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Le parti constitutionnel modéré avait tenté aussi ses réunions. Mais la passion manque aux réunions défensives; l'offensive seule groupe les factions: elles s'éteignirent d'elles-mêmes jusqu'à la fondation du club des Feuillants. Le peuple dissipa, à coups de pierres, les premiers rassemblements de députés chez M. de Clermont-Tonnerre. Barnave injuria à la tribune ses collègues, et les voua à l'exécration publique de la même voix qui avait suscité et rallié les Amis de la Constitution. La liberté n'était encore qu'une arme partiale qu'on brisait, sans pudeur, dans les mains de ses ennemis.

Que restait-il au roi, pressé ainsi entre une assemblée qui avait usurpé toutes les fonctions exécutives, et ces réunions factieuses qui usurpaient tous les droits de représentation? Placé sans forces propres entre ces deux puissances rivales, il n'était là que pour recevoir le contre-coup de leur lutte, et pour être jeté, tous les jours, en sacrifice par F'Assemblée nationale à la popularité; une seule force maintenait encore l'ombre du trône et l'ordre extérieur debout, c'était la garde nationale de Paris. Mais la garde nationale était une force neutre, qui ne recevait de loi que de l'opinion, et qui, flottant elle-même entre les factions et la monarchie, pouvait bien maintenir la sécurité dans la place publique, mais ne pouvait servir d'appui ferme et indépendant à un pouvoir politique. Elle était peuple elle-même; toute

intervention sérieuse contre la volonté du peuple lui eût paru un sacrilége. C'était un corps de police municipale, ce ne pouvait jamais être encore l'armée du trône ou de la constitution; elle était née d'ellemême, le lendemain du 14 juillet, sur les marches de l'Hôtel-de-Ville; elle ne recevait d'ordre que de la municipalité. La municipalité lui avait donné pour chef le marquis de La Fayette; elle ne pouvait pas mieux choisir; le peuple honnête, dirigé par son instinct, ne pouvait mettre la main sur un homme qui le représentât plus fidèlement.

XXII

Le marquis de La Fayette était patricien, possesseur d'une immense fortune et allié par sa femme, fille du duc d'Ayen, aux plus grandes familles de cour. Né à Chavagnac en Auvergne, le 6 septembre 1757, marié à seize ans, un précoce instinct de renommée l'avait poussé, en 1777, hors de sa patrie. C'était l'époque de la guerre de l'indépendance d'Amérique; le nom de Washington retentissait sur les deux continents. Un enfant rêva la même destinée pour lui dans les délices de la cour amollie de Louis XV; cet enfant, c'était La Fayette. Il arma secrètement deux navires, les chargea d'armes et de munitions pour les insurgents, et arriva à Boston. Washington l'accueillit comme il eût accueilli un

secours avoué de la France. C'était la France moins son drapeau. La Fayette et les jeunes officiers qui le suivirent constataient les vœux secrets d'un grand peuple pour l'indépendance d'un nouveau monde. Le général américain employa M. de La Fayette dans cette longue guerre, dont les moindres combats prenaient, en traversant les mers, l'importance de grandes batailles. La guerre d'Amérique, plus remarquable par les résultats que par les campagnes, était plus propre à former des républicains que des guerriers. M. de La Fayette la fit avec héroïsme et dévouement. Il conquit l'amitié de Washington. Un nom français fut écrit par lui sur l'acte de naissance d'une nation transatlantique. Ce nom revint en France comme un écho de liberté et de gloire. La popularité, qui s'attache à tout ce qui brille, s'en empara au retour de La Fayette dans sa patrie; elle enivra le jeune héros. L'opinion l'adopta, l'Opéra l'applaudit, les actrices le couronnèrent. La reine lui sourit, le roi le fit général, Franklin le fit citoyen, l'enthousiasme national en fit son idole. Cet enivrement de la faveur publique décida de sa vie; La Fayette trouva cette popularité si douce qu'il ne voulut plus consentir à la perdre. Les applaudissements ne sont pas de la gloire. Plus tard il mérita celle dont il était digne. Il donnait à la démocratie son caractère, l'honnêteté.

Le 14 juillet, M. de La Fayette se trouva tout prêt pour être élevé sur le pavois de la bourgeoisie de

Paris. Frondeur de la cour, révolutionnaire de bonne maison, aristocrate par la naissance, démocrate par principes, rayonnant d'une renommée militaire acquise au loin, il réunissait beaucoup de conditions pour rallier à lui une milice civique et devenir, dans les revues au Champ-de-Mars, le chef naturel d'une armée de citoyens. Sa gloire d'Amérique rejaillissait à Paris. La distance grandit tout prestige. Le sien était immense. Ce nom résumait et éclipsait tout. Necker, Mirabeau, le duc d'Orléans, ces trois popularités vigoureuses, pâlirent. La Fayette fut le nom de la nation pendant trois ans. Arbitre suprême, il portait à l'Assemblée son autorité de commandant de la garde nationale; il rapportait à la garde nationale son autorité de membre influent de l'Assemblée. De ces deux titres réunis il se faisait une véritable dictature de l'opinion. Comme orateur il comptait peu; sa parole molle, quoique spirituelle et fine, n'avait rien de ce coup ferme et électrique qui frappe l'esprit, vibre au cœur et communique son contre-coup aux hommes rassemblés. Élégante comme une parole de salon, et embarrassée dans les circonlocutions d'une intelligence diplomatique, il parlait de liberté dans une langue de cour. Le seul acte parlementaire de M. de La Fayette fut la proclamation des droits de l'homme qu'il fit adopter par l'Assemblée nationale. Ce décalogue de l'homme libre, retrouvé dans les forêts d'Amérique, contenait plus de phrases métaphysi

ques que de vraie politique. Il s'appliquait aussi mal à une vieille société, que la nudité du sauvage aux besoins compliqués de l'homme civilisé. Mais il avait le mérite de mettre un moment l'homme à nu, et en lui montrant ce qui était lui, et ce qui n'était pas lui, de rechercher, dans le préjugé, l'idéal vrai de ses devoirs et de ses droits. C'était le cri de révolte de la nature contre toutes les tyrannies. Ce cri devait faire écrouler un vieux monde usé de servitude et en faire palpiter un nouveau. L'honneur de La Fayette fut de l'avoir proféré.

La fédération de 1790 fut l'apogée de M. de La Fayette; il effaça, ce jour-là, le roi et l'Assemblée. La nation armée et pensante était là en personne, et il la commandait; il pouvait tout, il ne tenta rien. Le malheur de cet homme était celui de sa situation. Homme de transition, sa vie passa entre deux idées; s'il en eût eu une seule il eût été maître des destinées de son pays. La monarchie ou la république étaient également dans sa main; il n'avait qu'à l'ouvrir tout entière; il ne l'ouvrit qu'à moitié, et il n'en sortit qu'une demi-liberté. En passionnant son pays pour la république il défendait une constitution monarchique et un trône. Ses principes et ses actes étaient en apparente contradiction; il était droit et il paraissait trahir. Pendant qu'il combattait à regret par devoir pour la monarchie, il avait son cœur dans la république. Protecteur du trône, il en était en même

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