Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II

DIFFÉRENTES SORTES DE POUVOIRS JURIDIQUES 1)

D'une part, les individus sont investis de pouvoirs : le pouvoir de vouloir certaines choses. D'autre part, ils exercent ces pouvoirs en accomplissant des actes juridiques.

Il faut étudier de plus près: 1° ces pouvoirs; 20 ces actes juridiques.

Section I

I.

Situations juridiques générales et impersonnelles; situations juridiques individuelles.

Les pouvoirs dont sont investis les individus sont de deux sortes: 1o généraux ou impersonnels; 2° individuels.

Il y a d'abord les pouvoirs juridiques généraux, impersonnels; ce

(1) Cpr. sur ce point, DUGUIT, L'Etat, 1901, 2 volumes, passim, et en particulier, vol. I, p. 140 et s.; Traité de Droit Constitutionnel, 1911, I, p. 1 et s.

On trouvera peut-être des idées voisines, mais avec une terminologie différente bizarre et souvent obscure dans HAURIOU, Principes du Droit public, 1910, p. 124 et s. et p. 200 et s.

Voici un exemple de la manière du professeur HAURIOU. Cet auteur, donne à la situation juridique générale et impersonnelle le nom d'institution, et il la définit (p. 129): L'institution incorporée est « une organisation sociale, en relation avec l'ordre général des choses, dont la permanence individuelle est assurée par l'équilibre interne d'une séparation des pouvoirs, et qui a réalisé dans son sein une situation juridique ».

sont ceux qui appartiennent à tous les individus qui se trouvent dans les mêmes conditions de fait. Exemples: les pouvoirs juridiques relatifs à la propriété d'une maison sont les mêmes, quel que soit le propriétaire. Il n'y a pas des pouvoirs de propriété organisés pour X et des pouvoirs de propriété différents organisés pour Y. Le régime juridique de la propriété est le même pour tous les propriétaires d'une même catégorie de choses. Ce sont donc des pouvoirs juridiques généraux, impersonnels. Ce sont des situations juridiques générales, impersonnelles, objectives.

De même, les pouvoirs juridiques dont sont investis les fonctionnaires publics d'une même catégorie: juges, préfets, maires, etc. sont les mêmes, quel que soit l'individu investi de la fonction de maire, de juge, de préfet. Il n'y a pas de pouvoirs de préfet organisés pour X, et des pouvoirs de préfet différents organisés pour Y. Le régime juridique de la fonction de juge, de préfet, de maire est le même pour tous les juges, tous les préfets, tous les maires. Ce sont donc des pouvoirs généraux, impersonnels, objectifs. Ce sont des situations juridiques générales, impersonnelles, objectives.

II. - Il y a des pouvoirs juridiques dont le contenu est déterminé d'une manière particulière pour ou contre tel individu déterminé, et c'est non pas la loi ou le règlement qui fait cette détermination du contenu du pouvoir, mais la manifestation de volonté d'un agent public ou même d'un individu qui n'est pas au service public. Le pouvoir juridique est, dans ce cas, individuel, subjectif. La situation juridique est individuelle, subjective. Voici quelques exemples: Lorsque, à la suite d'une vente, l'acheteur X devient débiteur du prix de 100.000 vis-à-vis du vendeur Y, la situation juridique de X et celle de Y sont des situations particulières, individuelles. C'est X qui est débiteur de 100.000 payables dans telles et telles conditions. Le contenu du pouvoir juridique de Y contre X est spécial au cas particulier : dette de 100.000; ce contenu est déterminé par la manifestation de volonté de X et de Y. La situation juridique n'est donc pas générale, impersonnelle, objective; elle est individuelle, particulière, subjective.

De même, lorsque, à la suite de la confection des rôles d'impôt direct, le contribuable X est devenu débiteur vis-à-vis du Trésor public de la somme de 1.000, il est dans une situation juridique individuelle le pouvoir juridique des agents du Trésor contre X a un contenu particulier dette de 1.000.

De même, lorsque, à la suite d'une condamnation à l'amende par

[ocr errors]

un juge, le délinquant X est devenu débiteur vis-à-vis du Trésor d'une somme de 1.000, par exemple, il est dans une situation juridique individuelle; le contenu de son obligation n'est pas général, impersonnel; il est particulier à X amende de 1.000; il est individuel.

III. Les situations juridiques sont des pouvoirs ou des devoirs juridiques. Tout pouvoir, tout devoir juridique forme une situation juridique qui doit être examinée en soi. C'est là un point très important. Il arrive, en effet, très souvent, qu'à la suite d'un acte juridique, un individu soit investi de plusieurs pouvoirs et même de devoirs, Il ne faut pas dire qu'il est dans une situation juridique: il faut dire qu'à la suite de cet acte il se trouve placé dans plusieurs situations juridiques; et il se peut que ces situations juridiques n'aient pas la même nature, que les unes soient générales, impersonnelles, objectives, les autres individuelles, subjectives.

Prenons des exemples. A la suite d'un acte de vente, le vendeur X est investi de plusieurs pouvoirs et devoirs. Il a des pouvoirs : il a une créance contre l'acheteur en paiement du prix convenu, 100.000, par exemple; et pour le recouvrement de cette créance, il a des pouvoirs privilège, action en justice, pouvoir de saisir les biens de l'acheteur, action en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix, etc., etc. Inversement, le vendeur X a des devoirs il doit transférer la propriété, délivrer la chose, garantir l'acheteur contre les troubles, etc., etc. Chacun de ces pouvoirs, chacun de ces devoirs constitue une situation juridique à examiner en soi. Il n'y a pas la situation juridique de vendeur : il y a les situations juridiques multiples dans lesquelles se trouve le vendeur à la suite de la vente. L'observation est importante, car il arrivera souvent que ces situations juridiques n'ont pas même nature. Ainsi le pouvoir du vendeur d'exiger le prix convenu que l'on appelle créance du prix, est une situation juridique individuelle, subjective. Au contraire, le privilège du vendeur, le pouvoir d'agir en justice, le pouvoir de saisir les biens du débiteur, etc. sont des situations juridiques générales, impersonnelles, objectives: tout vendeur a ces pouvoirs; ils sont créés et réglés exclusivement et impersonnellement par la loi et non par la volonté du vendeur et de l'acheteur. Dès lors, le régime juridique applicable aux différents pouvoirs du vendeur varie suivant la nature de la situation juridique considérée, parmi les situations multiples dans lesquelles se trouve placé le vendeur à la suite de la vente.

Section II

Caractères essentiels de la situation juridique générale,
impersonnelle, objective.

Il ne suffit pas de faire la distinction des situations juridiques en générales et individuelles il faut préciser le criterium auquel on les reconnaît.

:

Quatre caractères essentiels marquent la situation juridique générale, impersonnelle, objective. A vrai dire, ce sont des conséquences d'un même caractère le caractère général, impersonnel, objectif.

Cette situation juridique est : 1° générale, impersonnelle; 2° permanente; 3° modifiable par la loi ; 4° non susceptible de renonciation générale.

I. La situation juridique générale, impersonnelle est la même pour tous les individus qui se trouvent dans les mêmes conditions de fait. C'est là un point capital. L'acte juridique qui la crée, l'organise et la règlemente est nécessairement une loi, un règlement ; l'essence de la loi ou du règlement est de formuler des règles générales, impersonnelles, objectives. C'est pourquoi on peut appeler les situations juridiques générales et impersonnelles, des situations légales ou réglementaires. Ce sont des termes synonymes.

[ocr errors]

Par exemple, le pouvoir électoral — que l'on appelle souvent droit de vote, droit de suffrage est une situation juridique générale, impersonnelle, légale ou réglementaire. Elle est la même pour tous les individus qui remplissent les conditions de fait énumérées par la loi. Elle est créée exclusivement par la loi. Et le contenu de ce pouvoir est exclusivement déterminé par les lois et règlements. De même, la compétence d'un fonctionnaire, fois les droits et les obligations d'un fonctionnaire, juridique générale, impersonnelle, légale ou réglementaire. Elle est la même pour tous les individus investis d'une certaine nature de fonction publique. Elle est créée par la loi. Et cette compétence a un contenu déterminé exclusivement par les lois et règlements.

ce qu'on appelle parest une situation

II. Le deuxième caractère de la situation juridique générale, impersonnelle, c'est d'être permanente. Le pouvoir juridique subsiste et peut être exercé indéfiniment; l'exercice de ce pouvoir ne le fait pas disparaître. Par exemple, l'individu qui a le pouvoir électoral a le pouvoir de voter indéfiniment, à toutes les élections qui auront

lieu. L'exercice du pouvoir électoral ne fait pas perdre la qualité d'électeur. De même, la compétence d'un agent public est permanente; elle ne disparaît pas lorsqu'elle a été exercée : le pouvoir du maire de faire un règlement de police subsiste après que ce pouvoir a été exercé.

En d'autres termes, la situation juridique générale, impersonnelle est permanente, comme la loi ou le règlement qui l'organise.

III. La situation juridique générale, impersonnelle, légale ou réglementaire est essentiellement modifiable par la loi, le règlement. Par exemple, le pouvoir électoral peut, à tout instant, être modifié par les lois ou règlements, suivant ce qu'exigent les intérêts généraux. Les titulaires d'un pouvoir général ne peuvent pas exiger que leur situation juridique ne soit pas modifiée. La loi, le règlement qui organisent les pouvoirs généraux peuvent être changés à tout moment. C'est de l'essence de la loi, du règlement.

IV. Le pouvoir juridique général, impersonnel, objectif, légal ou réglementaire ne peut pas faire l'objet d'une renonciation générale, absolue. Par exemple, l'électeur ne pourra pas valablement renon cer, d'une manière générale, absolue, à son pouvoir électoral (1). Un individu ne peut pas renoncer, d'une manière générale, à faire des ventes, des locations, à faire le commerce, à devenir propriétaire d'immeubles, etc. En effet, la loi est générale; elle s'applique à tous les individus; il ne peut pas dépendre d'un individu qu'une loi ne lui soit pas applicable: cela ferait perdre à la loi son caractère essentiel de généralité.

Mais il faut faire deux observations capitales. La première, c'est que, en principe, l'individu investi d'un pouvoir légal peut s'abstenir de l'exercer. Par exemple, l'électeur peut s'abstenir de voter; il n'en reste pas moins électeur, investi du pouvoir électoral. Bien entendu, il se peut que tel pouvoir légal soit organisé de telle manière que celui qui en est investi ne puisse pas s'abstenir de l'exercer. Tel est le cas, par exemple, pour les agents au service public. La compé

(1) Les lois lui interdisent même d'y renoncer d'une manière particulière serait nul l'engagement de ne pas voter à telle élection, ou de voter pour X. Mais c'est là une toute autre question. La renonciation générale à un pouvoir légal est toujours illicite. La renonciation relative, dans tel cas déterminé, n'est que l'exercice du pouvoir légal. Elle est donc licite, en principe, à moins que, pour des raisons d'ordre public, la loi n'ait interdit ces renonciations relatives. Voir le texte.

« PreviousContinue »