5,754 appels, dont 1,450 ont été confirmés, et 1,045 seulement infirmés. Ainsi moins de la centième partie des causes soumises aux juges de paix ont été portées devant les tribunaux supérieurs, et 99 sur 100 ont été soustraites aux formalités, aux lenteurs et aux frais de la procédure devant ces tribunaux. C'est par millions que se compte un pareil bienfait, en faisant abstraction d'ailleurs de la paix publique maintenue par la prompte extinction de ces nombreux litiges qui auraient entretenu dans les cœurs tant de ferments de haine - Comme médiateurs des parties, les juges de paix n'ont et de discorde. pas été moins heureux, et dans les affaires qui sortent de leur compétence Ainsi, messieurs, le temps ils ont pu en concilier 38,454 sur 97,558. a prononcé, et l'institution des justices de paix, avec les attributions déterminées par l'assemblée constituante, se trouve solidement établie sur la double base de la raison et de l'expérience.

Ces heureux résultats ont été appréciés par l'opinion bien avant d'être vérifiés par les chiffres. On se demandait depuis longtemps s'il n'y avait pas lieu à étendre les limites d'une compétence qui avait de si bons effets. L'assemblée constituante elle-même avait prévu qu'un temps viendrait où on pourrait l'accuser de timidité dans leur fixation, et l'art. 9 du tit. 3 de la loi du 24 août 1790 se terminait par ces mots : « Les législatures pourront élever le taux de cette compétence.» Le moment paraissait venu pour tout le monde d'accomplir cette prévision. On regrettait aussi que certaines actions qui exigeaient une terminaison prompte ne fussent pas attribuées aux juges de paix : telles étaient les contestations entre les aubergistes et les voyageurs, celles relatives aux baux et loyers, les actions en hornages, etc., etc. li s'agissait, en un mot, de mettre en pratique celle pensée de Thouret : « Que la loi doit défendre de mettre à une loterie où l'on ne gagne rien, si l'on ne perd pas, » et de compléter l'établissement de cette « justice élémentaire, prompte, facile et pour ainsi dire domestique; » qui n'exigerait pas pour les causes minimes ou urgentes, consistant non en appréciation de titres de propriétés ou de conventions, mais en simple appréciation de faits, « l'appareil d'une procédure rui

neuse. >>

Celle pensée était dans tous les esprits; tous désiraient devoir augmenter les attributions de la justice élémentaire et domestique. Et ne croyez pas, messieurs, que celte tendance eût rien d'offensant pour nos tribunaux civils: le respect pour notre magistrature n'a cessé de s'accroitre chaque jour, à la vue de son zèle, de son intégrité, de son désintéressement et de sa capacité; non, messieurs, ce vœu général n'attaquait en rien sa considération, mais il était un hommage aux succès oblenus par les juges de paix et le résultat des progrès de la civilisation et de la richesse de notre patric.

C'est dans l'esprit qui a présidé à l'établissement des justices de paix, dans celui qui anime les populations impatientes d'obtenir leur perfectionnement, que nous devons examiner le projet de loi qui vous est présenté, et les amendements que votre commission a jugé nécessaire d'y apporter. 77. Ce projet n'a pas la prétention d'être un code complet sur les justices de paix. Il établit par les art. 1-5 les nouvelles règles de la compéteace des juges de paix, et sous ce rapport il remplace complétement la loi du 24 août 1790, dont les art. 9 et 10 du tit. 5 se trouvent ainsi Les art. 6, 7, 8 établissent enfin des principes sur les quesabrogés. tions contestées des demandes reconventionnelles jointes à l'action principale. L'art. 9 enlève avec raison, ce nous semble, à la compétence des juges de paix les actions qui concernent les brevets d'invention. L'art. 10 transmet aux juges de paix le pouvoir, réservé jusqu'à ce jour au président du tribunal de première instance, pour autoriser la saisiegagerie, toutes les fois que les causes rentrent dans leur compétence.-Les art. 11 et 12 tendent à rendre obligatoire l'avertissement facultatif qui, par le zèle de beaucoup de juges de paix, avait remplacé la cédule exigée Les art. 15, 14, 15 et 16 remplacent par la loi du 26 octobre 1790.les art. 16 et 17 c. pr. civ., relatifs à l'exécution des jugements et aux appels.-L'art. 17 modifie la loi du 27 vent. an 8, qui, par son art. 77, donnait ouverture à cassation contre les jugements en dernier ressort des juges de paix pour cause d'incompétence et d'excès de pouvoir; il borne la possibilité du recours à l'excès de pouvoir, à l'exclusion de l'incompéLes art. 18, 19 et 20 ont trait au service des huissiers près les lence. justices de paix.

Telles est l'idée générale que l'on peut se former de la loi, complète sous le rapport de la compétence, et se bornant à faire des améliorations de détail dans la procédure et la police intérieure du tribunal de paix. Nous allons suivre et apprécier dans les details toutes ces propositions, selon l'ordre des articles du projet.

78. Art. 1. Après avoir cédé à l'entraînement général qui réclamait l'extension des attributions des juges de paix, l'on a cherché à mo

voyé à l'autre chambre, lorsque le renouvellement de la législa

tiver, à formuler cet entraînement. Sa cause n'est pas, comme on a voulu
quelquefois le dire, l'accroissement de valeur des choses nécessaires à la
vie. En effet, le prix du blé, base de la nourriture de notre population,
est le même qu'en 1789; le vin, les étoffes ont diminué de prix. Mais il
est vrai de dire qu'une plus grande aisance a imposé un plus grand nombre
de besoins, que la nourriture est plus choisie, les vêtements meilleurs et
plus souvent renouvelés, que les habitations sont plus solides, plus sai-
nes, le mobilier d'une plus grande valeur; en un mot, que quoique
chaque article de la dépense, comparé dans les mêmes qualités, ait baissé
de prix, comparativement à la fin du siècle dernier, cependant la vie est
plus chère, parce qu'elle est meilleure. L'élévation des salaires en est la
mesure et la preuve. Il s'ensuit nécessairement que les transactions ont
lieu sur de plus grandes valeurs, que les contestations ont pour objet des
sommes plus considérables, et qu'ainsi il est vrai de dire que l'importance
des affaires fixées au maximun de 50 fr. n'est plus la même qu'en 1789.
Cet effet se porte-t-il au double de ce qu'il était alors, et motive-t-il suf-
fisamment l'augmentation proposée ? Cela pourrait être douteux. Mais si
l'on fait entrer en ligne de compte le prix que le temps a acquis pour tous
les hommes de ce siècle d'industrie et d'entreprise, et les avantages
qu'ils peuvent retirer d'une abréviation de formes, on pourra se convaincre
que le maximum de 100 fr. n'a pas une importance plus grande que celui
de 50 à la fin du siècle dernier.

On a objecté que l'extension de la compétence des juges de paix pourrait ramener auprès de leur tribunal ce fléau des praticiens ignorants e cupides que l'assemblée constituante avait cherché à en bannir. Mais si les déductions que nous vous avons présentées sont vraies, si, en effet, 100 fr. ne présentent pas aux yeux des populations une plus haute idée que celle 50 fr. d'autrefois, cette objection tombe d'elle-même, et il n'y a pas de raison pour que les praticiens viennent aujourd'hui chercher un procès qu'ils auraient dédaigné auparavant.

79. Votre commission n'hésite donc pas à vous proposer l'adoption de cet article; mais elle a cru devoir y ajouter un paragraphe qu'il me reste à justifier. Elle vous propose d'étendre cette juridiction aux affaires commerciales, dans la limite de la compétence attribuée aux juges de paix - Un abus très-fréquent, signalé par l'article, dans les lieux où le tribunal de première instance remplira les fonctions de tribunal de commerce. par un grand nombre de réclamations, a attiré l'attention particulière de la commission. A l'effet d'obtenir des moyens d'exécution plus prompts et d'effrayer leurs débiteurs par la sévérité d'une juridiction qui ne transige pas sur le défaut d'exactitude dans les payements, les créanciers font souscrire à de simples cultivateurs des effets qu'ils savent rendre passibles de la compétence des tribunaux de commerce, en les revêtant de toutes les formes sans lesquelles ils en seraient exclus, d'après les art. 636 et 637 c. com. On élude ainsi la compétence paternelle des juges de paix; on porte au dehors de l'enceinte du canton des affaires entachées de fraude el d'usure, que l'on veut dérober à l'indignation de ses concitoyens et à la vigilance du magistrat local, qui s'interposerait pour prévenir la spoliation des familles. Ce mal est grand, messieurs, et votre commission a cru devoir vous proposer l'adoption d'un amendement qui doit contribuer à en On nous opposera que la nature des causes commertarır la source. → ciales, les connaissances pratiques qu'elles exigent, les vérifications des comptes et des livres, sortent du cercle babituel des connaissances des juges de paix. Nous avons été complétement rassurés par les hommes les les plus versés dans la jurispruplus au fait de la nature de ces causes, dence commerciale. Ils pensent que les causes qui seront soumises aux aucune des difficultés que l'on peut prévoir, et que, dans tous les cas, les juges de paix, en vertu de notre amendement, ne peuvent donner lieu à lumières du simple bon sens peuvent suffire pour les décider.

80. Art. 2.-La rapidité et la fréquence des voyages sont devenues un des besoins les plus impérieux de l'état de notre industrie et de notre civilisation. Au nombre des facilités que l'on pouvait attendre de notre législation se trouvait, sans nul doute, celle de procurer une solution prompte et peu dispendieuse aux différends qui s'élevaient entre les voyageurs et venir qu'en les faisant juger le plus souvent possible par les juges de paix, les aubergistes, les ouvriers et voituriers. On ne pouvait mieux y par Le gouvernement a pensé qu'il suffisait pour cela d'étendre leur compétence à charge d'appel jusqu'à 1,000 fr,, et qu'il était inutile de toucher à la compétence sans appel. Ainsi les juges de paix décideront sur presque toutes ces contestations, qui ne peuvent être appréciées que par la connaissance des faits, sur les lieux et à l'instant même ; et leurs jugements seront vraisemblablement acceptés comme définitifs par les parties, qui, dans le cas dont il s'agit, sont toujours dans une position à désirer pardessus tout une prompte terminaison.

Cependant une difficulté s'est présentée. On conçoit très-bien que si la demande est formée par le voyageur, la cause soit portée au domicile du défendeur, qui est le lieu même où le fait qui la motive est arrivé; on conçoit aussi que si le demandeur est l'aubergiste ou l'ouvrier, une saisie-gagerie des effets du voyageur, déjà prévue par l'art. 822 c. pr., puisse ramener l'affaire devant le même juge de paix. Mais si la dette excède la valeur des effets, si la contestation a licu entre un voiturier forain et un voyageur, fau

ture vint annuler les travaux commencés. Une nouvelle présentation

dra-t-il dans le premier cas que l'aubergiste cite le voyageur à son domicile, souvent éloigné? Qu'arrivera-t il s'il n'est pas Français, et qu'il appartienne aux régions éloignées? Enfin où se portera le litige entre le voiturier et le voyageur, tous deux étrangers? On doit remarquer que presque tous ces cas sont évidemment des cas rares; qu'il arrive rarement que les effets du voyageur ne suffisent pas pour répondre de la dépense; que le plus grand nombre de voyages se faisant aujourd'hui par des voitures publiques, leurs administrations ont un domicile fixe. Votre commission n'a pas voulu, plus que le gouvernement, déroger aux règles du droit commun et changer le caractère de la loi, qui s'attache à régler la compétence par rapport à la matière et non par rapport aux personnes, pour pourvoir à des besoins qui ne se sont pas encore fait sentir. Elle vous propose donc d'adopter l'article du gouvernement.

81. Art. 3.-La loi du 24 août 1790 avait déjà créé pour un certain nombre de causes une nature de compétence non plus sur la valeur des demandes, mais sur la nature même des contestations. L'expérience a fait reconnaître la nécessité d'en étendre la nomenclature. Les nombreuses difficultés qui s'élèvent pour le payement des baux à ferme et à loyer ont excité le plus grand nombre des réclamations, et l'article que nous examiDons s'en occupe d'abord. A considérer la question en général, il n'est pas douteux que les formes requises aujourd'hui relativement aux payements de loyers et expulsions de lieux ne soient une cause de ruine pour les propriétaires, qu'elles mettent à la merci des locataires. Les frais nécessaires pour obtenir un jugement ajoutent à une dette qui seule excède souvent les moyens du débiteur; la durée du procès l'accroît encore par l'échéance de nouveaux termes. Pendant ce temps le propriétaire ne peut disposer de sa propriété. Aussi en voit-on un grand nombre préférer l'abandon de leur créance, à condition de la retraite immédiate du locataire, à une demande en justice qui, en prolongeant et aggravant la situation, le laisserait sans gage suffisant pour obtenir le payement. Cette situation intolérable ne pouvait se prolonger. Elle est attentatoire aux droits de la propriété; elle favorise la mauvaise foi, et tend à démoraliser les classes inférieures, qu'elle accoutume à se jouer de ses promesses en se mettant à couvert sous les formes judiciaires, faites pour protéger la justice et non la déloyauté.

82. La même question considérée dans ses détai's a fait naître quelques objections.-Fallait-il établir plusieurs limites pour le prix des baux sur lesquels le juge de paix a le droit de prononcer? et si l'on accordait celle de 400 fr. à Paris, n'y avait-il pas lieu d'assigner aussi une limite supérieure au reste de la France, aux grandes villes et à quelques populations industrielles, où le prix des loyers se trouve naturellement plus élevé? On a considéré d'abord que pour Paris le plus grand nombre des loyers étaient au-dessous de 400 fr., et que ce prix pouvait être considéré comme la limite des loyers de la classe ouvrière, celle qui avait le plus besoin d'une solution prompte et sans frais. La ville de Lyon a réclamé vivement pour que la limite de la compétence fût portée pour elle au même taux, ou au moins à 300 fr. Elle se fondait sur le haut prix des loyers qui égalent ceux de Paris, sur le nombre considérable de loyers destinés à l'établissement de métiers à étoffes et s'élevant au-dessus de 200 fr., enfin sur l'assimilation de la ville de Lyon à celle de Paris pour les frais de justice (décret du 16 février 1807), qui fait peser sur les propriétaires une charge qui n'est pas en rapport avec celles qu'ils supportent dans le reste de la France, pour obtenir leur payement en justice. Malgré ces vives réclamations, votre commission a pensé, comme le gouvernement et l'autre chambre, qu'il était difficile d'établir dans la loi des distinctions qui ouvriraient la porte aux réclamations d'un grand nombre de villes, quand il était impossible de fixer des limites certaines, et quand le chiffre de la population lui-même n'établissait pas suffisamment la nécessité des exceptions, puisque des villes d'une petite population se trouvaient placées par l'accroissemeut de leur industrie dans des situations semblables à celle des villes les plus peuplées.

85. Les objections élevées contre la faculté donnée au juge de paix de prononcer la résiliation des baux ont paru à votre commission n'avoir point de fondement solide, dès qu'elle était restreinte au seul cas de nonpayement des loyers, et qu'il n'avait pas à apprécier les conditions des contrats de louage. Le droit d'autoriser les saisies-gageries lui a paru aussi être une conséquence nécessaire de celui de statuer sur les demandes en payement de loyers et sur les expulsions de lieux. Le leur refuser, ce serait, en effet, créer deux compétences pour l'exécution du même acte.

On avait demandé de comprendre les baux à cheptel dans les attributions données par cet article au juge de paix. Mais ces actes sont de leur nature tellement variables, ils échappent tellement à toutes les prévisions, l'introduction de races distinguées d'animaux donne un tel prix à certains produits, que otre commission a pensé, avec le gouvernement, qu'il fallait suspendre toute décision à cet égard, et attendre que cette matière eût été étudiée dans tous ses détails et dans ses innombrables variétés, avant de la soumettre à de nouvelles règles.

84. Art. 4.- Cet article reproduit une partie des objets déjà mis par la loi du 24 août 1790 sous la compétence des justices de paix. Il en complète la nomenclature, en y joignant les contestations relatives aux mois

faite à la chambre des pairs, le 15 janv. 1838, fut suivie d'un

de nourrice, qui rentrent parfaitement dans le cadre de ces causes minimes que les juges de paix peuvent seuls terminer. A l'égard des contestations entre les maîtres et les ouvriers ou apprentis, elle a cru que l'on devait ajouter à cette nomenclature les commis de maisons de commerce, sans déroger aux cas qui pourraient entrer dans la compétence des tribu naux de commerce. Enfin elle a cru devoir enlever à l'art. 5, et reporter à l'art. 4, ce qui concernait les réparations locatives des maisons et fermes, mises par la loi à la charge du locataire. Il est bon que le juge do paix puisse prononcer définitivement sur ce genre de contestations dans l'étendue de sa compétence, et éteigne ainsi des actions de peu d'importance que l'appel grossirait inutilement de frais. D'ailleurs l'analogie lui a semblé complète entre ces actions et celles qui sont énumérées dans le premier paragraphe de l'article. Cette addition en formera le second paragraphe.

Quelques personnes auraient voulu, pour le bien de la paix, et pour terminer sans scandale des contestations qui sont une source de haines, que la diffamation écrite fût jointe dans le § 4 aux diffamations verbales qui sont mises sous la compétence des juges de paix; mais la commission a pensé que si les injures pouvaient être appréciées sans difficulté il n'en était pas de même de la diffamation, et qu'ici se présentaient des appréciations délicates, et qui nous feraient entrer trop avant dans le domaine des procès de presse, réservés aux tribunaux supérieurs. Elle n'a donc pas admis cette addition.

85. Art. 5.-Toutes les actions qui sont restées dans cet article sont peu susceptibles d'appréciation préalable. On ne pouvait donc assigner une limite en argent à la compétence du juge. Elles touchent d'ailleurs à des droits de propriété ou d'usage qui pourraient être comproniis par un jugement en dernier ressort, dont le recours serait irremédiable. C'est donc toujours à charge d'appel que le juge de paix devra prononcer. La loi nouvelle ajoute avec raison à la nomenclature de 1790 les actions en bornage et celles relatives à la distance prescrite par la loi pour les plantations d'arbres et de baies. Cette disposition éteindra de bonne heure une foule de contestations de peu d'importance. Les pensions alimentaires minimes lui ont paru aussi, comme au gouvernement, devoir trouver place dans cet article. Nous avons l'espoir que cette disposition mettra un terme au scandale de la dureté des enfants qui résistaient souvent aux justes demandes de leurs parents, parce qu'ils savaient que leur pauvreté leur rendait impossible d'entreprendre un procès coûteux.

Mais votre commission a considéré que les dégradations et pertes pour les cas prévus par les art. 1752 et 1755 c. civ., celles causées pour incendie et inondations, et les indemnités réclamées au propriétaire par lo fermier pour cas de non-jouissance, pouvaient dans bien des cas devenir assez importantes, assez sérieuses, assez compliquées, pour que la compétence en dernier ressort ne restât pas dans une complète indétermination. Elle a donc cru devoir l'arrêter a la limite de 1,000 fr., qui est celle à laquelle les tribunaux de première instance prononcent en dernier ressort. Elle a fait de ces différents cas l'objet d'un nouvel article.

86. Art. 6. Les demandes reconventionnelles ont lieu lorsque le défendeur forme dans la même instance une ou plusieurs contre-prétentions. Pour pouvoir introduire ainsi pendant l'instance sur l'action priacipale une demande incidente, il faut qu'elle soit connexe, et même forme défense à l'action originaire; qu'elle ait une influence quelconque sur le sort de celle-ci, en un mot, qu'elle ait pour objet de l'anéantir ou de la restreindre, comme par exemple quand elle tend à établir une compensation, comme quand on oppose une créance à une dette, à l'effet d'operer l'extinction des deux dettes, jusqu'a due concurrence. Telle est l'idée que les jurisconsultes se forment de ce genre d'action.

Mais ils ont eté divisés entre eux et avec les tribunaux sur le sort de ces demandes. Henrion de Pansey (Compétence des juges de paix, ch. 8), et Merlin (Quest. de droit, v° Dernier ressort, § 2), estimaient que la valeur de la demande originaire déterminait le degré de juridiction, sans avoir égard aux demandes reconventionnelles. Au contraire, la cour de cassation avait décidé à plusieurs reprises que la demande reconventionnelle et la demande primitive devaient être cumulées pour déterminer le degré de juridiction. Mais cette même cour, délivrée des entraves de la légalité, ayant à se prononcer par les seules lumières de la raison, a ap prouvé le projet du gouvernement, qui, en réglant la nouvelle compétence des justices de paix pour cet article, voulait qu'elle fût établie sur la valeur isolée de chaque demande particulière, et non sur le chiffre total do toutes ces demandes. Il paraît évident, en effet, que chacune de ces demandes forme un procès distinct, et qu'ainsi le juge de paix est compétent pour prononcer sur chacun d'eux en particulier. Si la loi permet qu'ils soient jugés sur une seule instance, c'est entièrement pour la commodité des parties, et pour leur épargner des procédures et des frais.

Le second paragraphe de l'article donne au juge de paix le droit de prononcer sur les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts, fondées exclusivement sur la demande principale, à quelque somme qu'elles puissent monter. Une pareille demande n'est évidemment qu'un accessoire de la demande principale, et doit en suivre le sort. En décidant autrement, on remettrait à l'arbitraire des plaideurs le choix des juridictions, puis

COMPETENCE CIVILE DES TRIBUNAUX DE PAIX. ART. 1.

second rapport de M. Gasparin, le 31 du même mois. La discus

qu'il leur suffirait d'élever des prétentions à des dommages-intérêts excessils pour se soustraire à la compétence des tribunaux de paix.

87. Art. 7.-Les deux premiers paragraphes de cet article sont la conséquence naturelle des principes exposés à l'occasion de l'article précédent: ils confirment la compétence accordée au juge de paix, en la resLe dernier paragraphe a pour but treignant dans ses justes limites. d'empêcher que l'introduction d'une demande reconventionnelle excessive ne donne aux plaideurs les moyens d'échapper encore à la juridiction assignée à la demande principale. Dans ce cas, le juge de paix pourra disjoindre les causes, qui n'étaient réunies que pour la facilité et l'intérêt des parties, et retenir le jugement de la demande principale, en renvoyant la demande reconventionnelle devant le tribunal competent.

88. Art. 8.-Dans les articles précédents, en a cherche à se mettre en garde contre le défendeur qui chercherait, par subterfuge, à tromper le vœu de la loi, en éludant la juridiction qu'elle lui assigne. Celui qui nous occupe semble mettre le choix de cette juridiction à la discrétion du demandeur. Qu'il réunisse dans la même instance plusieurs demandes dont la valeur totale s'élèvera au-dessus de 100 fr., et il échappe à la compétence de la justice de paix, et le juge de paix est incompétent dans toutes ces demandes, qui chacune en particulier rentraient dans ses attributions.-En présentant cet article, le gouvernement a pensé que décider le contraire serait favoriser une extension arbitraire de la compétence, soumettre aux juges de paix des questions difficiles sur la divisibilité des demandes, et faire naître des procès préjudiciels sur la question de savoir si ces demandes proviennent ou non de causes différentes.

89. Art. 9. Votre commission ne peut que donner son adhésion à la disposition qui enlève au juge de paix la connaissance des actions concernant les brevets d'inventions. Les développements de l'industrie, le caractère sérieux des contestations de ce genre, l'importance qu'elles peuvent avoir, la délicatesse des questions scientifiques et industrielles qui s'y rattachent, semblent en effet les exclure de la juridiction élémentaire des justices de pais.

90. Art. 10. - Les juges de paix qui ont voulu accomplir dignement leur double mission de tribunal de famille et de magistrat, ceux qui, ne se rebutant pas des difficultés de la conciliation, ne se sont pas retranchés fièrement dans leur compétence contentieuse, et ont compris que si leur role comme juges est celui du tribunal le plus inférieur, celui qu'ils ont à remplir comme médiateurs les élève au niveau de toutes les magistratures, ent introduit depuis longtemps l'usage de faire précéder la citation d'un avertissement tout officieux, invitant ainsi sans frais les parties à se présenter devant lui. Le succès de ces avertissements préalables a été complet; ils ont remplacé presque entièrement les citations dans les pays où le juge de paix a su s'attirer la considération et la confiance. Les parties, eny voyant des effets volontaires de la bienveillance du juge, ont accordé au bon procédé une déférence qu'ils auraient peut-être refusée à la citation elle-même.

La chambre des députés a cru voir dans cet assentiment général le caractère que nous avons dit être celui des bonnes lois qui régularisent les habitudes prises, qui sanctionnent les faits au devant desquels s'élancent les nations. Elle a rendu obligatoires les avertissements facultatifs antérieurs Votre à la citation. Le gouvernement est venu vous proposer, mais avec une sorte d'hésitation, de sanctionner le vœu de l'autre chambre. commission n'a pas pensé, messieurs, que la prescription que l'on voudrait introduire dans la loi laissât le fait entier et identique. Elle a cru qu'en rendant les avertissements obligatoires, on courrait le risque de les dénaturer; qu'on compromettrait toute leur efficacité du moment où ils cesseraient d'être un acte spontané et paternel du juge, d'être la preuve de l'intérêt qu'il porte à ses concitoyens, et qu'ils deviendraient l'obliga · tion légale d'un greffier. Dès lors ils ne seraient plus qu'une première cidation sans frais, que l'on négligerait en attendant la citation sérieuse, et peut-être verrait-on bientôt chez les juges animés d'un véritable esprit de conciliation de nouvelles lettres facultatives précéder le premier averLissement obligatoire, et l'on n'aurait ainsi obtenu qu'un accroissement de délais.

De plus, cette nouvelle obligation imposée aux plaideurs les forcerait à plusieurs déplacements successifs pour obtenir l'avertissement du greffier, se rendre à l'audience préalable, faire citer et se trouver à l'audience définitive, et ajouterait ainsi, sans résultat, aux fatigues et aux pertes que les formalités de la justice leur imposent. On n'a pas prévu, d'ailleurs, les difficultés que la transmission régulière de ces avertissements allait rencontrer. De quelle manière les greffiers les feraient-ils tenir sûrement aux parties? Ajouterait-on aux autres frais préalables ceux d'une lettre chargée qui les obligerait à venir signer une décharge? Remettrait-on l'avertissement à la partie adverse, qui pourrait le soustraire? Enfin, emploierait-on le ministère d'un buissier, auquel il faudrait alors accorder des frais de déplacement? On conçoit que l'avertissement étant devenu une formalité essentielle, il faudrait pouvoir constater sa remise d'une manière certaine.

Toutes ces difficultés, et plusieurs autres encore que nous avons dù passer sous silence, mais qui n'ajouteraient rien a la fore celles que

sion eut lieu le 5 février. — Reporté, le 15, devant la chambre

nous venons de vous présenter, ont décidé votre commission à vous pro-
poser le rejet de l'art. 11 de la loi. Nous resterons ainsi sous l'empire da
code de procédure; la citation sera seule obligatoire, et nous comptons
assez sur le bon esprit qui anime les juges de paix pour espérer que l'u-
sage des avertissements, dans tous les cas où ils les croiront utiles, se
généralisera de plus en plus, et sera entre leurs mains un moyen puissant
pour amener les affaires à une bonne conciliation.

91. Art. 12. Le rejet de l'art. 11 entraîne celui de l'art. 12, qui ea est la conséquence.

Art. 15. Les art. 17 et 155 c. pr. veulent que les jugements des juges de paix soient exécutoires par provision, nonobstant appel, jusqu'à concurrence de 500 fr., et dans le cas où il y a titre authentique, promesse reconnue ou jugement précédent dont il n'y a pas appel. Dans les autres cas, ils peuvent ordonner l'exécution provisoire, mais à la charge de donner caution. En étendant la compétence des juges de paix, le gouvernement n'a pas pensé, comme les auteurs des projets précédents, qu'il fût nécessaire d'étendre aussi leurs pouvoirs relativement à l'exécution; il a même cru nécessaire, attendu les graves préjudices qui pourraient résulter d'une exécution provisoire, si elle était dans tous les cas obligatoire, de rendre l'exécution provisoire, nonobstant appel, facultative pour le juge, qui pourra mais ne devra pas nécessairement l'ordonner. Cette exécution aura lieu sans cautionnement quand il s'agira de pension alimentaire ou de valeurs jusqu'à 500 fr., et avec caution au-dessus de cette somme. L'exécution provisoire sera de droit dans le cas où il y aurait titre authentique, promesse reconnue ou condamnation précédente, - Mais la nouvelle loi, en attribuant au dont il n'y aurait pas appel. juge de paix la faculté de recevoir lui-même la caution, dispense, avec raison, les parties du ministère des avoués et des frais de greffe du tribunal de première instance. La simplicité d'un pareil acte n'exigeait pas ce grand appareil de formes.

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92. Art. 14. Il se présente des cas où l'exécution des jugements ne peut être assurée que par sa rapidité, et où le moindre délai la rendrait impossible. La loi (c. pr., art. 811) permet alors au président du tribunal de première instance d'ordonner l'exécution sur la minute même du jugement. Si l'on considère le caractère d'urgence d'un grand nombre de causes qui sont remises à l'appréciation des juges de paix, on concevra qu'une pareille faculté ne pouvait leur être refusée : c'est ce que dispose l'art. 14, que votre commission vous propose d'adopter.

95. Art. 15. Le but de cet article est de réduire de trois mois à un le délai pendant lequel on peut appeler des jugements des juges de paix. Le délai actuel a toujours paru excessif; c'est celui accordé pour l'appel des jugements des tribunaux d'arrondissement. Mais à ce degré de juridiction les causes sont plus compliquées, elles tiennent à l'appréciation des titres, des conventions et des questions d'État. Trois mois peuvent être nécessaires pour donner le temps aux parties de consulter sur leurs droits. Nous avons pensé avec le gouvernement que trente jours doivent suffire pour les causes de la justice de paix. Pour éviter qu'emportés par la chaleur et l'irritation qui suit une condamnation, les plaideurs n'introduisent, sans réflexion, une demande d'appel, l'article prescrit un délai de trois jours pour qu'il soit recevable. Ce délai est de buit jours devant les tribunaux de première instance.

94. Art. 16. Cet article consacre pour les justices de paix des prin cipes de droit commun pour les autres juridictions; mais aussi il défère aux tribunaux de première instance les questions de compétence qui étaient dans les attributions de la cour de cassation. Nous aurons occasion de traiLe dernier paragraphe de l'arsi ter ce point au sujet de l'article suivant. ticle a pour but d'opposer une nouvelle digue à l'esprit de chicane, souvent attaqué par les dispositions de cette loi. Le jugement de compétence du juge de paix ne pourra être porté en appel qu'après le jugement définitif. On voyait trop souvent la décision des affaires arrêtée entre leurs mains pour un appel sur la compétence qui paralysait la justice, en faisant naître des délais d'autant plus funestes qu'il s'agissait de petits intérêts.

95. Art. 17.-L'art. 77 de la loi du 27 vent. de l'an 8 donne ouverture en cassation contre les jugements en dernier ressort des juges de paix, seulement dans le cas d'incompétence et d'excès de pouvoir. Le projet de loi actuel renvoie devant les tribunaux civils l'appel des questions de compétence; il ne réserve à la cour de cassation que les cas d'excès de pouvoir. Si, dans le cercle actuel de la compétence, les recours sont si rares que quatre années n'ont donné lieu qu'à trois pourvois en cassation contre des jugements définitifs de justices de paix, on conçoit que cette question n'ait d'autre intérêt que celui des principes.

Il est bien évident que si, mal à propos, le juge de paix a qualifié de jugement en dernier ressort un jugement qui excède sa compétence, il doit y avoir appel contre ce jugement, et que le tribunal civil peut alors res saisir sa compétence propre. On ne fait qu'étendre ici ce que le code de procédure, art. 454, prescrit pour les tribunaux civils eux-mêmes.

96. Quant aux excès de pouvoir, ces actes dans lesquels le juge sort nonseulement des limites de sa compétence, mais de celles mêmes du pouvoir judiciaire auquel il appartient, où il prononce, par exemple, par voie réglementaire, où il s'immisce dans l'administration, on conçoit qu'une au

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