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COMPÉTENCE JUDICIAIRE.

civils, et le jury d'expropriation relevant de cette autorité, qui reçoivent l'attribution de compétence dans les cas déterminés par ce texte c'est-à-dire relativement à des dommages causés à la propriété privée, pendant l'état de paix ou de guerre (à l'exclusion de l'état de siége effectif) des places fortes ou des autres parties du territoire, sans distinction entre celles où l'état de siége dit fictif aurait été proclamé et celles où il ne l'aurait pas été (Trib. confi. 11 janvier 1873, Coignet ; id. Royer; id. Charret ; Lyon, 15 mars 1873, et c. ch. req. 24 février 1874, Brac de la Perrière; Trib. confl. 15 mars 1873, Fiereck; 28 juin 1873, Dumont), et lorsque les inondations ou destructions ordonnées ont le caractère de mesures de défense simplement préventives et précautionnelles, sans constituer des faits accidentels de guerre résultant de la force majeure et imposés par les nécessités immédiates de la défense (Trib. confl. 1er fév. 1873, de Pommereu; C. d'Ét. 13 fév. 1874, Batteux; 4o mai 1874, Allotte; 16 mai 1874, de Riencourt; 3 juillet 1874, Maurice).

2o L'autorité judiciaire est aussi compétente pour statuer sur les demandes d'indemnités réclamées au cas de réquisition, régulière ou non, d'immeubles en vue de la fabrication ou du dépit d'armes, de munitions et autres engins de guerre, ou du logement des troupes. La situation juridique est celle d'un bail forcé existant entre l'État et le propriétaire; or, dans le cas où l'État occupe une propriété privée en vertu d'un bail, même à l'effet d'y installer un service public, il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de statuer, par application des règles du droit civil, sur les difficultés relatives à l'exécution du bail et à ses conséquences. C'est cette jurispru dence du droit commun consacrée en matière de bail (no 350 et 1037], qui reçoit ici son application. Elle se trouve, en outre, consacrée dans l'espèce par la disposition spéciale de l'article 4 d'un décret du gouvernement de la défense nationale en date du 12 novembre 1870, qui a dû être étendu à l'ensemble du territoire français, et porte formellement que « toute difficulté relative, soit à la prise de possession de l'atelier requis, soit à son occupation tem» poraire, soit à sa restitution entre les mains de son propriétaire, » sera jugée par le tribunal civil » (Trib. confl. 11 janvier 4873. Péju; 44 janvier 1873, Joannon; 25 janvier 1873, Planque; 5 avri 1873, Vetlard).

3o L'autorité judiciaire est encore compétente, suivant le dre commun, toutes les fois qu'en matière de réquisitions de guerre on invoque les principes de la gestion d'affaires (C. d'Et. 41 1872; Dijon, 47 juillet 1872; c. cass. ch. c. 25 mars 1874, rille de

COMPÉTENCE DU CONSEIL DE PRÉFECTURE; PARIS.

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Chartres c. Michard; ch. req. 20 avril 1874, comm. de Savilly c. Cabot; et les arrêts cités no 382).

379. L'autorité administrative est seule compétente, au contraire, pour dire, en cas de contestation, si une place est ou non classée comme place de guerre. L'article 15 de la loi de 1819 ne peut être invoqué que par les propriétaires atteints pour les besoins de la défense d'une place de guerre; s'il y a contestation et doute sur le point de savoir si une place est classée ou non comme place de guerre, l'autorité judiciaire saisie, aux termes de l'article 15 de la loi de 1849, doit surseoir jusqu'à ce que l'autorité administrative [no 254 et 274 5o] ait donné l'interprétation des actes de classement (Metz, 5 juillet 1833, Delavie).

Lorsque c'est, au contraire, le conseil de préfecture qui est saisi, par exemple, d'une poursuite dirigée contre des contrevenants aux règles relatives aux servitudes militaires, il peut juger à la fois le fond et l'exception, l'un et l'autre relevant du conseil d'État au second degré de juridiction (C. d'Ét. 30 novembre 1832, 44 juillet 1838, et les six arrêts du 24 juillet 1856 [no 370 et 374]). Ces six arrêts, en se prononçant dans le sens de l'application des servitudes militaires, jugeaient négativement la question de savoir si Paris était classé comme place de guerre; la question sc pose encore aujourd'hui dans les mêmes termes, bien qu'elle paraisse étrange après les deux siéges de 1870 et 1871. L'article 7 de la loi du 3 avril 1844, spéciale aux fortifications de la ville de Paris, porte: «< qu'elle ne pourra être classée parmi les places de » guerre qu'en vertu d'une loi»; les tableaux des places de guerre, annexés à la loi du 10 juillet 4851 et au décret du 10 août 1853, portent que l'enceinte et les ouvrages détachés de Paris ne figurent aux tableaux de classement, première série, l'un que pour mémoire, et l'autre que pour ordre. De sorte que la question juridique est aujourd'hui ce qu'elle était en 4856, et peut être préjudicielle aux affaires soumises soit aux conseils de préfecture qui peuvent la résoudre, soit aux tribunaux civils qui doivent surseoir.

Il résulte de la discussion qui a précédé le vote de l'article 7 de la loi de 1844, que cet article signifie seulement que la ville de Paris ne sera soumise, au point de vue de son régime intérieur, aux lois de police et de compétence des places de guerre, que lorsqu'une loi spéciale l'aura privée du régime ordinaire de ville ouverte; mais les articles 8 et suivants [no 369] prouvent que les servitudes militaires et toutes les charges imposées à la propriété privée pour la

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SITUATION DE PARIS COMME PLACE DE GUERRE.

défense des places fortes sont applicables à Paris comme à toutes les autres places de guerre. Les six arrêts de 1856 du conseil d'État et un arrêt de la cour de cassation du 2 septembre 1870 (Dalloz, 70, 1, 76), loin de présenter la moindre contradiction, reposent sur cette distinction, confirmée par les arrêts ultérieurs du conseil d'Etat (C. d'Ét. 23 mai 1873, de Lamotte; 8 août 1873, Quidor et Quintaine; 18 août 1873, Lemaire).

La loi du 27 mars 1874 relative aux nouveaux forts à construire autour de Paris, étrangère à l'enceinte continue de la place de Paris, n'a rien changé à cette situation, ainsi que cela résulte des articles et 3 de cette loi, ainsi conçus :

Il sera construit de nouveaux ouvrages intérieurs autour de Paris, sur les emplacements indiqués par le comité de défense. Ces travaux sont déclares d'utilité publique et d'urgence (L. 27 mars 1874, art. 1er). Ces ouvrages de fortifications seront classés dans la première série des places de guerre. Totefois la première zone des servitudes défensives, telle qu'elle est définie par le décret du 10 août 1853, leur sera seule appliquée. Cette zone unique de 250 mètres sera mesurée sur les capitales, à partir de la crête des glacis (art. 3).

380. L'autorité administrative est encore compétente :

4° Pour fixer les caractères des actes de l'autorité militaire, lorsqu'ils sont contestés (C. d'Ét. 19 mai 1864, Hérauldès; 13 mai 1872, Brac de la Perrière; 13 février 1874, Batteux, et conclusions du comm. du gouv., p. 1427 du Recueil des arrêts du conseil.

Les trois arrêts en date du 14 janvier 1873 [cités nos 376 et 378), par lesquels le tribunal des conflits a annulé trois arrêtés de conflits pris par le préfet du Rhône en cette matière, prennent soin de constater aussi : « que, dans ses observations, le ministre de » la guerre, loin de contester le caractère des travaux exécutés » sur la propriété des démandeurs, et de réclamer pour l'autorité >> administrative le droit, en cas de doute, de déterminer préala>>blement ce caractère, se borne à soutenir...... ; qu'ainsi il n'est » pas contesté et il est constant, en fait, que les travaux dont i » s'agit faisaient partie des travaux de défense exécutés sur les » points du territoire qu'on supposait pouvoir être menacés par » l'invasion, et qu'ils ne pouvaient dès lors être considérés comme » ayant le caractère d'un fait de guerre accidentel... >>.

2o Pour connaître d'une demande d'indemnité relative à une ré quisition de fournitures ou objets mobiliers, on suit la règle de compétence écrite pour le cas de marché volontaire de fournitures [voir no 432]; c'est ce qu'a décidé un arrêt du tribunal des condis du 44 décembre 1872 (Vally c. préfet du Rhône).

COMPÉTENCE ADMINISTRATIVE.

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3° Pour connaître d'une demande en indemnité, même pour dommage causé à un immeuble, mais formée en raison de faits sortant des prévisions de l'article 15 de la loi du 17 juillet 1819 (C. d'Ét. 7 avril 1835, Guerlin-Houel; 13 mai 1872, Brac de la Perrière), soit qu'il s'agisse de mesures prises par l'autorité militaire dans une place investie par l'ennemi (C. d'Et. 18 mai 1872, Bertin; Paris, 1er juillet 1873), soit qu'il s'agisse de faits de guerre, en dehors des places fortes, nécessités par la défense nationale (C. d'Ét. 26 mars 1823), soit qu'il émane de l'ennemi [voir les décisions cidessous no 384], soit qu'il émane de bandes armées ou non armées composées d'habitants de la ville (Trib. confl. 25 janvier 1873, Planque et Papelard).

Dans ces diverses hypothèses, l'affaire n'appartient pas plus au contentieux administratif qu'au contentieux judiciaire; l'autorité administrative compétente, c'est le ministre de la guerre (celui de l'intérieur dans la dernière espèce); le ministre seul doit être saisi, non comme juge, mais comme administrateur, et sa décision ne peut être l'objet d'un recours par la voie contentieuse; le droit à indemnité n'existe pas; il n'y a de possible que l'application de lois spéciales de dédommagements [nos 377, 381, 383 à 384].

381. Nous avons dit ci-dessus [no 377] que ce n'est pas seulement en cas d'état de siége effectif d'une place de guerre ou d'un poste militaire, que l'État est irresponsable des dommages causés par fait de guerre, en raison des mesures de défense prescrites par l'autorité militaire dans un intérêt immédiat de défense nationale. Il en est de même de tous faits de guerre pouvant se produire sur tous les points du territoire en présence de l'ennemi. Ces faits ne peuvent faire naître aucune créance d'indemnité, ni contre l'État, ni contre le département, ni contre la commune. Bien que cette hypothèse soit étrangère au régime des places de guerre, l'article 39 du décret de 1853 l'a surabondamment assimilée à l'état de siége effectif, et on a vu [no 377] que ce texte dit formellement que tout dommage résultant d'un fait de guerre par un corps » d'armée ou un détachement en face de l'ennemi n'ouvre aucun » droit à indemnité ». C'est ce qu'a toujours reconnu la jurisprudence, soit administrative, soit judiciaire (C. d'Et. 26 mars 1823, Bellamy; 22 janvier 1824, Deserce; c. ch. civ. 144 juillet 1846, de Chazournes; et arrêts récents cités no 379 et 380). Il en est encore ainsi des dispositions stratégiques, telles qu'une occupation de terrain pour le campement d'un corps de réserve, d'une armée fran

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IRRESPONSABILITÉ POUR FAITS DE GUERRE.

çaise assiégeant une ville insurgée (C. d'Ét. 9 mai 1873, Pesty). L'État est également irresponsable des dégradations et destructions imputables non-seulement aux gardes nationaux et autres troupes qui se trouvaient à proximité des immeubles, mais à des maraudeurs de toute sorte (C. d'Ét. 8 août 1873, Quidor et Quintaine).

De même, les faits de guerre ne peuvent donner lieu à aucune action en indemnité lorsque le dommage est causé, non plus par les corps d'armée de la défense, mais par l'ennemi, au cas d'occupation de l'ennemi. Le principe se produit même, dans ce cas, avec un caractère plus absolu, car jamais les dommages causés par les faits de l'ennemi ne donnent droit à une indemnité à la charge soit de l'État, soit du département, soit de la commune. C'est ce qu'a toujours jugé le conseil d'État (C. d'Ét. 23 avril 1823, 14 février 1824, 27 avril 1825, 16 novembre 1825, 9 juin 1830, 30 août 1842). C'est ce qu'a décidé également un jugement du tribunal de Chartres du 2 août 1872 (Dutemple de Rougement c. ville de Chartres), dont les motifs, tout en établissant ce point de droit, constatent, en fait, les actes odieux de pillage et d'exaction commis par l'invasion allemande dans la triste campagne 1870-1874.

Dans un cas comme dans l'autre, il y a un fait de force majeure frappant fatalement sa victime, et les principes du décret de 4853 sont, sur tous ces points, ceux de la loi du 10 juillet 1791 [n° 377).

382. Toutefois, si la commune est irresponsable, comme l'État et le département, des destructions, vols et dommages causés par l'ennemi, elle peut être obligée à indemniser l'habitant qui aurait satisfait à lui seul à des réquisitions imposées à la commune; dans ce cas, l'obligation de la commune dérive d'une sorte de quasicontrat de gestion d'affaires, s'établissant entre la commune et l'habitant qui a acquitté à lui seul la charge collective (tribunal de Gray, 20 août 1871; Rouen, 30 janvier 1872, Andrieux; Orléans, 8 mars 1872, ville de Gien c. Leroux; c. c. ch. req. 31 mars, 13 et 14 mai 1873; ch. civ. 25 mars 1874, ville de Chartres c. Michard); même en dehors de toute participation de l'autorité municipale à la réquisition (Angers, 4 mars 1874, et c. c. ch. req: 23 février 1875, ville du Mans c. Michel). Il en est surtout ainsi lorsque les fournitures faites par un habitant après une réquisition de l'ennemi adressée à la commune, l'ont été en vertu d'une autorisation de l'administration municipale, qui s'est constituée ainsi negotiorum gestor de ses administrés (Angers, 20 juin 1872, Desportes et autres c. ville du Mans, et arrêt de rejet de la ch. des

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