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souvent démenties par le fait, qu'on avait fini par attacher peu d'importance. Ce jour-là cependant les avertissements de cette femme infidèle firent redoubler les mesures de surveillance nocturne autour du château. M. de Gouvion retint chez lui au palais, sous différents prétextes, plusieurs officiers de la garde nationale, il les plaça à toutes les portes; lui-même, avec cinq chefs de bataillon, passa une partie de la nuit à la porte de l'ancien appartement du duc de Villequier, qui avait été plus spécialement désignée à sa vigilance. On lui avait dit, ce qui était vrai, que la reine communiquait de ses cabinets, par un corridor secret, avec les appartements de cet ancien capitaine des gardes, et que le roi, habile, comme on le sait, dans les travaux de serrurerie, s'était procuré de fausses clefs qui en ouvraient les portes.

Enfin ces bruits, qui transpiraient de la garde nationale jusque dans les clubs, avaient transformé, cette nuit-là, chaque patriote en geôlier du roi. On lit avec étonnement, dans le journal de Camille Desmoulins, à cette date du 20 juin 1794, ces mots : « La soirée fut très-calme à Paris. Je revenais, dit Desmoulins, à >> onze heures, du club des Jacobins, avec Danton et » d'autres patriotes, nous n'avons vu dans tout le » chemin qu'une seule patrouille. Paris me parut >>> cette nuit si abandonné, que je ne pus m'empê>> cher d'en faire la remarque. L'un de nous, Fréron,

» qui avait dans sa poche une lettre dans laquelle on >> le prévenait que le roi partirait cette nuit, voulut » observer le château. Il vit M. de La Fayette y en>> trer à onze heures. » Le même Camille Desmoulins raconte plus loin les inquiétudes instinctives du peuple dans cette nuit fatale. « La nuit, » dit-il, où la famille des Capets prit la fuite, le sieur » Busebi, perruquier, rue de Bourbon, s'est trans>> porté chez le sieur Hucher, boulanger et sapeur » du bataillon des Théatins, pour lui communiquer >> ses craintes sur ce qu'il venait d'apprendre des dispositions que le roi faisait pour s'enfuir. Ils >> courent à l'instant réveiller leurs voisins, et bientôt >> assemblés, au nombre d'une trentaine, ils se ren» dent chez M. de La Fayette et lui annoncent que >> le roi va partir; ils le somment de prendre immé>>>diatement des mesures pour s'y opposer. M. de La » Fayette se mit à rire et leur recommanda de re» tourner tranquillement chez eux. Pour n'être pas >> arrêtés en se retirant, ils lui demandent le mot » d'ordre il le leur donne. Lorsqu'ils ont le mot » d'ordre, ils se portent aux Tuileries, où ils n'aper» çoivent aucun mouvement, si ce n'est un grand >> nombre de cochers de fiacre qui boivent autour » de ces petites boutiques ambulantes qui se trouvent » près du guichet du Carrousel. Ils font le tour des >> cours jusqu'à la porte du Manége, où se tenait » l'Assemblée, et ils n'aperçoivent rien de suspect;

» mais à leur retour, ils sont surpris de ne plus » trouver un seul fiacre sur la place. Ils avaient tous » disparu, ce qui leur fit conjecturer que quelques>> unes de ces voitures avaient servi aux personnes >>> qui devaient accompagner cette indigne famille. »

On voit par cette agitation sourde de l'esprit public et par la sévérité de l'emprisonnement du roi, combien l'évasion de tant de personnes à la fois était difficile. Cependant, soit par la complicité de quelques gardes nationaux affidés, qui avaient demandé pour ce jour-là les postes intérieurs, et qui fermèrent les yeux aux infractions des consignes, soit par l'habileté des mesures prises de loin par le comte de Fersen, soit enfin que la Providence voulût donner une dernière lueur d'espoir et de salut à ceux qu'elle allait si vite accabler de tant d'infortunes, toute la prudence des gardiens fut trompée, et la Révolution laissa un moment échapper sa proie.

XI.

Le roi et la reine, comme à l'ordinaire, admirent, à leur coucher, les personnes qui avaient l'habitude de leur faire leur cour à cette heure. Ils ne congédierent pas leur domesticité plus tôt que les autres jours. Mais aussitôt qu'ils furent laissés seuls, ils s'habillèrent de nouveau. Ils revêtirent des costumes

de voyage très-simples et conformes au rôle que chacun des fugitifs devait affecter. Ils se réunirent avec madame Elisabeth et leurs enfants dans la chambre de la reine, ils gagnèrent de là, par une communication secrète, l'appartement du duc de Villequier, et sortirent du palais par groupes séparés à un certain intervalle de temps les uns des autres, pour ne pas attirer l'attention des sentinelles des cours par un rassemblement de tant de personnes à la fois. A la faveur du mouvement de gens à pied ou en voiture qui sortaient à cette heure du château, après le coucher du roi, et que M. de Fersen avait eu soin, sans doute, de multiplier et d'encombrer ce soir-là, ils parvinrent sans avoir été reconnus jusqu'au Carrousel. La reine donnait le bras à un des gardes du corps et menait madame Royale par la main. En traversant le Carrousel, elle rencontra M. de La Fayette, suivi d'un ou deux officiers de son état-major, qui entrait aux Tuileries pour s'assurer par lui-même que les mesures provoquées par les révélations de la journée étaient bien prises. Elle frissonna en reconnaissant l'homme qui représentait à ses yeux l'insurrection et la captivité; mais, en échappant à son regard, elle crut avoir échappé à la nation même, et elle sourit en faisant tout haut un retour sur la déception de ce surveillant trompé qui le lendemain ne pourrait plus rendre au peuple ses captifs. Madame Élisabeth, appuyée aussi sur le bras d'un des gardes,

suivait à quelque distance. Le roi avait voulu sortir le dernier avec le dauphin, âgé de sept ans. Le comte de Fersen, déguisé en cocher, marchait un peu plus loin devant le roi et lui servait de guide. Le rendez-vous de la famille royale était sur le quai des Théatins, où deux voitures bourgeoises attendaient les voyageurs. Les femmes de la reine et la marquise de Tourzel les y avaient devancés.

Dans le trouble d'une fuite si hasardeuse et si compliquée, la reine et son guide traversèrent le PontRoyal et s'enfoncèrent un instant dans la rue du Bac. S'apercevant de son erreur, l'inquiétude la saisit, elle revint précipitamment sur ses pas. Le roi et son fils, obligés de venir au même endroit par des rues détournées et par un autre pont, tardèrent une demi-heure. Ce fut un siècle pour sa femme et pour sa sœur. Enfin ils arrivèrent, ils se précipitèrent dans la première voiture; le comte de Fersen monta sur le siége, saisit les rênes et conduisit lui-même la famille. royale jusqu'à Bondy, premier relais de poste entre Paris et Châlons. Là, on trouva tout attelés, par les soins du comte, la berline construite pour le roi et un cabriolet de suite. Les deux femmes de la reine et un des gardes du corps déguisés montèrent dans le cabriolet; le roi, la reine, le dauphin, madame Royale, madame Élisabeth, la marquise de Tourzel, dans la berline. Deux gardes du corps s'assirent l'un devant, l'autre derrière. Le comte de Fersen baisa

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