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ENQUÊTE

SUR LES

OUVRIERS ET INDUSTRIES D'ART

Déposition écrite de M. MAX-RICHARD, délégué
de la Chambre de Commerce d'Angers

Les industries d'art les plus importantes parmi celles qui existent à Angers et dans le département de Maineet-Loire sont en même temps celles dont l'existence est la plus ancienne dans nos contrées. Ce sont celles de la sculpture d'ornements sur pierre et de la sculpture sur bois. La peinture décorative, dont l'existence y est également aussi certainement fort ancienne, paraît n'avoir eu, dans les siècles passés, comme elle n'a, de nos jours encore, qu'une importance beaucoup moindre. La facilité avec laquelle a pu, de tout temps, être sculptée la pierre calcaire, blanche et tendre, connue sous le nom de tuffeau, qui se rencontre en abondance sur les bords de la Loire, dans nos contrées, explique suffisamment comment l'art de la sculpture décorative en pierre a pris de bonne heure naissance en Anjou et s'y est développée. La multiplicité des chênes, qui couvraient les innombrables haies séparatives de champs et héritages divisés à l'infini, a pu contribuer aussi de bonne heure à inciter les artistes et artisans sculpteurs à multiplier les ornements et les figurines en bois dans l'intérieur des églises, des chapelles et des habitations. Aussi les ouvriers de nos jours ont-ils tout à la fois, sous les yeux, à Angers et dans

Maine-et-Loire, des sculptures en pierre, pouvant leur servir de précieux modèles, dans les portails et les chapiteaux des xr et XIIe siècles, dans les rétables et les tombeaux du xve, dans les rinceaux, les feuillages, les mascarons et les arabesques des logis et hôtels du XVI, ainsi que des sculptures en bois, non moins précieuses pour l'étude, dans les tables de communion, tribunes, bancs, stalles du xve siècle, dans les façades de maisons en bois, ayant pignon sur rue, de ce siècle et du siècle suivant et aussi, bien que, dans son style fort différent, dans les panneaux d'intérieur d'appartements finement fouillés de la fin du XVIII° siècle.

De nos jours et depuis une vingtaine d'années surtout, l'art de la sculpture appliqué à l'ornementation des façades de maisons, à la décoration intérieure des églises et à la fabrication des meubles, a pris à Angers une extension fort importante. Des industriels ou entrepreneurs de sculpture, au nombre d'une vingtaine, y occupent ou y ont récemment encore occupé de 250 à 300 ouvriers ou apprentis, et la valeur de l'ensemble des travaux exécutés par eux a dû varier entre 1,500,000 francs et 2 millions de francs, sur lesquels les travaux de sculpture seuls, en dehors de ceux de construction ou d'agencement, ont dù atteindre le chiffre de 500,000 francs. Depuis deux ans, il est vrai, depuis l'exécution des décrets contre certaines congrégations religieuses, qui donnaient ou procuraient des commandes importantes aux entrepreneurs d'Angers, ce chiffre d'affaires paraît avoir subi une diminution sensible; et cette circonstance coïncidant avec certaines exigences nouvelles de la part des ouvriers, exigences auxquelles les patrons n'ont pu céder, le nombre des ouvriers sculpteurs paraît avoir accidentellement diminué sur la place. Le salaire de ces ouvriers, qui varie entre 6 francs et 15 ou 16 francs par jour, suivant leurs aptitudes, parait être cependant suffisamment rémunérateur. Beaucoup d'œuvres sorties des ateliers de sculpture d'Angers s'expédient en Amérique, en Orient, en Angleterre et jusqu'en Australie.

La peinture décorative n'a, comme nous venons de le dire, de nos jours, à Angers, qu'une importance beaucoup moindre, bien qu'elle se soit néanmoins développée davantage dans ces dernières années, par suite de peintures remarquables, exécutées dans les chapelles de châteaux, dans des églises neuves ou restaurées, dans quelques nouveaux appartements et dans certains hôtels ou cafés. Les ouvriers de cette industrie sont moins sédentaires, plus nomades que ceux de la sculpture; il serait difficile de déterminer quel peut être leur nombre. Ceux d'entre eux qui font spécialement de la décoration gagnent de 0 fr. 60 à 0 fr. 80 par heure, soit de 6 à 8 francs ou de 7 à 10 francs par jour, suivant le nombre d'heures pendant lequel ils travaillent.

Il faut distinguer de l'industrie de la peinture décorative celle de la peinture sur verre, dont la ville d'Angers est, dans l'ouest de la France, le centre le plus important. Cette industrie y exécute annuellement des travaux pour une valeur qui dépasse 100,000 francs Les peintres qui sont employés à ces travaux gagnent, pour une journée de dix heures, un salaire qui varie entre 4 et 14 francs, suivant l'aptitude et le talent de chacun d'eux.

Les verres blancs, employés par nos fabricants de vitraux, sont achetés par eux dans le département du Nord; les verres de couleurs diverses le sont dans les bassins de la Saône et du Rhône, de la Loire, principalement autour de Saint-Etienne. Quant aux vitraux dits d'appartement, nos industries trouvent un avantage de prix sensible à les tirer de l'Autriche-Hongrie et de la Bohême.

Cette industrie de la peinture sur verre recrute fort difficilement dans nos contrées le personnel dont elle a besoin. Elle est obligée de le former elle-même et ne peut ensuite le conserver qu'au prix des plus grands efforts. Il serait bien désirable, dans l'intérêt de l'art, dans l'intérêt des industriels de notre ville, comme dans celui des industriels qui se livrent à l'exploitation du même art dans d'autres départements, qu'une école de peinture sur verre fût fondée en France.

En général, les ouvriers employés par ces différentes industries savent peu ou mal dessiner et n'ont reçu qu'une instruction technique fort incomplète.

Trois écoles de dessin, dont les cours sont gratuits, sont cependant ouvertes à ces ouvriers dans notre ville.

La première, qui peut être considérée comme la classe élémentaire de dessin, est celle qui réunit, le dimanche et le jeudi de chaque semaine, de 9 heures à 11 heures du matin, les élèves que les huit écoles primaires élémentaires de garçons de la ville d'Angers y envoient. Ces enfants sont en ce moment au nombre de cent vingt; ils se groupent par école, autour des modèles en plâtre, de cubes, de pyramides, de moulures et d'ornements de différentes sortes, qu'on leur donne à dessiner. Ce sont des enfants de 11 à 14 ans, qui sont généralement très assidus, très attentifs et paraissent suivre ce cours avec plaisir, plutôt comme un délassement que comme un exercice obligatoire. Cette école a été créée depuis peu d'années et vient d'être installée dans une belle salle fort bien éclairée, en forme de parallélogramme à l'extrémité de laquelle se dresse jusqu'aux soliveanx du plafond une belle cheminée du XVIe siècle, couverte de sculptures et arabesques intéressantes, quoique bien dégradées et mutilées. Cette salle a été obtenue par la réunion de plusieurs pièces d'un ancien logis, construit en plusieurs parties, successivement aux XV et XVI° siècles et conservant encore sur ses façades diverses des spécimens charmants de la sculpture et de l'architecture de cette époque.

Un seul professeur est attitré malheureusement pour diriger et surveiller cette nombreuse classe d'enfants, et n'est secondé dans cette direction que par un jeune élève d'un cours supérieur, qui fait des corrections.

Une autre classe, destinée aux adultes, et dite école municipale de dessin de la ville d'Angers, ouvre aussi gratuitement ses portes tous les jours de la semaine, excepté le jeudi et le dimanche, de 6 à 8 heures du matin en été, de 8 à 10 heures du matin en hiver. Elle est divisée en deux parties par une cloison; d'un côté,

les élèves les moins avancés dessinent, d'après des modèles en plâtre, des bustes, figures ou ornements; de l'autre, les élèves dessinent, peignent ou sculptent, d'après un modèle vivant, une tête ou une académie. Les élèves qui fréquentent cette école appartiennent, pour le plus grand nombre, à des professions industrielles ; quelques-uns seulement se disposent à se consacrer aux beaux-arts. Leur nombre est de 70 environ, en hiver; il se réduit à une quarantaine pendant la belle saison, un certain nombre d'ouvriers ou d'apprentis se trouvant être à cette époque envoyés par leurs patrons dans les bourgs ou les châteaux du département pour y exécuter des travaux.

Un seul professeur est encore chargé de la direction de cette école; c'est ce même professeur qui est, en même temps, chargé de diriger, au lycée national, l'enseignement du dessin. Il n'est, dans la direction de l'école municipale du matin, secondé par aucun adjoint, ayant seulement un garçon de salle pour y exercer la surveillance; et il ne peut venir consacrer, chaque jour, qu'une demi-heure environ aux corrections. La salle où se tient ce cours est, d'ailleurs, peu spacieuse, mal disposée et mal éclairée.

Une troisième école, ou plutôt un troisième cours de dessin, municipal et gratuit comme les deux premiers, fait partie d'un ensemble de cours créés à Angers, il y a vingt-cinq ou trente ans, sous le nom de cours préparatoires à l'enseignement supérieur. Il n'a lieu, comme les autres cours de la même catégorie, qu'une fois par semaine, le soir de 7 heures à 9 heures, dans le même local que ces cours et dans une salle plus spacieuse que la salle des cours du matin. Les élèves qui suivent ces cours ne dépassent jamais le nombre de 20, et sont exclusivement des élèves qui suivent également les cours du matin. Le professeur est également le même que celui de ces cours.

L'enseignement du dessin à Angers est donc bien insuffisant pour former les bons artistes, artisans et ouvriers, dont les nombreuses et importantes industries

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