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Affaire de Saint-Domingue; colonies françaises,

C'est une tâche bien pénible à remplir pour un ami de la vérité, que celle d'écrire l'histoire de son pays. Environné de préjugés de toute espèce, égaré souvent par des considérations personnelles, comment parvenir à cette heureuse impassib litẻ qui le read inaccessible à tous les partis, première qualité de celui qui se charge d'instruire ses concitoyens? Comment se garantir des dangers de l'erreur sur des faits qui se passent au-delà des mers, à deux mille lieues de nous, et dans un moment de révolution, sur-tout lorsque ces fits se trouvent transmis par des hommes vendus ou uleérés, accoutumés à rejeter sur la faction opposée toute la défaveur de leur cause?

L'assemblée nationale elle-même n'a eu que des notions très-imparfaites sur l'affaire de Saint Domingue, et M. Barnave est bien loin d'avoir dit là-dessus toutes les vérités. Pour nous, qui n'avons jamais sacrifié à de vaines convenances, essayons de déchirer sans ménagement le voile qui les enveloppe; attachons-nous sur-tout à ces principes måles et sévères de liberté dont nous avons toujours fait profession.

On se rappelle (1) que l'assemblée générale de Saint-Domingue, forcée de s'exiler de la Colonie, s'étoit embarquée sur le vaisseau le Léopard, qui avoit fait voile ensuite pour l'Europe. Son arrivée à Brest fut marquée par l'insurrection des matelots de l'escadre, qui commença par le vaisseau qui l'avoit amenée. Mandée à la suite de l'assemblée nationale, elle a paru à la barre. L'orateur qui a parlé en son nom, a rejeté sur le ministre de la marine et sur le gouverneur général tous les

(1) Voyez le N°. 63.

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. troubles qui règnent dans la colonie; il a entrepris de justifier ses collègues de l'accusation d'avoir voulu se rendre indépendans. Leur apologie n'a pas été goûtée, et leur conduite a paru si répréhensible à l'assemblée nationale, que, sur le rapport de M. Barnave, elle a rendu le décret suivant :

« L'assemblée nationale considérant que les principes constitutionnels ont été violés, que l'exécution de ses décrets a été suspendue, et que la tranquillité publique a été troublée par les actes de l'assemblée générale séante à Saint-Marc, et que cette assemblée a provoqué et justement encouru sa dissolution ;;

«Considérant que l'assemblée nationale a promis aux colonies T'établissement prochain des loix les plus propres à assurer leurs propriétés; qu'elle a, pour calmer les alarmes, annoncé d'avance. l'intention d'entendre leur vou sur tous les changemens qui pourroient être proposés aux loix prohibitives du commerce, et la ferme volonté d'établir comme articles constitutionnels dans leur organisation, qu'aucunes loix sur l'état des personnes ne seront décrétées pour les colonies, que sur la demande formelle et précise de leurs assemblées coloniales.......

«Declare les prétendus décrets et actes émanés de l'assemblée constituée à Saint-Marc sous le titre d'assemblée générale de la partie française de SaintDomingue, attentatoires à la souveraineté nationale et à la puissance législative; décrète qu'ils sont nuls et incapables de recevoir aucune exécution.

« Déclare ladite assemblée déchue de tous ses pouvoirs, et tous ses membres dépouillés du caractère de députés à l'assemblée coloniale de SaintDomingue.

« Déclare que l'assemblée provinciale du Nord, les citoyens de la ville du Cap, la paroisse de la Croix-des-Bouquets, et toutes celles qui sont restées invariablement attachées aux décrets de l'as

semblée

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semblée nationale......; et tous les citoyens qui ont agi dans les mêmes principes, ont rempli glorieusement tous les devoirs attachés au titre de Français, et sont remerciés au nom de la nation par l'assemblée nationale.

« Déclare que le gouverneur général de SaintDomingue, les militaires de tout grade qui ont servi fidélement sous ses ordres, et notamment MM. Vincent et Mauduit, ont rempli glorieusement les devoirs de leurs places.

« Décrète que le roi sera prié de donner des ordres pour que les décrets et instructions des 8 et 28 mars dernier reçoivent leur exécution dans la colonie de Saint-Domiague; qu'en conséquence il sera incessamment procédé, si fait n'a été, à la formation d'une nouvelle assemblée coloniale, sui vant les règles prescrites par lesdits décrets et instructions, etc. »..........

. D'abord il nous parolt très douteux que l'assemblée générale de Saint-Domingue représente réellement la Colonie. Il y a à Saint-Domingue plus de trente mille citoyens blancs, sans compter six ou sept mille gens de couleur et nègres libres. Cependant la confirmation de l'assemblée n'a eu lieu qu'à la pluralité de quatre-vingt-dix-sept suffrages contre quatre-vingt-cinq; ce qui suppose une disproportion immense avec la population de l'tle. Le premier tort de l'assemblée coloniale est donc un défaut de pouvoir pour représenter la colonie; vice radical qui détruiroit toutes ses opérations, quand même elles auroient été conformes aux décrets de l'assemblée nationale.

Bien loin de respecter les instructions qu'elle avoit reçues, elle les a foulées aux pieds avec la dernière audace. Sitôt qu'elle a été constituée, e le s'est arrogée la puissance législative, elle a envalii le pouvoir exécutif, elle a affecté une espèce de No. 66.

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rivalité avec le corps législatif de France, qu'elle a copié jusques dans la formation de ses comités. Elle a institué un comité des rapports, ua comité des finances, des affaires extérieures, enfin, un comité des recherches. De sa propre autorité elle a établi des municipalités sur des bases absolument différentes de celles adoptées par la métropole; elle a investi ces municipalités du pouvoir militaire, elle leur a donné la police des ports, et peu s'en est fallu qu'elle n'en fit des corps judi- . ciaires pour décider les différens de la vie civile.

Ce n'est pas tout, quoique les farines fussent à bon marché, quoique le prix du pain eût constamment baissé depuis le mois de juin; sous le prétexte d'une prétendue disette, elle ouvrit tous les ports de la colonie aux bâtimens étrangers; et quoiqu'elle affectat de faire répandre que l'importation ne se faisoit que pour les subsistances, on ne laissoit pas de voir dans les différentes rades de l'ile des vaisseaux chargés de toutes sortes de marchandises. Autorisés ensuite à payer, avec des productions du pays, les importations étrangères, les colons rompoient ainsi de fait tous les rapports commerciaux qu'ils avoient avec la métropole, tous les liens qui les attachoient à la mère, patrie.

L'assemblée générale, suivant toujours son plan de souveraineté et d'indépendance, s'empara des forces de terre et de mer; elle licencia l'armée pour la recréer sous un nouveau mode; elle alla même jusqu'à destituer M. Peynier, gouverneur général, et tous les officiers qui commandoient pour le roi. Tout cela s'est fait sous le nom de loix et réglemens provisoires, pour lesquels on s'est bien gardé de demar der la sanction du gouverneur. Voilà quelle a été la conduite de l'assemblée générale de Saint-Domingue pendant son administration; quant à ses principes en fait de légis

lation, ils sont consignés dans son fameux décret du 28 mai dernier.

Les bases de ce décret sont, 1°. que le pouvoir législatif, en ce qui concerne le régime intérieur de Saint - Domingue, réside dans l'assemblée de ses représentans constitués en assemblée générale; 2°. que la sanction du roi suffira pour rendre la loi exécutoire; 3°. que, dans les cas urgens, les actes du corps législatif, en ce qui con-. cerne le régime intérieur, seront exécutés provisoirement sans avoir besoin de la sanction du gouverneur, et sur la simple notification qui lui en sera faite; 4°. que les loix, par rapport au régime extérieur, seront le résultat des plans proposés par l'assemblée coloniale, et qu'elles ne seront obligatoires que lorsqu'elles auront été consenties par elle après avoir été décrétées par l'assemblée nationale de France, toujours sous la réserve de la sanction du roi.

Il est clair, d'après les vues qu'annonce ici l'assemblée générale, qu'elle marchoit à l'indépendance absolue du corps législatif de France, puisqu'elle ne veut d'autre formalité pour l'exécution de ses loix intérieures que la sanction du roi; elle se déclare par-là former un état séparé, n'ayant rien de commun avec la France, que le chef de son gouvernement. Dans son système, elle n'est plus partie intégrante de l'empire; elle cesse d'être province française; elle est précisément dans le même rapport avec la France que l'Irlande avec l'Angleterre. Sous ce point de vue, la soi-disante assemblée générale mérite d'autaat mieux l'animadversion de l'assemblée nationale, qu'elle a choisi, pour faire scission, le moment où la métropole est affoiblie et fatiguée par les efforts qu'elle fait pour briser le despotisme et échapper à l'anarchie.

Quant au patriotisme du gouverneur et de l'assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue,

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