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qu'on augmentât l'émission de papier-monnaie antérieurement autorisée. Elle disait bien que la dette publique serait remboursée en assignats; mais, comme elle fixait à 1.200 millions au maximum le montant des assignats à mettre en circulation, qu'il y en avait déjà 400 millions qui avaient une affectation spéciale, et que 3 à 400 millions au moins seraient nécessaires pour combler le déficit de 1790, il ne devait pas en rester plus de 4 à 500 millions pour servir au paiement d'une partie de la dette. Il est vrai que, si la valeur des biens nationaux dépassait 1.200 millions la loi admettait qu'après la destruction des assignats rentrés dans la Caisse de l'Extraordinaire, de nouveaux assignats pourraient être émis jusqu'à concurrence de cette valeur et dans la limite du maximum de la circulation légale. Cette clause était dangereuse, en ce sens qu'il était difficile de connaître exactement ce que valait le domaine immobilier de l'État, qu'on pouvait être porté à en faire une évaluation exagérée, et que l'on serait ainsi entraîné à dépasser de plusieurs centaines de millions peut-être les sommes à provenir de la mise en vente de ce domaine. Néanmoins, il n'est pas douteux que les Constituants aient aperçu le péril des propositions du comité des finances, et ils firent preuve de bon sens en se refusant à les consacrer intégralement. Tripler la masse de papier-monnaie qui avait été prévue par la loi du 19 décembre 1789 était assurément une solution aventureuse, mais c'eût été un acte de folie que de la quintupler, ainsi que le comité des finances n'avait pas craint de le conseiller. La dépréciation immédiate des assignats avait d'ailleurs moins de chances de se produire avec leur limitation à 1.200 millions, qu'avec l'extension désordonnée que certains membres de la Chambre prétendaient imprimer à leur circulation.

La loi du 29 septembre 1790 était donc moins mauvaise qu'on aurait pu le craindre. Mais elle mérite néanmoins d'être jugée sévèrement, car, en créant pour plus d'un milliard de papiermonnaie dans un temps où la monnaie métallique était devenue rare et timide, elle devait fatalement entraîner les résultats

suivants renchérissement de l'argent, achat des biens nationaux au-dessous de leur prix réel au moyen d'un papier ne conservant pas sa valeur nominale, perte imposée aux créanciers de l'État qui seraient remboursés avec ce même papier, perte également pour le Trésor qui ne recevrait plus qu'en papier le montant des contributions, par suite aggravation de la crise financière et commerciale, trouble dans les fortunes privées, moins-value dans le rendement de l'impôt et dilapidation des propriétés immobilières de l'État. Telles sont les tristes conséquences auxquelles était conduite la Constituante par la hâte présomptueuse qu'elle apportait à ses entreprises. Ayant mis la main sur les biens du clergé et sur l'ancien domaine de la couronne, ayant par suite à sa disposition une ressource extraordinaire d'une importance énorme, elle aurait dû aménager cette ressource de manière à en tirer le meilleur parti possible, procéder à sa réalisation avec une sage lenteur, à la suite d'estimations rigoureuses et d'après les facultés d'achat des capitalistes gros et petits, puis éteindre les dettes de l'État les plus onéreuses avec le produit des ventes. Au contraire, afin d'éblouir le pays et de satisfaire des appétits particuliers, elle se décida à précipiter l'aliénation des propriétés nationales et à munir les acheteurs d'un papier-monnaie qui faciliterait leurs opérations. Un semblable système était l'organisation du gaspillage et une banqueroute partielle, car les assignats devant servir au remboursement de la dette n'avaient jamais été au pair et devaient l'être de moins en moins.

Quoi qu'il en soit, la Constituante, après son vote du 29 septembre, eut à prendre différentes dispositions pour le compléter. Comme les assignats dont elle venait d'adopter la création ne devaient pas être productifs d'intérêts, elle pensa avec raison qu'il convenait de leur assimiler ceux antérieurement autorisés. Elle décréta, en conséquence, le 10 octobre, que les 400 millions d'assignats créés en vertu de la loi du 17 avril précédent cesseraient, à partir du 16 octobre, de porter intérêt, et que le semestre échu serait payable

272 HISTOIRE FINANCIÈRE DE L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE

à dater du 1er janvier 1791. Le même jour, elle régla la forme et la valeur des assignats à émettre. Elle décida qu'il y aurait pour 400 millions d'assignats de 2.000 livres, pour 240 millions d'assignats de 500 livres, pour 40 millions d'assignats de 100 livres, pour 36 millions d'assignats de 90 livres, pour 32 millions d'assignats de 80 livres, pour 28 millions d'assignats de 70 livres, pour 24 millions d'assignats de 60 livres, enfin pour 20 millions d'assignats de 50 livres. Ainsi, sur une émission totale de 800 millions, les billets de 100 livres et au dessous ne représentaient que 180 millions. C'est afin d'éviter que le papier ne chassât le numéraire, en se substituant à lui dans les opérations journalières d'achats et de ventes, que l'Assemblée Nationale avait adopté cette proportion. Nous verrons plus tard que son but ne fut pas atteint, et qu'elle fut obligée d'augmenter le nombre des petites coupures.

CHAPITRE VII

Un décret du 8 octobre rend à la Caisse d'Escompte le caractère de banque privée (274). Par diverses lois la Constituante s'efforce de faciliter et de hâter l'aliénation des biens nationaux (275). — Mesures prises dans ce but en ce qui concerne les possesseurs d'offices supprimés (276). Différents décrets se proposent de conserver et d'étendre le domaine national (278). Suppression des droits de traites intérieures (280). — Dans un rapport du 13 octobre, Lebrun évalue le déficit des trois derniers mois de 1790 à 134 millions; détails qu'il donne sur le dépérissement des impôts (282). - La Constituante vote successivement 139 millions en assignats pour les besoins du dernier trimestre de l'année; discussion, le 5 novembre, sur l'arriéré des recettes (283). Paiements faits en assignats à la Caisse d'Escompte et aux ministères de la Marine et de la Guerre (285). — Le 27 novembre, le contrôleur général Lambert se plaint de ce que les impôts ne rentrent pas (286). Dans un rapport du 29 octobre, Montesquiou constate que les assignats seront en partie consacrés à combler le déficit de 1790 (286). Publication d'un ouvrage de Calonne sur les finances (287). Décret du 6 novembre sur l'emploi à faire des 800 millions de nouveaux assignats (288). Suppression des offices d'amirauté et des places de receveurs généraux, trésoriers généraux, receveurs particuliers; la perception des contributions et leur transmission au Trésor sont confiés à des agents électifs, dépendant des directoires de district (289). - Décret du 24 novembre sur la suppression des brevets de retenue (291). Suppression des offices de payeurs des rentes de l'ancien clergé et remboursement de la dette de cet ordre (294). — Organisatien de la Caisse de l'Extraordinaire chargée de

l'acquittement des dettes de l'État; elle devra avancer au Trésor 95 millions en 1791 (295). - Création, le 16 décembre, d'une direction générale de liquidation placée sous la dépendance des comités de l'Assemblée (296). Rapports de Lebrun et de La Rochefoucauld, en date des 15 novembre et 6 décembre, sur les dépenses et les recettes de 1791; ils annoncent que cet exercice sera en équilibre (297). Rapport et décret du 16 décembre sur un secours de 15 millions à employer pour l'État en ateliers de charité (301). Afin de procurer du travail aux ouvriers, l'Assemblée vote, le 24 décembre, une loi sur le desséchement des marais (304). depuis quatre mois dans les provinces (304). des grains; changement des ministres (307). dans le sein de la Constituante; décret du 18 décembre contre les émigrés (310). Protestations de l'épiscopat contre la constitution civile du clergé ; loi du 27 novembre sur le serment des ecclésiastiques (311).

Désordres survenus

Lois sur la circulation
Discussions violentes

Tout en autorisant l'émission de 1.200 millions d'assignats, la Constituante espérait bien que cette mesure ne serait qu'un expédient momentané. Elle comptait sur les sommes à provenir de la vente des biens nationaux pour diminuer rapidement l'importance de la circulation de papier. Elle voulut tout d'abord qu'aucune confusion ne pût exister dans l'esprit du public entre le papier d'État et celui de la Caisse d'Escompte. Quelques jours avant le vote de la loi du 29 septembre, cette société avait demandé l'autorisation d'émettre pour 30 millions de billets de 300 et de 200 livres, et une pétition du commerce de Paris avait appuyé cette demande. Le comité des finances l'avait accueillie, et il avait rédigé un projet de décret en ce sens. Mais quand il fut soumis, le 8 octobre, à l'Assemblée, Camus soutint que les opérations de la Caisse devaient être désormais indifférentes à l'État, et qu'il ne fallait pas lui accorder une autorisation qui semblerait être « une sorte de garantie ». Sur sa proposition, l'Assemblée se borna à décréter qu'elle levait la défense qui lui avait été faite de se livrer à de nouvelles émissions de billets. N'ayant plus besoin d'elle par suite de la création de 1.200 millions d'assignats, elle lui retira donc brusquement son patronage et lui rendit le

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