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RESPONSABILITÉ MINISTÉRIELLE.

Le principe de la responsabilité pénale des ministres a été posé, mais n'a jamais été organisé en dehors du droit commun par la loi française, toujours soucieuse d'entourer la mise en accusation des ministres de garanties constitutionnelles [no 45, 46 et 693].

La responsabilité politique des ministres doit produire la retraite d'un ministère devant un vote contraire de la majorité des chambres; elle assure ainsi aux assemblées une participation importante à l'exercice de cette partie plus particulièrement politique du pouvoir exécutif, appelée le gouvernement et dont nous faisons ici l'étude théorique. Elle forme le caractère distinctif de ce régime parlementaire, auquel les races anglo-saxonnes doivent leur prospérité et que tant de révolutions, de natures différentes, sont venues traverser au sein des races latines. C'est cette intervention des assemblées dans le gouvernement par la faculté de renverser un ministère et, par suite, d'obliger le pouvoir exécutif à la formation d'un ministère nouveau, disposé à agir suivant leurs vues, qui a fait appeler ce régime de liberté politique « le gouvernement du pays par le pays ».

Considéré in abstracto, ce régime peut se produire, quelle que soit la forme monarchique ou républicaine du gouvernement, et peut s'associer à toutes, ainsi que le prouve l'adage connu de la monarchie constitutionnelle : « le roi règne et ne gouverne pas »; considéré en fait et dans ses applications, on n'a pas vu que les difficultés de sa mise en œuvre fussent amoindries par l'une plus que par l'autre. L'un de ses périls, celui de pousser à l'opposition, en raison de la compétition même des ministères, varie suivant le tempérament des races, et peut trouver son remède dans l'éducation politique du pays. L'autre péril, celui de pouvoir créer des conflits entre les deux pouvoirs, a trouvé, dans les constitutions monarchiques de la France (sauf celle de 1794), comme dans celle d'Angleterre, un remède dans le droit de la couronne de prononcer la dissolution des assemblées électives, et d'en appeler au suffrage des citoyens chargés d'élire un nouveau parlement. Mais les unes ont placé l'irresponsabilité de la couronne comme corollaire de la responsabilité ministérielle; une autre a admis à la fois les deux responsabilités. Dans les constitutions républicaines, cette question vient se confondre avec le grave problème des conditions de la nomination du pouvoir exécutif, de sa durée et de ses modes de remplacement; et dans la constitution actuelle de la France nous trouverons transportée, avec certain tempérament, la règle indiquée comme propre jusqu'alors dans notre pays aux monarchies.

ADMINISTRATION, 2o BRANCHE DU POUVOIR EXÉCUTIF.

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34. Il ne saurait échapper que les règles relatives à la formation. du corps électoral appelé à procéder à l'élection des assemblées politiques ne peuvent rester étrangères à la solution de ces problèmes ardus qu'il appartient au droit constitutionnel positif et au pouvoir constituant de résoudre. Ce lien étroit d'une influence réciproque enchaîne ainsi, dans l'ordre de la théorie, comme dans le domaine de l'application, la fixation du droit électoral [noo 545 à 565] et la solution des problèmes constitutionnels [nos 40 à 42].

En terminant cet exposé, placé sur le seul terrain des idées spéculatives et en dehors de toute polémique contraire au caractère général de ce travail, nous devons faire une dernière observation. On vient de voir ici que, de même que le principe de la séparation des pouvoirs n'exclut pas fatalement une certaine participation du pouvoir exécutif à la confection des lois [nos 11, 45, 16, 19 à 22], de même il ne fait pas obstacle à une certaine intervention du pouvoir législatif dans la direction générale de l'exécutif, au moyen de la responsabilité ministérielle et du régime parlementaire [n 29 et 30].

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Enfin nous faisons observer que tous ces problèmes sont d'ordre constitutionnel, de nature à être réglés par les lois constitutionnelles de la France, et que, dans l'étude générale du pouvoir exécutif, ils se rattachent directement à ce que nous appelons la première de ses trois branches, le gouvernement.

32. L'étude de la seconde branche du pouvoir exécutif, l'administration ou autorité administrative, de son organisation, de ses attributions, des règles qui président à ses rapports avec les citoyens, forme l'objet principal du droit administratif tout entier.

Nous devons dire ici toutefois qu'une doctrine opposée veut absorber l'administration dans le gouvernement, et affirme que gouvernement et administration sont une seule et même chose. Nous pensons, en sens contraire, que le gouvernement est la portion du pouvoir exécutif qui a mission de diriger le pays dans les voies de son développement intérieur et de ses relations extérieures, tandis que l'administration en este complément et l'action vitale. Il est la tête, elle est le bras de la société » a dit avec raison Macarel, qui s'est également posé la question de savoir si l'un se distingue de l'autre, et lui donne la même solution affirmative.« Il s'agit d'une même échelle occupée par un seul pou» voir, sous des noms différents, a dit également M. Serri» gny; il s'appelle gouvernement dans les degrés supérieurs, et

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ADMINISTRATION ET GOUVERNEMENT.

» administration dans les degrés inférieurs ». Cette distinction n'est pas seulement conforme à la nature des choses, elle résulte aussi de l'esprit et des textes de la législation. Elle est notamment écrite dans le préambule du décret-loi du 25 mars 1852 sur la décentralisation administrative [ns 113 à 123], ainsi conçu : « Considérant » qu'on peut gouverner de loin, mais qu'on n'administre bien que » de près; qu'en conséquence autant il importe de centraliser » l'action gouvernementale de l'État, autant il est nécessaire de » décentraliser l'action purement administrative ».

Nous nous bornons ici à déterminer la place de l'administration dans l'organisation des pouvoirs constitués, en tant que seconde branche du pouvoir exécutif, et à la définir l'ensemble des services publics destinés à concourir à l'exécution des lois d'intérêt général et des actes du gouvernement ». Les diverses parties de cet ouvrage montreront l'autorité administrative à l'œuvre; toute autre explication ferait ici double emploi.

Toutefois nous constatons que le pouvoir exécutif gouverne et administre à la fois, ce qui peut expliquer, sans la légitimer, la confusion du gouvernement et de l'administration, contre laquelle nous venons de nous élever; ce sont en effet des lois distinctes, des lois constitutionnelles qui ont modifié dans le pays depuis le commencement du siècle les conditions de son action gouvernementale, et des lois administratives qui, en dehors des constitutions, ont apporté des modifications dans son action purement administrative. Enfin, dans cet ordre d'idées, toutes les constitutions ont fait du pouvoir exécutif, quel qu'il fût, l'administrateur suprême de l'Etat [no 64]; il a la plénitude de l'autorité administrative; il administre par lui-même au degré le plus élevé de la hiérarchie; mais, dans le plus grand nombre des cas, il délègue son autorité, soit immédiatement, soit médiatement, aux degrés inférieurs de la hiérarchie. Quand il agit lui-même, ses actes, tour à tour nommés ordonnances ou décrets, se divisent en décrets administratifs, réglementaires, et gouvernementaux [nos 62 à 65 et 248].

33 La troisième branche du pouvoir exécutif, que nous venons d'appeler la justice, n'est pas la moins étendue. Elle peut être l'objet de distinctions et de divisions diverses, et, sous ce rapport, les lois positives peuvent varier.

Ainsi la justice peut se diviser en justice retenue et justice déléguée. Nous aurons à donner des notions approfondies sur les deux hypothèses dans lesquelles il y avait toujours eu en France,

JUSTICE ET AUTORITÉ JUDICIAIRE.

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sauf de 4819 à 1854, justice retenne par le pouvoir exécutif : 4° pour le jugement du contentieux administratif au second degré de la juridiction administrative [n's 269 et 270], et 2° pour le jugement des conflits posi'ifs d'attribution entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire [nos 658 à 662]. Nous dirons comment la justice retenue par le pouvoir exécutif était une fiction légale, et comment la loi du 24 juin 1872 sur le conseil d'État l'a fait disparaître De sorte que, d'après la législation en vigueur, il n'y a plus de justice retenue [no 63]; toute la justice est déléguée à des tribunaux divers.

Considérée au point de vue de l'organisation et de la hiérarchie de ces tribunaux, la justice, sans parler des hautes cours de justice organisées par la plupart des constitutions monarchiques ou républicaines [n° 45], se divise en justice administrative et justice judiciaire, ou mieux, car la justice est une, en justice rendue par des tribunaux administratifs et justice rendue par des tribunaux judiciaires. Cette division ne correspondait pas à la précédente; la juridiction judiciaire appartenait bien tout entière, depuis 1789, à la justice déléguée, mais la juridiction administrative n'était retenue que dans les deux hypothèses indiquées. Ces deux points de vue ne doivent donc pas être confondus. La première division seule a disparu depuis la loi du 24 juin 1872; cette loi a respecté et consacré la seconde, qui possède en elle-même ses motifs et sa raison d'être. Nous nous expliquerons [n° 256, 260, 289 et 290] sur l'institution de la juridiction administrative, parallèle à la juridiction judiciaire, sur ses origines, sa nécessité, et les garanties qu'elle donne aux citoyens.

Les tribunaux de l'ordre judiciaire forment ce qu'on appelle l'autorité judiciaire, par opposition à l'autorité administrative, laquelle comprend dans un sens large l'administration proprement dite, dont s'occupe spécialement le numéro qui précède, et la juridiction administrative dont nous venons de parler.

L'autorité judiciaire est suivant nous une troisième branche du pouvoir exécutif, parallèle à l'autorité administrative. Il en est ainsi parce qu'elles ont l'une et l'autre pour mission l'exécution des lois, qu'elles ne diffèrent que par la nature 'des lois dont l'application est confiée à chacune d'elles, et que cette mission les rattache nécessairement l'une et l'autre au pouvoir chargé de l'exécution de la loi.

Mais cette théorie ne signifie pas que le pouvoir exécutif a le droit de peser sur les décisions de l'autorité judiciaire ou de les

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L'AUTORITÉ JUDICIAIRE BRANCHE DISTINCTE DU

lui dicter. La loi, en déléguant la justice à des tribunaux hiérarchiquement constitués et en les investissant d'un pouvoir propre, a eu pour but d'y mettre obstacle, et cela pour les tribunaux administratifs comme pour ceux de l'ordre judiciaire.

Cette théorie, d'après laquelle l'autorité judiciaire est une branche du pouvoir exécutif, ne signifie pas davantage qu'elle puisse être confondue avec les autres branches de ce pouvoir. Nous disons, au contraire, qu'un second principe de droit public, déjà annoncé [no 7], parfois confondu avec celui de la séparation des pouvoirs, et qui ne fait que se souder à lui, ainsi que le prouvent ces développements, a pour objet de proclamer la séparation de l'autorité administrative et de l'autorité judiciaire. De même qu'il doit y avoir séparation des deux pouvoirs législatif et exécutif, de même il doit y avoir séparation des deux autorités administrative et judiciaire, formant deux branches parallèles et distinctes du pouvoir exécutif. Le droit constitutionnel vient de nous montrer comment il pouvait être pourvu par les constitutions à la séparation des deux pouvoirs; au droit administratif il appartiendra [no 648 à 696] de faire connaître les règles, relatives au principe de la séparation des deux autorités, ayant pour objet d'assurer leur mutuelle indépendance.

34. Ce que nous venons de dire de la nécessité de la séparation des diverses branches du pouvoir exécutif enlève tout intérêt pratique à la question de savoir si l'autorité judiciaire est, comme nous venons de le dire, une branche distincte du pouvoir exécutif, on si elle est, au contraire, un troisième pouvoir primordial dans l'État. Malgré cette absence d'intérêt pratique, la controverse doctrinale est telle qu'il n'est pas possible de l'omettre. Une opinion contraire conteste, en effet, la double théorie que nous venons d'exposer et qui consiste: 4° à n'admettre que deux pouvoirs constitués, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif; 2o à distinguer trois branches dans le pouvoir exécutif: le gouvernement, l'administration, la justice; tout en proclamant que l'autorité administrative et l'autorité judiciaire, quoique faisant partie l'une et l'autre du pouvoir exécutif, doivent toujours demeurer séparées.

Le système opposé nie que l'autorité judiciaire soit un des éléments du pouvoir exécutif, et prétend l'élever au rang de troisième pouvoir principal dans l'État; il y aurait, suivant lui, trois pouvoirs constitués, le pouvoir judiciaire se plaçant à titre égal à côté du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.

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