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lontés nationales, et par conséquent l'anarchie et la destruction de l'état.

D'ailleurs, sur une question aussi importante,. les exemples viennent à l'appui des raisonnemens. En Angleterre, la grande chartre déclare que nul homme ne peut être emprisonné, poursuivi, ni jugé que pour des actions défendues par la loi. Ce principe est regardé par les Anglais comme le boulevard de leur liberté. Leur déclaration des dreits consacre également l'application littérale de la loi criminelle. Afin d'empêcher les désordres qui naissent de l'arbitraire, toutes les variations, divisions et sous-dlvisions des délits sont tracées avec une précision singulière. Eh bien ! dans ce pays de liberté, les crimes de lèse-nation ne sont ni définis, ni spécifiés, il n'y a aucune loi qui les défende; la raison, la justice et la nature les proscrivent, le corps législatif les poursuit; les juge et les venge (1).

Les Anglais sont trop sages pour vouloir borner la toute puissance de la vindicte nationale, quand il s'agit de la conservation et de la sureté du corps social. Ils sont trop éclairés pour confier ce pouvoir redoutable à tout autre corps qu'à celui auquel ils ont confié le soin de leur donner des loix. Mais les Anglais sont-ils donc à imiter pour d'illustres législateurs, tels que les membres du comité de constitution?

Mais, dira-t-on sans doute, en Angleterre les crimes de lèse-nation ne sont pas jugés par les représentans du peuple; ils sout simplement accusateurs, et la chambre des pairs prononce. Qu'importe cette différence ? Ce n'est pas comme corps particulier, c'est comme partie intégrante du corps législatif que la chambre des pairs juge les crimes de lèse-nation. Et nous, parce que nous n'avons

(1) La chambre basse accuse, et la chambre haute prononce sur l'accusation.

pas l'honneur d'avoir un sénat, devons-nous done être privés du sublime avantage de faire juger les crimes publics par les dépositaires de la puissance législative? Non sans doute. La composition du corps législatif ne fait rien à l'affaire ; les principes sont invariables là-dessus; par-tout où on a connu la liberté, la poursuite et le jugement des crimes de lèse-nation sont restés entre les mains du peuple ou de ses représentans (1. Le comité de constitution tout ignorant, tout corrompu qu'il est, a si bien entrevu cette vérité, que dans son projet il réserve à l'assemblée nationale le droit de statuer s'il y a lieu à accusation. 11 lui attribue le droit exclusif de dénoncer, et même l'audition des témoins; nous n'exigeons qu'un pas de plus, qu'elle juge.

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Eh! quels inconvéniens majeurs ne suivroient pas du systême contraire! Supposons que l'assem blée nationale soit assez peu éclairée pour l'adop ter, et pour déléguer à un corps étranger le jugement des crimes de lèse-nation, ce corps revêtu d'une portion de la puissance législative, puisque nous avons démontré que le jugement de cette espèce de délit étoit un acte de législation, ce corps, disons-nous, rivaliseroit nécessairement avec les représentans du peuple. Il se coaleroit avec le pouvoir exécutif, qui auroit bientôt acheté une poignée d'hommes à vendre, qui, pour un peu d'or, absoudroient les grands coupables, et perdroient les innocens.

N'avez-vous pas sous les yeux l'exemple du châ telet, ce tribunal de brigands en robe, qui vient

(1) A Athènes, et dans toutes les villes libres de l'ancienne Grèce, le peuple s'étoit réservé le jugement des crimes publics. Miltiade, Phocion, Thémistocle, furent jugés par le peuple. Le peuple romain condamna Coriolan, Scipion l'Africain, etc. Mais les Romains entendoientils quelque chose en politique ?

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de s'écrouler sous le poids de l'indignation pu blique ? Vous venez d'en faire justice au grand contentement des bons citoyens. Voulez-vous donc leur donner des successeurs? Voulez-vous, s'il est possible, faire regretter d'anciens tyrans, par les crimes de ceux que vous mettrez à la place? No comptez pas sur le frein de l'opinion publique, les grands scélérats n'en tiennent aucun compte. Boucher d'Argis et ses vils collègues ne l'ont-ils pas méprisée? Les juges que votre comité anticonstitutionnel veut vous donner ne seroient pas meilleurs; et quand ils le seroient, les moyens irrésistibles du pouvoir exécutif les auroient bientôt corrompus; bientôt leurs jugemens d'absolution et de condamnation seroient tarifés: il n'y auroit de différence que pour les prix.

Il faut donc en revenir au principe que nos observations ont établi, c'est qu'au corps législatif seul appartiennent la poursuite et le jugement des crimes de lèse-nation.

Et quand bien même l'assemblée nationale pourroit, sans se déshonorer aux yeux de l'Europe, sans compromettre le salut de l'état, créer hors de son sein un tribunal de lèse-nation, le projet du comité de constitution seroit inadmissible. LES CINQ GRANDS JUGES de maître Chapelier et son HAUT JURÉ feroient pitié à des enfans.

Plus une accusation est grave, moins elle est vraisemblable; plus on doit employer de formalités pour défendre l'accusé contre la prévention et la haine qu'excite l'idée d'un grand crime. LES CINQ GRANDS JUGES présentés par le comité ne pourront jamais opposer un rempart suffisant, ni contre les séductions de la cour, ni contre les préjugés ou les fureurs populaires. Mais il y aura un haut juré. A cette idée, l'on a peine à contenir son indignation; il n'y a que le souverain mépris que nous inspire ce plan d'avocat qui puisse Pappaiser.

La nation en voulant, l'assemblée nationale en
No. 68.

décrétant qu'il y aura des jurés en matière criminelle, a-t-elle veulu, a-t-elle décrété le mot ou la chose? La chose, sans doute. Eh bien! Qu'est-ce qu'un jury? C'est chez les Anglais qu'il faut chercher cette définition, puisque les jurés n'existent que chez eux.

En Angleterre, il y a deux espèces de jurys; les grauds et les petits jurys (1). Les grands jurys sont vingt-quatre notables choisis à peu près à tour de rôle dans chaque comté avant la tenue des assises. Leurs fonctions en matière criminelle sont d'examiner les formules de plainte, de prendre des informations orales, et de décider s'il y a lieu à l'accusation. Dans le cas de l'affirmative, la plainte est déférée au juge, qui fait comparoître l'accusé et nomme le petit jury.

Qu'est-ce que le petit jury? Les jours qu'il y a des procès criminels à juger, un officier public est tenu de faire comparoître un nombre d'habitans domiciliés, proportionné à celui des procès qui doivent se juger. Les jurés assemblés, ils se présentent pour prêter serment de juger suivant les preuves et témoignages qu'on leur présentera.

L'accusé est tenu de les regarder et de faire ses récusations. It a te droit d'en récuser trente cinq arbitrairement, et en outre tous ceux contre lesquels il a des motifs de suspicion. Quand on est conveau de douze, ils se placent dans une tribune, dont la porte est gardée par un huissier. De là, ils entendent les avocats, les témoins, les accusés; ils examinent les pièces de conviction; ils interrogent les témoins, et après avoir entendu le rapport du juge qui n'a que voix consultative (2), ils

(1) On les nomme grands et petits, cu égard au nombre des personnes qui les composent; car leurs fonctions

sont en raison inverse de leur dénomination.

(2) Les juges en Angleterre ne sont que les rapporteurs du procès; ils font auprès du petit JURY les fonctions des gens du roi des tribunaux français.

sont tenus de prononcer à l'unanimité si l'accusé est coupable ou non (1).

Ce qui fait l'essence, et pour ainsi dire le signe distinctif des jurés, c'est leur intégrité forcée; car comme ils sont tirés au sort sur la masse de la nation, au moment de la décision du procès il est impossible qu'ils soient connus des parties; ils sont par conséquent incorruptibles. Des l'instant qu'ils sont élus, ils sont, pour ainsi dire, séquestrés de la société; on ne peut ni leur parler, ni leur écrire. Leurs fonctions finies, ils rentrent dans la classe ordinaire des citoyens, sans qu'on puisse jamais les prendre à partie, ni les inquiéter à cause des jugemens qu'ils ont rendus.

Telle est l'idée qu'on doit se former des grands et des petits jury's, tels qu'ils sont institués en Angleterre. Ce seroit faire injure à nos lecteurs, que d'appuyer sur la différence énorme qui existe entre les jurys anglais, et le haut juré du comité de constitution, dont les membres inscrits pendant deux ans sur un tableau pourront être gagnés et corrompus en huit jours.

Le projet de M. Chapelier outrage tous les principes de droit public, en déléguant à un tribunal quelconque la souveraineté qui réside dans les représentans de la nation. Il outrage la nation qui, dans tous ses cahiers, réclame les véritables juge mens par jurys; il outrage l'assemblée nationale, qui a décrété qu'il y auroit des jury's en matière criminelle. Or, si le projet de M. Chapelier établit réellement des jurys, il est certain qu'il n'en existe point en Angleterre; car les jurys criminels dans ce pays-là et le haut jury du comité diffèrent totalement, quant à la forme et quant au principe.

(1) Ce qui prouve, contre le sieur Chapelier et toute la séquelle du comité de constitution, que le petit jury. est également juge du fait et du droit."

Ca

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