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nous n'y croyons pas plus qu'à celui de l'assemblée générale. Le moyen, en effet, de se persuader qu'un vice-roi et ses agens, que les délégués des ministres de France soient de bonne foi dans les intérêts de l'assemblée nationale. D'ailleurs, M. Peynier, dans une lettre à l'assemblée générale, laisse passer le petit bout d'oreille; par-tout il appelle le roi le souverain avoué par la nation française, comme le représentant de tous les pou voirs; il appelle les colons ses sujets; il ne parle que des loix que le monarque a droit de faire. Est-ce là le langage d'un ami de la liberté ? Ny reconnoît on pas au contraire le caractère d'un tyran subalterne, professant loin d'une cour imbécille et corrompue les principes qu'il y a puisés ?

Si l'assemblée provinciale du Nord s'est montrée contraire aux projets de l'assemblée générale, si elle a appuyé la résistance du gouverneur, c'est uniquement parce qu'étant presque toute composée de négocians, elle a intérêt à maintenir le régime prohibitif, et à écraser les planteurs de tout le poids du monopole. Tous ceux qui la composent sont 'bien éloignés d'être à la hauteur de la révolution française, et l'on peut dire avec vérité qu'il n'y a pas un grain de patriotisme dans nos colonies; et encore moins d'humanité.

. En effet, dans ce conflit d'opinions et de prétentions opposées, s'est il élevé une seule voix qui proposat d'améliorer le sort de nos infortunés frères, les esolaves africains? Au contraire, les mouvemens de la colonie ont leur origine dans la crainte de voir l'affranchissement des nègres devenir la suite des décrets de l'assemblée natio nale. Les colons sont tellement les enuemis des esclaves, qu'ils perpétuent leur haine et leur mépris jusque sur ceux qui ont échappé à leur infàme domination. Les gens de couleur et les nègres libres sont exclus de toutes les places, et même du droit de cité.

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Ce n'est pas que nous voulions proposer d'affranchir tout d'un coup les esclaves des colonies; nous savons combien cette opération seroit dangereuse, non pas pour les nègres, mais pour leurs tyrans. Mais seroit-il dangereux de proscrire à jamais la traite et toutes ses horreurs? Seroit-il dangereux d'accorder la liberté aux enfans qui naitroient de la co habitation d'un maitre avec son esclave? Seroit-il dangereux de leur fournir les moyens d'acquérir cette liberté, et de la leur montrer comme une récompense de leur attachement et de leur fidélité? 'Seroit-il dangereux enfin de réformer et de jetter au feu cet abominable code, noir, qui fera à jamais la honte de ceux qui l'ont rédigé et qui s'en servent encore ?

C'est à l'assen blée nationale à défendre ces malheureux contre la cupidité et la cruauté des colons; et l'on ne conçoit pas comment elle a entendu de sang froid ce blaspheme politique et moral du rapporteur des colonies: que l'assembléc se propose de décréter comme article constitutionnel, qu'au cunes loix sur l'état des personnes ne seront décrétées pour les colonies, que sur la demande formelle et précise de leurs assemblées coloniales. Voilà donc les négres abandonnés à la fureur, à la dis-, crétion des habitans des colomies! Voilà leurs fers éternellement rivés, et jamais les espérances de la philosophie ne seront réalisées ! jamais les nègres ne seront libres! Que disons-nous? ils le seront malgré leurs tyrans, malgré l'assemblée nationale elle-même; mais leur liberté coûtera du sang, et leurs barbares oppresseurs seront cruellement punis d'avoir repoussé le cri de la nature et de l'humanité. Déjà la déclaration des droits les rend libres de droit, et la nature des choses achèvera le reste.

Mais les nègres, dira-t-on, sont une espèce d'hommes nés pour l'esclavage; ils sont bornés, fourbes et méchans; ils conviennent eux-mêmes de la supériorité des blancs, et presque de la lé gitimité de leur empire.

Il n'est pas vrai que les nègres soient bornés; l'expérience a prouvé qu'ils réussissoient dans les sciences; et si l'abrutissement dans lequel ils sont plongés leur fait croire que les blancs sont d'une espèce supérieure, la liberté les mettroit bientôt au niveau. Quand à ce qu'on raconte de leur méchanceté, elle n'égalera jamais la cruauté de leurs maîtres (1).

Les apologistes de la traite et de l'esclavage des nègres prétendent que si les nègres sont libres, ils ne voudront plus travailler, et qu'il faut renoncer aux colonies. J'ai trop bonne opinion des Français devenus libres pour croire que rien ne les

(1) Un bâtiment anglais, qui en 1752 commerçoit en Guinée, fut obligé d'y laisser son chirurgien, auquel le mauvais état de sa santé ne permettoit plus de soutenir la mer. Murrai s'occupoit du soin de se rétablir lorsqu'un vaisseau hollandais s'approcha de la côte, mit aux fers des noirs que la curiosité avoit attirés sur son bord, et s'éloigna, rapidement avec sa proie.

Ceux qui s'intérois:oient à ces malheureux, indignés. d'une trahison si noire, accourent à l'instant chez l'hôte du chirurgien qui les arrête à sa porte, et leur de-. mande ce qu'ils cherchent: « Le blanc qui est chez » vous, s'écrient-ils, il doit être mis à mort, puisque

ses frères ont enlevé nos frères. Les Européens qui ont >> ravi nos concitoyens, répond l'hôte généreux, sont des >> barbares; tuez les quand vous les trouverez; mais > celui qui loge chez moi est un être bon; il est mon

ami; ma maison lui sert de fort; je suis son soldat » et je le défendrai. Avant d'arriver à lui, vous passerez » sur mon corps expirant. O mes amis ! quel homme >> juste voudroit entrer chez moi, si j'avois souffert que » mon habitation fút souillée du sang d'an innocent»? Ce discours calma le courroux des noirs; ils se retirerent tous, honteux du dessein qui les avoit conduits. Malheureux calomniateurs des nègres! rougissez et admirez une générosité bien au-dessus de votre portée. Histoire des deux Indes.

dédommageroit de la perte du café et du sucre, et qu'ils ne puissent plus se passer de boire le sang humain. Oui, dussions-nous renoncer à un commerce qui n'a que l'injustice pour base et que le luxe pour objet, il faudroit briser des chaînes qui outragent les lumières de la raison et les sentimens de la nature.

Cependant il n'est pas encore nécessaire de faire le sacrifice des productions que l'habitude vous a rendues si chères. Vous pouvez les tirer de vos colonies sans les peupler d'esclaves. Ces productions peuvent être cultivées par des mains libres, et dès lors elles seront à beaucoup meilleur marché, parce que les moyens qu'indique la nature coûtent toujours moins que ceux qu'employent le despotisme et la tyrannie.

Les iles sont remplies de noirs dont on a rompu les fers; ils exploitent avec succès les petites habitations qu'on leur a données, ou qu'ils ont acquises par leur industrie. Jetez les yeux sur T'Amérique anglaise; avec la déclaration d'indépendance, elle publia la liberté des esclaves; ses terres ne sont pas pour cela demeurées incultes,' elles sont au contraire dans le meilleur état.

D'après ce que nous venons de dire, il est indispensable pour le bonheur de l'humanité, pour l'intérêt même des colons, que l'assemblée nationale participe à la législation des colonies. Toute dis tinction entre le régime intérieur et extérieur est une absurdité; parce qu'il est impossible de poser la ligne de démarcation entre l'un et l'autre; parce que si vous laissez à la législature coloniale le soin du régime intérieur, elle fera tel réglement qui gênera, qui détruira ses rapports commerciaux avec la métropole, sans qu'on puisse dire qu'elle ait outre-passé ses pouvoirs. Je suppose, par exemple, que les colons, par une loi prohibitive intérieure, diminuent la consommation d'une denrée quelcon que, dont la France fasse l'importation exclusive;

alors ses intérêts sont compromis, et les avantages qu'elle retire du régime extérieur sont néces sairement détruits par les entraves du régime intérieur; ses liaisons avec la colonie lui deviennent préjudiciables, et mieux vaudroit pour elle d'y

renoncer.

Et ce ne seroit pas sans doute un grand malheur, si toutes les îles de l'Archipel du Mexique s'étoient affranchies du joug européen, et si leurs habitans commerçoient librement avec tous les pays du monde. Alors, non-seulement les colonies deviendroient riches et florissantes, mais les puissances même qui les tiennent dans leur dépendance gagneroient à cette révolution; car le monopole et le systême prohibitif appauvrit les colonies sans enrichir la métropole. Il n'est avantageux qu'à un petit nombre de riches planteurs, et à quelques maisons puissantes qui accaparent les retours en France. Les frais inmenses d'entretien des forts et des garnisons, les guerres ruineuses où la défense des îles nous entraîne, ont plus coûté à la France que tous les avantages qu'elle retire de son commerce avec ses colonies. Le monopole détruit également l'oppresseur et l'opprimé, et la nature a dit aux nations comme à l'individu : Tu ne profiteras point de ton injustice.

Cependant l'assemblée nationale, fut-elle composée de législateurs philosophes, ne pourroit pas encore renoncer à ses possessions coloniales, parce que les autres nations conservant les leurs, elles feroient la loi aux Français dans tous les marchés. Le temps arrivera sans doute où l'Archipel du Mexique rompra tous ses liens avec l'Europe, et se formera en république fédérative. Cette époque paroît tenir essentiellement à celle où l'Amérique anglaise, devenue puissance maritime, pourra protéger les colonies contre leurs anciens maîtres. Mais en attendant cette libération générale, il est de l'intérêt des îles françaises de rester unies à la métropole.

Une

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