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210 HISTOIRE FINANCIÈRE DE L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE

expliqua que les biens du clergé dont la nation s'était emparée ne rapportaient pas assez pour qu'on pût sans imprudence augmenter les chiffres inscrits dans le projet ; que le relèvement dont profitaient les traitements d'un très grand nombre de curés de campagne et de vicaires occasionnerait une dépense plus forte qu'autrefois; que les pensions promises aux religieux et religieuses absorberaient aussi une très grosse somme, que les dettes du clergé tombaient à la charge de l'État, et que, si l'Assemblée se montrait plus généreuse que son comité, il serait nécessaire de demander aux contribuables un supplément d'impositions. Quelques articles furent donc seuls modifiés, et l'Assemblée vota la loi du 24 juillet avec la persuasion qu'elle ne pouvait pas faire plus pour les membres du clergé. Il résultait même de la discussion que l'État ne trouverait un supplément de recettes dans les revenus des biens ecclésiastiques qu'au fur et à mesure des extinctions qui se produiraient annuellement. Une loi du 3 août complèta celle du 24 juillet. Puis une autre loi du 11 août spécifia les justifications à produire par les membres du clergé pour obtenir le paiement de leurs traitements et pensions, et elle chargea les directoires de département et de district de veiller à la rentrée des revenus de tous les biens ecclésiastiques.

CHAPITRE VI

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1. Apaisement produit par les préparatifs de la fête de la Fédération (212). Enthousiasme avec lequel elle se célèbre (213). Les aristocrates croient à la possibilité d'une contre-révolution; les journaux révolutionnaires redoublent de violence (215). Discours de Camus sur les abus en matière de pensions (217). Rapports sur les pensions; ils évaluent beaucoup trop haut les sommes qu'elles coûtaient à l'État et posent de nouvelles règles (218). Loi du 3 août 1790 sur les pensions (220). Ses mérites et ses défauts; ses injustes rigueurs à l'encontre des anciens pensionnaires (223). L'Assemblée refuse de délibérer sur un mémoire que lui adresse Necker à l'occasion de cette loi (224). Loi du 6 août abolissant le droit d'aubaine (225). — Loi rendue le même jour pour exempter des ventes les forêts domaniales (226). Loi du 13 août supprimant les apanages (227). - Décrets divers portant réduction de dépenses (229). Mémoire de Necker, en date du 21 juillet, donnant le compte des recettes et dépenses du 1°r mai 1789 au 1er mai 1790; il en ressort un déficit de 163 millions sur les recettes normales par rapport aux dépenses ordinaires. La Constituante ne discute pas ce mémoire (231). Dans un mémoire du 25 juillet, Necker avoue que l'année 1790 se soldera en déficit; il demande la création d'impôts et insiste pour que l'aliénation des biens nationaux ne serve pas à combler le déficit (233). — Nouveau prêt de 40 millions demandé le 8 août à la Caisse d'Escompte (234). Mémoires du contrôleur général Lambert, en date des 10 et 18 août, sur le non-paiement des impôts. Une loi du 12 septembre prend des mesures insuffisantes pour en assurer le recouvrement (235). Loi du 12 septembre sur le paiement des impôts en assignats (237).

· Trois prêts d'ensemble

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40 millions, demandés en septembre à la Caisse d'Escompte (237). Mesures prises pour hâter la vente des biens nationaux; lettres du roi des 18 et 27 août sur les domaines dont il se réserve la jouissance (238). - II. Rapport de La Rochefoucauld en date du 18 août sur les bases du nouveau système d'impositions (239). L'Assemblée veut alléger les charges annuelles de l'État, en éteignant une partie de la dette (241). Rapport de Montesquiou, en date du 27 août, sur la dette publique : il évalue la dette constituée à 2.339 millions, la dette exigible à 1.340 millions, et la dette à terme à 563 millions (241). - Le service des intérêts et de l'amortissement exigerait 268 millions par an et les contribuables seraient accablés; d'où nécessité d'aliéner des biens nationaux, en vue de permettre le remboursement de la dette exigible et de la dette à terme (245). — Mémoire de Necker montrant les dangers d'une émission de 1.900 millions d'assignats (246). Motifs qui poussent Mirabeau à soutenir le projet du comité des finances; les troubles survenus au mois d'août, dans l'armée et en province, lui prouvent la nécessité d'un changement de ministère (247). Son discours du 27 août en faveur des assignats (249). Continuation de la discussion le 28 août (251). Manifestation populaire du 2 sepseptembre. Démission de Necker. I quitte la France au milieu de l'indifférence générale (252). L'Assemblée décide, le 7 septembre, de rembourser les offices de judicature et les offices ministériels, évalués à 460 millions (255). Discours de Malouet, Talleyrand, Démeunier, Dupont de Nemours, Maury contre le projet d'émission des assignats (257). Brochures de Dupont de Nemours, de Condorcet et de Lavoisier dans le même sens (261). Mémoire de Necker contre le plan de liquidation de la dette publique (263). — Opposition presque générale des places de commerce (264). Discours d'Anson, de Montesquiou, de Mirabeau et de Barnave en faveur de la création des assignats (264). La discussion est close après avoir occupé douze séances. La loi du 29 septembre autorise une nouvelle émission de 800 millions d'assignats et décide que leur circulation ne pourra pas dépasser 1.200 millions (268). Appréciations de cette loi (270).

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I

S'il est, dans l'histoire de la Révolution, une époque où les Français semblent avoir oublié leurs divisions et adhéré au nouvel ordre de choses, où les ressentiments des uns, les craintes des autres se soient apaisés, c'est au moment des fêtes de la Fédération. On avait choisi le Champ de Mars comme l'emplacement le plus convenable pour recevoir l'immense multitude qui assisterait à cette cérémonie patriotique, et 8 à 10.000 ouvriers des ateliers de charité avaient été

chargés de le niveler, d'y construire une estrade, de l'entourer d'un terre-plein. Mais ces hommes étaient des paresseux, ils travaillaient mal, et bientôt le bruit se répandit que les préparatifs ne seraient pas terminés pour le jour indiqué. << Aussitôt les districts se mirent tous en mouvement. Ils envoyaient, chaque jour, de nombreux détachements armés. de pelles et de pioches. Ce zèle, devenant épidémique, gagna les citoyens de tout état, de tout âge et de tout sexe et les entraîna au Champ de Mars... Ici c'était un chartreux piochant sans lever la tête, tandis que la brouette traînée par une harangère était remplie de terre par les filles de la rue Saint-Honoré; là c'était un académicien attelé avec un capucin au même haquet, poussé par un chevalier de Saint-Louis. Plus loin, on voyait des ouvriers des villages voisins, ayant à leur tête leur maire en écharpe et leur curé, arriver et se mettre tous à l'ouvrage avec la même ardeur. Des barriques de vin qu'on distribuait gratis aux travailleurs, étaient promenées sur des brouettes dans l'intérieur de l'enceinte; des boutiques portatives en garnissaient les dehors et offraient des rafraîchissements plus délicats aux ouvriers de bonne compagnie et aux curieux dont la foule était innombrable '. » Cédant à l'engouement général, des hommes et des femmes appartenant aux plus nobles familles vinrent se joindre aux travailleurs. « On évaluait leur nombre à plus de 250.000; et cependant, parmi tant d'individus de classes, de mœurs et d'habitudes si différentes, il ne s'éleva ni le moindre trouble, ni même l'apparence d'une querelle... Il serait aussi impossible à ceux qui n'ont pas vu ces jours sans exemple de s'en faire une idée, qu'à ceux qui en ont été les témoins d'en retracer le tableau 2. >>

Lors de l'arrivée des fédérés de province, la population parisienne les accueillit avec le plus louable empressement; c'était à qui les logerait et les hébergerait gratuitement. Le

1 Bertrand de Molleville, Hist. de la Rév., III, 221.

2 Lameth, Hist. de l'Ass. Const., II, 452.

11 juillet, le roi et la reine passèrent en revue plusieurs divisions de la garde nationale. Le 12, les fédérés de la Touraine et de la Bretagne furent reçus par Louis XVI au château des Tuileries, et, le lendemain, Lafayette lui ayant présenté les chefs des députations de toutes les gardes nationales du royaume, il répondit à la harangue un peu froide du général par un discours touchant, dans lequel il exprima le vœu de voir bientôt s'éteindre les dissensions civiles et affirma n'avoir en vue que la gloire, la liberté et la prospérité de la France. Le 14 juillet, la cérémonie du Champ de Mars s'accomplit avec beaucoup de pompe et dans un ordre parfait. L'évêque d'Autun, Talleyrand, célébra la messe sur l'autel de la patrie et présida à la bénédiction des drapeaux; puis, les fédérés jurèrent « de protéger la sûreté des personnes et des propriétés, la circulation des grains et la perception des contributions publiques; » les députés jurèrent d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir la constitution; enfin, Louis XVI prêta le serment de la faire respecter et de faire exécuter les lois. Aussitôt la reine, prenant le dauphin dans ses bras, le montra au peuple comme pour l'associer à l'acte de son père; la foule des spectateurs, évaluée à plus de 300.000 personnes, poussa des cris frénétiques de : « Vive le roi!»; les canons des Invalides et de l'École militaire mêlèrent leurs voix à ces acclamations; les bannières de toutes les députations s'agitèrent, et, après avoir entendu un Te Deum, Louis XVI regagna son palais au milieu des vivats. Les fêtes se prolongèrent ensuite pendant plusieurs jours, et quand partirent les fédérés, vivement impressionnés par tout ce qu'ils avaient vu et entendu, ils ressentaient la plupart plus de respect et d'affection pour le roi qu'ils n'en éprouvaient auparavant. « La Fédération, lisons-nous dans une lettre de Mallet du Pan, datée du 21 juillet, a produit un bien inattendu et certain. En général, elle a été très royaliste. Les démonstrations pour le roi, la reine et leur famille ont été vraiment enthousiastes. » Un diplomate avait de même écrit, au lendemain de l'événement dont il rendait compte à sa cour:

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