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dessous de Juigné, il faudra des changements de bateaux, ceux du Layon ne pouvant être de forme à voguer sur la Loire, il faudra encore changer à Angers ceux de la Loire, embarras réels, coûteux et dégoûtants.

« L'alternative du charroi par terre ne nous sera plus libre, faute de foin que le Layon ne fournira plus à nos charroyeurs, ce charroi par terre fait subsister une infinité de familles, il fait l'avantage de l'agriculture, soit pour la vigne, soit pour les terres et grains et marchandises; l'argent qu'y gagnent les métayers n'est point si minutieux, puisqu'ils en paient leurs impôts. Mais les boeufs ne font pas seuls les charrois; grand nombre de petits voituriers par chevaux vivent de leurs travaux utiles en tous genres en ces pays montueux, où ils sont occupés. Cette circulation par terre occupe beaucoup d'hommes et de bestiaux, tout cela anime et excite à la culture d'un terrain le plus ingrat par sa nature, et qui n'est fertilisé qu'à force de travail : il diminuera ce travail si on diminue ce qui le facilite, le nombre d'hommes et de bestiaux disparaîtra, tout en souffrira, le bien du roi, de l'État, des seigneurs, des sujets, de la société, du commerce.

« Il est vrai qu'une largeur de vingt-quatre pieds de rivière, et une levée à proportion, ne présenteraient pas en elles-mêmes une perte immense de prairies si on y suivait exactement les sinuosités du Layon, mais toujours c'est une perte, et les bords seront bientôt altérés par le cours d'eau qui élargira beaucoup.

« Le rejet des terres de ce nouveau lit couvrira un large espace, une levée à proportion pour le halage, tout cet ensemble diminuera fort le peu de prés que nous avons, sans pouvoir y suppléer par des prés artificiels en un terrain si sec. De plus, qu'il soit permis de voir que l'arrêt n'annonce pas cette suite exacte de sinuosités; les entrepreneurs n'ont communiqué leur plan ni aux propriétaires ni aux paroisses; on n'a pas vu leur devis, cependant ils tranchent, ils coupent partout les arbres, les haies, fossés, bois, etc., ils agissent arbitrairement, et sans doute ils en feraient autant pour le lit de la rivière,

le faux exposé de leur requête montre assez leurs vues. << Si, contre le vœu public, l'entreprise avait lieu, la rivière ne devrait pas être redressée arbitrairement, mais seulement en cas de nécessité reconnue avec les propriétaires prévenus à temps convenable, et comment cette compagnie qui travaillerait malgré nous et pour sa seule utilité, serait-elle dispensée de payer les six pieds, quand elle ne voudrait prendre que cet espace, la justice ne le permet pas nous n'avons pas été entendus avant l'arrêt. Mais encore cette perte serait-elle légère en comparaison de celle des foins qui seront tous gâtés par l'eau que retiendront les chaussées des écluses; nos prés deviendront des marais, qui ne produiront plus que du jonc ou des herbes marécageuses ou inutiles. L'élargissement de la rivière ne garantira point de cette continuelle inondation qui viendra de l'élévation des chaussées, plus fortes que celles de nos moulins.

« Si le lit est élargi et creusé, il s'y trouvera aussi un plus grand volume d'eau réservée, et celle qui surviendra subitement n'y trouvera pas plus de place. Les inondations nous parviennent, il est vrai, de temps en temps, par les eaux pluviales qui se précipitent des coteaux, mais les meuniers les diminuent en levant toutes les portes de leurs moulins, ils y ont intérêt pour leur foin et pour plaire au public.

Mais cette Commission, au contraire, n'a intérêt que de tenir l'eau, car quel serait l'effet d'un simple élargissement à vingt-quatre pieds pour fournir aux moulins, s'il en reste, et à la navigation sur une rivière qui n'a pas ou qui n'a que si peu de sources !

« Et si on détruit les moulins, la perte en sera irréparable. « Jamais la construction des ponts, de deux lieues en deux lieues, ne suppléra à la suppression de gués qui se trouvent de quart de lieue en quart de lieue et plus fréquemment; quelle gêne pour la culture des lieux que le Layon partage! et pour les communications et le commerce!

« Et quelles cruelles entraves pour le commerce que ce

privilège exclusif de la navigation; les entrepreneurs seraient les maîtres du temps des transports, de leur quantité, du prix des voitures; étant seuls les maîtres de la navigation, ils deviendraient seuls les maîtres du commerce c'est le vrai moyen de l'anéantir.

« Daignez, Monseigneur, rentrer en l'examen de ces observations, faire suspendre l'exécution d'un arrêt qui nous serait si préjudiciable; nous ne désirons que les simples réparations de nos vieux chemins, elles ne seront préjudiciables à personne, et nous continuerons avec succès la culture d'un pays qui n'est point négligé, puisque nous savons y vaincre la nature; que votre justice et votre protection nous aident à vaincre le désir d'une Compagnie qui n'a que son utilité en perspective, nous ne cesserons de faire des vœux pour la prospérité de Votre Grandeur.

« Sur les bords du Layon, le 21 septembre 1774. »

Cette pièce, dont nous avons l'original entre les mains, porte un grand nombre de siguatures, parmi lesquelles nous nous bornerons à citer celles de MM. Guynoiseau, de la Reboute, de Russon seigneur de Bonnezeaux, Chambault de la Saulaie, Boyleau officier au grenier à sel de Vihiers, Couraudin, Cambourg de Genoüillé, de Brissac, de Cambourg, de Launay, Touchaleaume, ThibaultChambault, sénéchal d'Aubigné, Paulmier, lieutenant à l'élection d'Angers, Raimbault de la Douve, conseiller de l'Hôtel-de-Ville d'Angers, Chevallier, curé de Thouarcé, H. M. Menard, prêtre chanoine de Martigné, de la Cochetière, Lambert, syndic de Faveraye, Beguyer du Marais, René Lebreton, Desmazières, conseiller au présidial d'Angers, Blondel de Rye, curé de Chanzeaux, qui atteste qu'il n'y a qu'une partie des inconvénients exposée qui sont sans nombre et très considérables.

Cette supplique des riverains du Layon ne fut pas accueillie favorablement par M. l'Intendant de la généralité de Tours, car elle porte en marge: « Les suppliants renvoyés à se pourvoir au Conseil de Tours, le 1er octobre 1774. »

V

La pièce que nous venons de citer en entier, malgré sa longueur, est très importante, parce qu'elle dépeint exactement l'esprit des habitants de la vallée du Layon, rebelle à toute innovation; elle montre aussi l'état de la culture du pays, les ressources qu'il possède en vin, blé, fruits, qui se vendaient alors, 4, 5, et 6 livres la charge d'un cheval de bât, laines, bestiaux; le manque de prairies artificielles encore ignorees du laboureur; la rareté de l'argent dans les campagnes; les relations commerciales de cette contrée, l'importance du marché de Brissac, qui est encore le régulateur du prix des denrées dans cette partie de l'Anjou.

La supplique préjuge encore l'insuccès du transport des produits agricoles par les bateaux du canal, prévision d'ailleurs justifiée par la suite, puisqu'il résulte des documents authentiques que le charroi des vins par cette voie n'excédait pas trois cents barriques par an.

Mais, en dehors des considérations précédentes, la supplique relève vertement l'arbitraire des considérants de l'arrêt du 17 avril 1774, donnant aux entrepreneurs du canal la faculté de s'emparer d'une bande de six pieds de térrain pour ses besoins, et de supprimer les moulins. Et là où le rédacteur de la requête, qui nous paraît être, par comparaison d'écritures, M. l'abbé Chevallier curé de Thouarcé à cette époque, semble avoir eu le don de double vue, c'est quand il signale à l'attention de M. l'Intendant de la généralité de Tours le danger, pour la vallée, de voir surélever les chantiers des écluses, qui laisseront les prairies sous l'eau. Cette objection, faite au moment de la canalisation, a conservé toute sa valeur, encore aujourd'hui; déjà, en l'an VIII de la première République, M. Montault-Desilles, Préfet de Maine-et-Loire, avait dû prendre un arrêté pour réglementer la distribution de

Mémoires de François-Yves Besnard,

l'eau dans le Layon, nous le citerons d'ailleurs plus loin. En 1850, un nouvel arrêté a dû être pris de nouveau contre les meuniers de Thouarcé, qui retenaient l'eau et compromettaient ainsi les récoltes des prairies. Et n'est-ce pas encore actuellement une raison de même ordre qui vient de provoquer la mise en déclassement du canal du Layon?

Quoi qu'il en soit des arguments présentés dans la supplique des propriétaires riverains du Layon, ils n'eurent pas le don de mettre aucune entrave aux travaux de canalisation. Au contraire, ceux-ci furent poussés avec la plus grande activité, sous la conduite d'un sieur Julien Martin, architecte des bâtiments de Paris, et d'un entrepreneur nommé Cailleau, probablement le même que celui qui construisit pour le compte de Foulon le fameux château de Soulanger.

Les travaux entrepris le 22 septembre 1774 étaient à peu près terminés le 22 décembre 1775, et le lendemain avait lieu à Concourson la bénédiction du pavillon et des bateaux du canal. Le pavillon de Monsieur, frère du roi, était porté par Julien Martin, architecte, constructeur du canal'.

Une cantate fut faite en l'honneur de l'architecte Martin, qui avait mené vite les travaux de la canalisation du Layon. La voici, elle montre qu'à côté des mécontents, il y avait aussi des heureux :

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