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L'ASSEMBLÉE DES OMBRES, ou l'Immortalité de J. J. Rouffeau aux Champs-Elifées, par M. DE LA HOUSSAYE. A Paris, chez la Ve. Duchefne, & chez Jombert fils, Lib. Prix, 1 liv. 4 f.

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CETTE apothéose vient un peu tard, dirat-on: mais enfin, pourroit répliquer l'Auteur, vaut mieux tard que jamais. D'ailleurs l'intérêt qu'infpire la mémoire d'un grand homme, n'est pas moins durable qu'univerfel. Un Ouvrage dramatique confacré à l'honneur du Philofophe de Genève, ne peut manquer d'attirer en foule, au Théatre, tous ceux qui lifent & admirent fes écrits; & ce nombre n'eft pas facile à déterminer. On faura gré à M. de la Houffaye d'avoir ellayé de faire paroitre & applaudir fur la Scène, l'Ombre toujours folitaire de ce Philofophe fi juftement célèbre.

L'Editeur de la Pièce penfe qu'elle doit réuffir, fi elle eft repréfentée par de bons Acteurs, fielle eft accompagnée d'une bonne mufique, & embellie de la pompe des décorations. Il ne doute pas que le jeune Com pofiteur, à qui l'on doit la mufique des Promelles de Mariage, ne doive obtenir un fecond fuccès, s'il fe charge d'exprimer dans l'Affemblée des Ombres, une foule d'images pittorefques, qui doivent ajouter à la magnificence de la repréfentation. Ce Mulicien a montré, dans son début, une

imagination riche, une tête vraiment murficale, & un talent qui lui promet de nouveaux applaudiffemens. Venons au plan de la Pièce, & traçons-en une efquifle rapide. L'Ouvrage eft diftribué en deux Actes : c'eft ce qu'on appelle une Pièce à tiroir; & il ne pouvoit pas être autre chofe. La Scène s'ouvre par un fpectacle impofant. Pluton paroît allis fur fon trône, environné des Juges infernaux, Minos, Eaque, & Ra damante. L'augufte Vérité, à laquelle le Citoyen de Genève s'étoit confacré durant fa vie, & pour laquelle il a éprouvé tant de perfécutions, préfente à Pluton une Requête: elle demande que les partifans & les admirateurs de Rouffeau ayent la liberté de lui offrir leurs hommages dans les ChampsElifées. Les vœux de la Vérité font écoutés. Le palais du Roi des Morts' difparoît. Les champs du Bonheur le remplacent. Ce coup d'œil magnifique étonne la Vérité. Julie d'Etanges & fon Amant font les premières Ombres. L'un & l'autre brûlent aux Champs-Elifées des mêmes feux dont ils brûloient fur la terre. La Vérité les conduit au bolquer folitaire, qui dérobe à tous les regards l'Ombre du Philofophe. Une bonne mère vient enfuite, accompagnée d'une jeune fille qui lui doit doublement la vie, puifqu'elle en a été allaitée: Un enfant, qui ne veut pas quitter fa Nourrice, ni voir celle qui lui a donné le jour, parce qu'elle l'a aufli tôt abandonné aux mains d'une étran

gère, offre à toutes les mères, qui ne le font pas plus que la fienne, une leçon trop frappante pour étte oubliée. Les Ombres de la bonne Mere, de la Nourrice & des jeunes enfans, s'avancent avec reconnoiffance au bofquc de l'Auteur d'Emile. Suit une fcène entre Llli & Rameau, relative aux changemens arrivés dans la mufique. Le premier Acte de termine par un Divertillement analogue au genre & au caractère de cette fcène.

Le fecond Acte s'ouvre par une fcène entre Sophie & Enile. On fait avec quel intérêt l'eloquent Génevois a écrit cette dernière partie de fon Traité d'éducation. Touchante Sophie, jeune & vertueux Emile, dans l'Ouvrage qui porte votre nom, vous nous raviffez, vous nous rempliffez de cette indéfiniffable ivreffe, qui n'appartient qu'au premier délire de l'amour auprès de la beauté. M. de la Houffaye a cherché à retracer fur la Scène ces douces émotions. A peine ces jeunes Amans, qui vont rejoindre leur Maître, ont ils quitté le théatre, le Fanatifime fort du fond de l'Enfer, entouré de Furies. D'une main il tient un poignard, de l'autre ane torche ardenté. Il fe précipite vers le bofquet du Philofophe qui a combattu ce Monftre toute fa vie. La Vérité frémit, & s'oppose à fa rage. Elle invoque une feconde fois la puiffance de Pluton; le Spectre affreux retombe dans l'abîme. La Vérité apoftrophe

Jupiter elle fe plaint des attentats du Fanatifime, trep fouvent renouvelés fur la terre. L'Immortalité defcend fur un char lumineux; elle confole la Vérité, & lui dit que l'éternelle paix & le bonheur durable ne fe trouvent que chez les Morts. Le bofquet felitaire, qui cache l'Ombré du Philofophe, s'entr'ouvre, & la couronne eft mife fur fa tête par les mains de la Déelle. Tous les Acteurs du Devin du Village affiftent à l'apothéofe. Un Divertiffement termine certe fête donnée à une Ombre célèbre, que l'imagination fe plaît à voir errer fous les peupliers d'Ermenonville, & que M. de la Houffaye auroit voulu tranfporter fur la Scène. Son idée eft heureuse : mais la représentation feule peut faire juger fi elle eft bien exécutée. Nous fouhaitons que l'Auteur parvienne enfin à obtenir des Comédiens le droit d'être jugé par les Spectateurs, foit au Théatre François, folt à la Comédie Italienne.

LES FRANÇOISES, Ou trente-quatre Exemples choifts dans les mœurs actuelles, propres à diriger les filles, les femmes, les époufes & les mères; 4 vol. in-12. A Neuchâtel; & fe trouve à Paris, chez Guillot, Libraire, rue St-Jacques.

L'AUTEUR de cet Ouvrage (M. Rétif de la Bretonne) a voulu donner un Cours de

Morale pratique pour les femmes; le titre feul en indique le plan, & la multiplicité des Exemples qu'il a imaginés, nous interdit la voie de l'analyfe. Le premier volume eft confacré aux filles; le fecond, aux femmes ; le troisième, aux époufes ; & le quartième, aux mères. Ces exemples font parfemés de lectures, morales auffi, fur différens fvjets. Il s'y trouve des Ouvrages dramatiques de différens genres, mais tous d'un genre qu'en ne connoiffait point ailleurs; telle eit notamment la Cigale & la Fourmi, Fable dramatique, Pièce dans laquelle, en faveur de la morale, de jeunes garçons s'habillent en fourmis, & de jeunes filles en cigales. On fent que les plus petits garçons formeront toujours d'affez groffes fourmis. En général, cet amour des chofes bizarres gâte fouvent le talent de cet infatigable Ecrivain. Cette bizarrerie qui fe gliffe trop fouvent dans fes expreffions, bleffe les oreilles un peu délicates. On ne fent point, par exemple, la néceffité de ces locutions: la forabilité du local; la mignonneffe au moins par tielle lui eft effentielle; cette agréabilité fait oublier, &c. L'Auteur du Payfan perverti, de la Vie de mon Père, & autres Ouvrages vraiment eftimables, doit trouver affez de reffources dans fon talent naturel, fans recourir à ces triftes moyens, qu'on veut donner pour du génie, & qui n'annoncent jamais que l'abfence du goût.

Au refte, parmi les Exemples, on retrouve

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