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vertueux de la liberté, offre un amas confus de craintes et d'espérances, dont le temps seul et vos généreux soins peuvent tirer un résultat favorable à notre bonheur.

Que pourriez-vous donc faire, messieurs, en assez peu de temps, pour demander avec justice que les ministres deviennent responsables de l'exécution des lois! Ah! si leur caution pouvoit garantir le retour de l'ordre, ils n'hésiteroient pas à la donner au risque de tout ce qui pourroit leur être personnel; mais une telle garantie seroit de leur part une folle imprudence. D'ailleurs, en aucune espèce d'administration publique, qui pourroit promettre autre chose que le dévouement entier de son zèle et de ses facultés ? On ne demande pas à un général entouré de soldats, qui dans un espace de terrain circonscrit obéissent en silence à son commandement, on ne lui demande pas d'être caution du sort d'une bataille; et à l'instant d'une disjonction générale qui s'étend d'un bout du royaume à l'autre, Vous voudriez exiger des ministres du roi qu'ils indiquassent les moyens à l'aide desquels ils se rendroient garans de l'exécution universelle des lois! Vous trouverez sûrement, en y réfléchissant, messieurs, qu'une telle obligation ne peut leur être imposée. Les ministres du roi vous déclarent donc, messieurs,

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qu'ils ne contracteront point un pareil engagement, et que si vous insistiez à l'exiger, si vous y insistiez avec le vœu de la nation, ils céderoient leurs places aux hommes téméraires qui vous feroient de telles promesses. Mais les personnes qui sont sages et circonspectes dans leurs engagemens, ne sont pas celles dont on doit le moins attendre; et vous pouvez bien compter, messieurs, que les ministres du roi, fidèles à vos intentions, se serviront avec le plus grand zèle des moyens que vous déposerez entre les mains du roi, et qui leur seront confiés par S. M.

Vous demandez aux ministres de déclarer positivement quels doivent être ces moyens;

mais vous avez connoissance comme eux de l'état des affaires générales, et un tableau raccourci des circonstances présentes vient d'être mis sous vos yeux. Le pouvoir exécutif affoibli, presque détruit, exige absolument de vos soins une régénération efficace : ce n'est pas seulement l'ordre public, la tranquillité des citoyens, la communication des subsistances qui vous en font une loi; c'est encore le maintien de la liberté; car ce bien si pur, si précieux, est cependant le premier que les méchans sacrifient quand leur intérêt les y appelle. Ainsi c'est pour défendre cette liberté que vous avez besoin d'une puissance qui les

réprime et qui leur résiste; mais une simple indication des moyens les plus propres à remplir ce but, ne seroit pas suffisante; car on ne peut se dispenser de considérer en même temps le rapport de chacun de ces moyens avec les principes fondamentaux de la constitution que la nation désire d'établir d'une manière solide. Ainsi des questions si vastes, des questions qui vous occupent depuis plusieurs mois, ne peuvent pas être réduites à une simple déclaration ministérielle des moyens nécessaires pour assurer la libre circulation des grains. II faudroit être appelé à traiter ces objets avec vous, messieurs, dans leur ensemble; il faudroit au moins pouvoir les discuter par voie de conférence, et les ministres du roi accepteront toujours avec empressement les rapprochemens de tout genre que vous désirerez d'avoir avec eux. Les sentimens généreux de S. M. nous sont connus; ainsi vous nous trouverez, et comme ses ministres, et comme citoyens, également pénétrés de la nécessité d'assurer les fondemens d'une constitution libre et heureuse, et de la nécessité aussi de chercher à ramener dans le royaume l'ordre, la paix et la subordination. Ce sont ces deux intérêts éminens qu'il faut concilier, qu'il faut faire marcher de front, si l'on veut prévenir la subversion dont nous sommes me

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nacés, et rendre les François heureux et la France prospère. Il en est temps encore, on doit l'espérer; il ne faut qu'une intention véritable et commune, il ne faut qu'un abandon, qu'une suspension du moins des méfiances et des passions personnelles qui luttent contre le bien public. Ah! que de reproches nous seront faits, que de larmes nous verserons, si, au milieu d'un siècle de lumières, la confiance généreuse de tout un peuple n'a pas produit ces heureux effets, avec tant de moyens pour y réussir! C'est l'objet ardent de nos vœux, c'est le terme chéri de nos souhaits, et vous nous trouverez réunis à vos sentimens de la manière la plus franche et la plus entière.

Il faut cependant un autre lien entre vous, messieurs, et les ministres du roi, et vous seuls pouvez le garantir; c'est celui d'une confiance fondée sur les sentimens d'estime qu'ils ont droit d'attendre de vous, comme de tous les François que vous représentez. Et si d'autres personnes, avec plus de moyens ou de ressources qu'eux pour captiver votre bienveillance, obtenoient par là des facilités particulières pour servir le roi et l'état, n'hésitez pas à les indiquer, et nous irons au-devant d'elles. Il faut aujourd'hui bien moins d'efforts, bien moins de vertu pour sacrifier les grandes places que pour les garder; et vous croiriez aisément

à cette vérité, si vous connoissiez comme nous toutes les peines et toutes les angoisses qui accompagnent l'administration, et combien il faut de constance dans l'amour du bien pour n'être pas découragé.

Signé

l'archevêque de Bordeaux, le maréchal DE BEAUVAU, le comte DE MONTMORIn, le comte DE LA LUZERNE, NECKER, le comte DE SAINT-PRIEST, l'ancien archevêque de Vienne, le comte DE LA TOUr du Pin.

MÉMOIRE lu par le premier ministre des finances, à l'assemblée nationale, le 14 novembre 1789.

PROJET D'UNE BANQUE NATIONALE.

MESSIEURS, c'est une pénible situation pour moi, que d'avoir si souvent à vous entretenir des embarras et des difficultés des finances. Je n'ai eu que des inquiétudes et des déplaisirs dans cette administration, depuis l'instant où je l'ai reprise, au mois d'août de l'année dernière.

Le discrédit général à cette époque, l'existence d'un déficit immense, et l'extrême pénurie du trésor royal ont déployé devant moi les premiers obstacles. Cependant les revenus de l'état étoient au moins dans leur entier, et les recouvremens s'exécutoient avec la ponctualité usitée. On ne prévoyoit pas encore

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