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ployer une berline construite exprès et remarquable par sa forme, mais à se servir de deux diligences anglaises, voitures usitées alors et plus légères; il insista surtout sur la nécessité de prendre avec lui un homme sûr, ferme, décidé, pour le conseiller et le seconder dans toutes les circonstances imprévues d'un pareil voyage; il lui désigna le marquis d'Agoult, major des gardes-françaises; enfin il pria le roi d'engager l'empereur à faire opérer un mouvement de troupes autrichiennes, menaçant en apparence pour nos frontières du côté de Montmédy, afin que l'inquiétude des populations servit de prétexte et de justification aux mouvements des détachements et aux rassemblements de corps de cavalerie française autour de cette ville. Le roi consentit à cette démarche et promit de prendre avec lui le marquis d'Agoult; il refusa tout le reste. Peu de jours avant le départ, il envoya un million en assignats à M. de Bouillé pour servir aux achats secrets de rations et de fourrage et à la solde des troupes dévouées qui devaient seconder le projet. Ces dispositions faites, le marquis de Bouillé fit partir un officier affidé de son état-major, M. de Guoguelas, pour faire une reconnaissance complète de la route et du pays entre Châlons et Montmédy et en donner au roi un rapport exact et minutieux. Cet officier vit le roi, rapporta ses ordres à M. de Bouillé.

En attendant, M. de Bouillé se tenait prêt à exécuter tout ce qui avait été convenu : il avait éloigné les troupes patriotes et concentré les douze bataillons étrangers dont il était sûr. Un train d'artillerie de seize pièces de canon filait sur Montmédy. Le régiment de Royal-Allemand entrait à Stenay, un escadron de hussards était à Dun, un autre escadron à Varennes, deux escadrons de dragons devaient se trouver à Clermont le jour où le roi y passerait; ils étaient commandés par le comte Charles de Damas, officier habile et aventureux. M. de Damas avait ordre de porter de là un détachement à Sainte-Menehould, et de plus cinquante hussards détachés de Varennes devaient se rendre à PontSommevelle, entre Châlons et Sainte-Menehould, sous prétexte d'assurer le passage d'un trésor qui apportait de Paris la solde des troupes. Ainsi, une fois Chalons traversé, la voiture du roi devait trouver, de relais en relais, des escortes de troupes fidèles. Le commandant de ces détachements s'approcherait de la portière, au moment où l'on changerait de chevaux pour recevoir les ordres que le roi jugerait à propos de donner. Si le roi voulait poursuivre sa route sans être reconnu, ces officiers se contenteraient d'assurer contre tout obstacle son passage au relais, et ils se replieraient lentement derrière lui par la même route; si le roi voulait être escorté, ils feraient monter leurs dragons à cheval et l'escor

teraient. Rien ne pouvait être plus sagement combiné, et le secret le plus étroit couvrait ces combinaisons.

Le 27 mai, le roi écrivit qu'il partirait le 19 du mois suivant, entre minuit et une heure du matin; qu'il sortirait de Paris dans une voiture bourgeoise; qu'à Bondy, première poste après Paris, il prendrait sa berline; qu'un de ses gardes du corps, destiné à lui servir de courrier, l'attendrait à Bondy; que, dans le cas où le roi n'y serait pas arrivé à deux heures, ce serait le signe qu'il aurait été arrêté; qu'alors ce courrier partirait seul et irait jusqu'à Pont-Sommevelle annoncer à M. de Bouillé que le coup était manqué, et prévenir ce général de pourvoir à sa propre sûreté et à celle des officiers compromis.

VII.

Ces derniers ordres reçus, M. de Bouillé fit partir le duc de Choiseul avec ordre de se rendre à Paris, d'y attendre les ordres du roi et de précéder son départ de douze heures. M. de Choiseul devait ordonner à ses gens de se trouver à Varennes, le 18, avec ses propres chevaux, qui conduiraient la voiture du roi. L'endroit où ces chevaux seraient placés dans la ville de Varennes devait être désigné au roi d'une manière précise pour que le changement de chevaux s'y fit sans hésitation et sans perte de

temps. A son retour, M. de Choiseul avait ordre de prendre le commandement des hussards postés à Pont-Sommevelle, d'y attendre le roi, de l'escorter avec ses hussards jusqu'à Sainte-Menehould, et de poster là ses cavaliers avec la consigne de ne laisser passer personne sur la route de Paris à Varennes et de Paris à Verdun, pendant les vingt-quatre heures qui suivraient l'heure du passage du roi. M. de Choiseul reçut de la main de M. de Bouillé des ordres signés du roi lui-même, qui lui prescrivaient, ainsi qu'aux autres commandants des détachements, d'employer la force, au besoin, pour la sûreté et la conservation de Sa Majesté et de la famille royale, pour l'arracher des mains du peuple, si le peuple venait à s'emparer du roi. Dans le cas où la voiture aurait été arrêtée à Châlons, M. de Choiseul avertirait le général, rassemblerait tous les détachements et marcherait pour délivrer le roi; il reçut six cents louis en or, pour les distribuer aux soldats des détachements et exalter leur dévouement, à l'instant où le roi paraîtrait et se ferait reconnaître.

et

M. de Guoguelas partit en même temps pour Paris pour reconnaître une seconde fois les lieux, en passant par Stenay, Dun, Varennes et Sainte-Menehould, et pour bien inculquer la topographie dans la mémoire du roi ; il devait rapporter les dernières instructions à M. de Bouillé, en revenant à Montmédy par une autre route. Le marquis de Bouillé partit lui

même de Metz, sous prétexte de faire une tournée d'inspection des places de son gouvernement. Il se rapprocha de Montmédy. Il était le 45 à Longwy; il y reçut un mot du roi, qui lui annonçait que le départ était retardé de vingt-quatre heures, par la nécessité d'en cacher les préparatifs à une femme de chambre de la reine, démocrate fanatique capable de les dénoncer, et dont le service ne finissait que le 19. Sa Majesté ajoutait qu'elle n'emmènerait pas avec elle le marquis d'Agoult, parce que madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France, avait revendiqué les droits de sa charge et voulait les accompagner.

Ce retard nécessitait des contre-ordres funestes; toute la précision des lieux et des temps se trouvait compromise; les passages de détachements devenaient des séjours; les relais préparés pouvaient se retirer; cependant le marquis de Bouillé para, autant quil était en lui, à ces inconvénients, envoya des ordres modifiés aux commandants des détachements, et s'avança de sa personne le 20 à Stenay, où il trouva le régiment de Royal-Allemand, sur lequel il pouvait compter. Le 21, il réunit les généraux sous ses ordres; il leur annonça que le roi passerait dans la nuit aux portes de Stenay et serait le lendemain matin à Montmédy; il chargea le général Klinglin de préparer, sous le canon de cette place, un camp de douze bataillons et de vingt

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