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pour aller se confiner dans une autre qui lui était inconnue et dont les manières sont fort opposées à celles de France, et qu'elle avait un véritable regret de n'avoir pu épouser M. le comte de Charolais, de son âge, étant né en juin 1700 et elle en octobre de la même année; ce qui avait peutêtre été en partie cause que ce prince, depuis son retour de Belgrade en Hongrie, n'avait fait que voltiger de la cour de l'Empereur en celle de Bavière, en celle de Lorraine et en Italie.

On assurait aussi, par avance, que cette princesse avait déjà causé une jalousie extraordinaire entre le prince héréditaire de Modène, son futur époux, et le prince JeanFrédéric-Clément son frère, qui avait deux ans moins que Jui, l'aîné étant né le 2 juillet 1698, et le cadet le premier jour de septembre 1700. Ce que l'on attribuait à la vue du portrait de cette princesse, des beautés de laquelle les deux frères avaient été charmés, aussi bien que toutes les personnes de la cour de Modène qui eurent le plaisir de voir ce tableau qui la représentait au naturel. On voulait même que le cadet n'avait pu s'empêcher d'en témoigner ses sentiments, et de publier partout que la princesse d'Orléans, que le prince François-Marie, son frère, allait épouser, était la plus belle personne qui eût jamais paru en Italie et qui fût au monde; qu'elle ne pouvait pas manquer d'enlever tous les cœurs de ceux qui la voyaient ou qui la verraient, et qu'il ne pouvait pas lui refuser le sien, quoiqu'il ne l'eût encore vue qu'en peinture. Ce qui ayant été rapporté au prince François-Marie, cela n'avait pas manqué de lui faire naitre une jalousie si grande, qu'il avait persuadé le duc de Modène, son père, que, pour le bien de la paix, il fallait éloigner le prince Jean-Frédéric et l'obliger de se retirer à Rome, où il était depuis deux mois pour se désennuyer.

On disait aussi, par avance, que la jalousie ne manquerait pas d'obliger la princesse, peu après son arrivée à

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Modène, à se soumettre à la loi que cette passion y a établie, aussi bien que dans les autres cours d'Italie, et méme parmi les personnes d'un rang moins distingué, qui est de porter une espèce de cadenas fermant à clef et dont le mari garde scrupuleusement la clef'.

- Le 18, le Roi entra pour la première fois en son conseil, Sa Majesté avant, le 15, achevé la dixième année de son âge; à laquelle occasion Sa Majesté fut complimentée d'abord par M. le duc d'Orléans, par M. le duc de Bourbon, et par tous les autres seigneurs et magistrats qui composaient alors le conseil.

Mademoiselle de Valois par son mariage ayant été déclarée princesse de Modène, mademoiselle de Montpensier, sa sœur puinée, eut le titre de Mademoiselle et en recut les honneurs. Elle naquit à Versailles le 11 décembre 17092.

Le jeudi 22, après diner, il se tint à la Banque une assemblée extraordinaire des directeurs de la Compagnie des Indes et de ceux de la Banque, en la présence de M. le Régent, de M. le duc de Bourbon, de M. le prince de Conti et des autres seigneurs qui composaient le conseil de la Régence, et en laquelle assemblée assistèrent plus de deux cents intéressés, les uns et les autres si superbement vétus, que les princes qu'on vient de nommer ne l'étaient pas tant à beaucoup près, excepté quelques directeurs plus modestes qui y parurent en habit noir :

1o Dans cette célèbre assemblée, il fut résolu que la

L'auteur du Journal donne ensuite quelques détails sur la manière dont se portait ce cadenas; le lecteur qui désirerait les connaître est prié de consulter le manuscrit lui-même. (Bibliothèque impériale, Supplément français, n° 10283, p. 1179.)

• Louise-Élisabeth d'Orléans, mariée à Louis Ier, roi d'Espagne. (Voyez, sur cette princesse, l'intéressant travail de Lemontey sur les Filles du Régent, dans le tome I de la Revue rétrospective.)

Banque royale serait dorénavant et depuis ce jour réunie à la Compagnie des Indes, et que le Roi continuerait de l'honorer de sa protection;

2o Que le Roi ayant résolu de remettre à la Compagnie la valeur de cinquante millions d'actions, la Compagnie s'obligerait de donner à Sa Majesté un équivalent de trois cents millions, savoir cent millions dans le courant de cette année, et le surplus en cinq ans ;

3o Que la Compagnie ne se mêlerait plus de commercer ni de vendre aucune action, soumission, souscription, ni aucune prime; mais que ce négoce se ferait en liberté dorénavant sur la place;

4° Que tous les billets de banque de dix livres chacun seraient retirés et remboursés incessamment par la Compagnie aux porteurs en entier, pour être ensuite anéantis, et qu'il ne resterait plus entre les mains du public que les billets de la valeur de cent livres, de mille livres et de dix mille livres qui se payeraient dorénavant aux porteurs, sans en exiger le cinquième pour cent et en espèces courantes; il fut aussi résolu de recevoir et d'admettre quelques nouveaux directeurs et quelques nouveaux caissiers à la place de quelques autres qui furent renvoyés et congédiés pour leurs malversations manifestes, et pour la trop grande avidité qu'ils avaient de s'enrichir en peu de temps; le sieur Perrinet, ci-devant fermier général, fut du nombre des directeurs que la Compagnie des Indes renvoya.

Le jour de cette assemblée, une compagnie de soixante soldats, choisis de l'hôtel royal des Invalides, avec leurs officiers et sergents, nouvellement vétus de drap bleu, avec un large bord d'argent à leur chapeau, un ceinturon et une bandoulière de buffle bordés d'argent, commença à entrer en faction dans la Banque pour y veiller jour et nuit; laquelle compagnie devait être relevée de jour en jour par une autre de pareil nombre des mêmes soldats; auxquels la Compagnie des Indes devait donner

trente livres par mois à chaque soldat et aux officiers une plus forte paye.

On jugea à propos de se servir plutôt des invalides que des soldats du régiment des gardes qui y étaient auparavant postés à la porte et dans les bureaux, parce qu'on en surprit quelques-uns qui faisaient le métier de filous, en escamotant des billets de banque et de l'argent que des particuliers y portaient pour avoir de ces sortes de billets ou qui allaient recevoir la valeur de ceux qu'ils avaient.

- La Compagnie des Indes trouva le moyen d'engager huit cents familles de jeunes gens robustes en Suisse, en Allemagne et en Italie, pour aller s'établir au Mississipi, et qui devaient s'embarquer en Provence; elle leur avait fait des avances considérables. Lorsqu'ils seraient arrivés dans cette colonie, on devait distribuer à chaque famille la quantité de deux cent vingt-quatre arpents de terre à défricher et à mettre en valeur, avec tous les outils et autres choses nécessaires pour leur entretien et pour leur travail pendant la première année, afin qu'ils pussent mettre ces terres en état de rapporter des grains et autres fruits dont ils devaient jouir les trois années suivantes avec une entière franchise, après lequel temps ils devaient étre obligés de payer la dixième partie du revenu de ces terres au seigneur du fief, dont la maison devait être bâtie au milieu de leurs habitations. Chaque village devait être composé d'abord de vingt de ces familles, qui, par conséquent, devaient former le nombre de quarante villages qui devaient être seulement à une lieue de distance les uns des autres.

-On y envoya aussi en même temps des prètres missionnaires et des jésuites pour instruire toutes ces familles et pour leur administrer les sacrements, et pour faire le service divin suivant les cérémonies de l'Église catholique.

M. le duc d'Orléans fit donner deux millions

pour

acquitter les dettes d'un très-grand nombre de particuliers, artisans et autres, qui étaient détenus dans les prisons de cette ville de Paris et dans celles des autres villes du royaume, afin de les mettre en liberté et en état de continuer leur négoce.

Son Altesse Royale assigna aussi aux Théatins de Paris une somme de cent cinquante mille livres, afin qu 'ils pussent achever le bâtiment de leur église, celle de quarante mille livres qu'une loterie avait produite, il y avait quatre ou cinq ans, ne l'ayant laissé que trèsimparfait.

Le 25, on publia une déclaration du Roi, rendue le 18 et registrée le 24 au Parlement, concernant la vaisselle et les ouvrages d'or et d'argent, pour réprimer le luxe extraordinaire d'un très-grand nombre de gens de tous états et de toute condition, principalement des agioteurs qui s'étaient enrichis en moins de sept à huit mois au commerce des actions et des autres papiers en la rue Quincampoix, lesquels s'étaient pourvus d'une quantité prodigieuse de vaisselle d'argent de toute espèce, la mieux travaillée et la plus belle qui se soit jamais vue chez les princes et chez d'autres personnes d'un rang distingué par leur noblesse et par leurs dignités.

Par cette déclaration, le Roi fait défense à tous orfévres et autres ouvriers travaillant en or et en argent de cette ville de Paris et des autres villes et lieux du royaume, de fabriquer, exposer ou vendre, à compter du jour de la publication de la même déclaration, aucun ouvrage d'or rendant le poids d'une once, à la réserve des croix des archevêques, évêques, abbés, abbesses et religieuses, des chevaliers des ordres de Saint-Michel, du Saint-Esprit et de Saint-Louis, de Saint-Jean de Jérusalem ou de Malte et de Saint-Lazare, et à la réserve des chaînes d'or pour les montres, que Sa Majesté leur permet de faire et de débiter à l'ordinaire.

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