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>> pas voulu que le sang du peuple appartînt aux >> ministres. Français! tous les pouvoirs sont orga» nisés. Tout le monde est à son poste. L'Assem» blée veille. Ne craignez rien que vous-mêmes, si >> votre juste émotion vous portait au désordre. Le peuple, qui veut être libre, doit être impassible » dans ces grandes crises. Voyez Paris! imitez la >> capitale! Tout y suit la marche ordinaire. Les ty>> rans seront trompés. Pour mettre la France sous » le joug, il faudrait anéantir la nation entière. Si >> le despotisme ose le tenter, il sera vaincu; ou >> s'il triomphe, il ne triomphera que sur des rui>>nes. » Des applaudissements unanimes et répétés suivent cette lecture.

La séance, suspendue pendant une heure, est rouverte à neuf heures et demie. Une grande agitation se manifeste dans toutes les parties de la salle. Il est arrêté! il est arrêté! Ces mots se répandent sur tous les bancs, et de la salle dans les tribunes. Le président annonce qu'il vient de recevoir un paquet contenant plusieurs pièces dont il va donner lecture. Il recommande de s'abstenir de tout signe d'approbation ou d'improbation. Il ouvre le paquet et lit au milieu d'un profond silence les lettres de la municipalité de Varennes et de Sainte-Menehould apportées par M. Mangin, chirurgien à Varennes. L'Assemblée nomme trois commissaires, pris dans son sein, pour aller assurer le retour du roi à Paris. Ces

trois commissaires sont : Barnave, Péthion et LatourMaubourg. Ils partent à l'instant pour accomplir leur mission. Laissons un moment Paris aux émotions de surprise, de joie et de colère que la fuite et l'arrestation du roi y ont excitées.

XXII.

La nuit s'était écoulée à Varennes pour le roi et pour le peuple dans les palpitations de l'espérance et de la terreur. Pendant que les enfants dormaient, accablés de la fatigue d'une longue route, d'une journée brûlante, et insouciants de leur sort, le roi et la reine, gardés à vue par les municipaux de Varennes, s'entretenaient à voix basse de leur affreuse situation. Leur pieuse sœur, madame Élisabeth, priait à côté d'eux. Son royaume, à elle, était au ciel. Elle n'était restée à la cour, où elle était étrangère par sa piété et par son renoncement à tous les plaisirs, que pour se dévouer à son frère. Elle n'y prenait sa part que des larmes et des tribulations du tròne.

Les captifs étaient loin de désespérer encore. Ils ne doutaient pas que M. de Bouillé, averti sans doute par quelques-uns des officiers qu'il avait postés sur la route du roi, n'eût marché toute la nuit à leur secours. Ils attribuaient son retard à la nécessité de réunir des forces suffisantes, pour dissiper les nom

breuses gardes nationales appelées à Varennes par le bruit du tocsin; mais à chaque instant ils s'attendaient à le voir paraître, et le moindre mouvement du peuple, le moindre cliquetis d'armes dans la rue de Varennes leur semblaient l'annonce de son arrivée. Le courrier envoyé à Paris par la municipalité de Varennes pour prendre les ordres de l'Assemblée n'était parti qu'à trois heures du matin. Il lui fallait vingt heures pour se rendre à Paris, autant pour le retour. Le temps de convoquer l'Assemblée et de délibérer ne pouvait prendre moins de trois ou quatre heures encore. C'était donc quarantehuit heures au moins que M. de Bouillé avait d'avance sur les ordres de Paris.

D'ailleurs, dans quel état serait Paris? que s'y seraitil passé à l'annonce inattendue de l'évasion du roi? La terreur ou le repentir n'avaient-ils pas saisi les esprits? L'anarchie n'aurait-elle pas renversé les faibles digues qu'une assemblée anarchique elle-même aurait cherché à lui opposer? Le cri à la trahison n'aurait-il pas été le premier tocsin du peuple? M. de La Fayette n'était-il pas massacré comme un traître? la garde nationale désorganisée? Les bons citoyens n'avaientils pas repris le dessus à la faveur de cette consternation subite des factieux? Qui donnerait les ordres? qui les exécuterait? La nation, désorganisée et tremblante, ne tomberait-elle peut-être pas aux pieds de son roi? Telles étaient les chimères, der

nières flatteries des infortunes royales, dont on se repaissait, pendant cette nuit fatale, dans la chambre étroite et brûlante où toute la famille royale était entassée.

Le roi avait pu communiquer librement avec plusieurs officiers des détachements. M. de Guoguelas, M. de Damas, M. de Choiseul avaient pénétré jusqu'à lui. Le procureur-syndic et les officiers municipaux de Varennes montraient des égards et de la pitié au roi, même dans l'exécution de ce qu'ils croyaient leur devoir. Le peuple ne passe pas soudainement du respect à l'outrage. Il y a un moment d'indécision dans tous les sacriléges, où l'on semble vénérer encore ce que l'on est prêt à profaner. La municipalité de Varennes et M. Sausse, croyant sauver la nation, étaient bien loin de vouloir offenser le roi prisonnier. Ils le gardaient autant comme leur souverain que comme leur captif. Ces nuances n'échappaient pas au roi; il se flattait qu'aux premières sommations de M. de Bouillé le respect prévaudrait sur le patriotisme, et qu'on le remettrait en liberté. Il avait parlé dans ce sens à ses officiers.

L'un d'eux, M. Derlons, qui commandait l'escadron de hussards posté à Dun, entre Varennes et Stenay, avait été informé de l'arrestation du roi, à deux heures du matin, par le commandant du détachement de Varennes, échappé de cette ville. M. Derlons, sans attendre les ordres de son général,

et les préjugeant avec bon sens et énergie, avait fait monter ses hussards à cheval et s'était porté au galop sur Varennes, pour y enlever le roi de vive force. Arrivé aux portes de Varennes, il avait trouvé ces portes barricadées et défendues par des masses nombreuses de gardes nationales. On avait refusé l'accès de Varennes à ses hussards. M. Derlons, laissant son escadron dehors et descendant de cheval, avait demandé à être introduit de sa personne auprès du roi. On y avait consenti. Son but était d'abord d'informer ce prince que M. de Bouillé était prévenu, et allait marcher à la tête du régiment Royal-Allemand. Il en avait un autre : c'était de s'assurer par ses propres yeux s'il était impossible à son escadron de forcer les obstacles, de parvenir jusqu'à la ville haute et d'enlever le roi. Les barricades lui parurent infranchissables à de la cavalerie. Il entra chez le roi. Il lui demanda ses ordres : « Dites à » M. de Bouillé, lui répondit le roi, que je suis pri» sonnier et ne puis donner aucun ordre; que je >> crains bien qu'il ne puisse plus rien pour moi, >> mais que je lui demande de faire ce qu'il pourra. » M. Derlons, qui était Alsacien et qui parlait allemand, voulut dire quelques mots dans cette langue à la reine, et prendre ses ordres sans qu'ils pussent être compris des personnes présentes à l'entrevue. << Parlez français, monsieur, lui dit la reine, on >> nous entend. » M. Derlons se tut, s'éloigna dés

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