Page images
PDF
EPUB

GARANTIE ADMINISTRATIVE SUPPRIMÉE.

637

d'instruction criminelle, qui, de droit commun, ouvrent aux citoyens l'action civile en dommages-intérêts à l'occasion des faits qui leur sont préjudiciables.

680. A côté de cette règle, et pour prévenir l'abus qui pourrait en être fait, la même assemblée avait placé cet autre principe: «< Aucun administrateur ne peut être traduit devant les tri>> bunaux pour raison de ses fonctions publiques, à moins qu'il » n'y ait été renvoyé par l'autorité supérieure, conformément aux >>> lois ». Ainsi s'exprime l'article unique 22 de la loi des 7-14 octobre 1790, qu'il faut rapprocher des textes suivants, dont deux émanent aussi de l'Assemblée constituante et un de la Convention, et qui tous, exprimant la même idée, consacraient, comme corollaire du principe de la séparation des pouvoirs, et en même temps que lui, le principe de la garantie administrative des agents du gouvernement à l'occasion des faits relatifs à leurs fonctions.

Tout citoyen actif pourra signer et présenter contre les officiers municipaux la dénonciation des délits d'administration dont il prétendra qu'ils se seraient rendus coupables; mais, avant de porter cette dénonciation devant les tribunaux, il sera tenu de la soumettre à l'administration ou au directoire de département, qui, après avoir pris l'avis de l'administration du district ou de son directoire, renverra la dénonciation, s'il y a lieu, devant les juges qui en devront connaître (Loi des 14-22 décembre 1789-8 janvier 1790, relative à la constitution des municipalités, art. 61). [Voir l'article 60 au no 669.] — Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions (L. 16-24 août 1790, sur l'organisation judiciaire, titre II, art. 13). — [Voir aussi, no 649, la constitution du 3 septembre 1791, tit. III, chap. v, art. 3.] — La Convention nationale décrète qu'elle annule toutes procédures et jugements intervenus, dans les tribunaux judiciaires, contre les membres des corps administratifs et comités de surveillance... Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration, de quelque espèce qu'ils soient, sauf aux réclamants à se pourvoir devant le comité des finances pour leur être fait droit, s'il y a lieu, en exécution des lois (Décret du 16 fructidor an III, à l'occasion de poursuites dirigées contre des agents de l'administration des finances).

684. C'est ce principe de la garantie administrative des agents du gouvernement qui, des lois de la révolution, avait passé dans la Constitution du 22 frimaire de l'an VIII, où il formait l'article 75 ainsi conçu: « Les agents du gouvernement, autres que les mi»nistres, ne peuvent être poursuivis, pour des faits relatifs à leurs » fonctions, qu'en vertu d'une décision du conseil d'Etat. En ce

638

STATISTIQUE ET CONDITIONS D'APPLICATION DE

» cas, la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires ». Le caractère exclusivement administratif de ce texte lui avait valu de survivre aux dispositions politiques de la Constitution de l'an VIII, et de traverser, malgré de nombreuses attaques, le régime républicain de 1848 à 1852, comme les divers régimes monarchiques. Après la révolution du 4 septembre 1870, il était naturel que les membres du gouvernement de la défense nationale, qui avaient souvent demandé l'abrogation de cet article 75 de la Constitution de l'an VIII, s'empressassent, en prenant le pouvoir, d'y réaliser la doctrine par eux soutenue dans l'opposition, et ils rendirent le décret du 19 septembre 1870 qui a prononcé cette abrogation.

682. Bien que cet article 75 de la Constitution de l'an VIII soit ainsi abrogé, il est utile, non-seulement au point de vue historique, mais aussi pratiquement, avant d'examiner le décret du 49 septembre 1870, et pour en mieux déterminer la gravité et la portée, de faire connaître, d'une part, l'application que recevait le texte abrogé, et, d'autre part, le dernier état de la jurisprudence administrative et judiciaire relative à cette disposition. Dans ce but, nous allons donner l'explication de l'article 75 comme dans les premières éditions de cet ouvrage.

[ocr errors]

683. D'après le compte général des travaux du conseil d'État publié le 30 mars 1862, pendant la période de neuf années écoulées de 1852 à 1860, l'autorisation des poursuites à fins criminelles a été refusée à l'égard de 219 fonctionnaires; elle a été accordée à l'égard de 136; le résultat des poursuites a été 73 condamnations et 60 acquittements ou abandons de poursuites. Les demandes d'autorisation de poursuites à fins civiles se sont élevées, en moyenne, à 20 par année; la plupart ont été repoussées par le conseil. Le compte général des travaux du conseil d'Etat publié en 1868 constate que, dans la période écoulée du 1er janvier 4861 au 31 décembre 1865, les demandes à fins de poursuites criminelles ont été au nombre de 154 (dont 82 dirigées contre des maires, 44 contre des adjoints); l'autorisation a été refusée pour 77 fonctionnaires, et accordée à l'égard de 53; le résultat des poursuites autorisées a été de 37 condamnations, 16 acquittements, 3 abandons de poursuites. Les demandes d'autorisation de poursuites à fins civiles ont été, dans cette période, de 450 (dont 84 contre des maires ou adjoints). Sur ces 150 demandes, 22 ont été l'objet d'autorisations, plus de 40 ont été l'objet de non-lieu à statuer, parce

L'ARTICLE 75 ABROGÉ DE LA CONSTITUTION DE L'AN VIII.

639

que l'autorisation n'était pas nécessaire; dans les autres, il y a eu refus.

684. Pour que l'article 75 de la Constitution de l'an VIII reçût son application et que l'autorisation préalable du conseil d'État fût nécessaire, il fallait la réunion de trois conditions:

4° Qu'il s'agit d'un acte de poursuite, par action publique ou par action civile, de la compétence non d'une juridiction administrative (C. d'Ét. 3 février 1855, Deliane), mais d'un tribunal de l'ordre judiciaire, civil, correctionnel ou criminel; acte tel que mise en prévention ou en accusation, mandats à délivrer par le juge d'instruction, citation directe du ministère public, assignation et même citation en conciliation à la requête des particuliers; mais l'accomplissement sans autorisation préalable des simples actes d'instruction (procès-verbaux de constat, information par audition de témoins) était permis, et même exigé lorsque le ministère public requérait la mise en jugement (Décret du 9 août 1806, art. 3).

α

2o Il fallait que les faits donnant lieu à la poursuite fussent relatifs aux fonctions, c'est-à-dire qu'ils renfermassent une application quelconque du pouvoir qu'elles confèrent. Ainsi il ne suffisait pas qu'un agent du gouvernement fût l'auteur de l'acte incriminé pour que l'article 75 fût applicable. Il ne suffisait même pas que l'acte eût été accompli par le fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions; il fallait que ces faits « fussent un acte de la fonction » elle-même, avec laquelle ils s'identifient et dont ils constituent » un exercice, bien qu'abusif (ch. crim. 31 mars 1864, Ché»ronnet) ». De même encore, il ne suffisait pas que le fait se rattachât par sa nature à l'exercice de la fonction; l'article 75 n'était pas applicable si, même dans ce cas, le fait incriminé sortait de la compétence du fonctionnaire et constituait, non plus un simple abus du pouvoir qu'il possédait, mais l'excès ou l'usurpation d'un pouvoir qu'il n'avait pas (c. cass. 14 septembre 1807; 2 mars 1854; 19 février 1863, Sintas c. Nogent). L'autorité judiciaire avait le droit et le devoir de vérifier le point de savoir si l'acte rentrait dans l'exercice des fonctions (c. cass. 16 avril 1858; 3 avril 1866; 15 mai 1866, Sens c. Pinard, Coll c. Pinard; - nonobstant 5 mai 1862, Coll c. Ravier).

Ces deux premières conditions, résultant de ces mots de l'article 75 « ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions », ne devaient s'entendre que de poursuites personnelles dirigées individuellement contre le fonctionnaire à l'effet de faire

640

CONDITIONS ET SANCTION DE L'ARTICLE 75

subir à lui-même la responsabilité et les conséquences dommageables de l'acte incriminé; el, suivant nous, l'article 75 cessait d'être applicable si l'administration, c'est-à-dire l'État, le département ou la commune, était poursuivie dans la personne de ses représentants légaux; ni l'esprit ni les termes de l'article 75 ne comportaient une telle extension (sic C. d'Ét. 5 août 1857, Foucaud, Lebon, p. 929; 11 décembre 1863, Follin, Lebon, p. 4014;contra, Paris, 16 juillet 1864, duc d'Aumale et Michel Lévy c. préfet de police; ch. req. 15 novembre 1865, qui ne doit être considéré que comme un arrêt d'espèce; C. d'Ét. Ass. gén. 34 mars 1866, Lebon, p. 1373 [voir dans la même affaire, et dans un autre ordre d'idées, C. d'Ét. 9 mai 1867]).

3o Il fallait que la poursuite fût dirigée contre un fonctionnaire public ayant la qualité d'agent du gouvernement; la jurisprudence du conseil d'État et celle de la cour de cassation étaient d'accord pour décider «< que les fonctionnaires couverts par la garantie administrative comme agents du gouvernement sont seulement les dépositaires d'une portion de l'autorité gouvernementale et administrative, qui, agissant au nom du gouvernement, sous sa direction médiate ou immédiate, font ainsi partie de la puissance pïblique ». Une large exception relative à tous les agents des

1 Cette définition des agents du gouvernement, empruntée aux textes même des décisions, s'appliquait aux préfets, sous-préfets, secrétaires généraux da préfecture, conseillers de préfecture. La question, en ce qui concerne ces der niers, était controversée; mais il était naturel d'appliquer cette garantie magistrats amovibles des tribunaux administratifs privés de toute garant, tandis que les magistrats de l'ordre judiciaire, indépendamment de leur icmovibilité, sont protégés contre la prise à partie et les poursuites relatives a leurs fonctions par les garanties décrites aux Codes de procédure civile, a ticles 510 à 516, et d'instruction criminelle, articles 483 à 504. Cette déncanation s'appliquait également aux commissaires de police pour leurs fonctəri de police administrative seulement, aux ministres plénipotentiaires et agente diplomatiques, aux consuls, aux inspecteurs, ingénieurs et conducteurs des ponts et chaussées, aux directeurs des maisons centrales et gardiens chefs des maisons d'arrêt, etc. Les maires, pour les actes relatifs à toutes leurs fonttions administratives indistinctement, ne pouvaient, sauf controverse, èz. poursuivis sans l'autorisation du conseil d'État, même lorsqu'ils avaient procédé en qualité de représentants de la commune. La cour de cassation a a> pliqué cette règle à l'action en restitution de deniers communaux detourass de leur destination, exercée contre un maire, même après la cessation de ses fonctions (7 avril 1852), et à l'action dirigée contre le maire pris c président du bureau de bienfaisance (22 août 1861); mais le conseil d'Eta' 4 statué différemment en ce qui concerne le maire assigné comme president f conseil de fabrique (14 avril 1860). Les maires ou adjoints, presidents dele

ABROGÉ DE LA CONSTITUTION DE L'AN VIII.

641 ances à l'occasion des perceptions illégales d'impôts était écrite, ouis 1816, dans l'article final de chaque loi du budget; nous us sommes étonné [no 579] que, depuis le décret du 19 septembre 70, on ait continué à reproduire cette dispense d'autorisation, Formais sans objet.

585. Le principe de la garantie administrative des agents du uvernement recevait une double sanction.

La première sanction consistait dans la nullité absolue de tous es judiciaires et décisions intervenues sans qu'il ait été satisfait à te formalité d'ordre public; cette nullité devait être prononcée me d'office et en tout état de cause (c. cass. 30 juillet 1861), même ir la première fois, devant la cour de cassation (30 novembre 58). Mais la cour de cassation décidait que l'assignation donnée s l'autorisation du conseil d'État n'était pas nulle dans son prine, et que s'il apparaissait que le fait reproché au fonctionnaire it relatif à ses fonctions, la demande devait être déclarée receole, sauf au tribunal à surseoir jusqu'à ce que l'autorisation fût portée (ch. civ. 5 mai 1862, Coll c. Ravier; 14 avril 1863, Mi

ux d'assemblées électorales, étaient des agents du gouvernement. L'are 110 de la loi électorale du 10 mars 1849 avait, dans ce cas, établi une eption non existante sous l'empire du décret du 2 février 1852, et aujouri sans objet.

e conseil d'État et la cour de cassation étaient d'accord pour refuser, au traire, la garantie administrative aux membres des conseils généraux, d'arlissement et municipaux (C. d'Ét. 7 juin 1851; 8 novembre 1854; 6 mai 1863, sagier; 30 juillet 1863, Laffite), parce qu'ils puisent leur mandat à une rce autre que le pouvoir exécutif; aux chefs de divisions et de bureaux ministères et des préfectures, et aux secrétaires de mairie (C. d'Ét. 9 jan1856), qui ne sont tous que des agents auxiliaires, sans pouvoir propre; militaires de tous grades, même aux gendarmes (C. d'Ét. 24 août 1857), gardes champêtres (C. d'Ét. 19 novembre 1855; 11 novembre 1864, Armand), sergents de ville ou agents de la police locale (C. d'Ét. 18 novembre 1854; tovembre 1864, Armand), ou inspecteurs de police de la ville de Paris (c. .ch. crim. 18 avril 1868, et ch. réunies 22 avril 1869, Parent c. André, 9, 1, 237), parce qu'ils sont tous des agents de la fo force publique et non les >sitaires de l'autorité administrative, sans les réquisitions de laquelle ils ne vent agir; il en serait autrement au cas d'état de siége pour l'officier qui irait à ce titre les pouvoirs militaires et administratifs. Les deux jurisprures administrative et judiciaire étaient également d'accord, depuis plusieurs es, pour déclarer l'article 75 de la Constitution de l'an VIII non applicable ministres du culte, dont l'institution et le sacerdoce sont en effet antipaues à toute délégation d'une portion quelconque de l'autorité comprise dans ouvoir exécutif [mais voir, aux no 692, 728 et 729, la controverse relative à ›lication de la loi sur l'appel comme d'abus].

T. I.

41

« PreviousContinue »