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Just avait été accueilli par des « applaudissements unanimes et multipliés ».

La procédure devait être conduite d'une manière particulièrement inique et à une allure accélérée.

La plupart des témoins ne furent même pas entendus. Il n'y eut pas une seule confrontation. On sentait que les accusés étaient condamnés d'avance. Le jugement était une simple formalité.

Danton était magnifique de mâle courage.

On veut m'envoyer à l'échafaud! avait-il dit. Eh bien ! j'irai gaiement !

A la Conciergerie, où on les transféra, lorsque l'acte d'accusation leur eut été notifié, Danton s'écria :

- Dire que c'est par un jour comme celui-ci que j'ai institué le tribunal révolutionnaire! J'en demande pardon à Dieu et aux hommes.

Le procès eut lieu au Palais de Justice, dans l'ancienne salle de la Cour de Cassation, détruite en 1871.

Le grand accusateur Fouquier-Tinville était là. Mais de quoi donc au juste les accusait-on ?

Oh! la question posée au jury était bien simple et presque de style alors. Elle était ainsi conçue :

<< Citoyens jurés, il a existé une conspiration tendante (sic) à rétablir la monarchie, à détruire la représentation nationale et le gouvernement, républicain.

« 10 Lacroix, député à la Convention;

« 2o Danton, député;

« 3o Camille Desmoulins, député;

« 4o Philippeau, député;

« 5o Hérault de Séchelles, député;

« 60 Westermann, député,

sont-ils convaincus d'avoir trempé dans cette conspiration? » Pour discréditer aux yeux du public cette fournée de

patriotes, on avait alterné avec eux, sur les bancs, d'autres accusés, étrangers patibulaires, fripouilles sinistres, inculpés de trafics divers et de spéculations malpropres.

Danton tint à marquer la distinction et il protesta avec véhémence contre ce voisinage.

L'interrogatoire commença. Les premières réponses donnent bien le ton grandiloquent de l'époque.

On demande à Camille son âge :

Trente-trois ans, l'âge du sans-culotte Jésus, l'âge critique pour les patriotes.

Et Danton :

Je m'appelle Danton. Révolutionnaire, représentant du peuple. Ma demeure? Bientôt, le néant! Ensuite, le Panthéon de l'Histoire.

Westermann, lui, eut ce mot magnifique :

Je demande à me mettre nu devant le peuple! J'ai reçu sept blessures, toutes par devant ! Une seule par derrière : c'est mon acte d'accusation!

A un moment donné, la voix de tonnerre de Danton couvrait le bruit de la sonnette du président, qui cherchait vainement à lui imposer silence.

N'entends-tu pas ma sonnette? criait celui-ci.

Un homme qui défend sa vie se moque de ta sonnette et hurle! ripostait Danton avec plus de véhémence encore. Le peuple se pressait en foule à ce spectacle. Non seulement la salle était archi-pleine, mais ceux qui n'avaient pas pu entrer remplissaient toute l'immense salle des Pas-Perdus et les couloirs du Palais Il y en avait d'autres qui attendaient encore sur les marches du Palais et jusque sur la place Dauphine et le Pont-Neuf.

Toute cette foule palpitait aux divers incidents du procès. Les paroles de Danton étaient répétées de bouche en bouche tout le long de cette frémissante marée humaine.

Et Michelet nous raconte que la puissance vocale de Dan

ton était telle que, par la fenêtre ouverte du tribunal, ses éclats de voix étaient nettement perçus jusqu'à l'autre côté de la Seine.

On eût dit les rugissements d'un lion pris au piège. Il pulvérisait de ses apostrophes indignées les inconsistants griefs de l'accusation.

Pourvu qu'on me donne la parole largement, avait-il dit en débutant, je suis sûr de confondre mes accusateurs,

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DANTON ET CAMILLE DESMOULINS A L'ÉCHAFAUD, par Tony Johannot.

et si le peuple français est ce qu'il doit être, c'est moi qui serai obligé de demander leur grâce!

On commençait à s'apercevoir qu'il s'était à peine vanté. Juges et jurés étaient anéantis par sa magnifique audace. L'un des jurés, dit-on, pleura à l'idée d'être obligé de condamner un tel homme.

Le peuple, aux portes, commençait à murmurer et ne cachait plus sa sympathie pour les accusés. La situation devenait critique.

On fit une diversion, en passant à l'interrogatoire des autres accusés

Enfin, l'audience fut levée après cette première journée si chaude.

Fouquier-Tinville et le président Hermann se rendirent aussitôt au Comité de Salut Public pour lui rendre compte des difficultés qu'ils rencontraient.

On leur enjoignit de ne plus répondre à Danton, de lui imposer silence le plus possible et d'arriver à la clôture des débats, à la fin de la troisième audience, en faisant dire au jury qu'il était suffisamment instruit.

Le lendemain, la lutte reprend, plus vive encore qu'à la première audience.

Danton veut qu'on lui confronte les témoins qui l'accusent, il veut pouvoir faire entendre ses témoins, il veut être entendu par la Convention, il se plaint qu'on lui refuse les moyens de se défendre. Ses co-accusés font chorus avec lui.

Le tumulte est à son comble. Le président, désespérant de lui imposer silence, leva précipitamment l'audience.

Fouquier écrivit immédiatement au Comité de Salut Public pour avoir des armes contre ses accusés qu'il ne se sentait plus de taille à affronter tout seul à nouveau.

Le Comité, embarrassé, hésitait, ne sachant comment faire. C'est Saint-Just qui trouva la solution. Dans la défense désespérée des accusés, il vit la preuve certaine de leur culpabilité.

Cette résistance, s'écria-t-il, c'est une révolte contre la loi! Quel innocent s'est jamais révolté contre la loi ? II ne faut plus d'autres preuves!

Et, sur sa proposition, la Convention vota, à l'unanimité, un décret par lequel le tribunal était « autorisé à mettre hors des débats les accusés qui manqueraient de respect à sa justice ou qui chercheraient à provoquer du trouble ».

Les deux députés Vadier et Vouland partirent aussitôt

pour apporter au tribunal, où la troisième audience était commencée, une

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copie de ce décret. Il était temps! Tous les accusés, debout, joignant leurs voix à celle de Danton qui dominait le tumulte, sommaient Fouquier-Tinville de faire comparaître les témoins qu'ils demandaient.

Ils exigeaient, de plus, qu'on leur permît de dénoncer publiquement à la Convention les projets de dictature de certains membres du Comité

Fouquier-Tinville, cruellement embarrassé, écrasé par l'audace de Danton, dominé par sa voix puissante, ne savait plus que répondre ni quelle attitude adopter.

FOUQUIER-TINVILLE, DESSINÉ D'APRÈS NATURE

AU TRIBUNAL, par Bonneville.

A ce moment, l'huissier vint lui dire que deux députés le demandaient d'urgence.

Il quitta aussitôt la salle - avec quel soulagement!

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