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II.

LIT DE JUSTICE TENU LE 22 FÉVRIER 1723 POUR LA MAJORITÉ DU RỒI

Ce jour, la Cour, toutes les chambres assemblées en la grand'chambre du Parlement, en robes et chaperons d'écarlate, MM. les présidents revêtus de leurs manteaux, tenant leurs mortiers à la main, attendant la venue du Roi, suivant son mandement du seizième de ce mois, pour tenir son lit de justice, les officiers des gardes du corps, saisis des portes du Parlement, le grand maître des cérémonies est venu sur les dix heures et demie avertir que le Roi était en la SainteChapelle; ont été députés, pour aller le recevoir et saluer de la part de la compagnie, MM. les présidents Potier, d'Aligre, de Lamoignon et Portail, et MM. Huguet, Le Féron, Braier et Chassepot, laïques, et MM. Cadeau et Mandat, clercs conseillers en la grand'chambre, lesquels l'ont conduit en son lit de justice. MM. les présidents marchant à ses côtés, MM. les conseillers derrière lui, et le premier huissier entre les deux huissiers massiers du Roi.

Le Roi était précédé de M. le duc d'Orléans, de M. le duc de Chartres, de M. le duc de Bourbon, de M. le comte de Charolais, de M. le comte de Clermont, de M. le prince de Conti, princes du sang, et de M. le comte de Toulouse, prince légitimé, qui ont pris leurs places traversant le parquet. Devant eux avaient marché les maréchaux de France, qui avaient pris place passant par-dessous la lanterne du côté du greffe.

Les chevaliers de l'ordre, gouverneurs et lieutenants généraux des provinces ayant pris, peu avant, place sur trois bancs dans le parquet, du côté du greffe, pour éviter la confusion, quoiqu'ils n'aient droit que d'accompagner le Roi et d'entrer à sa suite.

Après le Roi est entré M. Fleuriau d'Armenonville, garde des sceaux, lequel a pris place en un siége à bras placé aux pieds du Roi, couvert de l'extrémité du même tapis de velours violet, semé de fleurs de lis, qui servait de tapis de

pied au Roi, et un bureau devant lui; avec lui, plusieurs conseillers d'État et maîtres des requêtes, qui se sont aussi placés sur deux bancs dans le parquet, devant les bas siéges étant au-dessous des pairs laïques.

Le Roi s'étant assis et couvert, M. le garde des sceaux a dit par son ordre que Sa Majesté commandait que l'on prit séance; après quoi le Roi, ayant ôté et remis son chapeau, a dit : « Messieurs, je suis venu en mon Parlement pour vous dire que, suivant la loi de mon État, je veux désormais en prendre le gouvernement. »

M. le duc d'Orléans s'étant levé, et ensuite s'étant rassis et demeuré découvert, a pris la parole, et a dit au Roi : « Sire, nous sommes enfin arrivés à ce jour heureux qui faisait le désir de la nation et le mien. Je rends à un peuple passionné pour ses maîtres un Roi dont les vertus et les lumières ont prévenu l'âge et lui répondent déjà de son bonheur. Je remets à Votre Majesté le royaume aussi tranquille que je l'ai reçu, et, j'ose le dire, plus assuré d'un repos durable qu'il ne l'était alors. J'ai tâché de réparer ce que de longues guerres avaient apporté d'altération dans les finances; et si je n'ai pu encore achever l'ouvrage, je m'en console par la gloire que vous aurez de le consommer. J'ai cherché dans votre propre maison une alliance pour Votre Majesté, qui, en fortifiant encore les nœuds du sang entre les souverains de deux nations puissantes, les liat plus étroitement d'intérêts l'une à l'autre, et affermit leur tranquillité commune. J'ai ménagé les droits sacrés de votre couronne et les intérêts de l'Église, que votre piété vous rend encore plus chers que ceux de votre couronne. J'ai hâté la cérémonie de votre sacre pour augmenter, s'il était possible, l'amour et le respect de vos sujets pour votre personne, et leur en faire même une religion. Dieu a béni mes soins et mon travail, et je n'en demande d'autre récompense à Votre Majesté que le bonheur de ses peuples. Rendez-les heureux, Sire, en les gouvernant avec cet esprit de sagesse et de justice qui fait le caractère des grands rois, et qui, comme tout nous le promet, fera particulièrement le vôtre. »

Le Roi a répondu : « Mon oncle, je ne me proposerai jamais d'autre gloire que le bonheur de mes sujets, qui a été le seul objet de votre régence. C'est pour y travailler avec

succès que je désire que vous présidiez après moi à tous mes conseils, et que je confirme le choix que j'ai déjà fait, par votre avis, de M. le cardinal Dubois pour premier ministre de mon État. Vous entendrez plus amplement quelles sont mes intentions par ce que vous dira M. le garde des sceaux.» M. le duc d'Orléans s'est ensuite levé, et, s'étant approché du Roi, ayant fait une profonde inclination en signe d'hommage et baisé la main du Roi, le Roi s'est levé et l'a embrassé des deux côtés; et immédiatement après, MM. le duc de Chartres, le duc de Bourbon, le comte de Charolais, le comte de Clermont, le prince de Conti, princes du sang, et le comte de Toulouse, prince légitimé, ont fait de leurs places une profonde inclination au Roi; et en même temps et de la même manière, M. le garde des sceaux, les pairs ecclésiastiques et laïques, les maréchaux de France, et généralement tous ceux qui avaient pris séance, ont fait de leurs places la même profonde inclination.

M. le garde des sceaux étant ensuite monté vers le Roi, agenouillé à ses pieds et descendu, remis en sa place, assis et couvert, ayant fait signe que chacun pouvait se couvrir, a dit : « Messieurs, vous venez d'entendre de la bouche du Roi qu'il a atteint l'âge où, conformément à nos lois, il doit gouverner son royaume par lui-même. Le premier acte qu'il fait de son autorité, est de reconnaître les services que M. le duc d'Orléans lui a rendus pendant sa régence, et de lui en demander la continuation. Sa Majesté ne pouvait récompenser plus dignement que par une confiance entière un désintéressement aussi parfait que celui qui a réglé toutes les démarches de ce prince. Dépositaire de l'autorité royale, il n'a songé qu'à en remplir les devoirs pour le bien commun de l'État, sans se proposer d'y trouver pour lui-même aucun autre avantage. Bien différent de tant de princes ambitieux, qui chargés comme lui de ce sacré dépôt, ne s'en sont servis que pour s'assurer dans la suite une autorité usurpée, et pour ne laisser aux rois majeurs que le titre de la puissance dont ils se conservaient toute la réalité; qui, de toutes les places et de toutes les charges d'un royaume, distribuées dans les vues d'une politique personnelle, se sont faits autant de créatures, et, pour mieux dire, autant de sujets dérobés aux souverains, M. le duc d'Orléans a mis sa grandeur à

s'oublier lui-même, à être utile autant qu'il l'a pu, sans songer à se rendre nécessaire au delà des temps marqués pour son administration; à la quitter sans avoir pris aucun nouveau titre, et n'en remporter que la gloire et la fidélité de ses services; à remettre enfin le dépôt tel qu'il lui avait été confié. En quel état était le royaume lorsqu'il en prit l'administration? Que de maux à réparer au dedans! que de précautions, que de sûretés à prendre au dehors! Nous venions de perdre un roi dont la vie nous cachait ou nous adoucissait nos malheurs, mais dont la mort nous les découvrit et nous les fit sentir dans toute leur étendue. Cet enchaînement de succès et de revers, qui avaient fait briller tour à tour la modération et la constance de Louis le Grand, avait aussi, par le besoin fréquent des ressources, épuisé les finances de l'État; le crédit était perdu, les expédients usés, la confiance anéantie. Les remèdes ordinaires ne paraissaient pas suffisants à des maux extrêmes; on tente toutes sortes de voies, on venge le peuple malheureux de l'opulenee de quelques particuliers, mais cette espèce de vengeance ne le soulage point. L'apparence d'un projet plus solide en fait tenter l'exécution; la nation s'y porte avec ardeur; la confiance renaît, le crédit s'ouvre; mais le désir d'un bonheur trop prompt et immodéré force et précipite un arrangement qui devait être conduit avec plus de lenteur et renfermé dans certaines bornes. On est réduit à revenir à des remèdes plus lents; on est obligé de s'avouer que des maux produits par cinquante ans de guerre ne peuvent se guérir en un jour; l'ancienne finance avait ses inconvénients, il faut les réformer, sans renoncer à ce qu'elle pouvait avoir d'utile. L'ordre établi dès l'année 1716 y avait déjà pourvu, et cet ordre, confirmé par diverses opérations dans la régie des revenus du Roi, en a rendu le recouvrement simple et facile. Tout ce qui est levé sur les peuples commence à être réparti avec plus d'égalité, il rentre sans interversion dans les coffres du Roi, il n'en sort qu'avec régularité pour multiplier la circulation et l'abondance dans toutes les provinces. Enfin l'effet de cette administration se trouve déjà si avantageux, que la première année de la majorité du Roi peut être comparée à la plus heureuse du mémorable règne de Louis XIV. Les revenus du Roi égalent aujourd'hui les dépenses et les charges

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de l'État. Les vexations sur les peuples et les indues jouissances des exacteurs publics sont abolies; on voit augmenter la culture des terres, les arts et les manufactures se perfectionnent, et l'accroissement du commerce donne au royaume l'avantage de la balance sur les étrangers. Si l'expérience d'un petit nombre d'années produit déjà des effets si sensibles, qui sont dus à la prudence et aux lumières de M. le duc d'Orléans, que n'a-t-on pas droit d'attendre d'une plus longue suite de temps, toujours dirigée par ses conseils? Ce n'était pas assez de réparer au dedans le désordre des finances, il fallait en même temps prévenir au dehors les guerres, qui en renversent tout l'arrangement et les épuisent au milieu mème des succès, et c'est le dessein que conçut M. le duc d'Orléans, malgré les obstacles presque invincibles qui se présentaient. La minorité des rois est la saison des orages; un royaume alors plus faible excite l'avidité des puissances voisines, et l'inquiétude des propres sujets, les moindres prétentions, deviennent des titres; la foi des traités les plus solennels est une faible barrière contre les desseins ambitieux; souvent les alliés les plus fidèles croient remplir tous leurs devoirs en demeurant simples spectateurs. Nous étions d'autant plus menacés que la gloire du dernier règne avait alarmé nos voisins, et que si les succès des armes pendant le cours des trois derniers siècles avaient rendu leurs projets inutiles, les anciennes jalousies qui les avaient fait naître pouvaient n'en être que plus vives. M. le duc d'Orléans mit sa gloire à suivre et à perfectionner le grand ouvrage que Louis XIV avait déjà commencé; il se regarda comme substitué à l'exécution de ses derniers désirs; ce fut pour lui une loi sacrée de rendre inviolable ce qu'il avait fait pour la paix, et, selon les vœux de ce grand prince, de la rendre générale. Il n'employa, au lieu des artifices politiques, que la raison même, la force de l'intérêt commun bien exposé, cette franchise des grandes ȧmes qui se fait toujours sentir parce qu'elle est naturelle, et il calma heureusement les soupçons que les conjonctures avaient fait renaître ou qu'elles flattaient d'un plus grand succès.

» De nouvelles alliances formées au nom de Sa Majesté ont conservé la tranquillité au dehors; elles ont jeté les fondements d'un repos durable, et s'il a souffert quelque légère

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