Page images
PDF
EPUB

MINISTRES STATUANT COMME ADMINISTRATEURS.

397

mais comme administrateurs. Il est bien vrai qu'un recours direct au conseil d'État par la voie contentieuse est ouvert, dans ces hypothèses, contre leurs décisions; mais, dans ces divers cas, leurs actes n'en ont pas moins la même nature que ceux qu'ils accomplissent dans les hypothèses où c'est devant l'autorité judiciaire [no 1057 et 1102] que doit être portée la difficulté contentieuse née de la décision ministérielle. De même, nul ne reconnaît un jugement dans le décret [n° 1079] qui accorde une pension de retraite dont le fonctionnaire trouve le chiffre inférieur à celui auquel il croit avoir droit, et nous n'avons jamais vu un jugement dans l'arrêté par lequel le préfet refuse d'autoriser la création d'un établissement industriel classé comme insalubre [no 358], bien que, dans l'un et l'autre cas, le décret et l'arrêté préfectoral puissent être directement attaqués devant le conseil d'État par la voie contentieuse. Il est donc plus rationnel de reconnaître qu'il en est de même de l'arrêté ministériel, et que la voie de recours ouverte ne peut le transformer en acte de juridiction.

On y gagne de ne plus voir l'État juge et partie dans la personne du ministre; on y gagne aussi, tout en diminuant les cas dans lesquels les ministres font fonction de juges, de restreindre la dérogation à la règle, suivant nous salutaire, de l'an VIII, qui sépare en principe l'action de la juridiction administrative.

Il est vrai que ce système nouveau sur la nature des actes des ministres a pour conséquence d'élargir d'une façon très-notable le nombre des cas dans lesquels le conseil d'État est appelé à statuer comme unique degré de juridiction [no 274].

Mais l'existence de deux degrés de juridiction en matière administrative n'est consacrée par aucune disposition générale; et, d'autre part, les ministres n'ayant pas fait fonction de juges, rien ne s'oppose, dès lors, à ce qu'ils concluent dans ces affaires au nom de l'État devant le conseil; et il n'y a plus à distinguer si leurs décisions, qui ne sont pas alors des jugements, sont contradictoires ou par défaut, le recours au conseil devant toujours être formé dans le délai de trois mois, fixé par l'article 14 du décret de 1806.

434. La doctrine qui vient d'être enseignée réduit notablement la juridiction contentieuse des ministres. Nous croyons cependant qu'elle doit l'être encore davantage. La plupart des auteurs, même celui que nous avons cité plus haut, admettent que les ministres statuent aussi comme juges, lorsqu'ils sont saisis d'un recours dirigé contre une décision non contentieuse d'un préfet comme

398

JURIDICTION CONTENTIEUSE DES MINISTRES ;

violant un droit. Nous mentionnons ici cette opinion sans y adhérer; nous persistons à considérer [voir nos 72, 98 et 122] que c'est comme administrateurs, et non comme juges, que les ministres connaissent des actes non contentieux de leurs subordonnés Suivant nous, la décision à intervenir ne change pas plus de caractère et de nature par l'effet du recours hiérarchique, en passant du troisième au second degré de la hiérarchie administrative, que lorsque le recours s'adresse d'abord à l'auteur de l'acte lui-même mieux informé; l'acte ministériel qui maintient ou annule l'arrêté préfectoral, n'est pas plus un jugement que le premier arrêté préfectoral ou le second qui confirme le premier. Dans cette hypothèse comme dans la précédente, le conseil d'État statuera comme unique degré de juridiction.

435. Si importantes que soient ces éliminations, la juridiction contentieuse des ministres n'en subsiste pas moins, tant qu'un texte, que nous verrions survenir sans regret, ne l'aura pas fait disparaître. Les ministres sont juges dans les cas suivants :

1° Lorsque, la contestation rentrant dans le contentieux administratif, la loi n'a attribué compétence à aucune autre juridiction [n° 429] et que l'acte n'émane pas du pouvoir exécutif (no 274 5o). Pour chaque ministre, cette règle est de nature à recevoir les applications les plus variées [n° 478, 1527 et autres].

2o Lorsqu'ils sont saisis d'un recours formé devant eux contre une décision contentieuse d'un préfet, soit qu'elle émane directement du préfet [nos 438, 439, 500], soit que celui-ci ait statué sur la décision contentieuse d'un sous-préfet [no 440] ou d'un maire [n° 444].

3° Lorsqu'un texte confère au ministre le droit de statuer comme juge. C'est ainsi, par exemple, que la loi du 18 juillet 4860 sur l'émigration donne au ministre de l'agriculture et du commerce le droit de régler les indemnités dues aux émigrants par les agences d'émigration, dans le cas où celles-ci n'auraient pas rempli depuis le départ du navire leurs engagements envers les émigrants. C'est encore ainsi qu'une loi du 10 juillet 1850 approuve un marché passé par le ministre des finances pour l'entreprise du transport des dépêches entre Marseille et la Corse, dont l'article 53 porte: «Toutes les difficultés auxquelles pourraient donner lieu » l'exécution ou l'interprétation des clauses du présent cahier des >> charges, seront jugées aministrativement par le ministre des >> finances, sauf recours au conseil d'Etat (Trib confl. 4 le

[ocr errors]

LIMITATION ET PROCÉDUre.

399

vrier 1873, État c. Valéry frères. >> - Dans le même ordre d'idées, bien que dans une matière fort différente, se placent et l'article 24 du statut sur l'agrégation des facultés du 10 août 1857, modifié en 4874, qui investit le ministre de l'instruction publique de la connaissance des réclamations auxquelles peuvent donner lieu les concours d'agrégation des facultés de droit, et surtout l'article 7 du décret portant règlement d'administration publique du mois de mars 1880 sur les élections au conseil supérieur de l'instruction publique en exécution de la loi nouvelle de 1880 ci-dessous rapportée et expliquée [no 470 à 480].

436. Jusqu'au décret du 2 novembre 1864, aucune forme de procédure n'a été tracée pour l'instruction des affaires de la compétence des ministres. Elles s'instruisent, sur simples mémoires, dans les bureaux du ministère, et la décision est rendue, parfois sur le rapport d'un agent de l'administration ou d'un employé du ministère, parfois sur l'avis de la section du conseil d'État correspondant au département du ministre qui a rendu la décision; c'est à cette dernière hypothèse que fait allusion l'article 20 de la loi du 24 mai 4872 aux termes duquel : « Les membres du conseil d'État ne » peuvent participer au jugement des recours dirigés contre les > décisions qui ont été préparées par les sections auxquelles ils » appartiennent s'ils ont pris part à la délibération ». La forme de l'arrêté ministériel n'est pas davantage déterminée, et rien ne révèle extérieurement s'il est un jugement rendu au contentieux ou un acte d'administration pure.

437. Les articles 5, 6 et 7 du décret du 2 novembre 1864 ont eu pour but de hâter la décision ministérielle, et de mettre les parties intéressées en mesure de connaître les motifs des décisions rendues sur leurs réclamations. L'article 6 s'applique à la fois aux décisions contentieuses et non contentieuses des ministres; et, à ce sujet, une révélation utile est faite, avec l'autorité qui lui appartient, par l'auteur que nous avons cité ci-dessus : « Le conseil » d'État qui a rédigé le décret a eu soin, dit-il, de ne pas qualifier » de jugements les actes auxquels il faisait allusion; précisément » parce qu'il ne voulait pas consacrer la théorie qui attribue aux » ministres le pouvoir de juges dans tous les cas où leurs décisions » sont susceptibles de recours devant le conseil d'État ».

Les ministres font délivrer aux parties intéressées qui le demandent un récépissé constatant la date de la réception et de l'enregistrement au ministère de

400

JURIDICTION CONTENTIEUSE DES MINISTRES.

'leur réclamation (Décret du 2 novembre 1864, art. 5). Les ministres statuen: par des décisions spéciales sur les affaires qui peuvent être l'objet d'un recours par la voie contentieuse. Ces décisions sont notifiées administrativement au parties intéressées (art. 6). Lorsque des ministres statuent sur des recca's contre les décisions d'autorités qui leur sont subordonnées, leur décision dat intervenir dans le délai de quatre mois à dater de la réception de la reclamation au ministère. Si des pièces sont produites ultérieurement par le reclamant, le délai ne court qu'à dater de la réception de ces pièces. Après l'expiration de ce délai, s'il n'est intervenu aucune décision, les parties peuvent considerer leur réclamation comme rejetée et se pourvoir devant le conseil d'État (art. 7. -Lorsque les ministres sont appelés à produire des défenses ou à présenter des observations sur des pourvois introduits devant le conseil d'État, la section du contentieux fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, les délais dans lesquels les réponses et observations doivent être produites (art. 8).

2 III. — PRÉFETS, SOUS-PRÉFETS ET MAIRES JUGES AU CONTENTIEUX.

438. Attributions contentieuses des préfets.

439. Devant quelle autorité et dans quel délai l'appel contre leurs décisions did être formé.

440. Attributions contentieuses des sous-préfets.

441. Attribution contentieuse des maires relative au logement des gens

guerre.

442. Autres attributions, dont l'une relative aux courses. Règle commune.

438. Le préfet statue, tantôt en appel comme investi du droit de connaître des recours formés contre les décisions contentieuses des sous-préfets et des maires; tantôt directement lorsqu'il est sais du droit de juger par un texte formel.

Ces textes sont actuellement et heureusement fort rares; en effet, jusqu'ici le progrès a consisté à les restreindre de plus en plus c'est ainsi que nous avons vu [no 426] l'article 14 de la loi da 24 juin 1865 transporter aux conseils de préfecture la connaissance de toutes les affaires dont le jugement était attribué au prét en conseil de préfecture. Un pas de plus dans la voie du progres consisterait, suivant nous, à faire complétement disparaître les aitributions contentieuses des administrateurs, et à réaliser le principe de séparation posé depuis l'an VIII entre l'action et la juridic tion administrative; et, en raison des précédents, il ne reste que peu de chose à faire pour achever l'œuvre. Mais le projet de lo. heureusement laissé dans les cartons, dont la commission de dcentralisation de l'assemblée nationale de 1874 l'avait saisie, pour l'inviter à décentraliser en supprimant les conseils de préfecture et en donnant une partie de leurs attributions contentieuses aL1

JURIDICTION DES PRÉFETS ET SOUS-PRÉFETS.

404

préfets [no 289], avait aussi sous ce rapport proposé le contraire de ce que nous persistons à considérer comme étant le progrès désirable.

439. Dans l'état actuel des attributions contentieuses si restreintes des préfets, il est à peine utile d'examiner les difficultés pouvant se produire relativement aux règles et aux délais des recours ouverts contre l'arrêté préfectoral contentieux : absence de délai pour réclamer devant le ministre ; délai de trois mois [n° 279] à partir de la notification, pour attaquer devant le conseil d'État, soit la décision du préfet, soit celle du ministre, suivant les textes; degrés de juridiction non limités.

440. Le sous-préfet était chargé, par l'article 15 de l'arrêté du 8 prairial de l'an XI, de juger diverses contestations relatives à l'octroi de navigation; la loi du 9 juillet 1836 (art. 21) a attribué la connaissance des questions de fond aux tribunaux judiciaires; d'après l'opinion la plus générale, les questions de formes seraient restées soumises à la décision du sous-préfet; toutefois cette division dans la compétence nous semble peu motivée, et présente un intérêt pratique presque nul.

Mais nous persistons à voir une véritable juridiction contentieuse dévolue au sous-préfet par les articles 20 du Code forestier (modifié par la loi du 4 mai 1837) et 86 de l'ordonnance du 1er août 4827, dans le pouvoir que ces textes lui confèrent, comme président de la séance d'adjudication des coupes de bois des forêts domaniales, de décider immédiatement sur toutes les contestations pouvant s'élever pendant les opérations d'adjudication, soit sur la validité desdites opérations, soit sur la solvabilité de ceux qui auront fait des offres et celle de leurs cautions.

444. Les attributions contentieuses des maires ne sont guère plus étendues. Ils statuent sur les difficultés relatives à l'indemnité due, par les officiers qui marchent sans troupes, aux habitants tenus de les recevoir sur billets de logement (L. 23 mai 179218 janvier 4793; règlement annexe, art. 26 et 52). Il faut remarquer que les lois et règlements relatifs au logement des militaires français ne s'appliquent pas au logement des soldats étrangers en temps de guerre. En réglementant, sur les injonctions des chefs d'une armée envahissante, le logement et la nourriture d'officiers et soldats étrangers, le maire d'une commune n'exerce pas les fonctions d'un magistrat administratif chargé d'assurer le main

T. I.

26

« PreviousContinue »