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APPLICATION DU PRINCIPE DE LA GESTION D'AFFAIRES.

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req. du 31 mars 1873; trib. Chartres, 24 décembre 1872, Lecomte c. commune de Coudray; c. c. ch. req. 5 juillet 1875, commune d'Épagny c. Huot); et à plus forte raison sur la réquisition directe du maire (c. c. ch. req. 20 avril 1874, com. de Pavilly c. Cabot).

C'est de plein droit, par la force des circonstances, que l'administration municipale, en vertu de l'article 3 2 5 du titre XI de la loi des 46-24 août 1790 [no 203], qui la charge de faire cesser ou de prévenir les fléaux calamiteux, est investie du pouvoir de répartir entre les habitants la charge du logement et de la nourriture des soldats ennemis; elle agit dans l'intérêt de la généralité des habitants, pour les soustraire aux violences de l'envahisseur (c. c. ch. req. 13 juillet 1875, communes de Bard et de Pesmes). Sous le coup de réquisitions formelles de l'ennemi et pour prévenir de plus grands malheurs, l'administration municipale n'excède pas ses pouvoirs en répartissant les charges du logement des officiers et soldats ennemis suivant les facultés des habitants (c. c. ch. civ. 2 juin 1874; 12 août 1874, Vitry-le-Français c. Adenet; 12 avril 1875, de Courson c. ville de Vitry). Comme negotiorum gestor, le maire a son recours contre les habitants dont il a fait l'affaire en commandant et en payant pour eux (tribunal d'Orléans, 4 février 4873, ville d'Orléans c. Merlet); les habitants qui ont fait des fournitures sur réquisitions de l'autorité locale ou de l'autorité ennemie ont le droit de se faire indemniser par la commune de ces pertes subies dans l'intérêt de tous (c. c. ch. req. 13 mai 1873, deux arrêts rejetant pourvois de la commune de Vendresse); le maire a le droit de requérir un maître d'hôtel de fournir pour le compte d'un habitant de la commune le logement et la nourriture à un certain nombre d'officiers et soldats ennemis, sauf remboursement de dépense par la commune, et recours de celle-ci, suivant les principes de la gestion d'affaires, contre l'habitant pour le compte duquel la dépense a été faite (c. c. ch. civ. 2 juin 1874, ville de Sens c. Odot et de Bonnaire).

D'autres arrêts de la cour de cassation ont encore consacré cette jurisprudence si bien établie (28 avril 1875, Cossonnet c. Dupré et Lusson; 4o mai 1876, Masson c. commune du Pecq; 11 décembre 4878, com. de Chaville c. Champion).

Ces décisions sont fondées sur le principe que les décrets des 23 janvier-7 avril 1790, 8-40 juillet 1791 et 23 mai 1792, 18 janvier 1793, qui règlent les mesures à prendre pour le logement des militaires français, sont sans application au logement des troupes ennemies en cas d'invasion; que, dans ce cas, les frais de

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IRRESPONSABILITÉ LÉGALE DE L'ÉTAT;

logement et de nourriture des soldats ennemis doivent rester à la charge de l'habitant comme charge personnelle de guerre; mais que les fournisseurs ne doivent être astreints qu'à supporter leur part contributive comme habitants, ce qui justifie leur recours contre la commune, et le recours de celle-ci contre chaque habitant par voie de répartition. Une proposition de loi d'initiative parlementaire a été soumise à la Chambre des députés pour établir au profit des communes une prescription spéciale contre ces actions des particuliers relatives à des réquisitions de l'armée ennemie pendant la guerre de 1870-71 (séance du 29 avril 1880; J. off. 5 mai 1880). Nous croyons aussi à l'utilité de ne pas laisser les communes pendant trente ans sous le coup de pareilles actions, sans admettre, ni les critiques des auteurs de la proposition contre la jurisprudence ci-dessus, ni leur affirmation de la responsabilité de l'État en cette matière.

383. Le principe de l'irresponsabilité de l'État en raison des faits de guerre en présence de l'ennemi et par l'occupation de l'ennemi, loin d'être affaibli par la loi spéciale du 6 septembre 1874 qui alloue une première indemnité de 400 millions aux départements et de 6 millions pour la ville de Paris, y trouve sa confirmation. Si le préambule de cette loi parle de l'obligation de l'État de dédommager ceux qui, dans la lutte commune, ont été frappés de pertes exceptionnelles, il indique assez qu'il s'agit d'une obligation purement morale, puisqu'il dispose que cette obligation prend sa source non dans le droit, mais dans les sentiments de nationalité qui sont dans le cœur de tous les Français; il maintient en outre les principes, ci-dessus exposés, des textes de 1791 et de 1853. De ces mots « au prorata des pertes » de l'article 3 2 2 de la loi et de la discussion, il résulte encore qu'il n'a point été entendu que l'indemnité dût être égale au dommage. Enfin le chef du gouvernement', en admettant un dédommagement large et immédiat, affirmait, avec raison suivant nous, que les principes du droit public ne permettaient pas de reconnaître l'existence d'une créance véritable naissant des dommages causés à la guerre; et l'un des représentants des départements les plus éprouvés par l'invasion3, l'un des défenseurs les plus énergiques de l'indemnité, a dit aussi cette vérité «Si la créance existait, une loi ne serait pas néces»saire ». Donc, la loi du 6 septembre 1874 n'a pas admis que les

'M. Thiers, président de la République. — 2 M. Buffet, député des Vosges.

LOI DE DÉDOMMAGEMENT DE 1871.

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victimes de l'invasion eussent une créance contre l'État et pussent exiger une réparation comme un droit; et, par suite, les tribunaux doivent décider que cette loi n'a point éteint les actions de ceux qui ont droit d'en exercer (tribunal de la Seine, 17 janvier 1873, Reilhac c. chemin de fer de l'Est), sauf à faire la déduction du dédommagement payé sur les fonds de l'État.

Loi du 6 septembre 1871, qui fait supporter par toute la nation française les contributions de guerre, réquisitions et dommages matériels de toute nature causés par l'invasion. Considérant que, dans la dernière guerre, la partie du territoire envahie par l'ennemi a supporté des charges et subi des dévastations sans nombre; que les sentiments de nationalité qui sont dans le cœur de tous les Français imposent à l'État l'obligation de dédommager ceux qu'ont frappés dans la lutte commune des pertes exceptionnelles, l'Assemblée nationale, sans entendre déroger aux principes posés dans la loi du 10 juillet 1791 et le décret du 10 août 1853, décrète : - Article 1. Un dédommagement sera accordé à tous ceux qui ont subi, pendant l'invasion, des contributions de guerre, des réquisitions soit en argent soit en nature, des amendes et des dommages matériels..... Art. 2. Lorsque l'étendue des pertes aura été ainsi constatée (par des commissions cantonales et départementales), une loi fixera la somme que l'état du Trésor public permettra de consacrer à leur dédommagement, et en déterminera la répartition. Une somme de cent millions sera mise immédiatement à la disposition du ministre de l'intérieur et du ministre des finances, et répartie entre les départements au prorata des pertes qu'ils ont éprouvées... — Art. 3. Une somme de six millions de francs est également mise à la disposition des ministres des finances et de l'intérieur, pour être, sauf règlement ultérieur, répartie entre ceux qui ont le plus souffert des opérations d'attaque dirigées par l'armée française pour rentrer dans Paris.

383 bis. La seconde loi, annoncée par l'article 2 de la précédente et rendue pour compléter son exécution par de nouvelles allocations, est intervenue à la date du 7 avril 1873. Elle ajoute 140 millions d'indemnité pour la ville de Paris, et 120 millions pour les départements envahis, y compris le département de la Seine, moins la ville de Paris, aux sommes distribuées en vertu de la loi du 6 septembre 1874. On a vivement reproché à cette loi d'avoir fait les parts inégales au profit de la ville de Paris, et ce n'est pas sans peine que, sur un amendement d'initiative parlementaire, let chiffre de l'indemnité des départements a été porté de 100 (chiffre proposé) à 120 millions. Relativement aux graves questions que faisaient naître pour la ville de Paris les dévastations causées par l'insurrection communale, il faut rapprocher les dispositions de cette loi, intervenues à titre de transaction, et surtout l'article 5, des questions controversées sur l'application de la loi du 10 vendémiaire an IV [nos 4483 et 4484]. Il convient aussi de remarquer que les sommes accordées par ces deux lois des 6 septembre 1871 et

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LOI DE DÉDOMMAGEMENT DE 1873.

7 avril 1873, sont étrangères, sauf Paris, au remboursement des réquisitions exercées contre les particuliers pendant la guerre, par les autorités françaises civiles ou militaires; les ministres, suivant le droit commun, ont dû être saisis de ces demandes, mais dans des formes et surtout des délais fixés par une autre loi du 15 juin 1871.

Moyennant cette allocation, la ville de Paris supportera: 1° le paiement du solde des indemnités restant dues pour la réparation des dommages matériels causés à l'intérieur ou à l'entour de Paris par le fait des opérations militaires du second siége; 2o la réparation des dommages matériels soufferts par les propriétés mobilières et immobilières de Paris et de ses alentours, et résultant de l'insurrection du 18 mars 1871. Ces deux ordres d'indemnités seront définitivement réglés par des commissions administratives présidées par le préfet de la Seine. Le paiement aura lieu comme suit pour la première catégorie, en quinze annuités égales avec intérêt à 5 p. 100; pour la seconde catégorie, en quinze annuités égales sans intérêt. Le tout conformément à la délibération du conseil municipal en date du 19 juillet 1872 (L. 7 avril 1873, art. 2). — Au moyen de l'allocation votée dans l'article 1er, la ville de Paris ne pourra exercer contre l'État aucune réclamation, à raison tant du remboursement du solde de la contribution de guerre de 200 millions que du remboursement de ses dépenses de guerre et des pertes qu'elle a subies par suite de l'insurrection du 18 mars 1871 (art. 5). Un décret rendu dans la forme des règlements d'administration publique déterminera dans quelle proportion il pourra y avoir lieu de remettre aux départements, aux communes ou aux particuliers, des bons de liquidation représentant les annuités accordées par la présente loi. Le même décret réglera la forme et les conditions de la remise des titres aux ayants droit (art. 9).

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384. Une troisième loi d'indemnité a été votée le 28 juillet 1874. Ceux dont les propriétés, tant à Paris que dans les départements, ont été détruites, détériorées, ou occupées, pour les besoins de la défense nationale, n'étaient pas compris dans les allocations de 220 et 446 millions des deux lois précédentes. Nous avons vu dans les pages qui précèdent que les dommages causés par ces démolitions et travaux de défense soulèvent des questions complexes, suivant le moment et les circonstances de leur exécution, donnant droit à indemnité lorsqu'ils n'ont été que des mesures préventives et précautionnelles de défense [nos 374 à 376, 380], n'engendraut aucune action en indemnité lorsqu'ils ont constitué des faits de guerre imposés par les nécessités immédiates de la défense [n's 377, 378, 380 et 384]. Aux propriétaires qui se trouvent dans ce dernier cas, la loi du 28 juillet 1874 étend la règle de dédommagement gracieux, écrite au profit des victimes des événements de 1870-71 dans les deux lois précédentes; aux propriétaires qui se trouvent dans le premier cas, et qui pourraient avoir un droit à faire valoir

LOI DE DÉDOMMAGEment de 1874.

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devant les tribunaux, les dispositions de la loi sont offertes à titre de transaction.

Il faut remarquer: 1° l'énergie avec laquelle les principes de droit ci-dessus exposés sont confirmés par l'article 4er; 2° les exclusions prononcées par l'article 2; 3° la souveraineté de juridiction de la commission administrative de liquidation, constituée pour l'exécution de cette loi, comme pour les deux lois précédentes; 4 la prescription spéciale d'une année à partir du 7 août 4874, écrite dans l'article 40 et dernier de cette loi; et 5° le mode de paiement, déjà introduit par les lois précédentes, par voie de bons de liquidation (art. 7 à 9 [n" 1069]).

Par dérogation à la législation existante et à titre exceptionnel, il sera alloué un dédommagement à tous ceux qui justifieront avoir, comme propriétaires ou occupants, subi pendant la guerre de 1870-1871, dans les places fortes ou partout ailleurs, en dedans ou en dehors de toute zone de servitudes militaires, un préjudice matériel et direct résultant des mesures de défense qui ont été prises par l'autorité militaire française (Loi du 28 juillet 1874, qui accorde un dédommagement aux personnes qui ont éprouvé préjudice lors des destructions opérées par le génie militaire pour les besoins de la défense nationale, art. 1er). — Sont exclus du bénéfice de la présente loi : 1o ceux qui ne renonceraient pas à toute action devant les tribunaux judiciaires ou administratifs; 2o ceux qui n'auront pas adressé ou renouvelé leur demande à l'administration, conformément au premier paragraphe de l'article 4 ci-après, 3 ceux qui auraient souscrit un engagement de démolir à première réquisition, ou dont les immeubles auraient été construits en contravention aux lois (art. 2). — Il sera constitué, par décret du président de la République, rendu sur la proposition des ministres de la guerre et de l'intérieur, une commission chargée d'examiner toutes les réclamations. Les demandes déjà faites devront être renouvelées et les demandes nouvelles devront être adressées pour Paris et le département de la Seine, au ministre de l'intérieur; pour les départements, aux préfets (art. 3). O Ces renouvellements et demandes nouvelles devront avoir lieu dans un délai de deux mois, à compter de la promulgation de la présente loi. Le fait seul de la demande administrative ou du renouvellement de celle déjà faite emportera de plein droit acceptation de la décision à intervenir par la commission. Toute personne qui n'aura pas fait ou renouvelé sa demande, en conformité du présent article, dans le délai de deux mois, sera déchue de plein droit. En ce qui concerne les personnes qui n'ont pas la libre disposition de leurs biens, le fait de ces renouvellements ou de ces demandes nouvelles sera assimilé à un acte de simple administration et sera dispensé d'autorisation spéciale et de toute autre formalité judiciaire (art. 4). — La commission contrôlera ces réclamations avec les documents existants ou à l'aide de tous moyens nouveaux qu'elle croirait devoir employer. Dans le cas où ceux qui ont subi des dommages rentrant dans les catégories prévues, cidessus énoncées, auraient été compris dans les répartitions des indemnités votées par l'Assemblée, aux termes des lois des 6 septembre 1871 et 7 avril 1873, les sommes perçues par eux seront déduites du montant de celles qui leur reviendront en vertu de la présente loi. La commission arrêtera définitive

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