Page images
PDF
EPUB

LOI CONSTITUTIONNELLE DU 16 JUILLET 1875.

37

Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé, demander aux deux Chambres une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée.

Art. 8.

Le président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'État le permettent.

Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'État, ceux qui sont relatifs à des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger, ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi.

Art. 9. — Le président de la République ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des deux Chambres.

Art. 10. Chacune des Chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection; elle peut seule recevoir leur démission.

Art. 11. Le bureau de chacune des deux Chambres est élu chaque année pour la durée de la session, et pour toute session extraordinaire qui aurait lieu avant la session ordinaire de l'année suivante.

Lorsque les deux Chambres se réunissent en Assemblée nationale, leur bureau se compose des président, vice-présidents et secrétaires du Sénat.

Art. 12. Le président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés et ne peut être jugé que par le Sénat.

Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés, pour crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat.

Le Sénat peut être constitué en cour de justice par un décret du président de la République, rendu en conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d'attentat commis contre la sûreté de l'État.

Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi.

Une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction et le jugement.

Art. 13. Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.

Art. 14.- Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la Chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit.

La détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre Chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si la Chambre le requiert.

38. L'article 8 de la loi du 25 février 1875 que nous avons cité [no 37] comme constituant l'une des différences fondamentales existant entre les lois constitutionnelles et les lois proprement dites, contient une disposition d'une haute importance, qui dès l'origine a reçu le nom de clause de révision. La plupart des cons

38

CLAUSE DE RÉVISION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES.

titutions françaises, excepté les Chartes de 1844 et de 1830, ont prévu et réglé les conditions de leur révision; il est surtout logique qu'il en soit ainsi dans les constitutions républicaines. Celle de 1875 donne au droit de révision une étendue illimitée, sous la réserve du respect des formes constitutionnelles prescrites par l'article 8 et de la volonté du congrès investi par ce texte du pouvoir constituant. le texte de cet article 8 admet la révision des lois constitutionnelles << en tout ou en partie »; dans la discussion de la loi, des membres de l'assemblée ont obtenu de la commission cette déclaration faite par son rapporteur et que celui-ci a rappelée dans la séance du Sénat du 24 mai 1876 ' : « Nous entendons formelle>>ment que toutes les lois constitutionnelles dans leur ensemble » pourront être modifiées, que la forme même du gouvernement » pourra être l'objet d'une révision; il ne peut, il ne doit y avoir » à cet égard aucune équivoque ». Le gouvernement s'est également expliqué à ce sujet, en assurant l'exécution de l'article 4er de la loi du 29 décembre 1875 sur la presse [reproduit no 37].

Mais, suivant une distinction, sur laquelle nous reviendrons souvent [no 75, 76, 254, 654 et 655], entre l'interprétation par voie de doctrine et l'interprétation par voie d'autorité, il est bien évident que, si son interprétation par voie de doctrine est toujours permise, l'article 8, émanant du pouvoir constituant, ne peut au contraire être interprété par voie d'autorité que par une autre émanation du pouvoir constituant, c'est-à-dire par l'assemblée de révision qui a scule qualité, aux termes de l'article 8, pour modifier les lois constitutionnelles: cujus est condere, ejusdem est interpretari [no 655]. C'est ce que, sous une autre forme, le gouvernement et le Sénat ont unanimement reconnu dans la séance déjà signalée du 24 mai 1876.

'Journal officiel du 25 mai 1876, pages 3584 à 3587.

2 « L'article 1er punit toute attaque, non-seulement contre chacun des pouvoirs établis par les lois constitutionnelles, mais aussi contre ces pouvoirs considérés dans leur ensemble et contre les lois mêmes dont ils tirent leur origine. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'en mettant le pacte constitutionnel à l'abri des attaques des partis, le législateur n'a pas voulu le soustraire à une calme discussion et à une critique loyale. Il reste permis à chacun de signaler avec modération et bonne foi les imperfections qu'il croit y reconnaître, d'en réclamer l'amélioration ou même le changement dans le temps et par les moyens déterminés par la Constitution elle-même. Mais ces discussions permises n'ont rien de commun avec les attaques violentes et passionnées..... (Circulaire de M. Dufaure, garde des sceaux, ministre de la justice, aux procureurs généraux, du 7 janvier 1876)».

ASSEMBLÉE NATIONALE DE RÉVISION.

39

La clause de révision est en effet l'organisation constitutionnelle en permanence du pouvoir constituant [nos 40 et 545].

Il est même remarquable que, tandis que pour la législation ordinaire la loi constitutionnelle du 25 février 1875 consacre le système des deux chambres elle admet la révision de la Constitution, par une assemblée unique, composée de 834 membres (534 députés et 300 sénateurs), au sein de laquelle l'infériorité numérique du Sénat assure dans le vote la prépondérance à la Chambre des députés. Mais cette unique assemblée ne peut se réunir que si chacune des deux chambres, le Sénat et la Chambre des députés, déclare à la majorité absolue des voix qu'il y a lieu de procéder à la révision; et cette assemblée nationale de révision, ou congrès, investi par l'article 8 du pouvoir constituant, ne peut modifier la Constitution qu'à la majorité absolue de ses membres, présents ou non, votants ou non, c'est-à-dire par 448 voix au moins.

Nous disons plus loin [no 52] comment une première application de cette disposition constitutionnelle a été faite le 19 juin 1879 par l'assemblée nationale de révision qui a prononcé l'abrogation de l'article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relatif au séjour du pouvoir exécutif et des chambres.

39. Le pouvoir législatif est réparti par les lois constitutionnelles de 1875 entre deux assemblées, le Sénat et la Chambre des députés, et le président de la République.

L'initiative des lois appartient concurremment au président de la République et aux membres des deux chambres (L. C. 25 février, art. 3 21; L. C. 24 février, art. 8 2 1).

La discussion et le vote des lois appartiennent également aux deux chambres (L. C. 25 février, art. § 1, et art. 3 §4; L. C. 24 février, art. 8 § 1), sauf que les lois de finances doivent être en premier lieu présentées à la Chambre des députés et votées par elle (L. C. 24 février, art. 8 § 2), le droit du Sénat restant entier et parfaitement égal à celui de la Chambre des députés, comme sous les Chartes et Constitutions de 1814, 1815, 1830 et 1870 qui contenaient la même disposition. Afin d'éviter le grave inconvénient résultant en fait de cette circonstance que la loi du budget [no 366 à 580] de chaque année ne lui arriverait qu'au terme de la session, et en quelque sorte in extremis suivant l'expression employée au Sénat par l'auteur de la

40

COMPOSITION ET ORGANISATION DU SÉNAT;

proposition', le Sénat, après une discussion approfondie, a introduit dans son règlement une disposition aux termes de laquelle il nomme celle de ses commissions chargée de l'examen du budget et des lois de finances, avant qu'il n'en soit saisi 2.

Le droit d'initiative, de discussion et de vote comprend également pour les membres des deux chambres, sans distinction entre les lois de finances et les autres lois, le droit d'amendement.

Les lois constitutionnelles de 1875, s'inspirant exactement du principe de la séparation des pouvoirs, n'admettent pas que le président de la République puisse faire partie de l'une ou de l'autre des deux chambres et par suite voter les lois, ni qu'il puisse participer personnellement à leur discussion; il n'est admis à y intervenir que par ses ministres ou des commissaires adjoints désignés par décrets, et pouvant être pris parmi les conseillers d'État [no 74], ou par voie de messages lus à la tribune par un ministre (L C. 16 juillet 1875, art. 6).

Le président de la République n'a pas non plus la sanction de la loi; il peut seulement, «dans le délai fixé pour la promulgation » [n° 49], par nn message motivé, demander aux deux chambres >> une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée (L. C. 16 juillet, art. 7 § 2)», les Chambres pouvant réitérer leur vote primitif.

Il résulte de cette organisation du pouvoir législatif que les lois doivent actuellement en France prendre pour date le jour du vote de la dernière assemblée appelée à les voter définitivement; ce sera tantôt le vote du Sénat, tantôt celui de la Chambre des députés, suivant celle des deux assemblées qui aura été primitivement saisie du projet de loi, et suivant que la seconde aura ou non amendé le projet de loi voté par la première.

Nous savons en effet [ns 20 et 24] que les lois ne doivent pas être datées de leur promulgation. La promulgation, contrairement à la sanction, suppose en effet une loi déjà existante et n'est que son premier acte d'exécution [voir no 49].

1_2 « Les bureaux, au commencement de chaque session ordinaire, nomment pour toute la durée de la même session une commission de dix-huit membres chargés de l'examen 1° de tous projets de lois portant demando de crédits supplémentaires ou extraordinaires afférents aux exercices courants clos ou périmés; 2o de tous projets de lois ou propositions qui peuvent avoir pour effet de modifier la situation du Trésor; 3o de la loi des recettes et des dépenses (Règlement du Sénat du 10 juin 1876, art. 20) » ». - Journal officiel des 8 juin et 19 juillet 1876.

SA DURÉE, SON MODE DE RENOUVELLEMENT.

41

40. Le Sénat est une assemblée élective composée de 300 membres 225 élus par les départements et les colonies, et 75 élus au scrutin de liste et à la majorité absolue des suffrages par l'Assemblée nationale de 1874 qui a voté les lois constitutionnelles; ces derniers sont remplacés dans la même forme, en cas de décès, démission ou autre cause, par le Sénat lui-même dans le délai de deux mois (L. C. 24 février, art. 1, 5, et 7 § 2; loi organique du 2 août 1875, art. 24 et 25 [no 565]).

L'élection des 225 sénateurs des départements et des colonies est faite au scrutin de liste, à la majorité absolue et au chef-lieu du département ou de la colonie, par un collége électoral spécial, qui procède du suffrage universel à des degrés divers, et se compose de deux éléments distincts: 4° d'électeurs sénatoriaux de droit (députés, conseillers généraux et conseillers d'arrondissement), qui, en tant qu'électeurs sénatoriaux, représentent l'élection à deux degrés, et 2° d'électeurs sénatoriaux élus, un par chaque conseil municipal, parmi les électeurs de la commune, y compris les conseillers municipaux sans distinction entre eux (L. C. 24 février, art. 3, et L. 2 août 1875, art. 3 [no 565]), qui représentent l'élection à trois degrés [n° 549 in fine et 550], et forment l'immense majorité du collége électoral [nos 42, 56, 130, 179, 219 et 1143].

La loi organique du 2 août 1875 sur les élections des sénateurs ne détermine pas seulement tout ce qui concerne l'élection des délégués des conseils municipaux ou électeurs sénatoriaux de la seconde catégorie qui vient d'être désignée, et de leurs suppléants (art. 1 à 11), l'indemnité de déplacement qu'ils peuvent réclamer (art. 17), l'obligation qui leur est imposée, sauf empêchement légitime, de prendre part à tous les scrutins (art. 48), les formes des élections sénatoriales (art. 12 à 16); cette loi contient même les dispositions relatives aux incompatibilités avec les fonctions de sénateur (art. 20) et aux inéligibilités (art. 24), qui auraient pu trouver place dans les lois constitutionnelles, mais ont été laissées par la Constitution dans le domaine de la loi. Nous rapportons cette loi organique en traitant de la législation électorale [no 565]. La Constitution se borne à exiger des sénateurs la qualité de Français [no 563], l'âge de quarante ans au moins, et la jouissance des droits civils et politiques (L. C. 24 février 1875, art. 3).

Mais la loi constitutionnelle a fixé elle-même le nombre des sénateurs à élire par chaque département; deux départements (la Seine et le Nord) nomment chacun 5 sénateurs, six départements nomment chacun 4 sénateurs, vingt-sept départements en

« PreviousContinue »