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DÉFINITION ET DIVISION DU DROIT PUBLIC,

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dire « Le droit privé repose sous la sauvegarde du droit public1», et « le droit public est placé près du droit privé comme le gardien >> chargé d'en empêcher la violation et d'arrêter les injustices »; et Rossi, que « c'est dans le droit public que se trouvent les têtes » de chapitres du droit privé ».

2. Le droit public externe, celui qui règle les rapports de l'État avec les autres États, forme le droit international ou droit des gens. Le mot droit public a été souvent employé, par Montesquieu par exemple, pour désigner exclusivement cette première branche du droit public; d'Aguesseau' fait au contraire la distinction entre le droit public extérieur et intérieur.

Le droit public interne, qui règle les rapports de l'État avec les individus, comprend, en outre du droit pénal déjà mentionné, deux parties principales: le droit constitutionnel et le droit administratif. Si l'illustre président au parlement de Bordeaux, au XVIIe siècle, a trop restreint le terme de droit public pris comme synonyme de droit de gens, Domat, au contraire, s'occupant surtout du droit public interne, l'avait employé, au xvII° siècle, d'une manière trop compréhensive en mêlant aux véritables éléments du droit public, non-seulement les lois pénales et de procédure criminelle, mais aussi les lois commerciales et de procédure civile ; confusion qu'expliquent toutefois, dans notre ancienne jurisprudence, la différence des institutions et l'absence du principe de séparation des pouvoirs et des autorités.

3. Le Droit administratif, qui fait l'objet du présent ouvrage,

'At jus privatum, sub tutela juris publici, latet (Exemplum tractatus de justitia universali, sive de fontibus juris, in uno titulo per aphorismos; Aphorismus III).

2 Neque tamen jus publicum ad hoc tantum spectat, ut addatur tanquam custos juri privato, ne illud violetur, atque ut cessent injuriæ; sed extenditur etiam ad religionem, et arma, et disciplinam, et ornamenta, et opes, denique ad omnia circa bene esse civitatis (Aphorismus IV).

3 Cours de Droit constitutionnel, t. Ier, p. LVIII.

Lettres persanes, lettres 95 et 96 (dans les deux leçons de cette dernière lettre); l'Esprit des Lois, liv. X, ch. 1. 5 Institution au droit public.

Le Droit public contenant les matières qui se rapportent à l'ordre général d'un Etat, et les règles des fonctions et des devoirs de toutes sortes de professions par rapport à cet ordre; par Domat, avocat du Roi au présidial de Clermont. Ce traité fait antithèse à son premier ouvrage, consacré au droit privé sous ce titre bien connu: Les Lois civiles dans leur ordre naturel.

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DU DROIT CONSTITUTIONNEL ET DU DROIT ADMINISTRATIF.

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est donc, comme le Droit constitutionnel, une des branches du droit public interne. Ainsi se trouve déterminée la place qu'il occupe dans la législation, ainsi que dans l'ensemble des sciences morales et politiques.

Il faut en outre le définir, en le considérant en lui-même et dans ses rapports avec le droit constitutionnel.

Le Droit constitutionnel comprend les règles, écrites ou traditionnelles, relatives à la formation et à la transmission des grands pouvoirs de l'État, au gouvernement politique de la société, et à la détermination des principes de droit public qui servent de base à son organisation.

Le Droit administratif est l'ensemble des principes et des règles qui résultent des lois d'intérêt général et de celles qui président au fonctionnement de tous les organes, non judiciaires, du pouvoir exécutif, chargés de leur application.

Ce droit comprend, par conséquent, dans les vastes limites de cette définition : 4° toute l'organisation administrative de la France, composée d'agents, de conseils et de tribunaux administratifs; 2o la réglementation par les lois administratives, ayant pour objet de les appliquer, de les étendre ou de les restreindre, des principes de droit public qui consacrent les droits et les devoirs des citoyens et individus dans leurs rapports avec l'intérêt général; 3o la création et la mise en œuvre des personnes morales dont l'existence présente un intérêt de cette sorte.

Il résulte de cette définition et du développement dont nous venons de la faire suivre que le domaine du droit administratif, quoique exactement déterminé, est immense; aussi, bien qu'il soit restreint, au point de vue de l'enseignement, par les programmes officiels, celui-ci, au sein de nos Facultés, est mal à l'aise dans le cadre trop étroit d'un cours annuel. Sans vouloir, par conséquent, dépasser les bornes d'une science si riche dans ses limites naturelles et de sa propre grandeur, nous devons dire cependant qu'il existe entre ces deux branches du droit public interne, le Droit administratif et le Droit constitutionnel, de telles affinités que le Droit administratif doit supposer connues ou doit préalablement exposer les notions fondamentales du Droit constitutionnel.

4. De ce qui précède découlent aussi, et la nécessité de cet exposé préliminaire qui tient à la fois du Droit constitutionnel et du Droit administratif, et la division rationnelle du Droit administratif et du présent ouvrage.

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DIVISION DU COURS DE DROIT ADMINISTRATIF.

Le Cours de Droit administratif, dégagé des éléments de Droit constitutionnel qui s'y rattachent, mais ne doivent pas être confondus avec lui, se divise naturellement, comme on vient de le voir [no 3], en trois parties, formant chacune après cette introduction [et à partir du n° 53] un titre du présent ouvrage.

Le titre premier comprendra l'organisation et les attributions des Autorités administratives, des Conseils administratifs et des Tribunaux administratifs.

Le second sera consacré à l'étude des lois administratives, qui appliquent, limitent et réglementent les principes de droit public, d'ordre politique, d'ordre religieux, d'ordre naturel ou civil.

Dans le troisième et dernier titre, il sera traité de l'État, des Départements et des Communes considérés comme propriétaires, débiteurs et créanciers, ainsi que des nombreuses personnes morales qui relèvent du droit administratif, soit à titre d'Établissements publics, soit à titre d'Établissements d'utilité publique.

5. Après avoir formulé la définition du Droit administratif, la division synthétique et rationnelle des vastes matières qu'il embrasse, sa séparation d'avec le Droit constitutionnel, dans le domaine du droit public interne, auquel ils appartiennent l'un et l'autre, nous avons à préciser ici les rapports immédiats, théoriques et pratiques qui, en outre, existent entre eux.

C'est au Droit constitutionnel qu'il appartient de déterminer les principes qui forment la base du droit public d'un pays et qui garantissent aux citoyens et aux individus la jouissance et l'exercice des droits d'ordre politique, d'ordre religieux, d'ordre naturel ou civil. Mais ce sont des lois administratives qui mettent ces principes en œuvre et fixent leurs conditions d'application.

Aussi le mot heureux, employé [n° 1] pour signaler les rapports du droit public et du droit privé par Rossi (qui avait donné du droit public la même division '), est-il encore plus absolument vrai, si on l'applique aux liens qui rattachent l'une à l'autre ces deux branches du droit public interne; c'est bien dans le Droit constitutionnel que se trouvent les têtes de chapitres du Droit administratif. L'éminent publiciste le dit lui-même 'sous une autre forme :

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« Le droit des gens, le droit constitutionnel et le droit administratif sont » trois grandes parties du même tout, le droit public (Cours de droit constitutionnel, par Rossi, t. Ier, p. LVIII) ».

Cours de droit constitutionnel, t. Ier, p. LVIII.

SES RAPPORTS AVEC LE DROIT CONSTITUTIONNEL.

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« Le droit constitutionnel nous fait connaître à grands traits l'or»ganisation sociale et politique du pays; le droit administratif nous expose la machine politique dans ses moindres détails et » dans ses nombreuses applications. Il nous apprend à la faire » fonctionner, à en suivre la marche, à en recueillir les résultats. » Le droit constitutionnel et le droit administratif se tiennent par » un rapport assez analogue à celui qui existe entre le droit pro» prement dit et la loi de procédure ».

Dans le même ordre d'idées, un très-savant professeur a pu dire « Le droit administratif s'occupe de cette partie du droit pu>>blic qui comprend les rapports des gouvernants et des gouvernés » dans les détails de l'exécution des mesures qui les régissent. Il » est placé sur les bas degrés du droit public; celui-ci pose les >> principes, et l'autre embrasse les règles qui regardent l'exécu>tion et les conséquences. Il s'agit d'une même échelle occupée >> par un seul pouvoir sous des noms différents; il s'appelle gou» vernement dans les degrés supérieurs, et administration dans les » degrés inférieurs ».

Le lien entre ces deux branches distinctes du droit pub'ic interne est si intime que, parfois, il ne serait pas facile de dire où finit le droit constitutionnel et où le droit administratif commence, si, dans un pays témoin de tant de ruines, on ne voyait, heureusement, malgré des contre-coups inévitables et parfois d'utiles améliorations, la généralité de ses lois administratives survivre à l'effondrement successif de ses lois constitutionnelles tour à tour déchirées par les révolutions.

6. Nous venons de dire, en définissant le droit administratif [no 3], que les lois qui ont pour objet direct la réglementation des principes du droit public sont une portion considérable de ce droit; et dans la division du droit administratif et de cet ouvrage en trois parties [no 4], nous avons vu que l'étude de cette réglementation formera toute la seconde partie. Il suffit donc d'indiquer ici d'une manière succincte ce point de contact étroit entre le droit constitutionnel et le droit administratif.

Pour ne citer que quelques exemples, il suffit de dire que c'est le droit constitutionnel qui a donné pour base à l'organisation politique de la France le principe de la souveraineté nationale, et que

'Traité du droit public des Français, par M. Serrigny; Introduction sur les fondements des sociétés politiques, page 96.

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PRINCIPE DE DROIT PUBLIC FONDAMENTAL

les lois relatives aux élections faites en exécution de ce principe sont, pour la plus grande partie, dans la sphère du droit administratif. C'est encore un principe constitutionnel, remontant à 1789, que celui en vertu duquel nul impôt non voté pour l'année ne peut être perçu; mais les impôts sont réglés par de très-nombreuses lois administratives, et la législation financière de la France occupe une place considérable dans son droit administratif. De même, l'obligation nationale au service militaire est un principe de droit public du domaine constitutionnel; mais les lois successives sur le recrutement et sur l'organisation de l'armée sont des lois administratives. Au droit constitutionnel il appartient de poser les principes de la liberté des cultes, de l'égalité civile, de la liberté individuelle, de l'inviolabilité de la propriété; mais ce sont des lois administratives qui règlent la haute police des cultes, le droit du chef de l'Etat d'autoriser les changements ou les modifications de noms de famille et de conférer des titres, les droits de l'administration vis-à-vis des aliénés dangereux, l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'alignement, et les nombreuses et diverses limitations du droit de propriété établies dans l'intérêt général et pour la sauvegarde du domaine public.

7. En outre de ce premier point de contact entre le droit constitutionnel et le droit administratif qu'il suffit de signaler ici, et dont le développement occupera la seconde partie du Cours de droit administratif, il en est un autre dont l'examen fait le principal objet de cette introduction.

De tous les principes du nouveau droit public de la France depuis 1789, le principe de la séparation des pouvoirs est celui qui exerce sur l'ensemble du droit national la plus puissante et la plus générale influence. Elle se produit dans toutes les branches de ce droit; elle domine toutes les autorités, tous les conseils, toutes les juridictions de tous les ordres.

Aussi, bien que ce principe fondamental soit au premier chef un principe de droit constitutionnel, bien que son histoire, sa portée rationnelle, ses développements, ses applications diverses, forment la première part et la plus considérable de ce droit, le droit administratif trouve, dans la donnée de ce principe qui le domine, son véritable point de départ; sans son étude préalable, sommaire pour ne pas empiéter sur un autre domaine, le droit administratif serait décapité.

Envisagé dans son sens le plus large, le principe de la sépara

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